Vélib’ et Bixi : des «choix de société» douteux

Une innovation urbaine et sociale a depuis quelques années la faveur des municipalités des pays industrialisés: les vélos en libre service

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Vélib’ et Bixi : des «choix de société» douteux

Publié le 2 août 2011
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Par Daniel Jagodzinski, depuis Montréal, Québec

Une innovation urbaine et sociale a depuis quelques années la faveur des municipalités des pays industrialisés: les vélos en libre service. En 2007, la Ville de Paris a lancé le Vélib’, dont le Bixi montréalais semble être un clone. Il n’était alors pas besoin d’être un expert économiste pour anticiper l’aspect financièrement désastreux de cette initiative.

Les élus, parfaitement conscients de ce fait, ont, pour des raisons idéologiques, choisi délibérément d’outrepasser leurs prérogatives et en particulier de rendre impossible tout débat préalable en ne réalisant aucune étude de coût ni de faisabilité sérieuse. Sans doute pensaient-ils que les citoyens mis devant le fait accompli finiraient par saluer l’audace et le succès de l’initiative.

La mauvaise foi, comme on sait, engendre la bonne conscience. Cette initiative a d’emblée été présentée comme un choix de société mettant fin à l’individualisme de l’automobile au profit du partage de ressources communes de transport.

Lorsque fut connu le projet de vélo social à Montréal (Bixi) j’adressai un commentaire le 10 novembre 2007 au Devoir, qui ne le publia évidemment pas. J’y dénonçais les innombrables nuisances créées à Paris par le Vélib’ et la volonté acharnée et autoritaire de bannir la voiture de la cité: difficultés du stationnement accrues par l’amputation de milliers de places, harcèlement policier, embouteillages permanents, livraisons empêchées, désastre pour les commerçants situés dans des rues devenues inaccessibles, coûts démesurés pour le seul bénéfice de quelques touristes et «bobos» circulant entre les ministères où ils travaillent et leurs proches domiciles, etc. Néanmoins, pour les élites de la cité, un nouvel art de vivre était né et du même coup revivifiait l’idée du progrès indéfini.

La réalité, telle qu’on peut la lire dans Le Figaro du 30 juin dernier n’infirme en rien cette analyse.

À Paris, le déficit est là, bien sûr, mais paradoxalement moins élevé qu’à Montréal avec un nombre de Vélibs’ pourtant bien supérieur à celui des Bixis:

L’exploitation du parc de 24 000 vélos (à Paris), de ses 1800 stations et 180 000 abonnés incombe à JCDecaux, moyennant la concession de panneaux publicitaires. Chaque vélo lui coûte 3 000 € par an, tout compris. Comme une mauvaise surprise, les nombreux vols et dégradations ont plombé la facture qui est payée en partie par la Mairie. Les 3 premières années, 16 000 engins ont été vandalisés : 8 000 volés et 8 000 autres remplacés car inexploitables. Au-delà de 4% de perte annuelle, la ville assure le remplacement des Vélibs’ détruits à hauteur de 400 €. Le coût s’élève à 1,6 M€ pour les contribuables parisiens.

L’affaire Vélib’ ayant par ailleurs essaimé dans les villes de province, le bilan n’y est guère plus flatteur. Ainsi, à Aix-en-Provence, ville qui vient de mettre fin à l’expérience : « Les recettes liées à la publicité étant donc insuffisantes, la Ville devait verser une contribution [à JCDecaux]. Elle déboursait 650 000 € par an et on était engagés contractuellement jusqu’en 2019 pour ce service qui n’a que 143 abonnés »…

Les mêmes causes engendrant les mêmes effets, on pourra lire sans surprise les propos suivants du vérificateur général de la Ville de Montréal, extraits de son rapport sur le Bixi : « … la Ville a outrepassé ses pouvoirs », tranche M. Bergeron. Les membres du comité exécutif ont pris une série de décisions concernant le Bixi « sans qu’aucun intervenant de la Ville ne valide les renseignements ». Ils n’ont vu ni étude de faisabilité, ni structure de financement, ni analyse de risque. « Le fait que le comité exécutif ait approuvé ce projet sans aucune étude sérieuse à l’appui n’était assurément pas la meilleure façon de protéger les deniers publics », note le rapport.

