Alain Juppé et la politique arabe

Alain Juppé a admis que la France avait eu tort de soutenir les despotes arabes

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Alain Juppé et la politique arabe

Publié le 18 avril 2011
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Il régnait le 16 avril, à l’Institut du Monde arabe à Paris, lieu d’ordinaire compassé, un air de mai 68 , où l’Arabe se mêlait au Français, les Légions d’honneur des ambassadeurs aux foulards du Maghreb.

Au terme d’un colloque d’une journée entière, consacré au Printemps arabe et organisé par le Ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé a admis que la France avait eu tort de soutenir les despotes arabes au prétexte qu’ils étaient un rempart contre l’islamisme. Les despotes avaient en fait, encouragé la rage islamique, ce que j’ai écrit depuis une douzaine d’années. Citant entre autres réformateurs arabes, Rifaa el tahtawi, Juppé a conclu que les révolutions en cours étaient une étape dans la longue marche arabe vers la modernité. Et que la France ne craignait pas ces révolutions-là.

(Dessin de presse : René Le Honzec)

De nombreux intervenants venus de Tunisie, Libye, Maroc, Égypte, Jordanie, Syrie, Palestine n’avaient cessé tout au long de cette réunion, de témoigner de leur combat et de leur espérance en une démocratie libérale. Émouvant, souvent. Une « militante » palestinienne, particulièrment élégante, s’étonna que ce soit la police palestinienne qui l’interpelle lorsqu’elle défile dans les rues de Ramallah pour la démocratie. Elle veut un État, elle semble l’avoir obtenu, police inclus: que veut-elle de plus ? On n’a pas bien compris. Une députée marocaine nous assura qu’il fallait faire confiance à la volonté de réformes qui animerait le roi Mohamed VI : l’ambassadeur de France au Maroc, légitimiste ou plus royaliste que le Roi, acquiesca. On demande à voir.

La plupart des témoins et acteurs des révolutions égyptiennes et tunisiennes, ont opportunément rappelé que le Printenps arabe n’avait pas éclaté par hasard: depuis des années, intellectuels, avocats, syndicalistes, étudiants, luttaient contre les tyrans en Égypte ou en Tunisie : vrai et beaucoup l’ont payé de leur vie. Cette fois-ci, les démocrates ont réussi, une première étape du moins. Surtout, ils sont parvenus à persuader le monde que la démocratie étaient bien pour les Arabes, pour eux aussi, la « fin de l’histoire ». Exactement ce que George W. Bush avait déclaré en 2004, au moment de sa seconde investiture.

Cette coïncidence entre la France de Juppé et l’Amérique selon Bush, embarrassa suffisamment le politologue français Zaki Laïdi pour qu’il nous explique sans trop convaincre, que le soutien français à la révolution démocratique arabe n’avait rien, mais vraiment rien à voir avec les néo-conservateurs américains : « ceux-ci avaient essayé d’imposer la démocratie » tandis que nous Français, surtout à gauche, « nous soutenons les efforts endogénes des démocrates arabes ». Soit. Toujours selon Laïdi, les néo-conservateurs américains imposeraient des changements de régime (Irak, Afghanistan) mais pas les Français… sauf en Libye. Alain Juppé s’en justifia en rappelant que dans le cas libyen, un changement de régime était légitimé par le droit international puisque l’ONU (depuis une résolution de 2005) exigeait que les gouvernments protégent leur peuple tandis que Khadafi faisait l’inverse. Bon. Mais n’était-ce pas aussi le cas de Saddam Hussein ? Les historiens finiront-ils par reconnaître en George W. Bush un précurseur ? Allez savoir.

(Dessin de presse : René Le Honzec)

Seuls les « comités de transition » libyens venus en nombre de Benghazi m’ont semblé réciter un texte trop bien préparé : leur porte-parole, une femme portant foulard, guettait l’approbation d’un homme plus âgé qui la surveillait depuis la salle. Mais enfin, elle nous assura que sans l’OTAN, Benghazi aurait été rasé.

Plusieurs représentants des partis islamiques de Tunisie et d’Égypte (Nahda et Frères musulmans) ont protesté contre leur diabolisation et se sont engagés à respecter les régles de la démocratie laïque. Mohamed Ben Salem de retour en Tunisie après vingt ans d’exil en France a déclaré que son parti Nahda présenterait autant de femmes que d’hommes aux élections. « Nous vous étonnerons », a -t-il déclaré. Ce à quoi Juppé a répondu « Chiche ! » et a demandé aux ambassadeurs de France présents de dialoguer désormais avec tous, y compris les islamistes dans les pays arabes.

Une absence remarquée : l’Algérie. Il n’en fut pas question, elle n’était représentée ni par ses dirigeants ni par ses opposants. Le cadavre dans le placard. Regrettable omerta.

