Concurrence à la Française

Dans le monde entier, ce sont les entreprises privées qui décident, en fonction des besoins des clients, et à leurs risques et périls. Pas en France

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Concurrence France (Crédits : René Le Honzec/Contrepoints.org, licence Creative Commons)

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Concurrence à la Française

Publié le 30 novembre 2011
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Dans le monde entier, ce sont les entreprises privées qui décident, en fonction des besoins des clients, et à leurs risques et périls. En France, la liberté d’entreprendre passe par l’accord préalable de l’État.

Par Jean Yves Naudet
Article publié en collaboration avec l’Aleps

L’annonce d’un projet de loi autorisant des dessertes nationales par autocar, la journée de grève du 8 novembre contre les projets européens de libéralisation du rail, le marché du gaz et de l’électricité monopolisés par EDF et GDF, etc. attirent une nouvelle fois l’attention sur les spécificités de la concurrence à la française. On veut bien lutter contre les « grands monopoles privés », qui relèvent plus du fantasme que de la réalité, mais pas question de s’attaquer aux vrais monopoles, ceux du service public.

Service public égale monopole public

Le traité de Rome de 1957, fondant le marché commun, ancêtre du marché unique européen, prévoyait non seulement les quatre libertés de circulation (marchandises, services, capitaux, main d’œuvre), mais aussi le développement de la concurrence et la lutte contre les monopoles. Mais les Français, élevés dans la religion colbertiste, n’avaient jamais imaginé que les instances européennes appliqueraient aussi ce texte aux services publics. En France, surtout depuis les nationalisations de l’après-guerre, réalisées sous l’influence des ministres communistes et d’un PC à 30% des voix, on assimile service public à monopole public.

Bruxelles en fait une autre interprétation. En langage européen, on parle de « service d’intérêt général » et un tel service peut être rendu par des entreprises privées en concurrence, pourvu qu’elles respectent certaines règles, comme l’universalité du service rendu. D’où les textes européens ouvrant peu à peu à la concurrence les secteurs du transport aérien, puis du rail, des télécommunications, de l’électricité, du gaz, du courrier et bien d’autres encore (comme l’assurance maladie !). Nos partenaires ont réalisé cette ouverture, parfois avec enthousiasme, souvent avec rapidité : ils ont privatisé les anciens monopoles publics.

Les grèves permettent de paralyser aussi la concurrence

La France, pour sa part, a toujours traîné les pieds et appliqué les textes a minima. Le cas du rail, déjà abordé la semaine dernière, est très représentatif. C’est d’abord le fret (depuis 2007) qui a été libéralisé et donc ouvert à la concurrence. D’autres entreprises que la SNCF, françaises ou étrangères, peuvent désormais faire circuler sur Réseau ferré de France des trains de marchandises. Oui, mais voilà : la gestion de la SNCF et les grèves à répétition, provoquées par les syndicats, très puissants en raison des habitudes du monopole public et des privilèges accordés, gênent aussi les concurrents. Comme l’explique le journal Les échos, « les opérateurs privés du marché du fret se disent victimes des turbulences sociales de leur principal concurrent ».

C’est ainsi que Réseau ferré de France accorde aux entreprises des créneaux horaires de circulation, mais le fonctionnement concret en est assuré par un sous-traitant, la branche infrastructure… de la SNCF, en grève quand les syndicats de la SNCF le demandent, ce qui paralyse certaines gares d’aiguillage. Ici, ce sont les syndicats qui empêchent les entreprises privées de pallier les carences de l’ancien monopole. Ces grèves menacent aussi l’équilibre financier du secteur privé, qui, lui, ne peut compter sur le contribuable ! Pendant les seules grèves de 2010, une entreprise a ainsi perdu plusieurs millions d’euros : les syndicats savent ce qu’ils font et essaient ainsi de se débarrasser des concurrents de la SNCF. Quand la grève prend fin, le secteur privé est toujours servi en dernier. Cela n’a pas l’air de traumatiser l’Autorité de la concurrence. C’est en vain que ces entreprises réclament un service minimum.

Pourront-ils bloquer la concurrence pour le transport des voyageurs ?

Ce n’est pas tout. Bruxelles poursuit peu à peu la libéralisation du secteur et c’est désormais le tour des voyageurs. La Commission européenne a mis successivement en place trois « paquets ferroviaires » : la séparation des rails (RFF) de ce qui circule dessus en 1997, la libéralisation du fret en 2004 (2007 en France) et l’ouverture à la concurrence d’une partie (internationale) du transport de voyageurs (2007). Mais voici la nouvelle échéance : la « quatrième liberté », c’est-à-dire la liberté pour des compagnies étrangères de faire circuler des trains de voyageurs sur des liaisons nationales.

Les syndicats essaient de gagner du temps, et ne se privent pas d’expliquer que l’ouverture à la concurrence va faire monter le coût du billet et réduire la qualité du service. Chacun sait en effet que le monopole permet des prix plus bas et un meilleur service et que la concurrence fait monter les prix et entraine une dégradation du service ! C’est du moins la théorie économique défendue par les syndicats, CGT en tête. Sans doute ont-ils appris l’économie dans quelque manuel publié à Moscou du temps de l’URSS, manuels où l’on expliquait que le seuls monopoles étaient ceux du secteur privé.

