Inégalités: du bon usage des découpages statistiques

Prétendre qu’un groupe stable de « riches » a capté ces dix dernières années l’augmentation des revenus est une erreur économique et statistique

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Inégalités: du bon usage des découpages statistiques

Publié le 7 novembre 2011
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Inférer des chiffres de l’Insee qu’un groupe stable de « riches » a « capté » l’augmentation des revenus est une erreur économique et statistique.

Par Georges Kaplan

L’Observatoire des inégalités a publié, le 11 octobre dernier, une étude titrée « À qui profite l’enrichissement de la France? » qui veut nous démontrer qu’« entre 1998 et 2008, les 10% les plus pauvres ont reçu 2,8% de l’ensemble de la richesse nationale [1], alors que les 10% les plus riches ont disposé de 31,7% ». Chiffres de l’Insee à l’appui (enrichissement en milliards d’euros et répartition en pourcentage du total) :

  Enrichissement Répartition
10% les + pauvres 7.3 2.8
Déc. 2 14.1 5.4
Déc. 3 16.7 6.4
Déc. 4 19.1 7.3
Déc. 5 20.4 7.8
Déc. 6 21.6 8.3
Déc. 7 22.1 8.5
Déc. 8 26.0 10.0
Déc. 9 31.2 12.0
10% les + riches 82.8 31.7
Total 261.3 100.0

 

Ce tableau est donc supposé nous prouver qu’au cours de ces dix années, le revenu des ménages à augmenté de 261,3 milliards d’euro (en termes réels) et que l’essentiel de cette augmentation a été, selon les termes de l’observatoire, « captée par une minorité » [2], celles et ceux d’entre nous dont le niveau de revenus les place parmi les 10% les plus riches d’entre nous. C’est-à-dire que l’idée que fait passer l’observatoire c’est qu’il y avait en 1998 un groupe de gens riches et que ces gens ont, au cours des dix années suivantes, confisqué 31,7% de l’accroissement de la « richesse nationale ».

Ce qui est parfaitement faux.

Un exemple au hasard : votre serviteur. Il se trouve que justement, en 1998, je débutais ma carrière professionnelle et qu’à cette lointaine et romantique époque, je touchais le Smic (de l’époque). Dix ans plus tard, en 2008 donc, j’étais déjà un professionnel expérimenté et mes conditions de rémunération ont largement suivi. C’est-à-dire qu’en 1998, je devais probablement me situer autour du deuxième décile et que dix ans plus tard, je faisais parti des riches. J’ai changé de catégorie.

Et voilà un des sophismes les plus couramment répandus dans le discours public : ce que disent les chiffres de l’Insee, c’est que les riches de 2008 sont proportionnellement plus riches que leurs prédécesseurs de 1998. Il est exact de dire que, sur cette période, les inégalités de revenus se sont accrues (après, rappelons-le, avoir considérablement baissé depuis la fin de la seconde guerre mondiale) mais en inférer qu’un groupe stable de « riches » a « capté » les richesses est une imbécilité économique et statistique.

Je n’ai malheureusement pas de sources à proposer mais il est plus que probable que la faible croissance des bas revenus soit largement liée à l’émergence, ces dernières années, du phénomène des familles monoparentales. Au-delà même des difficultés que rencontre une mère célibataire pour élever ses enfants et exercer une activité professionnelle en même temps, il y a aussi (et peut-être surtout) une simple conséquence mathématique du divorce : si monsieur et madame gagnent 2.000 euros chacun ça nous fait, dans les statistiques de l’Insee, un foyer qui gagne 2.667 euros par personne (4.000 divisés par 1,5 unités de consommation [3]) mais si ce couple divorce, on aura deux foyers fiscaux à 2.000 euros par personne. C’est typiquement, ce que ce même observatoire des inégalités aurait dû comprendre en publiant cet article

—-
Sur le web

Notes :
[note][1] Il faut lire de l’accroissement du revenu global des ménages après impôts et prestations sociales ; ce qui est évidemment tout à fait différent.

[2] Notez le parti-pris idéologique : il ne vient pas à l’idée de l’auteur que ces richesses, avant d’être « captées », ont été créées par ces mêmes « riches ». Les riches qui captent des richesses, ce sont nos élus : je rappelle que le moindre de nos 925 parlementaires se situe largement parmi les 10%, si ce n’est pas parmi les 1%.

[3] L’Insee utilise l’échelle dite de l’OCDE : le premier adulte du ménage compte pour 1 UC, les autres personnes âgées de plus de 14 ans comptent pour 0,5 UC et les enfants de moins de 14 ans comptent pour 0,3 UC.[/note]

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  • J’irai même encore plus loin dans le raisonnement. La progressivité des salaires avec l’ancienneté (ou l’expérience, soyons optimiste) est de fait plus marqué dans le tertiaire que dans l’industrie, et plus marqué pour un diplômé que pour un non-diplômé. L’accroissement des inégalités de revenus depuis 1945 est donc très fortement corrélée à :
    -la réduction de la taille des ménages
    -la tertiarisation de l’économie
    -l’accroissement du nombre de diplômés
    On pourrait même ajouter que plus la pyramide des âges est pentue, plus les inégalités de revenus sont fortes, du simple fait du déséquilibre entre des « vieux » plus riches et des « jeunes » moins riches. Ce qui peut expliquer la différence entre les USA (plus jeunes, plus d’immigrés récents) et l’Europe.

    Le vieillissement des populations occidentales est également une cause majeure des inégalités de patrimoine : après la guerre, tout le patrimoine avait été pulvérisé, pour les jeunes comme pour les vieux. Au fur et à mesure que les baby-boomers ont pris de l’âge (essentiellement à partir du mmoment où ils sont entrés sur le marché du travail), les inégalités de patrimoines ont commencé à se creuser, du simple fait de l’accumulation d’épargne liée à l’âge…

    Si on ajoute à ça le décalage entre l’inflation sur les produits de base et l’inflation sur les produits de luxe, une bonne partie de « l’accroissement des inégalités sociales » des sociétés occidentales modernes part en fumée…

  • En tout cas c’est bien vu de parler de la mobilité sociale. C’est évident une fois que l’on en parle pourtant. L’Insee en parle un peu là : http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1112

  • « mais en inférer qu’un groupe stable de « riches » a « capté » les richesses est une imbécilité économique et statistique. »
    Il me semble que c’est vous qui inférez que le groupe riche est stable, l’étude ne dit rien de tel.
    D’ailleurs à quel point est-il stable ?

    • Non ce sont les mouvements « sociaux » (e.g. 99%) qui l’insinue. Au US la situation est encore plus interessante, les « pauvres » (gens dans le premier décile) compte énormément d’undergrade, simplement parce qu’ils sont endetté avec les student loan.

      Pour la stabilité je n’ai plus les chiffres exactes en tête, mais en gros autour de 10% des plus pauvres à l’année t, font encore partis des 10% les plus pauvres 10 ans plus tard.

      La mobilité des HNW ou UHNW doit être similaires (accumulation de richesse suit des propriétés fractales) mais en fonction des nombres utilisés dans les stats on le verra ou non (le top 10% par exemple comprends des gens avec 10k euro par mois, ou 1M par mois…)

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