Invité à ce colloque, j’ai comparé la chute du Mur de Berlin avec la chute du Mur de la peur dans les dictatures arabes : en 1989, l’empire soviétique a disparu et en 2011, l’orientalisme est mort, cette idéologie qui enfermait les Arabes dans le cliché de la dépendance. Bouazizi aura été le Jan Palach arabe, sacrifice fondateur de mondes nouveaux.

À ceux qui dans la salle, s’inquiétérent d’un afflux d’immigrés provoqué par ces révolutions, l’islamologue François Burgat a fait valoir que la démocratie et le développement qu’elle devrait engendrer dans le monde arabe, pourraient à terme, conduire un flux de retour vers le sud de la Méditerranée. Bien vu. Et en tout cas, bien espéré.

Article repris du blog de l’auteur avec son aimable autorisation

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  • Cessez l’escroquerie et le mensonge.

    Les partis islamistes respectent la démocratie ou Shora en arabe et non la laicité.
    Nous n’en voulons pas.

    Chez nous Tout appartient a Allah et Dieu a son mot a dire dans tous les domaines.

    • c’est une théorie banale et très fréquente, qu’on retrouve en occident sous la maxime : « vox populi, vox dei ».

      Cela dit, notre ami visiteur profère des blasphèmes épouvantables. Selon le Livre, YHWH/Dieu/Allah a parlé lui-même pour la dernière fois il y environ 3300 ans : à Moïse. Depuis, quelques élus ont reçus quelques rares visites d’anges qui leur ont parlé, mais Dieu se tait depuis 15 siècles, et tout ceux qui prétendent le faire parler ne sont que des démons de l’enfer, qui tentent de limiter la parole de Dieu, qui est pourtant infinie.

      Tout appartient a Allah, mais qui ose se faire son intendant ?
      Dieu a son mot a dire dans tous les domaines, mais qui ose substituer sa parole à celle de Dieu ?

      http://islamlaique.canalblog.com/archives/2006/12/29/3143137.html

  • pour une que la france nous veut du bien alors laissons la nous debarrasser des dictateurs qui nous gouverne depuis 50 ans .

  • La prétendue neutralité laïque des régimes libéraux est non seulement une escroquerie dans les pays arabes, mais en France également.
    L’explication par G. Sorman de la poussée islamiste en réaction à l’oppression des dictatures soutenues par les Etats-Unis est applicable à la poussée du FN ou de l’abstentionnisme en France, pour partie en réaction au monopole médiatique libéral.
    A quelle autre époque en France on aurait accordé du crédit durablement à de soi-disant penseurs comme G. Sorman qui nous répètent inlassablement que « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes (capitaliste) », ce qui n’est ni une science économique, ni une spiritualité, mais une devise morale fondée sur l’intérêt d’une élite oligarchique ? Pangloss est désormais roi au pays de Voltaire, car M. Sorman est très loin d’être le seul à nous marteler son sens de la probabilité (tronquée).
    G. Sorman est un mandarin japonais qui fait gober grâce aux médias qu’il est un homme de progrès.

  • On pourrait sans trop de peine démontrer que la pensée libérale n’est qu’un avatar de la philosophie politique médiévale, à cette différence que la philosophie médiévale est progressiste ou « en progrès », tandis que les doctrines libérales sont des doctrines régressives.
    Le cadre philosophique de la stratégie militaire d’intervention occidentale au-delà de ses frontières, par exemple, est déjà défini tel qu’il l’est aujourd’hui par… Thomas d’Aquin.

  • « Monopole médiatique libéral » : je pourrais citer, hélas sans rire, cinquante têtes d’affiche libérales qui tricotent et détricotent à n’en plus finir la même doctrine probabiliste que G. Sorman en « prime time » ou en Une. C’est contre ce raisonnement physiocratique que s’est élevé le fachisme, en philosophie (Nietzsche), comme sur le plan politique, lorsque la crise économique a dissout la vaseline des promesses libérales à la classe ouvrière d’enrichissement.
    Difficile de ne pas être sarcastique quand on lit ce slogan « Nivellement par le haut » au fronton d’un blog libéral, sachant que ce sont les élites libérales qui inculquent aux masses une conception de la liberté comme l’exercice maximum d’un pouvoir ou d’un potentiel, tout en occultant que ce système, sur le plan de l’organisation qui est le plan libéral, n’a aucun sens. L’organisation n’a jamais fait que refléter, à l’échelle de la tribu comme à celle du « village mondial », un rapport de forces excluant l’aspiration individuelle à la liberté ; un rapport en perpétuelle mutation où l’équilibre fait figure d’utopie.
    Si les lois du marché permettent l’équilibre des appétits, pourquoi Juppé doit-il sortir la grosse artillerie ?

