La privatisation du social

On assiste aujourd’hui en France à une privatisation larvée du social, conjuguée à un secteur public malgré tout conséquent, et à une dépense publique importante

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La privatisation du social

Publié le 15 janvier 2012
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On assiste aujourd’hui en France à une privatisation larvée du social, conjuguée à un secteur public malgré tout conséquent, et à une dépense publique importante, dont la conséquence est que certains Français sont obligés de payer deux fois pour un service efficace.

Par Vladimir Vodarevski

Anne Coffinier, fondatrice de Créer son école, déclare dans une interview réalisée par Le Cri du Contribuable qu’il y a environ vingt ouvertures par an d’écoles indépendantes en France. Ce sont des écoles totalement privées, sans aucun financement public. Ces créations d’écoles peuvent paraître surprenantes pour le pays dans lequel l’éducation publique est une institution primordiale. Elles illustrent une sorte de privatisation larvée des services publics en France.

En effet, dans des domaines considérés comme essentiels, tels que l’éducation, la santé, les Français sont de plus en plus obligés de se prendre en charge. Et cela bien qu’il n’y ait aucun désengagement de l’État en la matière. Il y a paradoxalement une augmentation de la dépense publique.  Dans ce contexte, alors qu’ils sont critiqués sur ce point, ce sont les libéraux qui paraissent se préoccuper le plus du social.

Les écoles indépendantes sont un exemple extrême en matière d’éducation. Dans ce domaine, la privatisation est surtout illustrée par le développement des cours de soutien. Dans un autre domaine, les écoles de commerce ont aussi le vent en poupe. De plus en plus, les chances de réussite scolaire de l’enfant dépendent du niveau d’éducation des parents ou de l’épaisseur de leur portefeuille.

En matière de santé, la situation est la même. Les dernières études montrent que les Français se privent de soins. En  cause, notamment, les dépassements d’honoraires. Mais aussi les soins dentaires, les lunettes. Ceux qui le peuvent souscrivent des assurances complémentaires, ou bénéficient de celle de leur entreprise.

Même dans le domaine de la sécurité, domaine régalien par excellence, la privatisation est en marche. Combien d’entreprises de sécurité en France ? Combien de vigiles avec des chiens, pour assurer la sécurité de bâtiments, de chantiers ?

Cette privatisation du social ne provient ni d’un désengagement de la puissance publique, ni d’un manque de moyens. Au contraire, la dépense publique n’a jamais été aussi élevée en temps de paix, dépassant les 50% du PIB. Le nombre de fonctionnaires reste très élevé, même après les diminutions de ces dernières années. Par exemple, dans l’Éducation Nationale, il y a plus de professeurs par élèves en 2009-2010 qu’en 1995-1996.

Les problèmes viendraient plutôt de l’organisation des services publics. La Cour des Comptes aborde régulièrement la question dans ses rapports, comme dans celui intitulé explicitement  Organisation et gestion des forces de sécurité publique, qui critique l’organisation des forces de l’ordre.

De même, régulièrement, les magazines sortent un dossier sur les économies possibles en matière de dépenses publiques. Un dossier du numéro de décembre 2011 de Capital est ainsi consacré aux « gaspillages publics ». Le numéro de Challenges du 5 au 11 janvier 2011 interroge Brigitte Domont, professeur à Paris-Dauphine, qui déclare que « contrairement à une idée répandue, la France ne manque pas de médecins. Elle est même surdotée avec 160 généralistes pour 100.000 habitants, contre 90 en moyenne dans l’OCDE. »

La conséquence de cette privatisation larvée du social, conjuguée à un secteur public malgré tout conséquent, et à une dépense publique importante, est que dans certains cas les Français sont obligés de payer deux fois pour un service efficace. Une fois par les prélèvements obligatoires, et une fois en payant le service. Ce qui entraîne des inégalités, tout le monde ne pouvant pas payer deux fois.

Cette situation est de nature à conforter les arguments des libéraux. Ceux-ci considèrent que l’action de l’État doit être limitée, ou même que l’État doit être supprimé. Ils appliquent une sorte de principe de subsidiarité: l’État n’a pas à s’occuper des domaines dans lesquels il n’est pas efficace, et où l’initiative privée, elle, l’est. C’est aussi un principe de responsabilisation : chacun est responsable de lui-même.

Par exemple, dans le domaine de l’éducation, certains libéraux proposent un système de vouchers, des bons permettant de payer l’école, inventé par Milton Friedman, et repris par Friedrich August Hayek. Ainsi, les parents peuvent choisir une école privée dans laquelle ils souhaitent envoyer leurs enfants. Cela permet d’encourager l’efficacité du système, en même temps que cela donne une liberté de choix aux parents. La Suède a institué ce système.

Les libéraux sont aussi partisans du salaire complet. C’est-à-dire que la totalité du salaire, charges sociales salariales et patronales incluses, est versé au salarié, qui peut alors choisir son assurance santé, et son système de retraite.