La SVLS (Société de vélo en libre-service) s’est finalement séparée de Stationnement de Montréal. Mais pour voler de ses propres ailes, elle a eu besoin de l’aide financière de Montréal. La Ville a donc accepté de financer ses activités. Le conseil municipal a entériné il y a un mois un plan de sauvetage de 108 millions – un prêt de 37 millions et des garanties de 71 millions. (La Presse, 20 juin 2011)

Enfin, à ce bilan catastrophique s’ajoutent même quelques nouvelles perversions induites par l’usage du Vélib’ à Paris et, sans doute bientôt, à Montréal. « La dernière mode des jeunes Parisiens, c’est de rentrer d’une soirée bien arrosée dans un état souvent second à bord d’un engin en libre service. Un groupe Facebook au titre explicite « Si toi aussi tu as testé le Vélib’ bourré » a même été créé par des fans du genre. Et il croule sous les adeptes.» (Le Figaro)

On a envie d’écrire : « sans commentaires ». Toutefois, il me paraîtrait vain d’attaquer le Bixi sous son seul aspect économique. Sa création est une décision politique prise, au fond, en accord avec une population qui a voté pour le maire Tremblay. Il est d’ailleurs fort possible que son compétiteur malheureux aux élections aurait pris la même. Car la mode n’est plus à la gestion «pépère», en bon père de famille, du bien collectif. Et les élus savent bien que nul ne leur saurait gré dans l’évolution de leurs carrières du soin pris à épargner les deniers publics. Il n’est que de voir la mégalomanie affichée à Québec par Régis Labeaume, laquelle n’entame guère son capital de sympathie.

PS : l’échec du Vélib’ à Paris (et ailleurs) ne freine pas les élus. À partir du 1er décembre 2011 sera mis en place l’Autolib’ – qui sera électrique, évidemment.

—-
Article publié originellement sur le Blogue du Québécois Libre, repris avec l’aimable autorisation du Québécois Libre.

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  • Franchement, autant de mauvaise foi, c’est hallucinant. Si le vélib’ est une aberration économique, dire qu’un centre ville bourré de bagnoles c’est trop cool c’est vraiment stupide. Sans être convaincu par le rechauffement climatique, j’ai suffisamment fait d’autostop pour me rendre compte du potentiel de nuisance des gaz d’échappement.
    Le rêve des libéraux c’est de vivre a Mexico ?
    Navrant….

    • Paris d’être Pékin !

    • « dire qu’un centre ville bourré de bagnoles c’est trop cool c’est vraiment stupide »

      Qui est de mauvaise foi ?
      – À aucun endroit il n’est dit dans cet article qu’ « un centre ville bourré de bagnoles c’est trop cool ». C’est même l’inverse puisque l’auteur dénonce les « embouteillages permanents » et « les innombrables nuisances » créés par une mauvaise gestion des voies publiques (en grande partie due au vélib).
      – De toute façon, le sujet de l’article n’est pas celui-ci, mais plutôt de montrer l’irresponsabilité des élus qui n’ont rien à faire de bien gérer les deniers publics quand il s’agit de satisfaire leurs lubies idéologiques.
      – Enfin, pour votre info, Mexico n’est pas géré par des libéraux mais par des socialistes.

    • Le but de l’article c’était plutôt de dire qu’il aurait fallu céder la pleine possession et la pleine exploitation (avec la pleine responsabilité des pertes qui va avec) à JCDecaux, mais aussi qu’il aurait fallu éviter de créer un monopole, après tout peut-être que d’autres entreprises sont intéressées à offrir ce service. Vélib a tué les petits loueurs de vélo qui existaient déjà.

      • Possible, et je suis de votre avis sur cette question, néanmoins, le ton de l’article me laisse plus pensé à une critique de l’idée même de proposer une solution de remplacement a l’auto par les vélos, bien plus que son application absurde ( ce qui, comme tous les systèmes centralisés et monopolistiques mis en place avec de l’argent pris de force, est logique).
        Je comprend qu’il faut faire attention au risque écolo-totalitaire, mais ce n’est pas une raison pour refuser en bloc toutes leurs idées.

