14 Juillet, Fête de l’amnésie

L’événement qu’en ce jour on célèbre ne mériterait pas d’être commémoré

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
Feux d'artifice du 14 juillet 2013 sur le sites de la Tour Eiffel et du Trocadéro à Paris, vus de la Tour Montparnasse - Crédit photo : Yann Caradec via Flickr (CC BY-SA 2.0)

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

14 Juillet, Fête de l’amnésie

Publié le 14 juillet 2011
- A +

Une nation, écrivait Renan en 1863, est fondée sur l’oubli nécessaire : oubli de toutes les guerres civiles et étrangères qui ont au cours des siècles, ensanglanté le territoire, jeté les familles et les peuples les uns contre les autres, au nom d’allégeances politiques, tribales, religieuses ethniques , coloniales, dont le sens même aujourd’hui échappe à l’entendement . Toute fête nationale est donc  nécessairement fondée sur l’amnésie historique : le 14 juillet n’échappe pas à la règle. L’événement qu’en ce jour, on célèbre, soit ne mériterait pas d’être commémoré, soit on se trompe de date.

S’agit-il de la prise de la Bastille ? Les Américains, curieusement, nomment le 14 juillet, Bastille Day, mais pas les Français. La Bastille tombée en ce jour, était, on le sait, une prison à peu près vide (même le Marquis de Sade en avait été libéré) dont le Gouverneur fut bien inutilement égorgé : voici qui inaugura dix ans de massacres sans conduire les Français à la République mais à la dictature d’un maniaque de la guerre de masse, Napoléon dont il faudrait un jour se débarrasser (de sa célébration, j’entends).

On s’interroge encore sur les raisons des émeutiers du 14 juillet : on sait qu’ils étaient éméchés, que ce jour à Paris fut torride mais de projet politique, ils n’en avaient guère. En filigrane derrière cet événement, il est exact que les institutions du Royaume étaient vermoulues, l’État endetté à l’excès (une manie depuis Louis XIV jusqu’à nos jours), la corruption généralisée (des Tapie partout) et que le blé se raréfiait tant la politique économique du temps (poursuite du Colbertisme) basée sur l’impôt excessif et les restrictions au commerce, nuisait à la prospérité. Rien que la prise de la Bastille pouvait guérir.

Mais, célèbre-t-on vraiment la prise de la Bastille ? A consulter les débats parlementaires de 1880 qui ont instauré la Fête nationale, il semble que nous commémorions  plutôt le 14 juillet 1790. Cette Fête de la Fédération, sur le Champs de Mars à Paris (un siècle avant que n’y soit érigée la Tour Eiffel) fur réellement nationale : s’y rassemblèrent les délégués des Provinces, les États (Nobles, Clergé et Tiers État), le Roi et l’Eglise. Peut-être, fut-ce l’unique instant d’unanimisme dans l’histoire de France, qui mériterait si les faits sont avérés, qu’on s’en souvienne pour de bon. Mais, il aura fallu que l’amnésie l’emporte : oublié 89 et oublié 90 !

Amnésie encore pour cet étrange défilé militaire, unique, je crois, dans le monde démocratique : parmi les grandes nations, seuls les dirigeants chinois et russes persistent à exhiber leur virilité. Et nous ? En 1880 et au-delà, les gouvernements français entretenaient un esprit de revanche contre les Prussiens et pour la reconquête de l’Alsace et la Lorraine. Que l’on puisse y parvenir par la création des États-Unis d’Europe, ainsi que l’envisageait Victor Hugo, ne chatouillait pas l’électeur : il était politiquement plus productif d’exciter le patriotisme, puis d’ajouter de l’éther au vin rouge pour en finir avec les Boches.

Le 11 novembre, souvenir des batailles perdues et gagnées (Memorial Day aux Etats-Unis) serait tout de même mieux adapté à perpétuer la mémoire de nos combattants. Mais le 11 novembre laisserait penser que les guerres peuvent être des boucheries et des boucheries inutiles (qui parmi les Français sauraient expliquer comment a commencé la guerre de 1914 ?). Le 14 juillet, le défilé militaire tel qu’il est maintenu, ne persiste donc que parce que la raison première en a été oubliée. Pour oublier aussi que la France, toujours puissance militaire, n’est plus une grande puissance. Le déploiement des forces sur les Champs Elysées permet d’occulter que sans  les ravitailleurs américains, les chasseurs français ne pourraient pas atteindre Tripoli : tant mieux car il est préférable que l’armée française n’agisse pas seule au gré des humeurs d’un chef.

Le défilé, cette année, est « obscurci », terme employé par le Gouverneur militaire de Paris, par la mort, hier, de cinq soldats victimes d’un attentat près de Kaboul. On compatit bien entendu et on se pose aussi deux questions : qu’allaient-ils faire en cette galère afghane et, n’est-il pas envisageable que des soldats meurent au combat ? Questions indicibles puisque la fête nationale requiert l’amnésie. L’armée française combat en ce jour, en Afghanistan et en Libye pour d’excellentes raisons que l’on a oubliées.

