Islam et libéralisme, quelle compatibilité ?

Yves Montenay dialogue avec François Facchini.

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Islam et libéralisme, quelle compatibilité ?

Publié le 1 décembre 2011
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Quels rapports entre Islam et libéralisme ? Incompatibles ou compatibles ? La question suscite de nombreux débats, souvent passionnés. Afin d’éclairer le débat, Contrepoints vous propose ce document d’archives de l’Institut Turgot, où Yves Montenay, démographe, dialogue avec François Facchini, Maître de conférences à l’Université de Reims, sur les rapports entre Islam, monde musulman et libéralisme.

Un article publié en collaboration avec l’Institut Turgot.

Ce dialogue cherche à cerner les rapports entre d’une part l’islam, les musulmans et leurs pays avec le libéralisme. Nous distinguons d’emblée dans le terme musulmans trois idées : la religion, les individus et les pays où ils vivent, d’où les trois parties de ce dialogue.

 

L’Islam comme religion et libéralisme économique

François Facchini

Je pense que l’islam, comme religion, soutient un idéal économique qui n’est pas celui de l’ordre économique des libéraux.

Le libéralisme soutient un ordre social où les règles garantissent les libertés civiles. Elles déterminent ce que l’Homme a le droit de faire et de ne pas faire. S’interroger sur la place des libertés dans les pays musulmans, c’est étudier la place des libertés de culte, de la liberté de conscience, de la liberté d’opinion, des libertés économiques, de la liberté de réunion, de la liberté syndicale, de la liberté politique, etc. dans ces pays.

La liberté de culte donne le choix de sa religion. La liberté de conscience permet de ne pas avoir de croyances religieuses. La liberté d’opinion est un préalable aux libertés d’expression, de pensée et de la presse. Elle garantit la liberté de dire, d’écrire, et de diffuser n’importe quelle opinion. La liberté économique est la liberté de travailler et de consommer.

La liberté de travailler donne la possibilité de travailler pour soi (entrepreneur), pour les autres (salariat) ou de ne pas travailler. La liberté politique est principalement la liberté de désigner son chef et de contrôler ses décisions. Elle peut donner sous certaines conditions le droit de choisir son droit. Elle peut, aussi, entrer en opposition avec les autres libertés. Cela explique pourquoi les libéraux qui ne prônent pas la dissolution de l’État cherchent à encadrer les libertés politiques par une Constitution qui garantisse les droits individuels.

La relation entre l’islam et le libéralisme ne pose pas, pour cette raison, les mêmes problèmes et n’a pas les mêmes enjeux s’il s’agit du libéralisme économique, du libéralisme politique et/du libéralisme en matière de culte. Cette discussion porte uniquement sur les libertés économiques, sur le rapport qu’entretient l’islam aux institutions du libre marché.

L’islam est la deuxième religion dans le monde en nombre de croyants derrière le christianisme.

Son expansion débute en 622, date à laquelle le prophète Mahomet est chassé de La Mecque et se réfugie à Médine. En 629 il reprend La Mecque et instaure le premier État de la civilisation islamique. L’histoire de l’islam n’est pas, en ce sens, que l’histoire d’une aventure spirituelle, c’est aussi une aventure politique. Le prophète a dirigé un pays. Il a inspiré par sa parole et ses pratiques l’invention d’un système juridique, le droit musulman. Le droit musulman institutionnalise l’idéal de la cité de l’envoyé de Dieu. L’idéal musulman de la cité est l’équivalent de l’idéal de la cité libérale. Au lieu de donner naissance à la common law et au Code civil il a produit le droit musulman.

Ce droit est né autour des années 609-632 (ap. J.-C.) dans la péninsule arabique avec les révélations du prophète.

Ce droit musulman se distingue sur de nombreux points de l’idéal de l’ordre économique libéral.

  1. Il sacralise un certain nombre d’inégalités, là où le libéralisme économique défend l’égalité formelle devant le droit. Le droit musulman a sanctifié trois inégalités formelles : les relations maîtres-esclaves, les relations femmes-hommes et les relations entre croyants et non croyants.
  2. Il statue sur le butin là où le libéralisme économique soutient les droits du propriétaire contre la coercition d’État (Sourate VIII Le Coran)…
  3. Il privilégie la propriété collective des ressources naturelles et restreint les libertés des propriétaires sur la base de principes moraux là où le libéralisme économique légitime la privatisation et exclut toute forme de paternalisme moral.

 

Ces règles morales restreignent les droits du propriétaire de plusieurs manières.

Les libertés individuelles sont limitées par l’interdit de l’usure, l’obligation de l’aumône légale, le droit de succession, l’absence de personnalité morale, les terres collectives, le droit éminent de l’État sur la terre, et l’interdiction de s’approprier l’eau et l’herbe.

Toutes ces restrictions sont à l’origine d’institutions distinctes des institutions du free market. Toutes ces restrictions empêchent de soutenir que le droit musulman est favorable aux institutions du libre marché. Il est possible que ce droit ait évolué ou qu’il n’ait pas été complètement appliqué, mais il a inventé un idéal économique qui n’est pas l’idéal de la société libre des libéraux.

Le droit musulman issu de l’interprétation des textes sacrés de l’islam ne prédisposait donc pas la civilisation musulmane à découvrir les institutions du capitalisme libéral. Elles créaient un esprit non capitaliste défavorable au libre marché.

