Irlande, une polémique déplacée

L’occasion pour étaler une très mince couche de vernis économique et idéologique

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Irlande, une polémique déplacée

Publié le 30 novembre 2010
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La crise Irlandaise n’en finit pas d’alimenter la machine à sophismes médiatico-politiques, et naturellement, tout ce que la zérosphère compte d’anti libéraux pathologiques profite de l’occasion pour étaler de façon aussi superficielle que possible une très mince couche de vernis économique et idéologique dont toute prétention à l’objectivité est absente. Il est vrai qu’une bonne posture anti-libérale est un excellent substitut à l’intelligence pour briller dans les salons.

Le débat se focalise notamment sur deux points. En effet, la déroute Irlandaise serait la conséquence :

1. De « son taux d’imposition sur les sociétés scandaleusement bas »,
2. De « l’ultra libéralisme et ses ravages une fois de plus à l’oeuvre »

Ces deux points résistent-ils à un examen approfondi ? Ce premier article abordera la question fiscale, je reviendrai sur la seconde question dans les prochains jours.

Imposition des sociétés : l’Irlande perçoit plus que l’Allemagne et la France

Le graphe ci dessous, issu des données de l’OCDE, montre quel pourcentage du PIB l’impôt sur les sociétés ramène dans les caisses des états européens :

Curieusement, l’Irlande, avec son taux officiel de 12.5%, ramasse un produit fiscal notablement plus élevé que celui de l’Allemagne (taux de 25%) ou la France (33%) et se situe dans la fourchette haute de l’UE. Elle fait aussi bien que l’Italie qui affiche pourtant des taux d’imposition réels sur les sociétés confiscatoires, de l’ordre de 39%, pour 33% affichés.

Mieux encore, le graphe suivant montre l’évolution de ce taux depuis la fin des années 80 :

Nb. Le graphe ci dessus s’arrête en 2002, c’est à partir de 2003 que le taux d’imposition corporate de l’Irlande passe à 12,5%

L’évolution contraire du taux de taxation et des recettes est particulièrement flagrante. En 1990, l’Irlande avait un taux d’imposition de 42% et récoltait péniblement 1.6% de son PIB en taxes corporate. En 2006, le taux d’imposition a été divisé par 3,5 et le taux de recouvrement multiplié par 2,5. En données brutes, la progression est encore plus spectaculaire : le produit fiscal lié au seul impôt sur les sociétés a été multiplié par 11,5 entre 1990 et 2006, soit encore multiplié par 7,36 hors inflation, alors que le PIB (hors inflation) n’a été multiplié « que » par 2,67, ce qui reste une performance hors normes dans l’union.

L’étude des rentrées fiscales liées à l’impôt sur les sociétés entre 1998 et 2006 est particulièrement instructive (nb. Le Graphe suivant est hélas libellé en $ US, ce qui intègre des effets de change), tout comme la comparaison avec la voisine anglaise :

En données brutes (source : ministère des finances), les rentrées fiscales sont passées de 2,741 Mds Euros en 1998 à 7271 Mds Euros en 2006, soit 165% d’augmentation. En intégrant l’inflation officielle sur cette période (31%), l’augmentation est encore de 102%. Dans le même temps, le taux d’imposition passait, par paliers, de 31% à 12,5%. Nous avons donc l’illustration exceptionnelle de l’effet Laffer à l’oeuvre, du moins pendant les périodes haussières du cycle économique. Ceci dit, nous verrons dans le second article qu’il convient de tempérer cette explication.

Evolution après 2006

L’inconvénient majeur de la taxe sur les sociétés est qu’elle est une des plus « procycliques » qui soit et son produit fiscal est extrêmement volatile.

Ainsi, arès le pic de 2006, les recettes de l’impôt sur les sociétés diminuent à cause de la crise de l’immobilier (nous y reviendrons dans le second article)

Recettes corporate de l’état Irlandais

2006 : 7271 M €
2007 : 6390 M €
2008 : 5025 M €
2009 : 3900 M €

Quelle gifle ! Voilà qui répond simplement aux partisans d’une augmentation du taux d’imposition irlandais : en admettant qu’une telle augmentation ne provoque aucune fuite de capitaux ni comportement d’évasion fiscale, (improbable, mais bon…), même un doublement du taux Irlandais ne ferait que ramener dans les caisses peu ou prou ce que l’impôt sur les sociétés ramenait en 2006. Quand l’économie se casse la figure, les rentrées d’IS tendent à faire de même.

D’autre part, le déficit de l’état Irlandais atteint 30 milliards d’Euros en 2010 : doubler le taux d’imposition sur les sociétés ne résoudrait pas grand chose.

La baisse du produit de cet impôt est loin d’expliquer à elle seule la baisse globale du revenu fiscal de l’Irlande. En effet, l’étude des différents rapports annuels du ministère des finances irlandais laisse apparaitre que l’impôt « corporate » est environ 2,5 à 3 fois moins important dans le budget public que la TVA ou l’impôt sur le revenu. Sans parler des charges sociales. Sans parler des recettes liées à l’immobilier…

L’Irlande, un Paradis Fiscal ?