Ces propositions peuvent paraître radicales. Elles peuvent au moins servir d’inspiration, pour des solutions intermédiaires. En matière d’éducation, cela peut consister à demander aux parents s’ils désirent envoyer leurs enfants dans une école indépendante, qui donnerait un enseignement différent de l’école publique. Ceux qui souhaitent rester dans le public resteront dans le public, ceux qui veulent un autre type d’enseignement pourront en disposer, sans payer plus. Refuser de le faire, c’est se priver de solutions.

Dans le domaine de la santé, plus d’autonomie pourrait être donnée aux caisses d’assurance maladie. Certaines pourraient même être confiées au privé, aux mutuelles par exemple.

Ce genre de situation intermédiaire, de changement progressif, ne satisferait pas la plupart des libéraux, qui préféreraient un changement plus radical. Cependant, ce peut être une solution intermédiaire, et un compromis social. C’est à tout le moins une piste de réflexion.

Dans une France où le « social » est mis en exergue, et « l’ultra-libéralisme » vilipendé, ce sont donc pourtant les libéraux qui proposent des pistes pour améliorer les services publics et la protection sociale, qui se dégradent, au point de devoir de plus en plus être compensés par le privé, malgré une dépense publique plus élevée que jamais. Ces pistes doivent être considérées si l’objectif est véritablement de maintenir l’éducation, la santé et les divers avantages que le progrès économique a apporté.

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  • Cette idée à l’apparence séduisante souffre cependant de 2 bémols : les parents qui n ont pas les diplômes sont ils capables de former leurs enfants comme ceux en ecole publique ou privée sous contrat ? Et enfin le probleme des free schools en GB où des salafistes apprennent aux enfants la charia et toutes ses sanctions moyen ageuses à l’encontre despêcheurs… Et puis l’école est aussi un moyen de sociablisation..

    • D’accord avec vous.

      J’ajouterai qu’autre chose me dérange dans le chèque éducation : c’est un peu le financement du privé par le public… bof bof

      Je préfererai une école plus délocalisée et indépendante, ou les professeur ont des objectifs mais qu’ils peuvent atteindre de la manière qu’ils souhaitent. Libéral dans le sens, plus de haut-fonctionnaires pour décider comment faut apprendre aux élèves à la place des professeurs, décentralisé un max. Donc efficacité. Mais école publique toujours, pour laisser les même chances à chacun sur le principe. Et pas de financement du privé par le public.

      • Excusez-moi, ma précédente réponse était destinée à Guillaume, l’intervenant précédent. J’ai cliqué trop vite.
        Je comprends votre réticence au financement du privé par le public. Le sujet est sensible en France. Mon idée de système intermédiaire serait des écoles privées, autonome, sous le contrôle du public, ce qui exclut par exemple les écoles qui dispenseraient un enseignement religieux obligatoire, ou des principes contraires à ceux du pays. Il me semble que c’est la solution la plus souple, et la plus simple. Une école indépendante doit avoir le choix de ses profs, de l’ensemble du personnel, définir son projet. Je ne vois pas comment pourrait s’organiser un système public d’école indépendante, tellement ce serait lourd à gérer.

        • « Je comprends votre réticence au financement du privé par le public. Le sujet est sensible en France. » ahah, ça c’est sur. Jamais vu autant de collusion entre le public et le privé qu’en France… Alors forcément, on est un peu refroidi maintenant.

          « Je ne vois pas comment pourrait s’organiser un système public d’école indépendante, tellement ce serait lourd à gérer. »

          Pourtant, il suffit de rattacher les écoles à leurs mairies ou régions, de diminuer le poids du ministère de l’EdNat, à mon avis ce n’est pas si difficile à mettre en place. C’est un peu ce qui a été fait pour les universités, mais version beaucoup plus poussé.

      • Cette histoire de « financement du privé par le public » ça ne tient pas debout. Soit on considère que l’éducation est une affaire strictement privée, et il faut d’urgence cesser de mettre un sou public dans cette affaire, cesser de nourrir le mammouth (qu’il se débrouille tout seul pour trouver sa pitance, et je parie qu’il va largement maigrir….). Soit on considère qu’il est d’intérêt public que les gens soient bien éduqués, et on accepte de payer pour ça, et alors peu importe qui assure l’éducation, tant qu’elle est bien faite.

    • L’idée du chèque éducation est de pouvoir comparer les résultats des différentes offres en matière d’éducation. Les parents pourront donc comparer.
      Votre remarque sur les parents sans diplômes me fait penser qu’une bonne circulation de l’information serait nécessaire dans un tel système, pour que tous les parents soient conscients des possibilités de choix (les parents sans diplômes manquent surtout d’informations sur les filières à suivre pour que leurs enfants s’élèvent socialement).
      Les écoles confessionnelles posent la question de la liberté d’enseignement de la part des parents. Dans une société libérale, la liberté d’opinion est un principe. Mais l’endoctrinement peut être un obstacle à cette liberté. Doit-on autoriser les écoles confessionnelles, en comptant sur la liberté d’opinion pour que l’enfant ait finalement accès à d’autres opinions, et puisse se forger la sienne? Doit-on imposer certains principes dans l’enseignement? Je n’ai pas la réponse. Même si je penche plutôt pour le respect de principes, qui excluent les écoles trop extrémistes.

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