La justification religieuse de l’esclavage, des inégalités hommes-femmes, musulmans-non musulmans, du butin, de la propriété collective des ressources naturelles, de l’interdiction de l’usure et de la spéculation, de l’obligation de la solidarité ont inspiré un modèle économique non capitaliste. Ce modèle est un modèle de rente et de distribution de privilèges aux individus qui font allégeance au pouvoir.

L’idéal de la cité musulmane a eu pour effet de composition un système institutionnel non capitaliste et plutôt hostile à ses valeurs puritaines. Il a créé les conditions d’existence d’une civilisation prospère et avancée pour ses membres mais qui n’était pas préparée à la concurrence avec un modèle économique alternatif, le capitalisme libéral. L’histoire des modèles économiques des empires musulmans conduit donc à soutenir que l’Islam n’a pas prédisposé les musulmans à découvrir le libéralisme économique à l’institutionnaliser.

Yves Montenay

La description de l’islam comme religion, ci-dessus, est celle des textes fondateurs dans leur ensemble, ce qui est certes très, et même extrêmement, important.

Mais trois autres facteurs sont à prendre en considération : le flou et les contradictions de certains passages, leur côté souvent très contingent, et le fait que l’économie et la politique ont une autonomie par rapport à la religion. Ce sont trois facteurs de natures très différentes les uns des autres, et il faut donc examiner séparément.

Premièrement le flou et les contradictions de certains passages des textes fondateurs.

Nous savons que le Coran a été « récité » par Mahomet à des témoins variés sur une époque très longue. Il n’a été écrit que plus tard dans des circonstances que tous les musulmans apprennent : le Calife a rassemblé les témoins survivants et leurs notes (pour les amateurs de pittoresque il est précisé qu’elles étaient prises sur des écorces, et des omoplates de chameaux…) puis le Calife a rassemblé ces textes dans un ordre arbitraire qui ne correspond pas du tout à l’ordre chronologique de « descente » (du ciel).

Nous savons également que le Coran comprend deux séries de textes, les textes « spirituels » plutôt de la période où il allait dans le désert recueillir « la parole de Dieu », et celle dite « de Médine » où l’inspiration divine lui a soufflé des textes de guerre et de gouvernement.

Ces deux sources d’inspiration, et le découpage non chronologique, ainsi que probablement d’autres raisons, font que l’ensemble n’a pas de logique propre, et que l’on peut trouver certains passages flous et contradictoires. Cela fait d’ailleurs le délice de certains commentateurs, les uns opposant par exemple la sévérité, voire les menaces de mort envers les infidèles et les autres citant le fameux verset « pas de contrainte en religion ». Donc, sans remettre en cause la moindre virgule des textes, chacun peut trouver certains appuis plus ou moins justifiés à sa thèse : interdiction de l’alcool ou de l’ivresse ? Interdiction de l’intérêt ou de l’usure ?

Deuxièmement, certains passages sont par ailleurs très contingents, surtout les passages « de Médine ».

Ils se rapportent à des évènements très particuliers, par exemple ceux relatifs à la bataille de Badr remportée par Mahomet contre les Mecquois et aux discussions sur le partage du butin qui ont suivi. Toute une école, aujourd’hui très vivante dans les pays du Nord mais également au Sud là où elle peut s’exprimer, pense qu’il faut remettre ces passages dans leur contexte et n’en retenir qu’une idée générale et des principes et non la lettre. C’est la tradition de l’itjihad.

Un exemple extrême mais important est celui de la Tunisie : l’islam y est religion d’État et le Coran précise bien que chaque homme peut avoir quatre femmes, et des concubines. Mais comme il est dit à un autre endroit qu’il doit les « traiter également », l’interprétation officielle tunisienne qui est enseignée à l’école est que le prophète savait bien que cette égalité de traitement était impossible et donc qu’il était en fait contre la polygamie, ce qu’il ne pouvait dire directement compte tenu des mœurs de l’époque. Je répète que c’est la position du gouvernement tunisien qui est enseignée à des millions d’élèves et dont une grande partie des Tunisiens (et surtout des Tunisiennes) est maintenant persuadée. Les textes peuvent donc avoir (ou se voir prêter) une souplesse certaine.

Troisièmement, il est souvent dit que l’islam ne connaît pas la laïcité ou la séparation de la religion et de l’État.

D’après les textes, c’est tout à fait exact et correspond d’ailleurs à la vie de Mahomet qui a été à certains moments à la fois prophète, commerçant, chef de guerre et administrateur de la vie courante de la Cité. Mais les hommes étant ce qu’ils sont, des rivalités entre « le Palais » et « la Mosquée » sont vite apparues, chacun cherchant à subordonner l’autre.

Les problèmes nouveaux et complexes auxquels doivent faire face les États, problèmes qui ne sont bien sûr pas prévus par les textes, poussent à cette séparation de fait et l’on retombe sur la nécessité de l’itjihad. La pression d’un monde extérieur plus ou moins laïque, et en tout cas davantage que la plupart des États musulmans, pousse également dans le même sens, ne serait-ce que pour mettre en place les administrations ou organismes parallèles à ceux de l’extérieur. Je ne m’étendrai pas plus longtemps ici sur ce point, qui concerne plutôt « les musulmans » par opposition à « l’islam » et « les États musulmans », deux points abordés plus loin.

