Politique française : le Facebook des ignares

Comment la déliquescence de l’Education Nationale a provoqué l’avènement d’une classe politique d’ignares.

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Politique française : le Facebook des ignares

Publié le 27 novembre 2010
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S’il y a bien une institution avec laquelle les forces du progrès bondissant peuvent compter, c’est bien l’Education Nationale ! En effet, plus d’un million de personnes concourent toutes à fournir un savoir et une culture exceptionnels à des millions d’élèves studieux et motivés. Et pour aider cette institution dans cette noble tâche, une avalanche de propositions a récemment déboulé dans l’actualité.

On se souvient que j’avais déjà évoqué l’amusante proposition de suppression complète des notes à l’école primaire, montrant en cela la parfaite application d’une méthode de réduction de problème par dissolution de variables. Il va évidemment de soi que le problème constaté (il devient de plus en plus difficile d’attribuer des notes correctes à des élèves de plus en plus … en difficulté dirons nous) n’est pas résolu par la suppression des notes.

Plus récemment encore, nous découvrons une proposition du ministère d’introduire la philosophie dès la classe de seconde ou à partir de la première.

Remaniement oblige, le nouveau ministre de l’Education devait faire parler de lui. Et quoi de plus efficace que de proposer un truc ou un machin qui bidule un peu le tas de brols ? En clair, peut-on rêver mieux en termes médiatiques qu’une nouvelle réformette sur un détail de l’enseignement prodigué, tout en ne touchant surtout pas à l’absence cruelle de fondamentaux et d’action correspondante pour les asseoir ?

Ne rompant donc en rien avec le paradigme des gouvernements sous Sarkozy qui se résume au paradoxe apparent « L’Agitation Sans Action », Chatel nous emmène donc une nouvelle fois sur les sentiers du bricolage dilatoire qui sent la noisette et le crottin frais, avec un débat parfaitement superflu donc rapidement devenu indispensable.

Débat qui n’a pas manqué de susciter de vibrantes tribunes dans les habituelles productions de presse française, comme Le Monde, qui nous propose donc un impensable charabia à ce sujet.

Et voilà la discussion lancée !

stop sotp

Faut-il ou pas introduire la philosophie dès la seconde ? Peut-être en Quatrième ? La sixième serait-elle envisageable ? Kant au CP, cela ne vaut-il pas le coup d’y penser ?

Pendant que les féconds penseurs du haut management de l’Education Nationale se pencheront sur le sujet et le pondéreront pendant quelques mois, nous pourrons, de notre côté, exercer notre propre talent créatif pour comprendre exactement ce qui a amené cette même institution à redécouvrir une partie de ses effectifs.

Eh oui : pendant qu’on se tâtouille mollement en hauts lieux pour savoir s’il faudrait de la philo au Brevet, les comptables découvrent plus de vingt-mille salariés discrètement planqués sous un tapis de chiffres divers. On reste consterné du détachement et du calme avec lequel cette information aura été traité dans la presse : rien, ou presque. Une entreprise normalement gérée ne peut qu’assez rarement se permettre une approximation de sa masse salariale sur plus de vingt-mille personnes. Avec l’EdNat, c’est possible.

En réalité, ceci est la parfaite illustration d’une tendance lourde de la société française, vue depuis les médias et les politiciens : il n’y a plus guère que quelques illuminés, une poignée de fanatiques de l’optimisme béat, pour ne pas admettre que le niveau d’instruction général est en baisse constante, et que la médiocrité parvient maintenant jusqu’aux plus hautes sphères de l’état.

Je passerai pudiquement sur les performances lexicales du Président, c’est d’une telle banalité de nos jours que plus personne n’y fait réellement attention. Le fait est, au-delà, que les ministres, les secrétaires, les hauts-fonctionnaires et, finalement, toute la hiérarchie administrative, ainsi que la presse en général, tous font les frais de cette dégringolade affolante du niveau d’instruction.

Je ne parle pas ici de culture, mais bien de savoirs de base.

L’écrasante majorité des politiciens, et l’écrasante majorité des journalistes généralistes qui les écoutent et qui leur servent de relais n’ont plus depuis longtemps le bagage minimum pour comprendre le monde dans lequel ils évoluent. Nous sommes très loin de la simple constatation que, par exemple, « les politiciens ne comprennent rien à la finance » ou, comme lu récemment, ne comprennent rien aux marchés.

En fait, le constat est sans équivoque : la plupart ne savent même plus compter. La règle de trois n’est plus maîtrisée, l’économie est un vaste champ en friche où les sophismes les plus atterrants se succèdent aux erreurs de raisonnements les plus grossières, les principes de base de la physique ou de la chimie en deviennent inaccessibles, et, par là, tout le reste se ferme à nos élites.

C’est logique, du reste : cette élite fut elle-même formée par cette éducation nationale qui, par exemple, n’arrive plus à enseigner les mathématiques aux collégiens.

Nous n’avons plus que d’aimables babillards surentraînés à manier leur langue pour construire des phrases volontairement confuses où le sens général se noie dans des considérations parallèles futiles. La politique française aura permis l’émergence d’une race prodigieusement douée à créer des réseaux relationnels touffus, où le renvoi d’ascenseur et la connivence sont érigés en art de vivre ; si la France était internet, les politiciens seraient Facebook et Twitter : contenu à peu près vide, mais relations permanentes ponctuées de LoL, Ptdr et de #FAIL. Tout n’y est plus que recherche d’un optimum publicitaire, dans lequel il s’agira, avec l’argent des contribuables, de tout faire pour amener à soi un maximum de followers (i.e. électeurs).

On ne saura, finalement, plus faire d’additions et de soustractions, on n’aura aucune idée de comment gérer le bazar, d’où il va et à quel vitesse, mais on s’en fichera bien : il s’agira de faire du buzz.

Et pour ce dernier, on pourra par exemple faire subventionner généreusement des rappeurs agressifs par la ville de Bordeaux (Alain Juppé, repris de justice, si tu me lis, total respect), et leur laisser proposer de nouvelles aventures commerciales en ventes d’herbes exotiques ou de l’import/export en moyen d’auto-défense à base de plomb.

Martine perd son temps sur Facebook

L’instruction fournie à l’école, c’est la base indispensable à toutes les générations pour se comprendre, pour édifier effectivement une société qui fonctionne.

Par le jeu incessant de l’incurie complète des politiciens, de l’instrumentalisation politique constante des élèves par une frange de personnes qu’on répugne à appeler enseignants, par le travail de sape méthodique d’une catégorie de pédagogues débiles, on a réussi à créer des générations d’individus qui, au mieux, poussent des ignares au pouvoir, ou, au pire, se positionnent eux-mêmes pour y accéder.

Ce pays est foutu.
—-
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  • Beau billet, en effet, malheureusement. Et le pire, c'est que ce n'est pas que chez nous. Un exemple qui fait pleurer : cette semaine, un journaliste scientifique de The Economist (il y a dix ans, j'aurais cru, un gars balaise en journalisme et en science), dans un article sur l'obésité, nous explique que, parmi ses causes, il y a (devinez ; si si devinez, on peut trouver ; la cause de tout et tout ; il n'aurait pas osé quand même? Et si, il a osé) le changement climatique.

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Les auteurs : Nathalie Sayac est Professeure des universités en didactique des mathématiques, directrice de l’Inspe de Normandie Rouen-Le Havre, Université de Rouen Normandie. Eric Mounier est Maitre de Conférences en didactique des mathématiques, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC).

 

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