Le lobby alimentaire prend le contrôle aux États-Unis

Nouveau coup à la liberté personnelle, sous le label de la sécurité publique

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Le lobby alimentaire prend le contrôle aux États-Unis

Publié le 24 décembre 2010
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Beaucoup d’américains achètent directement leur lait frais chez des fermiers qu’ils connaissent. Pourtant le projet de loi S510 de modernisation de la sécurité alimentaire, qui réglementera la production, la transformation, l’empaquetage, le commerce et le transport d’aliments, pourrait bientôt mettre fin à cette pratique.

La FDA accroît ses pouvoirs

En effet, la Food Drug Administration (FDA), qui a été investie de pouvoirs accrus dans le cadre de cette loi, a clairement indiqué qu’elle ne recommandait à personne de boire du lait frais. Et cette institution aura les coudées franches pour intervenir si elle a une « raison de croire » qu’un aliment peut être nuisible à la santé des Américains.

« L’objectif de ce projet de loi est de combler un vide dans l’autorité de la FDA en matière de sécurité alimentaire, pas tant du côté des fruits et légumes parce que cela ne change pas grand-chose, mais plutôt du côté des aliments transformés », explique Kelli Ludlum, spécialiste en contrôle des aliments à l’American Farm Bureau Federation. D’après l’AFBF, la FDA pourrait prévenir les problèmes survenus récemment dans le beurre d’arachide, les épinards et la pâte à biscuits, grâce à l’autorité et aux ressources qu’elle obtiendra pour effectuer des inspections additionnelles, produire davantage de rapports de vérification et de résultats de tests.

Cette loi autorisera ainsi le ministère de la Santé et des services sociaux à inspecter tout commerce ou individu qui transige ou fait don de nourriture s’il croit que ces aliments ont été contaminés. Le ministère pourra également fermer toute installation produisant ou contenant des aliments qui représenteraient un risque pour la santé ou pourraient causer la mort.

La loi obligera tout producteur ou fabricant alimentaire – petit ou grand – à s’enregistrer au coût de $500 par année, ce qui ajoutera à leur fardeau fiscal. L’amende imposée pour une infraction à la loi s’élèvera à $500.000  pour une simple offense ! Pour se conformer à la loi, les agriculteurs et les détaillants de produits biologiques pourraient même devoir utiliser des pesticides et des fertilisants, ce qui est contraire à leur mission.

Le lobby des grands groupes industriels

Certes, il y a eu aux États-Unis des cas récents de E. Coli et de salmonellose dans les arachides, les oeufs, la laitue, les poivrons, les patates et les épinards, ainsi que le rappel de millions de livres de saucisses et de salami. D’après les centres de contrôle et de prévention des maladie, 5.000 personnes meurent et 76.000 personnes sont hospitalisées chaque jour suite à un empoisonnement alimentaire. Pourtant, dans la majorité des cas, ces empoisonnements sont causés par des grandes sociétés agro-alimentaires produisant à grande échelle, d’après la journaliste indépendante Natalie Sirkin.

En réalité, la nouvelle loi a été présentée en février 2009 par Rosa De Lauro, épouse de Stanley Greenburg, directeur de recherche… chez Monsanto. En appuyant le projet de loi, les grands groupes industriels tentent plutôt de combattre la concurrence des producteurs biologiques – dont les profits sont en croissance. Le jeu en vaut la chandelle : les Américains consomment plus de $1 milliard en aliments par année.

Selon un rapport d’Open Secrets, quelque 208 compagnies et organismes ont soutenu le projet de loi S510 à l’aide de sommes considérables. Parmi les principaux lobbyistes, mentionnons la Chambre de commerce américaine, Kraft Amérique du Nord (le second producteur d’aliments et de boissons au monde), General Mills (15 milliards $ de revenus en 2009) et l’American Farm Bureau Federation (AFBF), qui soutient la cause des aliments modifiés génétiquement. L’AFBF a déboursé à elle seule $9,5 millions depuis 2009 pour promouvoir ce projet de loi.

En 2009 et 2010, Pepsi aurait aussi dépensé plus de $14 millions et Coca-Cola $4,5 millions pour faire approuver les projets de loi S510 et HR2749 (la version originale de la loi adoptée en 2009). Les compagnies Monsanto et DuPont auraient quant à elles déboursé respectivement $17 millions et $9 millions entre 2008 et 2009, avant l’introduction de la loi, soit le double des années précédentes, d’après Michael Kinsky, du TeaParty911.

Une vaste opposition

En raison de l’opposition de divers groupes de pression, le projet de loi S510 est passé deux fois devant le Congrès et devrait être approuvé par le Sénat lors d’une motion de clôture, où tout débat sera exclu. « Ça été une sorte de match de ping-pong », avoue M. Ludlum.

Selon ses détracteurs, le gouvernement s’apprête à porter un nouveau coup à la liberté personnelle, sous le label de la sécurité publique. Les représentants des consommateurs, des associations de fermiers locaux, des adeptes de l’alimentation biologiques et d’aliments naturels affirment que la loi donnera aux grandes sociétés agro-alimentaires le contrôle sur la production alimentaire.

Conséquence : les prix des aliments grimperont et le déficit gonflera de $1,5 milliard, selon le sénateur d’Oklahoma, Tom Coburn. « Cette loi est complètement biaisée, estime Liz Re¬itzig, secrétaire générale de l’Association indépendante nationale des consommateurs et des fermiers. Comme rien n’est explicitement exempté et que tout est implicitement inclus, même les jardins à domicile ou les marchés en plein air pourraient être touchés ». Ainsi, une personne qui vendrait les tomates cultivées dans son propre jardin serait considérée comme un fournisseur agricole communautaire et serait soumise à la loi et à la traçabilité des aliments.

Ceux qui échangent des graines et des semences de leur production personnelle pourraient aussi être arrêtés par la police, car la loi interdira le nettoyage et la conservation des semences à l’état naturel. De là à accuser Monsanto d’être derrière le projet, il n’y a qu’un pas. Même le transport de produits biologiques pourrait être criminalisé en cas de non-respect des règles fédérales.

En 1781, le président Thomas Jefferson avait pourtant averti : «Si les gens laissent le gouvernement déterminer la nourriture qu’ils doivent manger ou les médicaments qu’ils doivent prendre, leur corps se retrouvera bientôt dans un état aussi pitoyable que leurs âmes vivant sous cette tyrannie.»

Article paru originellement sur www.UnMondeLibre.org.

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