Lignes à grande vitesse : une économie si onéreuse

Un partenariat public privé n’est pas une baguette magique qui transforme un mauvais projet en un bon projet.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
TGV (Crédits eldelinux, licence Creative Commons)

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Lignes à grande vitesse : une économie si onéreuse

Publié le 22 juillet 2011
- A +

Après avoir couvert la question de l’ouverture à la concurrence des liaisons intérieures en autobus, nous vous proposons de compléter la réflexion avec un article de Rémy Prud’Homme pour l’Institut Hayek datant de 2010, sur le coût et les subventions du rail. Bonne lecture!

L’économiste Rémy Prud’Homme livre une analyse pour le moins politiquement incorrecte du développement des partenariats public-privé dans le cadre de l’extension des lignes ferroviaires à Grande vitesse. Le contrat de la LGV Tours-Bordeaux révèle que sans subvention publique d’au moins 50 % de l’investissement total, ces lignes ne pourraient être rentabilisées. Et qu’avec la construction de lignes de moins en moins rentables, ce taux de subvention sera amené à augmenter, à 70 %, voire davantage. Or, les bénéfices engendrés par ces lignes sont tout à fait contestables quel que soit l’angle d’examen considéré.

Le contrat de la ligne à grande vitesse (LGV) Tours-Bordeaux confié à Vinci est riche d’enseignements pour l’analyse de l’économie des LGV.

Il révèle tout d’abord le montant de la subvention nécessaire pour construire une LGV : un peu plus de 50 %. Ce chiffre généralement inconnu, caché au fond des comptes de RFF, est ici clair et solide. Trois sociétés très sérieuses étaient en concurrence, et l’attribution du contrat de 7,8 milliards a été à celle qui a demandé la plus petite subvention, 4 milliards. On ne cesse de nous répéter que les LGV sont une excellente affaire, très rentable, la vache à lait du rail français. On voit bien ici qu’il n’en est rien, et qu’elles ne se développent qu’au détriment des finances publiques.

Les 300 km de la ligne Bordeaux-Tours sont la partie émergée de l’iceberg de 2000 km de LGV décidés au Grenelle de l’environnement. Ces 300 km sont certainement parmi les plus rentables. Il y a évidemment davantage de trafic sur Paris-Bordeaux que sur Mulhouse-Dijon, le prochain tronçon prévu, pour ne pas parler de Poitiers-Limoges, également acté. Plus on avancera dans le programme du Grenelle, et plus le taux de subvention requis augmentera. Il sera vite de 60 %, puis de 70 %, voire davantage. Or, lors de la préparation du Grenelle, il y a deux ans, le taux de subvention des LGV décidées était — promis, juré — inférieur à 30 %

Le contrat de Vinci nous dit aussi ce que devraient être les péages payés par la SNCF (ou d’autres opérateurs) à RFF pour l’utilisation des voies. Pour rembourser son investissement de 3,8 milliards, Vinci compte sur des péages de 250 millions par an pendant trente-cinq ans (correspondant à un taux de rentabilité interne modeste de 4,7 %). Pour rembourser l’investissement total de 7,8 milliards, il faut donc, avec ce même taux, des péages annuels de plus de 500 millions. Les péages que la SNCF devrait payer pour utilisation des 1900 km de LGV existants devraient donc s’élever à 3,1 milliards. C’est à peu près ce que la SNCF paye actuellement pour les 30 000 km de l’ensemble du réseau. Un prix d’ami.

Bien entendu, cette approche lamentablement comptable n’épuise pas le sujet.

La ponction des LGV sur les finances publiques doit être comparée avec les gains sociaux engendrés par ces mêmes lignes. Le principal est le gain de temps : une heure par voyage. On compte actuellement 5 millions de voyages en train par an entre l’Aquitaine et la région parisienne. Si la LGV double ce nombre, cela fera un gain annuel de 7,5 millions d’heures, soit, à 13 euros par heure, un peu moins de 100 millions par an. Un deuxième gain social concerne la réduction de CO2 qui viendra surtout du glissement des 1,5 million de voyages en avion entre Bordeaux et Paris, soit une économie de 87 000 tonnes de CO2 par an. Même avec un généreux prix de 30 euros la tonne de CO2, cela fait moins de 3 millions d’euros par an. Les 4 milliards d’euros de dépense publique génèrent donc quelque 100 millions d’euros d’économies par an : c’est une mauvaise affaire, un gaspillage de fonds publics.