        • Si l’idée coûte un pont, n’est pas rentable et ne résout pas le problème, on doit pouvoir dire que ce n’est pas une bonne idée.

        • L’investissement des pouvoirs publics dans les routes et autoroutes est bien plus rentable et profitable à tout le monde que n’importe quel vélib’ auquel on efface l’ardoise par un tour de passe-passe financier dont le contribuable est la première victime. Je crois que c’est une évidence pour tout le monde.
          La comparaison entre le parc automobile parisien et le parc vélo de Delanoëtte est sans commune mesure, comment se fait-il que parisiens et franciliens préfèrent largement prendre la voiture avant le métro et loin devant le vélo? Après chacun ses choix de transport, mais quand l’argent du contribuable est en jeu, je crois qu’investir dans des routes est prioritaire et qu’il est temps que la mairie de Paris stoppe son partenariat avec JCDecaux qui devra se démerder tout seul…et là on verra si vraiment ça tient le coup un tel business.

  • 3000 euros par vélo et par an. 24 000 vélos et 180 000 abonnées à 29 euros.
    Cela fait à la grosse louche 72 m€ de dépense et 5 m€ de recette.

    1) Pas franchement équilibré. Cela signifie surtout que la mairie laisse filer beaucoup d’argent sur les panneaux publicitaires en échange des vélib. Comme cela ne passe pas dans leur budget, c’est invisible, un grand classique … La mairie se retrouve uniquement avec des bénéfices supplémentaires alors qu’elle a créé une grosse dépense ni vu ni connu. Pour ceux qui ne serait pas au courant, c’est avec ce genre de manipulation comptable que la Grèce est rentré dans l’Euro …

    2) 180 000 abonnés, ce n’est pas beaucoup de monde pour la région parisienne. Seules les étudiants revenant très souvent après la fermeture du métro sont intéressés (1h du matin quand même). Les vrais utilisateurs réguliers de vélos ont le leur. Les adultes travailleurs rentrent plus tôt ou ont des enfants. Les banlieusards n’ont pas le choix et prennent leur voiture.

    3) Au final pour 70 m€ par an, il faut rappeler que l’on peut acheter plus de 400 000 vélos à 150€ par an. Ce serait donc moins cher pour la collectivité de payer un vélo neuf tous les ans aux abonnées (29 euros pour un vélo à 150€ !). Je pense que si on présentait le choses comme cela, tout le monde voudrait être abonné !

    4)

    • oui mais non : si les parisiens commencent à gouter au vélo la justification du réseau RATP de surface saute (le réseau métro c’est différent), et Delanoé ne peut plus justifier de faire chier les bagnoles avec ses voies réservées de 4 m de large pour les bus (de ce point de vue, une piste cyclable ne réclame qu’environ 1 m, pas assez pour vraiment faire chier).
      Il faut donc ne surtout pas que les parisiens deviennent cyclistes, et foutre un max de pognon dans Vélib est une façon de faire semblant d’avoir une politique du vélo tout en dissuadant efficacement les gens de s’y mettre…

  • Ce qui me paraît scandaleux dans le vélib n’est pas le concept, mais le fait que la concession aurait pu être négociée en des termes plus favorables. JC Decaux pouvait très bien tout prendre en charge, y compris les risques et dégradations, tout en rentrant largement dans ses frais, avec les panneaux publicitaires les plus vus du pays.

    Une fois de plus, les pouvoirs publics se révèlent de piètres négociateurs. On peut être heureux néanmoins que cela n’ait coûté « que » 1,4 millions au contribuable.

    Sinon le concept n’est pas mauvais. Je ne suis pas d’accord avec P. lorsqu’il dit que le vélib est un « semblant de politique du vélo » : il me semble à moi qu’à Paris, il y a eu beaucoup de progrès dans les infrastructures depuis le vélib (pistes cyclables, mais surtout circulation inverse pour les petites rues, ce qui ne coute rien et marche très bien).

    Il faudrait trouver un diagnostic des ventes du secteur, mais Il n’est pas du tout impossible que le marché des deux roues ait été réveillé par le vélib. En tout cas, ce n’est plus un mode de transport marginal.

