Pour une poignée de semences sous copyright

Il est maintenant interdit de resemer, et HADOPA veillera au grain.

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Pour une poignée de semences sous copyright

Publié le 1 décembre 2011
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Pour une poignée de semences sous copyright

Si la vie est un éternel recommencement, en France, elle ressemble plutôt à un disque 33 tours rayé passé en 45. Pendant que les gens qui ont encore deux sous de bon sens ne peuvent que constater l’échec à la fois cuisant et rigologène de la HADOPI sur les œuvres numériques, le gouvernement feint de ne pas le voir et lance avec le brio qu’on lui connaît une démarche similaire … dans l’agriculture. Préparez vos mouchoirs.

Avant d’étudier les nouvelles clowneries de notre assemblée, un bref retour s’impose sur l’historique de la HADOPI.

Au début des années 2000, l’arrivée sur le marché de connexions internet haut-débit à bon marché a favorisé l’émergence d’un partage de l’information entre utilisateurs. Cet échange d’information, au début essentiellement constituée de textes et parfois de logiciels, s’est étendu rapidement à la musique et, dès que les bandes passantes le permirent, aux films.

Parallèlement, l’industrie musicale, vidéo et cinématographique enregistrait d’affolants bénéfices et une croissance assez régulière de ses chiffres d’affaires. Mais elle a aussi bruyamment noté, certes, des difficultés plus grandes à écouler certaines de ses merdes productions et surtout, que le nombre d’internautes qui les recopiaient directement sans payer la dîme augmentait dangereusement sans qu’elle puisse en capter le moindre profit. L’analyse montrera ensuite que l’écrasante majorité de ces « pirates » sont en même temps des consommateurs réguliers et goulus de production musicale ou cinématographique.

Pascal Nègre a des goûts très sûrs.La conclusion tirée par l’industrie est donc implacable : il faut absolument punir violemment ces consommateurs, stigmatiser les clients un bon coup, ce qui assurera une croissance saine à tout le monde, mais si mais si. Elle fait donc intervenir un maquereau albanais Pascal Nègre et quelques douzaines de lobbyistes qui viendront cirer lourdement les pompes de Donnedieu de Vabre, puis Christine Albanel (alias Capitaine Anéfé), puis Frédéric Mitterrand, afin de faire passer — aux forceps — une bouillie législative qui finira par accoucher (dans des douleurs atroces) d’un bébé mort-né, HADOPI, afin que les méchants internautes retrouvent le droit chemin et payent bien toutes leurs petites taxes et redevances comme il faut.

Cette histoire brièvement rafraîchie, reportons-nous maintenant à l’Agriculture. Vous allez voir que c’est trop complètement différent, c’est fou.

Nous avons donc, au départ, des agriculteurs qui achètent des semences et les plantent. Une partie de ces semences est, parfois, utilisée pour être replantée. Notez que c’est une petite proportion et que ce n’est pas systématique, les rendements des semences ainsi réutilisées ayant tendance à fortement décroître. Mais, traditionnellement, ces semences qu’on appelle « de ferme » sont ainsi réutilisées.

Cela fait quelques millénaires que resemer une partie de sa récolte est inscrit dans les traditions agricoles, et même si la tradition n’est plus aussi vive, elle n’a pas disparu et continue même, calmement tolérée en France. Interviennent alors les groupes semenciers. La crise, que voulez-vous, touche tout le monde.

La suite est évidente : moyennant un peu de lobbyisme, on va pousser gentiment les députés à passer une loi qui va venir taxer tout ce beau monde et renforcer un peu les contrôles, histoire que tout le monde paye son écot. On présentera bien sûr ce nouveau prout législatif comme une magnifique avancée, permettant de lever l’incertitude juridique, et mettre un peu d’ordre dans tout ce nouveau monde de gens qui ressèment ce qu’ils ont planté comme des fous.

