Les habits neufs de la vieille gauche

Guy Sorman revient sur sa participation à l’émission de Frédéric Taddéi et son débat avec l’économiste Esther Duflo sur l’aide aux pays pauvres

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Les habits neufs de la vieille gauche

Publié le 5 janvier 2012
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Guy Sorman revient sur sa participation à l’émission « Ce soir ou jamais » de Frédéric Taddéi du mardi 3 janvier sur France 3 et ses échanges avec l’économiste Esther Duflo et le journaliste Edwy Plenel sur les politiques d’aides au pays pauvres.

Par Guy Sorman

Esther Duflo

Dans les débats télévisés, en direct, où chacun tente de faire une percée, il ne se dit pas grand chose : même chez Frédéric Taddéi, le plus tolérant des animateurs, le fond est vite éclipsé par le spectacle. La télévision ne peut être autre chose que de la télévision: comme l’écrit McLuhan, le média c’est le message. Chaque participant, je n’évoque même pas le téléspectateur insomniaque, en sort frustré de n’avoir pu transmettre à la nation, le message forcément essentiel dont il était le seul détenteur. Il n’empêche qu’en y réfléchissant ensuite, à froid, les non-dits de ces débats – et de celui d’hier en particulier sur France3 – sont significatifs. Décryptons, en me limitant à l’essentiel, les échanges sur la pauvreté de masse animés par Esther Duflo, économiste au MIT de Boston, Edwy Plenel, directeur de Médiapart et votre serviteur. Esther Duflo s’est imposée dans le paysage économique par ses évaluations de l’efficacité – ou non – des aides aux plus pauvres. Elle a particulièrement analysé le bon usage des moustiquaires dans les zones impaludées : est-il plus efficace de donner ces moustiquaires ou de les vendre à un prix modeste ? Le don risque de ne pas faire comprendre, aux intéressés, la nécessité d’utiliser la moustiquaire. La vente risque de décourager leur usage dans les populations à faibles revenus. Esther Duflo sur la base de ses expériences de terrain (mais sur des échantillons très modestes) conclut que le don est plus efficace que la vente. De là, elle induit que le débat classique sur l’aide aux peuples pauvres, plutôt que des politiques de développement endogènes, est dépassé : « idéologique », dit-elle.

La science qu’elle incarne aurait remplacé l’idéologie ? Il est désormais possible, écrit-elle et disait-elle hier, de mesurer l’efficacité de toute politique sociale. Il se trouve, opportunément, que dans tous les cas examinés par Esther Duflo, l’intervention externe d’un bienfaiteur (ONG, organisation internationale, État) s’avère toujours plus efficace que la non-intervention. Ce qu’elle justifie dans ses écrits en observant que ni les pauvres, ni les riches ne savent choisir ce qui est bon pour eux. Un pauvre au Maroc (sic) préférera acheter une télévision que de la nourriture : il choisit mal. Un riche qui boit l’eau du robinet ne se demande pas, dans un pays développé, si elle est potable : on a choisi pour lui.

Esther Duflo s’inscrit donc en faux contre toute l’économie classique et l’école du choix rationnel qui envisagent que les individus font de bons choix pourvu qu’on leur permettre de choisir. Disant cela à Esther Duflo, je me fais traiter « d’idéologue » ! Plenel soutient, sans surprise, Esther Duflo. Je fais observer que toutes les ONG et organisations internationales au monde ne sont que des infirmeries, efficaces quand elles suivent les recommandations d’Esther Duflo, mais seulement des infirmeries. En réalité, ce n’est pas de la théorie ni de l’idéologie, seules de bonnes politiques économiques sont parvenues, depuis quarante ans, à sortir de la pauvreté, plusieurs milliards d’hommes et de femmes. J’ajoute que cette sortie massive de la pauvreté a commencé lorsque les pays aussi différents que le Brésil, l’Inde ou la Chine ont renoncé au socialisme pour se convertir à l’économie de marché.

Réponse d’Esther Duflo : « ces trois pays ont suivi des politiques très différentes, on ne sait pas expliquer la croissance ». On reste stupéfait : l’histoire économique, l’expérience ne nous auraient donc rien enseigné ? Plenel surenchérit et m’accuse de poursuivre un combat dépassé. S’il est dépassé, pourquoi la Birmanie est-elle pauvre et la plus grande partie de l’Afrique ? C’est tout de même bien parce qu’il y est interdit d’entreprendre. En vérité, Esther Duflo et Plenel refusent d’avouer la défaite totale du socialisme pour le développement ; le terme même d’économie de marché les horripile. Pour ne pas reconnaître leur déroute, ils nous assurent que la guerre n’a pas eu lieu : y revenir, ce serait sombrer dans « l’idéologie ». Eux sont des scientifiques qui ne se prononcent pas sur la base d’idées préconçues, mais en fonction de l’efficacité démontrée ou non des programmes.

Cette posture scientifique est-elle neuve à gauche ? Pas vraiment. Rappelons que, pour Karl Marx et les marxistes, le socialisme était une science. Marx avait fondé le « socialisme scientifique » contre le « socialisme utopique ». Parions que cette dialectique se retrouvera bientôt dans la campagne présidentielle : la Gauche se présentera comme le Parti scientifique et efficace et accusera ses adversaires d’être idéologues.

Derrière les moustiquaires d’Esther Duflo, on devine la réinvention du socialisme de technocrates, caractéristique de la France : une élite d’enseignants et de hauts fonctionnaires serait la mieux qualifiée pour organiser notre bonheur, puisque le citoyen laissé à lui-même (voyez ce pauvre Marocain !) est incapable de choisir ce qui est bon pour lui.

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  • Merci Mr sorman.

    Le fait de penser que l’individu n’est pas compétent et que seul des hauts fonctionnaires savent mieux que lui ce qui est bon poru lui est ce que F. HAYEK appelle « La présomption fatale ».

    Celle-ci est liée au constructivisme scientifique, cad le positivisme (ou saint simonisme) du 19eme siècle.

    Cette présomption fatale a complétement intoxiqué les français …

    Ce pays est foutu …

  • J’aime bien les travaux d’Esther Duflo parce qu’il sont pragmatiques, et parce qu’ils sont de la dynamite pour les politiques à la con. Le vice dans cette comparaison des moustiquaire achetée / vendue, c’est l’élimination de l’essentiel : le prix d’une moustiquaire !
    Évidement que les gens utilise plus une ressource gratuite qu’une ressource payante, c’est trivial.
    Sauf que rien n’est gratuit…

  • Monsieur Plenel ressemble toujours à lui-même … Ses prises de position, toujours les mêmes, ne sont pas étonnantes quand ont connaît les perfusions que Médiapart reçoit de l’Etat pour continuer d’exister faute d’abonnements payants.

  • « L’actualité vue par le monde de la culture, soit le néant commentant l’insignifiant, énième clone fatigué des émissions de Polac, c’est concrètement l’ouverture des cages d’improbables et minuscules macaques médiatiques hébétés, ravis de se voir encore arriver à pousser des grands cris en gesticulant dans l’arène des spotlights, à tel point qu’on se demande si ça ne relève pas de tests de médicaments ourdis par des laboratoires pharmaceutiques. Toute cette ribambelle de débiles mentaux n’ayant absolument rien à dire de l’époque feignent ainsi sur deux heures d’avoir des opinions et, on peut toujours rêver, des divergences. Cette véritable cour des miracles de la sottise épatée d’elle-même n’en peut plus qu’on lui laisse encore la parole…
    Le pathétique est consommé lorsqu’un invité se détache des autres par un minimum de civilité, une absence de veulerie et un propos non-aligné : il se voit immanquablement enseveli par des monceaux de mauvaise foi, des gravas de mensonges et des pelletées de ricanements morbides. La voilà, c’est l’attendue et obligatoire victime sacrificielle, celle qui grandit les nains à ses frais, donne l’apparence du débat et l’excuse de la pluralité. Elle n’avait qu’à ne pas venir. »

    (Il Sorpasso « 12 émissions de télévision en état végétatif qu’il faut débrancher en 2012 »
    Sur ilikeyourstyle.net)

  • La télévision, ou « les bas-fonds de la niaiserie déclamatoire ».

  • La question qui, semble-t-il, n’a pas été abordée: Qui décide qu’il faut donner des moustiquaires plutôt que des cacahuètes? Et comment? Merci a Mme Duflo de prendre les pauvres pour des imbéciles.

  • Les socialistes aiment les pauvres.Leurs politiques les multiplient.
    Tout va bien.

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