Suisse: le sentiment d’insécurité, mensonge commode

Non, la Suisse n’est pas le pays le plus sûr au monde

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Suisse: le sentiment d’insécurité, mensonge commode

Publié le 1 septembre 2011
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Une étude suisse vient bousculer tous les clichés véhiculés sur la criminalité. Non, la Suisse n’est pas le pays le plus sûr au monde, non l’insécurité n’est pas un sentiment.

Par Stéphane Montabert, depuis Renens, Suisse

Réalité peu avenante : en matière de sécurité, la Suisse est désormais un pays comme les autres. L’étude du criminologue Martin Killias vient bousculer tous les clichés véhiculés à travers une certaine vision de la criminalité, à commencer par le plus insultant d’entre eux. Non, l’insécurité n’est pas un sentiment.

L’étude a été réalisée sur mandat de la Conférence des commandants des polices cantonales de Suisse (CCPCS). Elle prend la forme d’un vaste sondage effectué auprès de 2000 personnes, interrogées sur les infractions dont elles ont été victimes ces cinq dernières années:

  • 7 % des sondés ont été cambriolés entre 2006 et 2011 (5,1 % dans l’étude de 2004).
  • 15,4 % se sont fait voler des effets personnels.
  • Les vols avec menace touchent 2,2 % des sondés.
  • 2,9 % sont victimes de violences sexuelles, des femmes essentiellement. Les abus sont plus violents.
  • Le vol de véhicule touche 1,4 % des sondés pour la voiture, 6,8 % pour la moto, 24,3 % pour le vélo (forte augmentation).

 

Cette triste remise à niveau fait dire au criminologue qu’il faut « prendre congé du mythe selon lequel la Suisse serait le pays le plus sûr au monde ». Mais pourquoi devrait-on parler de mythe alors qu’il ne s’agit que de souvenirs ?

Les différents titres de quotidiens romands donnent tous peu ou prou la même interprétation sur les raisons de cette hausse. Citons par exemple Le Matin d’hier :

« Pour Martin Killias, la croissance des actes de violences est probablement due à l’évolution des loisirs nocturnes. Selon le criminologue, cette tendance semble inévitable si l’on songe au nombre considérable de personnes qui sortent très tard le soir, consomment de l’alcool et utilisent les trains ou bus nocturnes. »

Loisirs nocturnes donc. Admettons. Du côté du Nouvelliste, on nous sert la même soupe :

« De l’avis du scientifique comme des policiers, la hausse de la criminalité, qui prend la rue pour théâtre, résulte de la « société des 24 heures »: les possibilités de sortie le soir ont explosé, l’horaire d’ouverture des bars a été libéralisé, et on peut désormais boire de l’alcool à toute heure. « Cela n’a rien à voir avec un quelconque effondrement des valeurs dans notre société. Il y a simplement plus de monde dans les rues jusqu’au petit matin », analyse Martin Killias. »

Voire. L’augmentation continue de la criminalité en Suisse depuis plus de dix ans ne serait-elle due qu’à des bagarres d’ivrognes ? Difficile à croire. La Suisse dépasse même la moyenne européenne en termes de cambriolages, une activité rarement improvisée au retour de boîte de nuit. Et même au plus fort des restrictions sur le monde de la nuit et le commerce d’alcool, il n’a jamais été interdit aux fêtards de s’acheter quelques bouteilles d’avance pour faire la bringue jusqu’à l’aube.

Toutes les rédactions boivent à la même fontaine : les dépêches des agences de presse. Aucune mention n’est faite du Code pénal helvétique, dont la sévérité est sans cesse diluée. On découvrira donc avec stupeur une interview de Martin Killias au journal de la TSR, donnant au criminologue des propos très différents de ceux que rapporte la presse sur les raisons de cette criminalité en hausse constante.

Voici une transcription de l’essentiel de l’interview.

Darius Rochebin – Vos chiffres font écho à des réalités dans la pratique, on les constatait dans les dernières semaines encore, par exemple des cambrioleurs, des gens qui violent le domicile privé des gens peuvent ne même pas faire, pas même une nuit de prison ?

Martin Killias – Oui, c’est une réalité triste, d’ailleurs les auteurs d’actes de violence d’une gravité parfois sensible ne font quasiment aucun jour de détention préventive. C’est un résultat des lois que le Parlement a voté les dernières années.

DR – Vous me disiez, aussi, le sursis, c’est une donnée importante ?

MK – Oui, enfin, parce que le sursis, c’est en soi une bonne chose, mais au fil des dix dernières années le sursis est devenu une sorte de droit de l’Homme, une sorte de garantie fondamentale [à laquelle] a droit quiconque qui n’aurait pas un palmarès extrêmement chargé. Cela fait que même pour des actes de violence moyenne, on peut compter [s’en sortir] sans véritablement subir une sanction. Et puis ce système du sursis systématique et généralisé entraîne des répercussions sur le plan de la procédure pénale parce qu’on va dire que quelqu’un qui ne risque pas de subir une peine ferme ne peut en principe pas être placé en détention préventive, ce qui fait donc justement que, selon le principe de la proportionnalité, des personnes qui commettent des actes parfois atroces sont épargnées.