    C’est une option supplémentaire très crédible, en plus de la voiture et les transports en commun, pour les trajets de 5 à 10 km, et pour les trajets domicile / école. C’est aussi un excellent complément pour le transport multimodal (trajet jusqu’à la gare par exemple)

    Le vélo est aussi un moyen d’intégrer le sport à sa journée de travail (l’INSEE souligne que pour la moitié des salariés, la distance domicile / travail est inférieure à 8km. C’est beaucoup quand on vit dans les Alpes, mais ce n’est pas grand chose si l’on vit sur du plat.)

  • 1°) Pour ceux qui crient au déficit, vous oubliez dans vos calculs que l’abonnement de 29 Euros, donne le droit d’accéder aux vélos, et qu’ensuite on paie au temps d’utilisation.
    2°) Normalement, si le bazar est bien fait, le dernier utilisateur est enregistré, et si des vélos sont endommagés, il y a un système de caution et pour les cas de vandalisme, d’assurances, tout de même… Pas Byzance, mais mieux que rien du tout. Bien sûr Decaux ne va pas en parler publiquement, puisque l’exercice c’est de récupérer le maximum. Il est évident, que le prototype doit s’améliorer. Mais dans une grande métropole comme Paris, ce n’est sûrement pas simple, l’incivilité est bien répandue.
    3°) La plupart des innovations ont fait hurler au début, et il y a un temps d’inertie avant que la mayonnaise prenne.
    4°) Dans une société menacée par les troubles cardio-vasculaires et l’obésité, le vélo est un excellent antidote. Comme dit Villetocque, c’est un moyen de mettre de l’exercice physique dans une journée d’activités (que ces activités soient professionnelles ou privées, d’ailleurs).
    Si on calcule, je pense qu’il faut regarder le système dans son ensemble. Mais je pense que l’entrefilet ne cherchait pas l’objectivité, mais la polémique, alors soyons clairs, ma contribution ne va pas dans ce sens-là.

    • Si ça marche si bien, pourquoi ces types d’opérations sont *toujours* montés par des mairies avec l’argent du contribuable ?
      Les capitalistes ne reculant devant aucune bassesse, nul doute qu’un industriel malin y aurait été si l’investissement (à court, moyen ou long terme) se trouvait payant. Or, le vélo existe depuis quelques dizaines d’années maintenant, les problèmes de bouchon aussi, et pourtant, les seuls industriels qui se lancent dans l’aventure ne le font qu’une fois massivement subventionnés.

      Franchement, il doit y avoir une raison, mais laquelle ? Comme ça ne peut pas être l’absence de rentabilité, j’attends un argument solide.

  • Sur Sainté, le coût annuel des 300 vélos est de 1.2 millions d’euros. Soit 4000 euros par vélo et par an. Moins de 1% des habitants utilisent ces vélos. Pour une ville qui est bien endettée, c’est ridicule. En Angleterre, dans les villes moyennes il y a 10 fois plus de vélos, des magasins de vélos d’occasion de partout et pas de vélo en libre service. En France, on marche sur la tête. Prenons exemple quand on ne sait pas faire.

  • Je trouve cet article tellement plein de parti pris qu’il m’incite à partager mon expérience… même plusieurs années plus tard. Il y a tellement moins de Vélib que de scooters ou moto (en nombre et en nombre de places de stationnement « organisées ») qu’on ne peut pas imputer tous ces torts de circulation au Vélib .
    Le Vélib’ à Paris, pour beaucoup, c’est l’unique solution de :
    – raccourcir ses temps de trajet
    – ne pas utiliser sa voiture et « ramer » pour la garer – c’était aussi difficile avant le Vélib, rassurez-vous
    – utiliser du temps « idiot » pour s’entrenir (un peu, mais c’est déjà ça)
    Je suis utilisatrice de Vélib depuis ses débuts, et je fais du lundi au vendredi mes trajets boulot-maison avec et c’est vraiment agréable de pouvoir être à l’air libre !
    J’ai aussi une voiture, mais utilisée 2 fois par mois max, que nous gardons pour pouvoir transporter nos 3 bambins avec leurs sièges auto ou partir en vacances. Plus tard, nous réfléchirons à la conserver ou la revendre, si la location devient plus intéressante, ou même encore l’auto partage.

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