Voir les commentaires (3)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (3)
  • J’avoue que Guy y est allé fort, mais c’est juste. La seule remarque qui je veux faire et qui en dit long sur notre république, c’est que « ‘l’oubli nécessaire » c’est un concept d’une nation belliqueuse ou une dictature, en gros une nation qui fait des guerres et qui donc produits des morts. Et donc l’oubli est inscrit dans cette logique. Le problème, c’est que la logique qui définie une démocratie moderne, c’est justement le contraire. C’est précisement la mise en place au centre du progrés la revue systematique et critique de nos faiblesses (en économie et technologie c’est l’innovation, en politique c’est l’ingienerie des systemes administratifs (ou la mise en place des conditions de la réforme constante).

    L’empire austro-hongrois qui a disparu pour donner naissance á l’autriche actuelle a généré au sein de ses élites intellectuelles un faisceau de gens qui ont précisement produit ces critiques systématiques en vue de générer les innovations nécessaire aprés les échecs patent des conflits mondiaux. Ils ont systematiquement procédé à l’examen des faits: Ludwig Wittgenstein en philosophie, Joseph Schumpeter en économie, Fredrick Hayek en économie et philosophie politique, Karl Popper en sciences morales et sociales, Peter Drucker sur le système industriel et les conséquences de la guerre, (puis á la suite de son immigration aux US), sur le management moderne. (liste non exhaustive bien sur).

    Cependant la république francaise a été incapable (jusqu’a tout récemment et avant WWII (avec des gens comme Marc Bloch) et Raymond Aron (étant une exception ce qui confirme la régle) de générer ce type de revue systematique et critique.
    Le modél »republicain » de notre société semble emprunt de beaucoup du modél militaire comme « survivance napoléonienne ». Mais depuis les adaptations dans les années 20-30 des régles sociales aux contraintes de la vie industrielle moderne (et aujourd’hui des services), notre état est seulement en train de maintenir du folklore.

    Je pense que l’on devrait faire un « show militaire » (genre au Bourget ou ailleurs) fait par les militaires seulement et auquel est convié ceux qui s’interessent aux machines de guerres au travers des démonstrations et des rencontres avec les militaires et les professions afilliées.

    La tribune des politiques et le lieu (les champs élysées) sont des incongruités dans une démocratie moderne. Le seul message que le 14 Juillet délivre, c’est le « chef de l’état est chef des armées ». Oui et alors. Il ný a pas de prestige special á retirer de cette fonction. La majorité des décisions importantes ont a voir avec l´’equilibre du budget, la reduction des inégalités, la liberté des échanges, le soutien a l’ínnovation, l’adaptation constante de l’administration aux changements économiques et sociaux de la population etc. etc. L’état se trompe d’exercice.

  • La régimentation des esprits a toujours le vent en poupe: la proposition d´Éva Joly et de ses détracteurs en est un bel exemple. Comme disait Wittgenstein, le role de la philosophie (le type qu’il exercait lui même) c’est de permettre de faire sortir la mouche de la bouteille dont elle se tient prisonnière.

  • Nous avons le droit un un beau défile sur la place rouge pardon champs Élysée suivi d’un discours du cher dirigent bien aime , chef du polit buro pardon le président de la république chef des armées par la grâce du peuple et de la constitution … Cela n’a t-il pas un air de déjà vu ?

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Par Frédéric Charillon.

 

C’est une tradition qui, depuis plusieurs années, tend à se systématiser : la France invite officiellement un pays, représenté par son chef d’État, au défilé du 14 Juillet. Cet invité d’honneur assiste à la cérémonie du haut de la tribune, aux côtés du président français.

On se souvient de l’émotion du roi Hassan II, qui allait mourir neuf jours plus tard, voyant défiler trois compagnies de la garde royale marocaine sur les Champs-Élysées, en 1999 ; des troupes britanniques en 2004 ; de l’Al... Poursuivre la lecture

https://www.youtube.com/watch?v=w6g054tLxgQ

 

Le chef de l’État a véritablement lancé son nouveau quinquennat en renouant avec l’interview présidentielle du 14 juillet. L’occasion pour lui de dresser la feuille de route de son gouvernement face à des prévisions économiques moroses et dans un contexte international difficile. Emmanuel Macron a tenté de s’extraire de l’attentisme qui lui est reproché depuis sa réélection.

Le président de la République n’entend nullement renoncer à réformer, en dépit d’une majorité rela... Poursuivre la lecture

Le droit de vote, un glorieux acquis de la Révolution française ? L’Ancien Régime meurt en organisant pour la première fois des élections au suffrage universel masculin : cette première fois devait être aussi la dernière avant longtemps. Loin d’établir le suffrage universel, la Révolution le réduit, le contrôle, le dénature ou le manipule au gré des changements chaotiques de gouvernements en une petite décennie. Par Gérard-Michel Thermeau.

En 1789, les élections aux États généraux assez confuses dans leurs modalités pratiques, à l’ima... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles