L’inéluctable retour de la société civile

Au retour de l’État, préférons le retour de la société civile

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Civil Society

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L’inéluctable retour de la société civile

Publié le 30 mai 2011
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On se souvient – c’était il y a 10 ans – de ce constat à la fois lucide et désabusé de Lionel Jospin alors premier ministre : «l’État ne peut pas tout». Beaucoup diront qu’une telle phrase a lourdement pesé dans la défaite de Lionel Jospin deux ans plus tard.

Les choses ont bien changé depuis. Comme l’a noté avec un brin de malice le très talentueux et très engagé à gauche Jacques Julliard : «Jamais, de mémoire de libéral, on ne vit gouvernement plus acharné à persuader les Français qu’ils peuvent tout attendre de l’État.» De tous bords, après la crise financière et face à la montée des peurs des Français on proclame le nécessaire «retour de l’État», dont au demeurant nous n’avions pas observé le départ.

Pourtant, que cela plaise ou non, il va falloir alléger l’État, redéfinir son rôle et retracer ses frontières. La question qui se pose n’est pas celle du «retour de l’État» mais celle de sa «refondation».

Les raisons de cette exigence sont nombreuses.

D’abord la contrainte financière. Il va nous falloir réduire drastiquement nos dépenses publiques. Les techniques de coupes budgétaires ne suffiront pas. En fait, la France se divise en deux. D’un côté un domaine marchand producteur de richesses et d’emplois, soumis aux lois de l’économie et de la concurrence et dans laquelle le consommateur commande. De l’autre le domaine public, celui des choix collectifs où la politique décide. Notre niveau record de dépenses publiques constitue un indicateur approximatif pour jauger ces domaines. Nous avons à la fois un État jacobin trop centralisé et trop envahissant. C’est notre vieux « mal français » qui conduit trop souvent à l’apoplexie au centre et à la paralysie aux extrémités. Pour réduire la dépense et pour doper la croissance, il nous faut redistribuer les pouvoirs et déplacer méthodiquement la frontière entre le domaine de l’État et celui de la société civile et marchande.

Ensuite, parce que la mondialisation met les États en concurrence. La compétitivité d’un pays est aujourd’hui la somme de la compétitivité de ses entreprises et de celle de son État. Et si les entreprises ont su transformer pour s’adapter au monde, il n’en est pas de même de l’État. Dans la grande société ouverte qui se dessine aujourd’hui, les relations verticales d’hier sont largement remplacées par des liens horizontaux dans un grand chamboule tout de la pyramide des pouvoirs, des entreprises, de la société et des États. On a longtemps cru que plus les choses devenaient complexes, plus elles devaient être dirigées d’en haut. On sait maintenant qu’au contraire, il faut laisser la plus large autonomie aux éléments qui composent un système complexe pour permettre leur coordination.

Pour nous aider dans cette refondation de l’État et dans cette redistribution des pouvoirs, nous disposons d’un précieux guide, le « principe de subsidiarité ». Une formule d’Abraham Lincoln le résume : « le pouvoir ne doit pas faire ce dont les citoyens sont capables ». Ce nom emprunté au vocabulaire religieux du XIXème siècle recouvre un principe fort de la philosophie politique humaniste qui d’Aristote aux Droits de l’Homme en passant par John Locke entend affirmer la souveraineté de la personne : tout Homme est de par sa naissance et de par sa nature libre et responsable et donc appelé à se gouverner lui-même. Il n’y a rien de plus moderne que cette approche.

Ce principe a une double dimension :

– la subsidiarité verticale qui place la décision le plus près possible de l’échelon de base aussi longtemps qu’il n’est pas nécessaire de passer à l’échelon supérieur. C’est là un principe « remontant » de l’organisation des pouvoirs publics, qui le distingue de la décentralisation.

– la subsidiarité horizontale qui délimite la frontière entre l’action publique et l’action civile. La puissance publique ne doit faire que ce que les citoyens, les familles, les associations, les entreprises ne peuvent faire par eux-mêmes.

Une telle redistribution, loin d’affaiblir l’État, le renforce dans l’exercice de ses missions essentielles. Elle permet de dégager un espace intermédiaire pour des services et des missions d’intérêt général délégués, concédés, conférés à des partenariats publics/privés qui permettent de faire entrer ces activités dans un vrai calcul économique pour bénéficier de l’efficacité de la concurrence et de l’initiative privée. Le principe de subsidiarité s’applique aussi, bien entendu, à l’État Providence. Il peut servir de guide pour la reconstruction d’un État social efficace faisant appel à toute une graduation de solidarités et de mécanismes d’entraide. Guider encore la nécessaire refondation sociale en permettant de délimiter un espace contractuel normatif pour des partenaires sociaux responsabilisés.

En fait, affirmer la subsidiarité (qui mériterait d’être inscrite dans notre Constitution comme elle l’a été dans les Traités européens), c’est ouvrir le chantier d’une refondation juridique retraçant et hiérarchisant les domaines de la loi, du règlement et du contrat. Au-delà des notions classiques de la gauche et de la droite, cette redistribution du pouvoir autour du principe de subsidiarité constitue un renversement de perspective. Elle ouvre la voie d’une démocratie de confiance en laissant davantage aux français dépenser l’argent qu’ils ont gagné, en leur permettant de choisir plus librement, par exemple, l’âge de leur retraite ou leur durée de travail, en offrant dans tous les domaines davantage d’autonomie et de liberté. La nouvelle dimension, sans doute la plus intéressante d’une politique de subsidiarité aujourd’hui, c’est celle qui valorise l’émancipation des individus, développe leur personnalité, favorise les relations d’entraide, affranchit de la dépendance de tutelles trop pesantes.

On a plaisanté la politique en disant qu’elle était l’art d’empêcher les gens de s’occuper de leurs propres affaires. Aujourd’hui, le meilleur gouvernement, c’est celui qui permet aux hommes de se gouverner eux-mêmes. Au retour de l’État, préférons le retour de la société civile.

Article repris du site de l’auteur, avec son aimable autorisation.

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  • Nécessairement descendant compte tenu du degré de collectivisation qui contraint nos sociétés, le principe de subsidiarité porte en lui des vices similaires à ceux qui minent l’Etat-providence. En effet :
    – il attribue à l’Etat le pouvoir de décider ce qui est délégué à l’échelon inférieur
    – il reconnaît implicitement que l’Etat peut avoir un rôle actif dans les affaires privées, au-delà des fonctions régaliennes.

    Or, la famille ou l’individu est le seul niveau réellement légitime de choix des délégations, par association volontaire. Ainsi, l’application du principe de subsidiarité est une première étape, certes utile, mais notoirement insuffisante sur le chemin de la libération de la servitude constructiviste. Ce serait donc une erreur de constitutionnaliser le principe de subsidiarité.

    L’étape suivante est la limitation de l’Etat à son rôle régalien. Afin qu’il ne puisse plus intervenir dans les domaines où il est naturellement incompétent, il sera alors temps de constitutionnaliser le principe de non-ingérence de l’Etat dans les affaires privées.

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