Notons également que contrairement à la France ou l’Allemagne, qui ont pour elles des situations géographiques centrales et des histoires industrielles et universitaires anciennes, l’Irlande n’a a peu près aucun atout à faire valoir pour attirer de l’investissement : climat morose, peu de ressources naturelles à valeur ajoutée, peu de passé industriel, agriculture sans avantage compétitif, insularité et excentricité géographique, et même un whisky imbuvable, d’après les frères ennemis d’Ecosse. Sans sa politique fiscalement agressive, le peuple irlandais aurait été condamné à rester l’éternel sous-développé de l’UE qu’il était encore au début des années 80. Tout comme les pays baltes.

L’Irlande a refusé la fatalité de ses handicaps de départ et a donc cherché à développer un avantage compétitif. Elle offre des conditions de taux affichés très intéressantes pour les entreprises, c’est un fait, avec en plus des aménagements encore plus favorables à l’encaissement de royalties et autres licenses. Toutefois, l’Institut Américain des certificateurs comptables note que dans tous les pays, le taux d’imposition « réel » diffère du taux affiché, car les « effets d’assiette » sont différents d’un pays à l’autre : les règles d’amortissement ou de report des exercices déficitaires diffèrent. Ainsi, en Irlande, le taux d’imposition réel est de 15,5% (12,5% affiché), de même qu’en Allemagne, un taux affiché de 25% résulte en un taux réel de 29%, Par contre, en France, les niches fiscales permettent de transformer un taux affiché de 34,4% en un taux réel de 31,8% en 2007. Dans certains pays, la distorsion est encore plus flagrante : ainsi l’Australie affiche un taux officiel de 30% mais un taux réel de 22%. La Grande Bretagne troque un taux affiché de 30% contre un taux réel de 24%, et ainsi de suite.

L’Irlande a fait le choix d’un taux faible mais d’une assiette large autorisant peu d’exemptions, au contraire de beaucoup de pays qui affichent un taux élevé mais des niches fiscales conséquentes. Cela reste un choix avantageux et efficace.

Mais les autres pans de son imposition n’en font pas une nouvelle principauté de Monaco. L’Irlande a en effet choisi de taxer en aval plus abondamment les fruits de la valeur créée par les entreprises dont elle a su susciter l’installation ou la création.

Sa TVA est de 21%. Son impôt marginal sur le revenu est de 41% contre 40% en France. Enfin, des études détaillées montrent que le coût du travail y est taxé de façon beaucoup plus progressive que dans nombre de pays européens. Autrement dit, pour une personne touchant 1,6 fois le salaire moyen, la ponction opérée sur une augmentation totale du coût du travail supportée par l’employeur, soit par les taxes sur la masse salariale, soit par l’impôt sur le revenu, est plutôt plus élevée qu’ailleurs.

L’Irlande n’est donc clairement pas un paradis fiscal mais a choisi de moins taxer les fruits de l’entrepreneuriat et plus les flux une fois sortis de l’entreprise, ce qui est un choix de pure intelligence économique compte tenu de l’absence quasi totale d’atouts dont ce pays aurait pu jouer en l’absence de sa fiscalité.

Au lieu de réclamer la peau du taux préférentiel Irlandais, les « grands » (grands par la taille, petits par l’attitude) pays européens feraient mieux d’en tirer quelques leçons.

D’autant plus que les « grands pays » se font des illusions s’ils croient que l’Irlande leur « vole » des implantations internationales et qu’une remontée des taux ferait affluer les investissements étrangers en France, en Allemagne ou en Grande Bretagne.

La Suisse, les ex pays de l’est, et plus particulièrement les Pays Baltes ou les récents convertis à la Flat Tax (slovaquie, Tchéquie, hongrie, etc…), seraient les grands gagnants d’une remontée du taux d’imposition Irlandais : les candidats au titre de nation fiscalement la plus accueillante pour les entreprises –et leurs cadres supérieurs !– ne manquent pas. Croire qu’une entreprise internationale qui a fait le choix de l’Irlande pourrait se rabattre sur la France parce que les impôts irlandais augmenteraient n’est que pure bêtise. Les entreprises qui placent l’avantage fiscal au premier rang de leurs critères préférentiels ne changeront pas de logique du jour au lendemain.

Conclusion partielle

Il est malhonnête ou stupide d’attribuer aux bas taux d’impôt sur les sociétés les déficits actuels de l’état Irlandais. La baisse des taux marginaux irlandais a provoqué un exceptionnel exemple de l’effet « Laffer », à savoir une augmentation des produits fiscaux consécutive à une baisse de taux marginaux et une réduction conjointe des « niches fiscales » et autres échappatoires à taxes.

Quand vous laissez une part importante du fruit de sa créativité et de son savoir faire à une entreprise, cet argent est mieux utilisé que ce qu’en ferait un état, qui reste et de très loin l’agent économique le plus inefficient qui soit, et ce partout dans le monde. C’est ce qui s’est passé en Irlande durant les années 90.

Ceci dit, nous verrons dans le second épisode de la saga irlandaise, que lorsque la structure d’incitations auxquelles il obéit est distordue, alors le secteur privé peut se révéler aussi peu inspiré que l’état. C’est le drame vécu par l’Irlande dans les années 2000.

Après avoir répondu à la polémique sur le taux d’imposition des sociétés irlandaises, il reste à étudier d’une façon générale les raisons de l’ascension et de la chute du tigre Celtique. Ce qui sera fait dans un second et prochain épisode.

—-

Repris d’Objectif Eco avec l’aimable autorisation de Vincent Benard.

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