Sans compter que cette LGV Tours-Bordeaux sera, comme les autres, franchement régressive. Qui paye les 4 milliards de subvention ? Tous les Français, principalement par l’intermédiaire de la TVA. À qui vont les gains de temps ? À ceux qui prennent les LGV. Avez-vous jamais vu beaucoup de smicards dans un TGV ? Les dirigeants, cadres supérieurs, et professions libérales, qui sont 8 % de la population adulte, font 46 % des utilisateurs du TGV Nord, et 37 % du TGV Méditerranée. Les TGV sont d’admirables machines à transférer des ressources des pauvres vers les riches.

La seconde est que ce Tours-Bordeaux est l’une des plus intéressantes, probablement la plus intéressante, des LGV supplémentaires du Grenelle. La topographie fait que les coûts seront inférieurs à ce qu’ils seront sur beaucoup d’autres lignes ; et la géographie fait que le trafic de Tours-Bordeaux sera l’un des plus importants. Pour la plupart des autres lignes, la subvention sera plus grande et les bénéfices (fonction du trafic) plus petits.

Le comble est sans doute atteint par la LGV Lyon-Turin, qui coûtera deux ou trois fois plus cher et transportera cinq ou six fois moins de voyageurs, ce qui la rend socialement quelque 15 fois moins justifiée. Si un partenariat public-privé comme celui avec Vinci limite les risques, un PPP n’est pas une baguette magique qui transforme un mauvais projet en un bon projet.

Voir les commentaires (5)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (5)
  • Je me demande :

    Les écologistes ont l’habitude et la possibilité juridique de mettre des bâtons dans les roues de ce genre de projet, parfois au point de les faire reporter sine die, c’est à dire en pratique les bloquer.

    N’existe-t-il donc pas de possibilités juridiques de faire la même chose pour des raisons économiques du genre celle exposé plus haut ?

    Il y toujours une enquête publique par exemple. Une déclaration d’utilité publique, matérialisée par un arrêté qu’on peut attaquer devant le conseil d’état, des accusations pénale du genre « faux en écriture publique » (le fonctionnaire tartempion déclare que c’est rentable, le fonctionnaire tartempion est un vendu au grand capital qui ment) qui sont autant de freins même si ça n’aboutit à rien

    Concrètement, comment on fait ? On crée une association (éventuellement sous le chapeau de contribuable associé, liberté chérie etc. : faut toujours se faire croire beaucoup plus nombreux qu’on est, comme les galaxies d’associations gauchistes savent le faire), et on attaque ; il y a je crois une association à Lyon qui a déjà fait capoté des projets plus modestes mais (à leur échelle) tout aussi débile.

    Si on ne fait pas ça, je crois qu’on peut fermer notre gueule…

  • Est-ce que l’ouverture à la concurrence permettrait d’améliorer la rentabilité d’une telle ligne ? Dans quelle mesure ?

    J’ai lu que Véolia proposera des TGV 30% moins cher que la SNCF, cela devrait être tout à fait bénéfique pour le secteur et permettra probablement de contrer (du point de vue de RFF) l’ouverture (pour l’instant très partielle) du marché du transport par autocar.

  • Il y a des erreurs dans le calcul:

    – déjà, l’économie d’une heure par voyage me paraît bien sous-estimer. La ligne Strasbourg-Paris a divisé le temps par deux (5H->2,5H), et pour Toulouse-Paris, on va là aussi passer de 6H à quelques 2H30 de trajet…

    Le nombre de voyageurs va donc également dépendre de cette évolution. Par ailleurs dans le calcul de rentabilité, je suis surpris de ne simplement pas voir… les recettes des billets de trains ?! Est-il fait en considérant que ces voyages sont gratuits ? Sachant qu’un Strasbourg-Paris coûte 100€ à plein tarif et court terme, ça fait pas mal. Concernant Toulouse-Paris, avec un TGV sans LGV on peut déjà monter jusqu’à 200€. Même en prenant moins que ça, on a au moins le demi-milliard de recettes annuelles, ce qui rembourse les 4 milliards d’investissements en 8 ans.

    Alors, soit j’oublie quelque chose – peut être avez vous déjà compté ces recettes sans le dire dans un quelconque chiffre, soit le TGV n’est pas une si mauvaise affaire que ça ?

    • Du prix du billet, il faut déduire les subventions tarifaires artificielles à de trop nombreux clients, le coût de fonctionnement, d’entretien et d’amortissement de la ligne, mais également des rames et des gares, les intérêts à rembourser, le niveau moyen des charges salariales excédant largement la moyenne nationale, les généreuses retraites injustifiées et non provisionnées, les impôts et taxes diverses, etc.