Et puis il ne faut pas oublier la propriété intellectuelle dans tout ça (celle sur les semences particulières, en l’occurrence).

C’est important le copyright, hein, parce que sinon les artistes de la création vont tous mourir. Et puis, les taxes récoltées vont servir à favoriser l’émergence de vrais artistes français et … Oh, je me suis un peu embrouillé entre les artistes et les semenciers, les agriculteurs, les pirates et le MP3 et tout ça.

C’est complexe, il faut dire.

Je vais plutôt faire un petit tableau, tiens, pour bien montrer que tout ceci est complètement différent :

HADOPI / loi semences

Hem. Oui, la différence est frappante. Ah, si, oui, c’est vrai, on n’a pas encore eu droit au débarquement d’un sémillant semencier en costume blanc à rayures pour nous expliquer que si on laisse faire, l’agriculture va mourir dans d’atroces souffrances. Mais on ne désespère pas d’en arriver là.

En réalité, les mêmes causes produisent les mêmes effets, les mêmes imbéciles produisent les mêmes bêtises, et les mêmes recettes produiront les mêmes échecs lamentables et coûteux. Dans le registre hilarant, on ne pourra au passage pas s’empêcher de noter la récupération immédiate et contre-productive des politiciens prétendument écolos qui parlent immédiatement d’une espèce de Droit À Resemer qui n’a évidemment rien à voir dans l’histoire.

Deux choses sont ici à l’œuvre pour permettre d’aboutir à cette situation ubuesque : tout d’abord, le principe de propriété sur des idées ou des informations, qui, en instaurant des crimes sans victimes, est, in fine, irrémédiablement ridicule et destiné à péricliter dans ce siècle, et ensuite, les mêmes manœuvres politiciennes pour augmenter les ressources de l’État et de ses petits copains.

Eh oui : l’État français n’a plus un rond, ce qui l’oblige à trouver de nouvelles taxes à un rythme stakhanoviste. Et il est aidé par des hordes d’individus assez bas de plafond dont l’imagination, on l’a vu sur les 30 dernières années, est singulièrement limitée. Pour eux, chaque problème est un clou sur lequel il faut taper avec le marteau de la loi.

Et maintenant, la question à deux euros (dépêchez-vous, dans quelques mois, deux euros, ça ne vaudra plus rien du tout) : quel sera le nom truculent de l’institution qui va être chargée de surveiller les paysans qui resèment ? HADOPA (Haute Autorité Destinée à Observer les Petits Agriculteurs) ?

Les jeux sont ouverts.
—-
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  • Comparer l’industrie de la musique à celle de la semence est hasardeux. Ce système permet in fine à la semence d’atterrir dans le domaine public, on évite ainsi un système de royalties à l’américaine sur les semences OGM. Enfin, contrairement à un artiste un semencier aura du mal à se rattraper sur la vente de DVD ou de spectacles. Sans oublier que produire une semence est long (10 ans environ) et couteux. Il faut que les semenciers français puissent, au travers de la loi, faire respecter les condition de vente de leur produit. Sans ça tout le monde en pâtira. Les multinationales sont bien moins intéressées à développer des cultivars spécifiques à des particularités locales que des PME français. L’europe s’est déjà tiré une balle dans le pied en interdisant les OGM (et donc en tuant sa recherche sur les biotech), faudrait pas non plus qu’elle allume aussi les semenciers qui lui restent.

    • Mmh pas tout à fait. Quand un agriculteur resème, il ne sélectionne pas les semences à la façon des braves paysans d’autrefois. Il le fait juste par souci d’économie et ça donne une production de moins bonne mauvaise qualité (qu’il pourra refourguer en la mélangeant au reste de sa récolte). Bref, c’est quand même un peu de l’arnaque. Pas toujours, mais souvent.

      Faut-il l’interdire ou le réglementer ? En tant que libéral, je dirais que ce n’est pas à l’Etat de le faire.