Une autre façon de vérifier que les textes sont importants mais pas seuls à peser, notamment sur l’attitude face au libéralisme, serait de voir ce qu’il en a été et en est aujourd’hui du christianisme, du bouddhisme, du confucianisme dont certains présupposés ne sont pas libéraux.

 

Les musulmans et le libéralisme économique

François Facchini

Si le droit musulman conduit à soutenir que l’islam n’a pas pour idéal économique du free market il y a peu de chances pour que les musulmans soient dans leur majorité favorable au libéralisme.

Malgré les interprétations libérales des paroles de l’envoyé de Dieu données par un institut comme le Minaret Institut, de nombreuses enquêtes montrent que les musulmans sont généralement hostiles aux valeurs du libre marché et à ses institutions (Guiso et al. 2003, Zingages, 2004, Rajan et Zingales, 2004, Crosette, 2000, Inglehart, 2005).

Elles exploitent généralement les résultats des enquêtes du World Value Survey. Nous ne présentons que les informations qui permettent de faire correspondre le droit musulman aux croyances économiques des musulmans.

Nous constatons que les musulmans restent hostiles à l’égalité homme-travail sur le marché du travail, à la concurrence, et à la propriété privée. Ils sont en revanche plutôt favorables à la redistribution des richesses. Cela correspond aux restrictions juridiques ancestrales du droit musulman sur la propriété privée et les libertés individuelles décrites dans la première section.

Yves Montenay

Là aussi l’exactitude de l’exposé n’empêche pas le jeu d’autres facteurs.

Si tout cela est effectivement important et négatif d’un point de vue libéral, ce n’est (malheureusement) que la confirmation que le libéralisme n’est pas une notion évidente et populaire, et je pense que dans beaucoup de pays non musulmans on arriverait à des résultats analogues, notamment en France.

Heureusement, le libéralisme ne fait pas l’objet d’un vote, au sens de celui d’une élection générale, sinon il n’y a pas beaucoup de pays où il serait appliqué. Il est petit à petit diffusé, je n’ai pas dit imposé, par les marchands, puis les entrepreneurs. Il peut l’être également par une décision politique au sommet, lorsque des décideurs ont été convaincus de prendre ces mesures. Cela peut être soit par de bonnes connaissances des théories économiques, ou par constat de la meilleure réussite de certains pays, ou encore, et peut-être plus souvent, par simple nécessité.

Ce fut le cas pour le thatcherisme, c’est le cas de la Chine, de l’Inde, et, dans une large mesure, de la France.

Ce passage au libéralisme malgré l’opinion publique est difficile, mais est facilité par le fait qu’il n’apparaît que rarement en bloc, sauf cas particulier comme par en Europe de l’Est après la chute du Mur, ce qui d’ailleurs ne lui a pas forcément été favorable à long terme.

Donc, heureusement, une partie des mesures libérales apparait au coup par coup pour résoudre des problèmes concrets, et donc, soit parait logique, soit inévitable. Évidemment la conséquence en est qu’aucun pays n’est complètement libéral, puisque le libéralisme y est apparu problème par problème, et que tout ce qui peut durer sans s’effondrer, et par exemple les corporatismes, reste inchangé.

Je reviens de Chine, et la majorité des hommes n’a pas bien digéré l’égalité homme-femme (ce qui est vrai également en Inde et dans bien d’autres pays), ni la propriété privée et encore moins, comme dans la plupart des autres pays, la concurrence. Les consommateurs qui se donnent la peine de réfléchir et d’interroger l’histoire récente, peuvent a posteriori trouver un avantage à la concurrence, mais tous les pouvoirs établis, que ce soit les entrepreneurs, les politiques, les syndicats, ou tout autre groupement, lui est en général fondamentalement hostile. Cela n’a pas empêché le libéralisme de progresser cahin-caha.

En résumé les musulmans sont vis-à-vis des valeurs et des institutions libérales dans un état d’esprit assez analogue à la plupart de celui des pays du monde. C’est un obstacle, mais peut-être pas plus qu’ailleurs.

Par ailleurs, en tant qu’individus, les musulmans ne se réduisent pas à leur religion, aussi prégnante soit-elle.

 

Les États musulmans et le libéralisme économique

François Facchini

Si le droit musulman ancestral et les croyances économiques des musulmans ne sont pas favorables aux valeurs du free market et à ses institutions il est peu probable que les pays où la population est majoritairement affiliée à l’islam respectent les libertés économiques.

Pour s’en convaincre, il suffit de se référer aux indices de libertés économiques proposés par un certain nombre d’organisations à but non lucratif américaine.

Sur la base des indices de liberté économique de la fondation Heritage pour 2009 on peut affirmer que ce sont les pays dont la population est majoritairement affiliée à la religion chrétienne protestante qui possèdent les indices de liberté économique les plus élevés ; viennent ensuite les catholiques romains, malgré la faiblesse des indices moyens en Afrique noire, en Amérique du Sud, dans les Caraïbes et dans les Iles du Pacifique. Les autres affiliations religieuses sont représentées dans trop peu de pays pour donner une information significative. Les pays de l’aire musulmane sont en revanche plutôt non libres (source : World Fact Book pour les affiliations religieuses et Fraser Institute pour les indices de liberté économique : 1995 – 2007).

Si on décompose par pays, il apparaît cependant de grandes différences entre les pays du golfe Persique, la Turquie et les trois pays de l’ex-bloc soviétique sont classés parmi les pays plutôt libres.