Cependant, dès décembre 2011 circulera Thello, le premier train privé (sur la ligne Paris-Milan-Venise). Pour assurer une concurrence « loyale », la commission européenne prescrit à la France de ne pas sacrifier le réseau ferré (RFF) pour protéger les intérêts du transporteur (SNCF). Le gouvernement français doit veiller à ce que les cheminots entretiennent les voies plutôt que de se calfeutrer dans les services commerciaux et administratifs : la SNCF devrait laisser partir 50 000 agents vers RFF. Pour les syndicats, il n’en est pas question : pour eux la SNCF doit demeurer l’« acteur pivot du système ». Ils font également état d’un « échec total dans le fret » qui n’a d’autre origine que les privilèges maintenus à la SNCF et les charges imposées à RFF. D’où les grèves à répétition, qui sont autant de manœuvres pour retarder le mouvement vers plus de concurrence.

Bus stop : un film produit par la SNCF

C’est une vieille histoire qui date de la Libération avec les lois sur « la coordination rail-route ». Elle a commencé avec la mainmise des ministres communistes sur les transports : pas question de développer le transport des voyageurs par rail au détriment de la SNCF !

Plus récemment, en 1982, du temps de Mitterrand et du gouvernement avec les communistes, le bon monsieur Fiterman a interdit la possibilité d’ouvrir des lignes d’autocar en France : normal, puisque le car est moins coûteux, il pourrait briser le monopole de la SNCF, et menacer les intérêts des cheminots.

La Commission de Bruxelles veut en finir avec cette atteinte à la concurrence. Le gouvernement français essaie de la satisfaire. Ainsi le ministre des transports, Thierry Mariani, prépare-t-il un projet de loi (à voter d’ici la fin de la mandature) qui, on va le voir, est tout à fait dans le sens libéral et concurrentiel.

Une région pourra lancer un appel d’offre pour créer une ligne desservant une région voisine. Pour des régions non limitrophes, on pourra mettre en place des services réguliers d’intérêt national… soumis à l’autorisation de l’État. Vraiment, de l’ultralibéralisme. Il faut être en France pour imaginer que le sommet du libéralisme c’est de pouvoir demander à l’État la permission (qu’il peut refuser) de créer des liaisons par car entre deux régions. Dans le monde entier, ce sont les entreprises privées qui décident, en fonction des besoins des clients, et à leurs risques et périls. En France, la liberté d’entreprendre passe par l’accord préalable de l’État ! La SNCF peut dormir tranquille.

Il y a mieux : les nouvelles lignes de bus ne doivent pas « compromettre l’équilibre économique d’un contrat de service public » : en clair, pas de concurrence avec un TER. La SNCF respire. Et elle a des munitions en réserve, car une de ses filiales s’occupe du transport par route, qui assure 20%… des lignes TER : quoi de plus agréable que de se concurrencer soi-même : on reste en famille.

Tout cela n’est pas propre au rail, ni au transport.

Le même phénomène se produit ailleurs. C’est ainsi que EDF et GDF Suez se « concurrencent » mutuellement : chacune a gagné des parts de marché sur l’autre : GDF vend de l’électricité et EDF du gaz. On reste entre amis, on verrouille ainsi le marché avec une pseudo concurrence et on ne laisse ainsi guère de place aux vrais concurrents. La même situation se retrouve dans la plupart des « services publics ».

La concurrence à la française ? C’est très simple : appliquer le plus tard possible les directives de libéralisation, empêcher la concurrence de se développer, par la loi et, au besoin, en permettant aux syndicats de bloquer le système, et, in fine, se concurrencer soi-même par ses propres filiales. En France, le service public est au service de ses salariés. Le client ? Inconnu au bataillon ! De quoi se mêle-t-il, celui-là ?

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  • Dans le gaz ou l’électricité la concurrence n’est pas , aujourd’hui, un facteur de baisse des coûts pour le consommateur final !?

  • Certes non, puisque le secteur n’a été privatisé ni entièrement ni proprement.

  • En complément de cet intéressant article, une suggestion de lecture :

    Christian Gérondeau : CO2 – Un mythe planétaire, Ed; du Toucan, 2009.

    dans lequel l’auteur aborde la question, pages 195-209, dans l’édition que je possède, sous le titre :

     » Les transports, désastre méconnu  »

    […] celui des transports ferrés et publics dans notre pays.

    http://www.ifrap.org/CO2-un-mythe-planetaire,11511.html

  • Concernant la concurrence sur l’énergie, j’avais vu un reportage très intéressant sur une compagnie électrique californienne; Elle avait des employés qui faisaient le tour de leurs clients en leur donnant des ampoules basse consommation et des astuces pour moins consommer.
    Etrange quand on sait que cela entraînerait une diminution du chiffre d’affaires, mais l’idée derrière cela, c’est que la centrale avait atteint ses limites et que si la consommation, il fallait investir dans une nouvelle avec un coût gigantesque.
    La direction a préféré aidé ses clients à moins consommer plutôt que de se mettre un nouvel emprunt sur le dos.
    C’est un bon argument à balancer aux écologistes en faveur d’une gestion privée de l’énergie.

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