  • – A. Montebourg qui, au PS, met le moins de libéralisme dans sa propagande, sait parfaitement qu’il ne passera pas le cap des primaires de son parti.
    – ça fait au moins dix ans que la direction de la CGT tente de faire de ce syndicat un syndicat social-démocrate « à l’allemande » ; sans la crise, B. Thibault serait peut-être parvenu à ses fins.
    – le PS n’a pas moins intérêt que l’UMP à faire croire que le socialisme n’est pas seulement une religion d’appoint nécessaire au gouvernement libéral de la France.
    – « Vulgate marxiste » : voilà comment est qualifié dans les médias ce constat historique facile à faire que la concentration des états et des nations accompagne le mouvement de concentration des capitaux. Constat facile à faire vu la caution fournie récemment à de grandes banques d’affaires dites « privées », au bord de la faillite, par l’Etat français.

  • À ceux qui dans la salle, s’inquiétérent d’un afflux d’immigrés provoqué par ces révolutions, l’islamologue François Burgat a fait valoir que la démocratie et le développement qu’elle devrait engendrer dans le monde arabe, pourraient à terme, conduire un flux de retour vers le sud de la Méditerranée. Bien vu. Et en tout cas, bien espéré.

    Bien espéré, en effet.
    L’afflux d’immigrés est-il provoqué par la révolution elle-même? Ces départs semblent davantage motivés par des raisons économiques que politiques. La vague actuelle me paraît en fait majoritairement due à l’effondrement des régimes dictatoriaux qui empêchaient les départs avec leurs méthodes faisant peu de cas des droits de la personne.
    Le développement économique est-il de nature à tarir ces flux migratoires? Les exemples qu’on a sous les yeux laissent à penser que non, du moins à court et moyen terme (après tout, la Tunisie a longtemps été présentée comme un modèle de développement et la Chine, avec son taux de croissance à 10%, continue à exporter énormément de migrants). Quant au cocktail démocratie + développement, on a vu avec la Pologne et d’autre pays d’Europe Centrale qu’il n’empêchait nullement de longues périodes d’émigration économique. Par contre ce dernier exemple est intéressant car effectivement sur le long terme, il y a un retour massif des travailleurs expatriés, souvent suite à une conjoncture économique devenue moins favorable (le fameux plombier polonais dont on nous rabachait les oreilles il y a quelques années fait desormais moins parler de lui). Mais dans le cas Polonais, il s’agissait davantage de travailleurs mobiles que de migrants, car ils évoluaient dans un espace sensé garantir la libre circulation des travailleurs. Il est à craindre que rien de tel ne se produise avec les Tunisiens, étant donnée l’hystérie qui caractérise les discours politiques européens sur l’immigration en ce moment. Tel que c’est parti, on va au contraire dresser des barrières bien illusoires et créer des nouvelles populations de clandestins qu’à défaut d’empêcher de réellement circuler, on incitera à se fixer à des endroits précis et à n’en plus bouger de crainte d’être délogé. Et on fera tout cela en expliquant le plus sérieusement du monde qu’on ne peut pas accueillir toute la misère du monde (ce que du reste personne ne nous demande).
    Pour que la boucle soit complète et que Bouazizi soit le Palach de la Tunisie, il faudrait qu’on finisse par négocier avec cette dernière un accord de libre-circulation qui soit le pendant de l’accord de libre-échange déjà existant. Mais pour l’heure, il y a lieu d’être assez pessimiste sur cette perspective.

  • Soyons lucides.Démocratie et théocratie sont antinomiques .Khomeiny avait lui aussi parlé de démocratie. A la première occasion , il éjecta le libéral Bani sadr. Les dernières manif s de Teheran sont matées dans le sang..
    Le Hamas , un avatar des frères dits musulmans s’est servi des urnes pour comploter contre l’héritage de l’olp.L’ arabie saoudite enfante des monstres du calibre de ben laden, au soudan , c’est pire.Demain Nahda , en Tunisie fera la même connerie du Fis algérien ….etc . Ne voit pas pourquoi , on doit accorder à ces courants politico religieux un préjugé favorable . S’ils sont réellement démocrates , ils n’ont qu’à intégrer des partis laics et libéraux .Au fond , pour eux la démocratie est une  » imposture de l’occident » . Ils prêchent par ignorance. Ces gens de l’islam politique ont un problème avec eux mêmes et avec le reste du monde.Ils n’arrivent pas à admettre que les rapports sur terre peuvent être réglés entre terriens, suffisamment intelligents… L’empire ottoman qui avait bien tiré sa légitimité de l’islamisme , a til apporté la liberté aux peuples qu’il a soumis quatre siècle durant ?
    Ceux qui confisquent la parole divine bloquent tout :l’amour, la culture, les plaisirs de la table et surtout la pensée critique adjacente à la liberté. Pour eux, l’histoire de l’humanité a commencé avec le message de Mohamed . Ils se chargent de la finir avec lui dans la morbidité de la terreur…Triste perspective …Courageux qui comme BOUAZIZI les a nargués en prouvant qu’un homme seul peut faire face à leur BETISE en prouvant sa dignité et la plénitude de son devenir..

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