Cela signifie que les pays musulmans et leurs États ne sont pas imperméables aux influences extérieures. Les colonisations européenne, russe puis soviétique ont eu des effets très importants sur l’institution des modèles économiques des pays de l’aire musulmane. Elles ont façonné leur rapport à l’Occident et introduit dans le monde des possibles institutionnels de ces pays la possibilité de choisir les différents modèles de croissance de l’Occident, autrement dit des modèles d’économies centralement planifiées aux différentes formes d’économie sociale de marché. Elles ont donné aux gouvernements des pays musulmans la possibilité de choisir une forme de socialisme (autogestion, planification centrale et/ou sociale démocratie) et/ou des formes d’économie sociale de marché (scandinave, français, japonais, allemand, et/ou anglo-saxon). (Source :economic freedom index, heritage.org, rapport 2009).

Si on décompose l’indice, on peut aussi préciser la nature du modèle économique des pays musulmans plutôt libres.

Les pays de la péninsule arabique sont classés plutôt libres parce qu’ils n’ont pratiquement pas de système fiscal et un État de petite taille. Ils respectent les libertés monétaires contractuelles sur le marché du travail et le libre échange. Ils sont non libres en matière de liberté d’investissement, de liberté financière, et de propriété. Ils ont aussi des indices de corruption de mauvaise qualité. L’absence de fiscalité s’explique par l’existence d’État rentier dans cette zone.

Les États utilisent la tendance naturelle du droit musulman à ne pas privatiser la terre et ses richesses pour entretenir une économie de rente qui n’est plus construite sur le butin mais la rente pétrolière.

On comprend alors mieux pourquoi les indices de respect des droits de propriété sont faibles.

Cette faiblesse correspond à la tradition juridique musulmane ancestrale et à l’organisation de son système judiciaire (Scully, 1987) : absence d’appel, dépendance de la justice au pouvoir et relations très étroites entre l’État et le juge. Cette faiblesse des droits de propriété n’est pas propre aux pays de la péninsule arabique, mais caractérise l’ensemble des pays de l’aire musulmane. Cet indice repose sur la collecte d’informations sur l’indépendance de la justice, les conditions d’expropriation, l’existence de corruption dans les institutions judiciaires, la capacité des individus à faire respecter les conditions des contrats. Un bon indice de droit de propriété renvoie à un ordre où l’État garantit la propriété privée, où les institutions judiciaires mettent en œuvre rapidement et efficacement les contrats où il n’y a ni expropriation ni corruption. Les pays plutôt libres de l’aire musulmane ont donc des caractéristiques qui font clairement résonance avec le modèle musulman classique.

La seule présentation d’un indice de liberté économique et de ces évolutions sur une courte période manque néanmoins de profondeur historique. L’évolution plutôt libérale ou plutôt socialiste des pays de l’aire musulmane sur une longue période s’explique aussi par les stratégies juridiques de l’empire ottoman au XIXe siècle, par l’action des colonisateurs européens et les choix des gouvernements au moment de l’indépendance.

L’Empire ottoman et le colonisateur européen ont généralement cherché à moderniser les relations économiques existantes.

L’Empire ottoman par la Tanzimat a montré qu’il était possible de réformer formellement le droit musulman, mais que cela pouvait déclencher d’importantes oppositions des populations.

La colonisation européenne a aussi essayé de modifier les pratiques en faisant cohabiter le droit musulman et le droit occidental. Au XIXe siècle et au XXe siècle les autorités ottomanes et les colonisateurs européens ont conçu l’Islam comme un obstacle au développement économique. Ils ont cherché pour cette raison à moderniser le droit et les pratiques des musulmans. Cela a annoncé les réformes libérales de 1909-1918 et plus tard l’action de Mustafa Kemal Atatürk qui alla jusqu’à imposer le costume occidental pour les hommes (loi de 1925), et à adopter le Code civil. Durant cette période, les Turcs ont cherché à moderniser le droit et les mœurs de leur pays. On peut supposer alors que la présence turque est plutôt favorable à la libéralisation. Il place dans l’histoire de ces pays le germe de la liberté, l’idée de la libéralisation.

La tradition juridique des colonisateurs joue aussi un rôle d’incubateur.

Il y a les Britanniques et leur tradition de Common Law, les Français et l’ensemble des pays européens de droit continental et les Russes qui vont inventer en 1917 un nouveau modèle économique, le modèle soviétique.

L’importance du droit français dans le domaine commercial et public dans les anciens pays colonisés est à noter (Algérie car département français, Protectorat Marocain et Tunisien (réformisme), Égypte (Napoléon)).

En Algérie, par exemple, et comme dans de nombreux pays musulmans, la pensée religieuse avant l’occupation française avait une forte influence en droit fiscal (Bin, 2007, p.15). La colonisation a écarté l’islam et imposé un système fiscal occidentalisé.

Globalement, il est admis que la colonisation britannique a légué une tradition juridique plus libérale que la tradition continentale française et russe (soviétique) (Scully, 1987). Les pays où la common law a été imposée sont des pays généralement plus libéraux que les pays de droit continental et de droit soviétique (Scully, 1987).

Derrière ces trois types de traditions se dessinent trois modèles économiques :

  1. Le capitalisme anglo-saxon
  2. L’économie sociale de marché scandinave, française ou allemande
  3. L’économie centralement planifiée

 

L’histoire des modèles économiques des pays musulmans est dans ces conditions l’histoire de choix institutionnels contraints par des mondes des possibles situés dans une époque donnée. L’idéal d’une cité musulmane occidentalisée dans un sens socialiste ou libéral ne peut alors qu’infléchir le rapport qui peut exister entre le droit musulman issu de l’interprétation des textes sacrés et le droit d’aujourd’hui.

Après l’occupation ottomane et européenne vient le moment de l’indépendance.

Globalement les pays musulmans ont soit choisi les modèles socialistes et centralisés (Égypte, Algérie, Syrie, Turquie, Libye, Irak), soit des structures féodales et clientélistes (Maroc, Yémen du Nord, Iran, Pakistan) (Nienhaus, 1997).

Gamal Abdel Nasser en Égypte, et un certain nombre de leaders du parti Baa en Syrie et en Irak, ont tenté d’imposer une forme plus ou moins élaborée de socialisme arabe.

Des leaders comme Kadhafi en Libye (Livre Vert) ou Boumediene en Algérie ont aussi cherché dans le socialisme une voie pour le développement économique et social de leur pays.

Bin (2008, p.16) estime que le droit fiscal de l’indépendance en Algérie est totalement sécularisé et indépendant de l’islam. Les autorités ont même écarté l’islam comme source du droit fiscal. La situation algérienne est cependant très différente des pays où la loi islamique, fondée sur la charia est appliquée ; comme la Mauritanie, la Libye, la Jordanie, l’Arabie Saoudite, le Yémen, l’Oman, les Emirats Arabes Unis, le Koweït, l’Iran et le Pakistan.

Dans ces pays l’influence de la religion est très importante.

Talahite (2000) rapporte aussi pour l’Algérie que l’accès à la propriété du logement a longtemps été entravé et découragé. La menace d’être nationalisé ou tout simplement dépossédé de son bien par un gradé de l’armée ou un personnage influent, pesait comme une épée de Damoclès sur le citoyen ordinaire. Cette insécurité qui reste forte conduit à l’accumulation occulte, à la fuite à l’étranger et au sous-investissement. Seuls les individus qui ont accès à l’appareil d’État sont protégés par la loi, c’est-à-dire le discrétionnaire des puissants auxquels on fait allégeance.

Les autres pays ont choisi l’économie féodale et clientéliste où les marchés sont contrôlés par une petite minorité à qui l’État a donné un monopole via des droits exclusifs, des licences ou d’autres privilèges étatiques (Nienhaus, 1997). Alors que le socialisme a fait disparaître le marché pour le remplacer par le plan, l’économie de rente élimine la concurrence pour y substituer une économie de distribution et de protection des rentes. Ces systèmes bloquent l’activité productive des entrepreneurs et favorisent les activités improductives, de prédation. On retrouve parfaitement le modèle de rente de l’empire.

L’indépendance a donc permis la reconstitution d’économies dirigées et contrôlées par de petits groupes : des familles (Salad en Arabie Saoudite, Chaykh Sa’ad au Koweit), des partis politiques en Irak (Ba’th), des groupes de militaires putchistes en Égypte et en Syrie, ou une minorité ethnique en Jordanie.

Ce modèle de prédation d’État ne tient alors que par le montant des rentes qu’il redistribue. Il ne tient qu’en redistribuant une partie de la richesse pétrolière et assure ainsi sa légitimité par le gain.

Pour survivre, l’État doit cependant toujours distribuer plus de rentes. Il crée de nouveaux postes de fonctionnaires dans la fonction publique. Il offre des salaires plus élevés que dans le privé. Il propose des emplois et embauche la main-d’œuvre éduquée qui ne trouve pas de travail dans le privé. Il organise ainsi via son secteur public une trappe à capital humain dans les secteurs improductifs (Youssef, 2004, p.103).

Les gains ont aidé à la mise en œuvre de marchandages entre les dictatures et les citoyens qui ont échangé un manque de liberté civile contre de la sécurité économique et la fourniture de services sociaux et de bien-être. L’importance des revenus du pétrole atténue le besoin d’impôt et permet la redistribution. La baisse du prix du pétrole met en revanche en péril cet équilibre. La baisse du prix du pétrole diminue les revenus des pays pétroliers mais surtout diminue les revenus des migrants qui envoient leurs devises en Égypte, au Yémen, en Syrie, etc. Cela réduit les flux de revenus et replace l’économie dans la concurrence mondiale. L’équilibre politico-économique devient ainsi plus fragile et les zones de conflits se multiplient (Liban, Algérie, Iran – Irak, Israël, etc.).

Le modèle dominant des pays musulmans et arabes en particulier reproduit les modèles de rentes des empires arabes et ottomans. Il réhabilite une aristocratie d’État à l’origine d’un secteur public hégémonique et au service d’un système de redistribution caractérisé par le clientélisme, la menace et la corruption

Yves Montenay

Tout cela est exact, et d’ailleurs très intéressant à rappeler, puisque mal connu.

Mais justement, tous ces systèmes nationaux, étatiques ou impériaux ont mené le monde musulman à la ruine. Cette ruine a eu deux conséquences opposées.

Premièrement celle d’un retour vers le passé :

« Puisque nous avons été vaincus militairement et économiquement, alors que Dieu décide de tout, c’est qu’il nous punit d’être devenus de mauvais musulmans. Nous devons donc revenir aux sources et à l’époque du prophète. »

Cela a donné notamment les courants islamistes et parmi ceux-ci une branche violente qui pense que ce retour doit se faire au besoin par la force, c’est-à-dire concrètement en tuant les autres responsables musulmans qualifiés d’apostats de fait.

