Pourquoi les catholiques ne comprennent pas l’économie

Ce problème ne s’applique qu’aux catholiques modernes

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Saint Pierre de Rome (Crédits Erwann, licence Creative Commons)

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Pourquoi les catholiques ne comprennent pas l’économie

Publié le 11 novembre 2010
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De trop nombreux catholiques refusent de comprendre l’économie, car ils croient que les biens marchands sont illimités, comme les biens spirituels. Selon Jeffrey Tucker, ils ne comprennent pas le problème de la rareté.

Il y a toujours plus de biens souhaités que de biens disponibles. Il faut donc un moyen de répartir ces biens qui ont de multiples usages et utilisateurs potentiels. Il y a près de sept milliards de bouches à nourrir dans le monde, et c’est pourquoi nous avons besoin de la propriété privée et des prix, de la production, de l’investissement et du commerce.

S’il y avait suffisamment de biens pour tout le monde, il n’y aurait aucun problème économique à résoudre. Or, le choix de l’utilisation et de la répartition des biens rares peut se faire de deux manières et deux manières seulement : par l’échange sur un marché libre ou par l’économie dirigée. Il n’y a pas de troisième voie, contrairement à ce qu’avait imaginé une partie du catholicisme social du XIXe et du XXesiècle.

Jean-Paul II puis Benoît XVI ont fait beaucoup pour comprendre l’économie et il n’y a rien dans leurs encycliques sociales qui soit contraire à la science économique. La doctrine sociale de l’Église, selon Jean-Paul II, « n’est pas une troisième voie entre le capitalisme libéral et le collectivisme marxiste, ni une autre possibilité parmi des systèmes moins radicalement marqués » mais « une catégorie en soi dans l’engagement de chacun pour la justice. » (Sollicitudo rei societatis 1991).

Par Jeffrey Tucker

Pendant des années je me suis demandé pourquoi les catholiques ont tant de difficulté à s’entendre avec l’économie. Ce problème ne s’applique qu’aux catholiques modernes, car ce furent les catholiques de l’Espagne du XVe et du XVIe siècle qui systématisèrent la discipline au départ. C’était il y a bien longtemps.

Aujourd’hui, la majorité des écrits sur l’économie en milieux catholiques fait mal à lire. À gauche comme à droite, le défaut est susceptible d’apparaître au sein des publications « progressistes » comme des « traditionalistes ». Dans les livres, le problème est tellement répandu qu’il est difficile de commenter la dernière production.

Ce n’est pas seulement que les écrivains, aussi réfléchis qu’ils puissent être par ailleurs sur toutes les questions de foi et de morale, ne savent rien de la théorie économique. Le problème est encore plus fondamental : la tendance répandue est de nier la validité de la science elle-même. Elle est traitée comme une sorte de pseudo-science inventée pour contrecarrer les résultats de la justice sociale ou la réalisation parfaitement morale de l’utopie catholique. Ils rejettent ainsi la discipline tout entière comme simpliste et peut-être même mauvaise, maligne. C’est presque comme si le sujet tout entier était hors de leur champ de vision intellectuelle.

J’ai ce que je pense être une nouvelle théorie sur la persistance de cette situation.

Ceux qui vivent et travaillent principalement en milieu catholique traitent de biens d’une nature spirituelle. Ces sont des biens comme le salut, l’intercession des saints, les prières, par nature infiniment reproductibles, des textes, images et chansons, tous des biens non rares dont la nature ne nécessite aucun rationnement ou allocation, aucun choix quant à leur répartition.

Aucun de ces produits n’occupe d’espace physique. On peut en faire un nombre infini de copies. Ils peuvent être utilisés sans déplacer les autres. Ils ne se déprécient pas avec le temps. Leur intégrité demeure intacte, peu importe combien de fois ils sont utilisés. Ainsi, il n’est pas nécessaire d’en faire des objets de l’économie. Pour cette raison, il n’y a besoin d’aucune norme de propriété envers leur utilisation. Il n’est pas besoin de leur donner un prix. Ils ne posent aucun problème d’allocation rationnelle. Ils sont ce que les économistes appellent des « biens libres ».

Pour qui existe, vit et pense essentiellement dans le royaume des biens abondants, les problèmes liés à la rareté – le domaine de l’économie – sera toujours insaisissable. Certes, il peut paraître étrange de considérer des choses telles que la grâce, les idées, les prières, et les images comme des marchandises, mais ce terme désigne simplement quelque objet souhaité par les individus. Il y a aussi des choses que nous pourrions qualifier de non-produits, des choses dont personne ne veut. Ce n’est donc pas vraiment un sujet de controverse que d’utiliser ce terme.

Ce qui mérite vraiment une explication, c’est la définition de la prière, de la grâce, du texte, des images et de la musique comme des produits non-rares qui ne seraient l’objet d’aucune logique économique.

Laissons ce débat un instant pour revenir sur la différence entre les biens rares et les biens non rares.

Le terme de rareté ne fait pas précisément référence aux quantités de marchandises existant. Il se réfère à la relation entre le nombre de ces produits disponibles par rapport à la demande de biens. Si le nombre disponible à un prix de zéro est inférieur au nombre de ceux qui les veulent pour quelque raison que ce soit, ils peuvent être considérés comme des biens rares.

Cela signifie qu’il y a une limite au nombre qui peut être distribué, face au nombre de personnes qui les souhaitent.

La rareté est la caractéristique du monde matériel, un fait incontournable qui donne lieu à l’économie.

Tant que nous vivrons dans cette vallée de larmes, il n’y aura pas de paradis. Il y aura moins de tout ce que serait utilisé si tous les biens étaient surabondants. C’est vrai indépendamment d’une société prospère ou pauvre. Dans la mesure où les choses matérielles sont limitées, elles doivent être distribuées via quelque système rationnel – pas un système conçu par quelque personne, mais qui se dégage dans le cours de l’échange, de la production et de « l’économisation » (NdT : « economization » : processus sujet à la logique économique).