DR – Il y a un marché du crime européen ; la Suisse dans beaucoup de domaines est plus clémente que les autres ? Ça attire ?

MK – Ah ça c’est absolument certain. J’entends… Je ne sais pas si les bandes de cambrioleurs plus ou moins organisés – à travers l’Europe, hein, ce n’est pas seulement un phénomène helvétique, soyons clair… Je ne sais pas s’ils font une analyse aussi rationnelle, mais s’ils la faisaient, je crois que le choix des villes suisses serait une évidence, d’abord à cause de [l’opulence] de la population, d’autre part à cause de, voilà, des risques qui ne sont nulle part aussi faibles qu’en Suisse.

De la bouche du cheval, comme disent les Anglais. Quand ils ne passent pas par le filtre des pigistes, les propos détonnent. Plus aucune mention des joyeux fêtards comme source du mal. Ainsi donc, la recrudescence du crime serait plutôt dûe à une justice pusillanime, elle-même résultat d’une vision angélique des politiciens suisses.

L’argument serait facile à défausser s’il venait d’un de ces sbires de l’UDC, si prompts à peindre le diable sur la muraille. Que n’entendrait-on alors, populisme, démagogie, propagande nauséeuse, etc. Malheureusement, outre son expertise en criminologie, Martin Killias est tout ce qu’il y a de plus fréquentable, il est socialiste.

DR – M. Killias, vous êtes socialiste. Mme Calmy-Rey dénonçait il y a quelques temps un problème de sécurité à Genève, j’entendais Mme Savary [conseillère aux États, socialiste] à Forum qui disait « Oui aux agents armés dans les trains », on a l’impression tout à coup que vous ne voulez plus laisser le monopole de ce sujet à la droite, à l’UDC, c’est ça ?

MK – Alors si je peux m’exprimer en tant qu’homme politique, je dirais que ça fait plusieurs années que la tendance angélique qui régnait effectivement depuis un certain temps au PS a été dépassée… C’est plutôt un autre parti, plus vert que nous disons, qui fait preuve de [inaudible]…

DR – Est-ce que vous êtes toujours crédible là-dessus, en année électorale tout à coup vous redécouvrez la sécurité ? Souvent vous êtes le parti de l’indulgence, non ?

MK – Oui, mais écoutez, en ce qui me concerne personnellement, c’est depuis 20 ans que je tiens le même discours. J’étais dès le début critique face à ces révisions des différentes lois pénales, et je crois que là, il faut dire que peut-être une partie de la gauche n’a pas partagé mes vues, c’est bien vrai, mais il faut dire que le Parlement tel qu’il est était très largement composé d’une majorité de droite qui a voté massivement ces différentes lois.

Peut-être que M. Killias tient le même discours depuis vingt ans, le fait est qu’il n’a jamais été entendu par ses collègues de parti jusqu’ici. Si ça change, c’est à un train de sénateur. En outre, nous ne sommes qu’à deux mois des élections fédérales. Que restera-t-il de ce « réveil » une fois le scrutin passé ?

Sinon, dommage qu’il termine sa tirade sur une justification d’une grande malhonnêteté. Les errements qui ont amené la justice helvétique à être affublée du Code pénal qu’elle subit aujourd’hui sont les conséquences d’une alliance entre la gauche et le centre, comme il s’en produit plus souvent qu’à son tour. Si, sur le papier, la majorité du Parlement est théoriquement « bourgeoise », dans les faits la réalité est tout autre.

Que personne n’essaye de me faire avaler que les jours-amende et les sursis à tout bout de champ sont une invention portée par la droite, à laquelle tentait mordicus de s’opposer une gauche courageuse et clairvoyante !

La réalité criminelle est simple : les gens malhonnêtes commettent leurs méfaits là où les risques sont moindres – non seulement la probabilité d’être appréhendés, mais aussi les conséquences d’un passage devant le juge. Martin Killias n’a rien découvert. Toutefois, comme il est du bon bord politique, peut-être parviendra-t-il à faire bouger quelques lignes. Sachant que la répartition politique du Parlement évolue au même rythme que la dérive des continents – nous sommes en Suisse, n’est-ce pas ! – si le Parti socialiste perdait un peu de son angélisme mortifère en matière pénale, la population ne s’en porterait que mieux.

Mes lecteurs français pourront aussi apprécier la qualité d’une interview où surgissent quelques questions gênantes, eux qui vivent dans un pays où pareille liberté de ton est impensable sur un plateau télévisé.

—-
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  • « Mes lecteurs français pourront aussi apprécier la qualité d’une interview où surgissent quelques questions gênantes, eux qui vivent dans un pays où pareille liberté de ton est impensable sur un plateau télévisé. »

    LOL. Si vrai, malheureusement.

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