      Quant à la taxe de 50 centimes/tonne, elle n’est qu’un prétexte. Comme des centaines d’autres taxes, elle tombera directement, sans contrôle de l’Etat, dans la caisse de l’un de ces innombrables syndicats interprofessionnels, qui ne sont en réalités que des sinécures pour des parasites plus ou moins proches du pouvoir. Cet argent ne sera pas réinvesti dans la recherche mais dans les bons restos parisiens.

      Le sujet de l’article, c’est plutôt tout ça. Et la comparaison avec l’industrie musicale tient surtout pour les mécanismes de mise en place de cette nouvelle taxe et de ces nouvelles lois. Effectivement, semer ou préparer des semences n’est pas vraiment comparables à faire des tubes musicaux ; mais in fine, l’ensemble des problèmes évoqués (en prétexte, je le redis) tient surtout à la mise en pratique douteuse des droits de propriété intellectuelle.

      • Je suis de votre avis. Concernant les mélanges entre récoltes issues de semences certifiées et réutilisées il faut savoir que tout dépend des débouchés visés et de l’acheteur. Une meunerie pourra refuser une récolte si elle contient trop de toxines. Enfin, je maintien que pour disposer de cultures performantes (résistances aux maladies, champignons, insectes, à la verse) et possédant un profil nutritif intéressant (la réduction drastique de l’acide érucique (nocif) dans le colza/canola n’a pas été faite par les chantres des semences paysannes que je sache) il faut des semenciers faisant des bénéfices. Donc, il faut que d’une façon ou d’une autre leurs droits soient respectés et que les resquilleurs soient punis.

      • D’ailleurs au Canada le brevet du soya roundup ready a expiré cette année. Il avait été déposé il y a 20 ans. Résultat, dès 2013 les producteurs pourront resemer leurs récoltes sans payer aucunes royalties…

  • Désolé pour les fautes, j’ai tapé ce message bien trop vite.
    Je pense que dans ce débat l’avis d’un spécialiste du système français des semences serait le bienvenu.

  • la démarche est différente. Les semenciers font une véritable traque à tout ce qui est semé sans leur aval. Ne s’agit il pas là de contrôler les semences « rustiques », d’empêcher leur transmission?
    En plus de causer la fin de la biodiversité, maîtriser les semences, c’est maîtriser la nourriture du monde.
    C’est un pouvoir immense.

  • « En plus de causer la fin de la biodiversité,  »
    Ce qui ne faut pas lire, les métiers des semenciers est de vendre des semences, donc crée de nouvelles variétés.
    Quand il y a plus de semences, c’est la fin de la biodiversité pour vous?

    Il y a 15 000 ans pendant l’ere glaciaire
    « . Suite au réchauffement progressif du climat, le paysage de toundra, qui avait dominé la majeure partie du continent pendant des dizaines de milliers d’années, va régresser. En même temps, des essences forestières vont progressivement coloniser les nouveaux territoires. »

    Vous croyez qu’il y a beaucoup de diversité, dans une toundra?

  • Vous avez pas compris???
    Deux questions pour y voir plus clair :
    -Les semences « de ferme » ont été produites par la ferme à ses frais, oui ou merde?
    -Les semences industrielles achetées par l’agriculteur sont-elles du fait de cet achat sa propriété, oui ou merde?
    Ok, là vous avez compris, ou alors vous méritez une transplantation de puce de calculatrice de toute urgence.

  • Ce qui est assez incroyable, c’est que les associations de semences libres sont régulièrement attaquées par l’état. Entre autre, parce qu’elles ne peuvent faire valider leurs semences (qui datent de plusieurs siècles) auprès du Certificat d’Obtention Végétale (ça coute trop cher).

    http://kokopelli.asso.fr/

  • Dans les années 70 & 80 les fermiers chez lesquels j’ai travaillé ne resemaient qu’une fois puis rachetaient des semences.Personne ne protestait.

  • Les commentaires sont fermés.

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