      Côté client, il faut prendre en considération la perte de temps liée au fait que le train ne vous mène jamais à votre destination réelle, le temps perdu dans l’attente lors des interconnexions et dans les trajets secondaires, l’inconfort qu’implique les changements de modes de transports, l’incertitude due au manque de fiabilité chronique du service.

      Si c’était vraiment rentable, pourquoi donc subventionner ? A moins de 1000 km de trajet, et à l’exception des barrières géographiques naturelles, aucun mode de transport n’est plus efficient ni adapté à la famille que la voiture. Avec les 7,8 milliards des 300 km de la seule LGV de Bordeaux, on pourrait construire plus de 1500 km d’autoroutes, permettant de rouler en toute sécurité à 160km/h.

  • Mon commentaire est un peu tardif par rapport à la publication de ce billet. Mais il me parait nécessaire d’apporter quelques observations au vu de certaines inexactitudes qui s’y trouvent.

    En premier, la part de subvention publique non négligeable pour construire une LGV n’est pas un fait nouveau. La LGV Est-européenne (300km) mise en service en 2007 a été financée à 80% par le public (Etat, régions, Luxembourg, Union européenne). RFF n’apportant que 20% du financement, car seule cette faible part pouvait être rentabilisée au vu du trafic (faible par rapport à Paris-Lyon par ex.) qui circulera dessus.

    Je suis d’accord sur le fait que ces investissements constituent quelque part un transfert de richesse des pauvres vers les riches. En même temps, ils représentent une modernisation pas complètement superflue d’un réseau ferroviaire qui a plus d’un siècle. Sur le long terme, au-delà de la pure rentabilité financière, ces investissements devraient être économiquement rentables (la rentabilité économique qui prend en compte des effets induits sur l’économie globale est supérieure à la rentabilité financière).

    Là où le bas blesse, c’est que l’on se retrouve avec deux infrastructures coûteuses en maintenance/entretien. La ligne existante qui se voit déchargée de nombreux trains voyageurs voit son ratio recettes(péages)/dépenses(d’entretien) fortement diminuer et éventuellement passer dans le rouge (s’il ne l’était déjà). L’objectif pour pallier ce problème est d’accueillir plus de trains fret sur les anciennes lignes déchargées les trains voyageurs partis sur les LGV. Force est de constater que cet objectif est très loin d’être rempli et qu’il ne sera pas avant longtemps, si ce n’est jamais.

    Au final, mon opinion sur l’intérêt de la LGV Tours-Bordeaux est neutre, mais positif sur celui de la LGV Le Mans-Rennes. Il est en revanche négatif sur l’intérêt du prolongement de la LGV Est jusque Strasbourg (100km supplémentaires). En effet la 1ère phase mise en service en 2007 apportait des gains de temps significatifs à tout l’Est de la France alors que cette seconde phase n’apportera que des gains de temps assez maigres (1/2 h) à la seule ville de Strasbourg et au delà de la frontière, c’est à dire à peu de monde. Cet investissement aurait pu attendre.

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Elon Musk est un génie, y compris pour faire prendre des vessies pour des lanternes. Depuis dix années, en s’appuyant sur sa réussite fulgurante (Tesla, SpaceX), il a réussi le tour de force de faire investir des centaines de personnes et des startups dans l’avenir du train « révolutionnaire » à très grande vitesse hyperloop (plus de 1000 km/h) circulant dans un tube partiellement sous vide d’air.

Mais l’objectif d’Elon Musk n’était peut-être que de faire rêver avec l’argent… des autres, c’est-à-dire le nôtre au travers des impôts et d... Poursuivre la lecture

Les auteurs : Guillaume Carrouet est Maître de conférences en Géographie à l'Université de Perpignan. Christophe Mimeur est Maître de conférences en Géographie à Cergy Paris Université.

 

Début 2016, Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports, annonçait la suppression progressive de la plupart des liaisons ferroviaires de nuit. La principale raison invoquée était l’absence de rentabilité. Sur fond de préoccupations environnementales, une dynamique inverse a depuis été enclenchée par les pouvoirs publics : le Pa... Poursuivre la lecture

Par Loik Le Floch Prigent.

Dès qu’il s’agit d’infrastructures, se posent les questions des coûts et de la rentabilité et on arrive à justifier ou à condamner n’importe quel projet. Car s’agissant d’un bien commun, tout dépend de ce que l’on met dans les deux colonnes des coûts et des gains.

On peut effectivement rester au niveau des entreprises constituées à cet effet et prendre des taux d’amortissements artificiels, et ainsi montrer qu’il ne faut pas produire de métros, de trains, de centrales électriques, de routes…

En ... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles