Sources historiques de la crise ivoirienne

Crise économique, incertitude sur la propriété et racisme ont réalisé un cocktail détonnant

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Sources historiques de la crise ivoirienne

Publié le 6 mai 2011
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Comment comprendre le conflit post-électoral en Côte d’Ivoire ? Une partie de la réponse se trouve dans des raisons historiques liées au modèle économique choisi à l’indépendance, au problème de la propriété et à ce concept dangereux qu’est l’ivoirité.

Les tares d’un modèle économiste dirigiste

À l’indépendance, la Côte d’Ivoire poursuit un modèle dirigiste de développement fondé sur l’exploitation du cacao. Malheureusement, l’avènement de la concurrence internationale fait baisser les prix de la ressource. La « crise du cacao » en Côte d’Ivoire apparaît ainsi à la fin des années soixante dix, début des années ’80, touchant une économie basée essentiellement sur l’exploitation de la précieuse fève. Le modèle dirigiste étouffant toute marge de manœuvre pour diversifier l’économie, la crise s’installe durablement, entraînant une situation économique catastrophique à la fin des années ’80.

L’insatisfaction gagnant les populations, celles-ci, fait surprenant pour l’époque, commencent à manifester et à critiquer ouvertement le Président Houphouët-Boigny à l’occasion des élections de 1990. Il faut dire que « Le Vieux » avait engagé la « guerre du cacao » à la fin des années ’80 et avait perdu son pari. Les cours du cacao chutant avec la montée de la concurrence internationale, mais la Côte d’Ivoire étant un acteur majeur mondial (elle produit aujourd’hui toujours 40% du cacao mondial), Houphouët avait en effet décidé de temporairement geler l’offre ivoirienne sur le marché mondial pour faire monter les cours et se récupérer ensuite avec des prix plus élevés. Pari raté ; mais au passage les revenus du cacao ne rentrant plus, la crise touche évidemment toute la filière de manière encore plus aiguë : la crise économique s’amplifie.

Deux éléments supplémentaires vont se combiner avec la crise économique due au modèle économique choisi, pour conduire à la déchirure.

Le problème de la propriété

La propriété est un élément central du développement. Elle donne sa dignité à chacun, et nous permet de nous projeter dans le futur : parce que ceci est à moi, je vais en prendre soin et le faire fructifier. Mais elle nécessite une sécurité juridique, de manière à ce qu’il y ait une certitude sur l’identité des propriétaires. Il ne peut y avoir d’investissement durable sans cela. Cela suppose la tenue précise d’un cadastre, de sorte que les droits de propriété soient correctement définis, que les transferts de propriété par don ou transaction soient enregistrés et que les litiges puissent ainsi être tranchés sur la base la plus claire possible. Cette traçabilité permet de faire en sorte que la propriété joue pleinement son rôle pour limiter les conflits, en donnant à chacun sa sphère privée d’action et d’épanouissement.

Cependant, en Côte d’Ivoire l’appropriation ne s’est pas faite sur une base des plus claires. En effet, en liaison avec le modèle économique choisi, fondé sur les cultures de rente, le Président Houphouët-Boigny avait ouvert le pays de sorte que des immigrés, notamment du Burkina, viennent en Côte d’Ivoire pour y travailler la terre : « la terre appartenait à celui qui la cultivait ». Sauf que tout cela est resté dans le domaine de l’oral. Or, sans preuve écrite, sans titre formel, sans cadastre précis, ce genre d’appropriation « floue » allait rapidement mener au conflit lorsque, la crise économique aidant, des Ivoiriens allaient rentrer au village pour y cultiver « leurs » terres – désormais occupées et mises en valeur par des étrangers. Même la réforme foncière de 1998 tendant à formaliser la propriété n’a pas réussi à résoudre les tensions dans les origines contradictoires des propriétés.

L’ivoirité, un concept raciste

Les tensions entre Ivoiriens et immigrés ont alors été exacerbées davantage, et ce, par un concept raciste : l’ivoirité. C’est Henri Konan Bédié, président de l’Assemblée nationale et, après la mort du « Vieux » en 1993, président par intérim, qui, pour se débarrasser du concurrent Alassane Ouattara (Premier Ministre d’Houphouët) aux présidentielles de 1995, brandit ce nouveau concept d’ivoirité : pour être président il faudra désormais être né de père et de mère ivoiriens (un « vrai ivoirien »). Ce qui n’est pas le cas de Ouattara, qui vient du Burkina… mais qui a pourtant été Premier Ministre de la Côte d’Ivoire !

Car Bédié ne pourra vraisemblablement pas gagner contre Ouattara : ce dernier est populaire, vient du FMI, a piloté les réformes et est donc soutenu par la communauté internationale. D’où l’arme de l’ivoirité pour évincer Ouattara, le « mauvais ivoirien », du Nord, et musulman. Bédié gagne mais il a ouvert la porte de la division ethnique mais également, de manière indirecte, religieuse (que Houphouët avait au contraire évitée) entre chrétiens (plutôt au sud) et musulmans (au nord), ces derniers se sentant solidaires de Ouattara.

Si Bédié, qui est aussi champion des détournements de fonds d’aide, est démis par un putsch à Noël 1999 mené par le général Gueï, ce dernier aura lui aussi le malheur de ne pas faire taire les démons tribaux en les utilisant plutôt pour assoir son pouvoir dans la division, nourrissant la grogne dans les rangs. Et après un putsch raté de soldats nordistes essentiellement musulmans, Gueï pratiquera des purges qui donneront naissance aux prémices de la rébellion du Nord. Si Laurent Gbagbo quant à lui, avait boycotté les élections de 1995 par solidarité avec Ouattara, il se ralliera à cette idée dangereuse d’ivoirité en 2000. Le jour de son investiture est marqué par le drame de Yopougon où des gendarmes massacrent des pro-Ouattara déçus que leur candidat ait été à nouveau évincé.

Le concept d’ivoirité a été officiellement abandonné en 2003, à la faveur des accords de Marcoussis, mais il a durablement gangrené le pays.

Crise économique, incertitude sur la propriété et racisme ont réalisé un cocktail détonnant. Trois domaines où les hommes politiques ont une responsabilité effarante : choix d’un modèle économique rigide, échec à mettre en place des institutions efficaces, promotion de la division raciale. Autant de causes historiques qui permettent de mieux comprendre la situation actuelle.

Article paru originellement sur UnMondeLibre.org.

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  • Petite rectification. Ouattara ne « vient » pas du Burkina Faso puisqu’il est bel et bien né en Côte d’Ivoire quand ce pays était encore colonisé par la France. Par contre, son père a émigré de l’ancienne colonie française de Haute-Volta qui fut, à un moment donné, quasi intégrée administrativement à la Côte d’Ivoire. Cela dit, Ouattara a passé quasiment toute son adolescence au Burkina et y a mené toutes ses études secondaires.
    Comme quoi la question de la nationalité dans ce pays recèle de nombreux pièges.
    Tout mon respect

  • Pour la situation du pays en général c’est intéressant, mais pour la présentation des faits c’est n’importe quoi, vous sortez d’où que Outtara est populaire, il est détesté comme on ne peut pas imaginer. Pas un mot sur les raison de l’ivoirité, pour ce pays qui à toujours subie le pillage direct ou non de pays étranges, ni sur les tentatives successives de coup d’Etat de Outtara ce grand homme de paix, notamment celui de 2002 où il a depuis prit toute les populations du nord sous contrôle des chefs de guerres. Quand vous dites des gendarme ont fait, c’est un mensonge personne ne connait encore les circonstance exacte de ce drame qui il faut bien le dire n’est rien par rapport à ce qui est en train de se passé.
    De plus quiconque regarde sérieusement les chiffres des élections mairie par mairie ne peut nier que l’ONU à fraudé.

  • Bon résumé, fidèle à la réalité des 50 dernières années de l’histoire de la Côte d’Ivoire.

  • Les commentaires sont fermés.

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