Mais cette analyse de l’échec a généré aussi un autre type de réactions que l’on pourrait appeler « japonaise ».

À la fin du XIXe siècle et au début du XXe on tenta de voir ce qu’il y avait de bon chez les Occidentaux, de les imiter et de les égaler en puissance et en efficacité. Cette voie, la nadah dans les pays musulmans, a en gros échoué, mais certains éléments ont survécu, par exemple en Turquie. En général la colonisation n’a pas permis de pousser l’expérience qui de toute façon se heurtait aux sentiments profonds de la population, ce qui justifie les remarques de François Faccini.

Mais nous verrons que cet état d’esprit revient inévitablement.

Plus tard, si les indépendances se sont très souvent traduites par le dirigisme, le socialisme, et l’hyper-nationalisme, cela tient à mon avis largement à des causes extérieures à l’islam.

L’une d’entre elle est l’ambiance intellectuelle de l’époque, matérialisée au Maghreb par les « pieds rouges », conseillers gauchistes des gouvernements indépendants. Mais cela tient plus encore à la nature même des gouvernements, en général des dictatures militaires plus ou moins couplées, sincèrement ou non à des autorités religieuses. Or, la tendance de tout gouvernement est de se servir de son pouvoir, et donc à s’écarter d’autant plus du libéralisme qu’il est autoritaire et tout-puissant. Dans une bien moindre mesure, c’est ce qui se passe en France.

Mais tout cela a entraîné de nouveaux échecs économiques et militaires et la question de la réforme s’est posée et parfois imposée. Et on l’en arrive aux libéralisations actuelles.

 

Occidentalisation ?

François Facchini

Le passé ne peut néanmoins déterminer l’avenir. L’avenir s’explique aussi par les idéaux des élites et des peuples qui composent les pays musulmans d’aujourd’hui. C’est là encore l’islam et plutôt les islams qui jouent un rôle décisif. Les institutions futures sont déterminées par l’idéal de société qui est à l’origine du principe de civilisation commune. L’idéal dans le monde musulman a pour référence l’islam et la charia. Il existe plusieurs idéaux, mais tous sont inspirés par la charia, par un passé idéalisé, une histoire qui devient une utopie.

Le XXe siècle a été d’ailleurs le siècle de l’occidentalisation d’une part et du renouveau de l’islam et de sa cité idéale d’autre part.

La plupart des débats à l’intérieur des pays musulmans font référence à ce que dit ou ce qu’est supposé dire l’islam sur le marché, la démocratie ou la modernité européenne.

Sans avoir l’ambition de recenser toutes les positions en présence, on peut malgré tout voir que les élites politiques et intellectuelles des pays musulmans proposent des diagnostics très différents mais tous centrés autour de la question religieuse.

La question de l’adaptation institutionnelle des pays musulmans à la modernité européenne n’est pas nouvelle. Elle a donné naissance à la politique de sécularisation forcée d’Atatürk, au parti de l’islam (Jama’ati Islami) en Inde, à la politique de sécularisation de Reza Shah d’Iran, à l’occidentalisation sans reniement de l’islam au Pakistan, l’islam restant la source de toute vérité et de toute autorité.

Elle est aujourd’hui à l’origine de multitude de doctrines économiques qui rivalisent pour donner une direction aux réformes futures. Les islams modernes sont les offres idéologiques produites par les entrepreneurs idéologiques pour les entrepreneurs politiques.

Sans souci d’exhaustivité on peut citer le libertarianisme islamique du Minaret of Freedom instituteii, l’islam modéré et l’islam radical moderne des frères musulmans, des wahhabites saoudiens ou de la révolution iranienne.

L’une des innovations de ce radicalisme musulman moderne est de proposer un modèle économique alternatif au capitalisme.

Le retour à la Charia ne signifie pas seulement le retour au droit pénal musulman. Il veut aussi dire la mise en œuvre de finances islamiques. Sans que cela soit encore généralisé, on peut observer que les activités de finance islamique sont en forte croissance. La finance islamique trouve ses origines dans le Coran, mais est une construction contemporaine. Elle s’est développée initialement en Malaisie dans les années 1930, puis au Pakistan dans les années 1950, et en Égypte dans les années 1960 (Ariff, M. 1988). Elle oblige les prêteurs et emprunteurs de capitaux à ne pas définir d’intérêt (interdiction de l’usure ou riba), à partager les profits et les pertes, à ne pas spéculer (interdiction de l’incertitude), à reposer sur des biens réels ou des actifs sous-jacents et à ne pas financer des biens illicites comme l’alcool, le tabac, les jeux d’argent ou l’armement (Martens, 2001, p.10).

Au début des années 1980, deux pays ont introduit officiellement à grande échelle les pratiques de la finance islamique : l’Iran et le Pakistan (Martens, 2001, p.2). Outre les mauvais résultats économiques de ces deux pays, il est intéressant de noter à la suite de Martens (2001, p. 12) que ces principes généraux sont en fait très difficiles à appliquer. Ils rendent les contrats confus et augmentent inéluctablement les coûts de l’échange. L’islam inspire donc les mondes des possibles institutionnels du monde musulman contemporain.

Quelle que soit sa vision de la cité musulmane idéale, l’intellectuel musulman propose des innovations idéologiques légitimes parce qu’en accord avec la parole du prophète.

Ces innovations utilisent l’imaginaire de la cité musulmane parfaite pour persuader de leur bien-fondé. Les réformes sont portées par des entrepreneurs idéologiques qui perçoivent dans la diffusion d’une idée un gain personnel (notoriété, réputation) et le moyen d’être en accord avec leur conception du Bien (rationalité axiologique). Leurs idées une fois reprises par un leader politique et/ou le peuple, sont à l’origine des changements institutionnels. L’idée est le germe du changement. Elle s’incarne dans des hommes, des choix et in fine dans des institutions. La dépendance de sentier ne produit pas que le statu quo. Elle met aussi en évidence une dépendance des hommes à leur monde des possibles. L’invention d’une nouvelle cité musulmane construite sur l’idéalisation du passé relève parfaitement de cette théorie.

Le modèle le plus influent est le celui des islams fondamentalistes et/ou réformistes.

Leurs innovations ont profondément modifié le monde des possibles institutionnels de la plupart des pays du monde musulman. Elles sont en passe de faire d’une fiction, la cité musulmane idéale, une réalité. Elles s’incarnent dans des mouvements politiques, dans des peuples, dans des leaders politiques. Elles se diffusent et progressent dans les esprits des élites politiques, du peuple et des juges.

  1. les élites politiques acceptent la ré-islamisation pour garder leur pouvoir et le contrôle des finances publiques et du pouvoir politique que leur confère leur position à la tête de l’État. Elles cherchent à renforcer leur légitimité religieuse en donnant plus de place à l’islam dans leur discours et leurs décisions législatives (Laborel, 2004, p.82).
  2. les juges sont aussi influencés en partie par le retour de l’islamisation des sociétés musulmanes (Dupret, 1997, p.137, Dupret, 1996, Laborel, 2004, p.87). Ils ne peuvent pas ignorer le développement du discours de nature identitaire qui se manifeste dans les pays musulmans. Ils vont avoir, pour cette raison, à interpréter la loi dans un sens islamiste au lieu de juger sur la base d’une conception plus occidentale du droit.
  3. ce retour à l’identité religieuse de l’islam peut-être interprété comme la défense d’un intérêt individuel au sens restreint (self-interest) ou comme un combat pour des valeurs (rationalité axiologique). La défense de l’identité religieuse par intérêt renvoie à la défense d’un capital social (Hardin, 1995, pp.34 – 37).

C’est aussi de cette manière que Kuran (2004) analyse l’invention de la finance islamique. L’économie islamique ne cherche pas l’efficacité, mais un moyen de résister à la globalisation et de défendre son identité. Ce retour à l’islam est aussi le résultat d’un effet d’apprentissage. Si l’occidentalisation et la sécularisation sont associés à la pauvreté et à la misère provoquées par des modèles institutionnels socialistes et/ou clientélistes il est logique que les jeunes générations cherchent une autre alternative qui redonne de la valeur à leur capital social et religieux et invente une alternative non encore expérimentée.

Le renouveau de l’islam et la force de l’islam radical moderne sont donc la conséquence d’une sorte d’occidentalisation forcée soit sous une forme plutôt libérale (colonisation), soit sous une forme plutôt socialiste et clientéliste (indépendance).

Il est en échec en Syrie et en Algérie par la force. Il est en échec relatif en Égypte. En Indonésie la place de la shari’a dans les institutions est une question récurrente depuis la colonisation britannique (Madinier, 2005). Il y a de surcroît l’échec du mouvement en Tunisie (Ennahdha). Dans tous ces pays, l’islam radical moderne progresse. Ce qui oblige les autorités politiques à en tenir compte dans leurs décisions afin de renforcer leur légitimité religieuse. L’islam radical est un succès en revanche au Soudan (1989, en Palestine (Gaza), en Mauritanie, au Nord du Nigeria , en Arabie Saoudite la Shari’a dans sa forme wahhabite, en Iran. Un grand nombre de pays sont donc inspirés par l’islam radical moderne, parce que leur population est séduite pour des raisons axiologiques et/ou identitaires par l’islamisation de l’économie et plus généralement de l’ordre social.

L’islam n’a donc ni prédisposé les musulmans à découvrir les institutions de la liberté économique ni à les adopter.

Yves Montenay

Il y a effectivement beaucoup d’exemple de tout cela, mais on peut aussi trouver des exemples de sens contraire, dans l’agacement d’une frange de la population musulmane au Nord comme devant l’envahissement par la religion.

Il y a aussi l’élévation du niveau général, notamment en ce qui concerne les bilinguismes (anglo-arabe et franco-arabe) qui varie les références et les visions du monde. La modernisation du statut de la femme en Turquie (1924), en Tunisie (1956) et au Maroc (2004) en est la conséquence directe. Il y a enfin la diffusion de la lecture de l’arabe classique, qui perd sa position de « latin » des clercs, ce qui me paraît mener à une sorte de « protestantisation » de l’islam, laquelle fut pour le christianisme une étape vers la laïcité et le libéralisme.

Pour en rester à ce dernier, la finance islamique est certes identitaire, mais me semble surtout acclimater la connaissance de l’économie d’entreprise. Sur le fond, je ne vois pas de différence de nature avec les multiples formes de limited partneship en usage depuis toujours en Amérique, puis accessibles dans le monde entier. Le label « islamique » est largement marketing, ce qui est important pour les organismes concernés (presque toutes les grandes banques aujourd’hui, y compris les françaises) et pour les clients, par ailleurs souvent arnaqués… comme tout autre citoyen du monde lors du lancement d’un nouveau produit miracle.

Le poids croissant des islamistes (je n’ai pas dit des djihadistes) va de pair avec leur montée économique concurremment aux élites « socialistes » souvent relativement plus laïques, cela grâce aux libéralisations économiques.

Cet « islam de marché », tant chez les puissants entrepreneurs notamment turcs et égyptiens que dans les milieux connexes, marie religion et capitalisme (Patrick Haenni) comme chez les « victoriens » ou les puritains.

Dans ce cas, islam et libéralisme ont progressé de pair, et, pour parler de l’avenir, il n’est pas impossible que se frotter à l’économie mondialisée et cosmopolite se fasse à la longue au détriment de certains présupposés musulmans, comme cela s’est passé en Occident.

 

Conclusion commune

Il est important d’être conscient de l’influence très prégnante de l’islam et de ses textes fondateurs, et de leur caractère souvent éloigné des soubassements du libéralisme. Mais individus et États sont soumis à d’autres influences et contraintes et le résultat global de ces interactions reste ouvert.

Notes

1 – INGLEHART, R. (2005). “The Worldviews of Islamic Publics in Global Perspective”, forthcoming in Mansoor

2 – Le président du Minaret of Freedom Institute est un américain, Dean Ahmad. Il cherche à travers cette organisation à diffuser les idées libérales dans le monde musulman. Il défend l’idée que Voir son intervention au Colloque « islam et libéralisme » à l’institut euro92 en avril 1995, « L’économie politique de la société islamique classique ».

3 – Voir mes travaux sur « l’ouverture » et « la fermeture » des pays arabes, où je constate que les évolutions culturelles, éducatives (par le secteur privé) et économiques (via les entreprises occidentales délocalisées) se renforcent mutuellement, avec la baisse de la fécondité comme indicateur d’efficacité.

4 – Via le bilinguisme et la profonde culture politique française d’Atatürk, de Bourguiba et de Mohammed VI, ainsi que celle de leur entourage.

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  • Iran et libéralisme économique

    Pays indépendant et fier de n’avoir jamais été colonisé, l’Iran, qui, contrairement à ce que pourrait laisser penser l’article, n’a jamais été sujet à « l’occupation ottomane » pas plus qu’il n’a jamais été une colonie « européenne », ne rentre pas dans le schéma simplificateur dressé ici pour catégoriser les pays d’Islam et cette spécificité aurait mérité d’être soulignée.

    De même qu’il faut bien mal connaître l’histoire de l’Iran (antérévolutionnaire) du XXe siècle pour lui attribuer à tort des « structures féodales et clientélistes », alors que toute l’œuvre des rois de la dynastie Pahlavi au XXe siècle fut d’édifier un Etat moderne où toutes traces de féodalité et de clientélisme furent spectaculairement abolis, notamment à l’occasion des grandes réformes agraires et des redistributions massives de terres aux paysans décrétées par le Shah.

    Enfin il est curieux que l’article omette de préciser que l’Iran royal au XXe siècle fut, en particulier sous le règne éclairé du dernier Shah (qui régna de 1941 à 1979) un pays phare et un pilier du « Monde libre » qui opta pour un libéralisme économique tempéré par un Etat-Providence laïcisant caractérisé par l’un des systèmes sociaux les plus avancés au monde (participation des ouvriers aux bénéfices de leurs usines, protection sociale, gratuité de l’éducation, etc.).

    Inconditionnellement soutenue et en grande partie fomentée par la gauche internationale anticapitaliste et antilibérale, la funeste Révolution islamique de l’ayatollah Khomeini en 1979 décida d’interrompre brutalement tous les projets industriels engagés par le Shah tandis que les révolutionnaires s’acharnèrent à soviétiser (=étatiser à outrance) immédiatement tous les pans de l’économie, provoquant la fin de l’incroyable développement économique (taux de croissance parmi les plus élevés au monde dans les années 70, cf. selon les statistiques officielles des Nations Unis) mis en œuvre par le Shah, tout en plongeant durablement l’Iran, naguère si prospère sous la monarchie, dans un marasme économique qui dure jusqu’à ce jour malgré l’immense rente pétrolière dilapidée et détournée par les mollahs.

    Shahpour Sadler, 79 ans, exilé perse à Paris

  • N’importe quoi cette article, l’islam définit un certain nombre de règles morales et de conduite, qui en ferait une idéologie antilibérale bien sûr, si c’était une doctrine politique.Or, c’est bien une religion qui ne s’impose pas à ceux qui ne sont pas d’accord avec elle.
    Et par rapport au libéralisme économique, la civilisation musulmane a bien été la civilisation la plus libérale (au début) avec une « flat tax » de 2,5% sur le patrimoine quelque soit le patrimoine. C’est vrai que c’était le patrimoine, mais c’était difficile à l’époque de quantifier les revenus.
    Et de ce fait, ça avait un effet opposé à l’impôt progressif instauré par les socialistes de notre époque, parce qu’à l’époque ceux qui produisait plus était taxé moins que ceux qui bénificiaient d’une rente si on considère le revenu.

  • Les commentaires sont fermés.

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