C’est le cœur du problème que la science économique a pour objet de traiter. Il est presque impossible d’imaginer un bien limité qui soit non-rare. Nous pouvons tout au plus imaginer un scénario, telles deux personnes vivant au paradis, entourées par un océan de bananes. Dans ce cas, les bananes seraient un bien non-rare. Les bananes peuvent être mangées et mangées éternellement, à condition de ne pas se gâter. Autre condition, il faut qu’il n’y ait pas de libre échange entre ce paradis et le reste du monde, sinon un des habitants pourrait avoir l’idée lumineuse d’un arbitrage entre les bananes non limitées dans le paradis et les bananes rares partout ailleurs. Dans ce cas, les bananes feraient vite l’objet d’un prix, et devraient donc être appelées des biens rares, et non des biens non-limités. Dans le monde réel, en dehors du paradis de la banane, les biens non-rares sont d’une nature particulière. Comme caractéristique, ils sont généralement reproductibles sans limite, comme les fichiers numériques ou l’inspiration qu’on reçoit d’une icône et qui peut être copiée sans limite.

À titre d’exemple, considérons le cas des pains et des poissons, un incident dans la vie de Jésus rapporté par les auteurs des quatre Évangiles. Jésus parle à la foule, et le public se met à avoir faim. Les apôtres n’ont que cinq pains et deux poissons : ce sont là des biens rares. Ils auraient pu les jeter en l’air et ainsi provoquer une émeute où chacun lutte pour obtenir le plus de nourriture. Ils auraient pu ouvrir un marché pour leur vendre la nourriture à un prix très élevé, les rationnant par des moyens économiques. Les deux solutions auraient produit des résultats scandaleux.

Au lieu de cela, Jésus eut une idée différente. Il changea les rares aliments en biens non-limités en faisant des copies de la nourriture rare. La multitude mangea et tous furent rassasiés. Ensuite, la nourriture évidemment devint un bien rare, puisque l’histoire se termine avec Jésus demandant à ses disciples de recueillir les restes. Pourquoi recueillir ce qui est non-rare ? De toute évidence, le miracle eu un commencement et une fin.

L’histoire illustre bien la différence entre un bien rare et un bien non limité. Jésus a souvent utilisé cette distinction dans ses paraboles, qui sont pour la plupart des histoires sur le monde dit rare afin d’attirer l’attention sur les vérités du monde non-rare. Pensez au marchand qui a acheté des perles à bas prix et les a vendues à un prix élevé. Un jour, il trouva la perle de la valeur la plus élevée possible, et il vendit tout ce qu’il avait pour l’acheter et la tenir. La perle, bien sûr, représente le salut et l’amour de Dieu – des marchandises non-rares, parce qu’il y en a assez pour tous ceux qui les désirent.

Nous sommes en effet entourés chaque jour par des biens non rares exactement comme les pains et les poissons. Toutes les idées sont de cette nature. Une idée peut me venir et je peux la partager avec vous. Vous pouvez la posséder, mais par cela, vous ne me la prenez pas. Au contraire, vous en détenez une réplique – tout aussi réelle et intacte que la version originale. Les mots sont de cette nature : je n’ai pas besoin de les trier afin d’en économiser certains pour moi. Les airs de musique sont aussi de cette nature. Je peux chanter une chanson pour vous, et vous pouvez la répéter, mais cette action ne supprime pas l’air de ma mémoire. Une copie parfaite est faite, et peut être faite et faite encore une fois, à l’infini.

C’est complètement différent de la façon dont les choses fonctionnent dans le domaine des biens rares. Disons que vous aimez mes chaussures et les voulez. Si vous me les prenez, je ne les ai plus. Si je les veux à nouveau, je dois vous les reprendre. Il y a une rivalité à somme nulle sur ces produits. Cela signifie qu’il doit y avoir une sorte de système pour décider qui peut les posséder. Déclarer qu’il devrait y avoir quelque chose appelé socialisme pour mes chaussures de telle sorte que l’ensemble de la société puisse d’une certaine façon les posséder, ne signifie absolument rien. Dans les faits, il est impossible que cela se produise, parce que les chaussures constituent un bien rare. C’est pourquoi le socialisme n’est que pure imagination, un rêve dénué de sens en ce qui concerne les biens rares.

La différence entre biens rares et biens non-rares a été remarquée depuis longtemps dans le milieu chrétien. Saint Augustin fut une fois au défi d’expliquer comment il se peut que Jésus puisse parler au nom du Père du ciel bien que le Père et lui soient distincts. Il répondit que les mots ont une nature particulière non-rare, telle que le Fils peut prononcer les mêmes mots et posséder les mêmes pensées que le Père. « Cela est vrai sur terre aussi » continuait Augustin :

Les mots que je prononce pénètrent vos sens, de sorte que chaque auditeur les retient, sans pourtant les tenir d’un autre […] Je n’ai aucune inquiétude que, en donnant tout à l’un, les autres en soient privés. J’espère, au contraire, que tout le monde en profitera, de sorte que, sans nier personne, vous prendrez tout pour vous-mêmes, tout en laissant tout pour tous les autres.

En disant cela, Augustin établissait et prolongeait à la fois une tradition qui interdisait l’achat et la vente de choses non-rares. Le Code juif halakhique interdit à un rabbin ou un enseignant de profiter de la diffusion des connaissances de la Torah. Il peut facturer son temps passé, l’utilisation d’un bâtiment, les livres, et ainsi de suite, mais pas le savoir lui-même. La Torah est censée être un « bien gratuit » et accessible à tous. De cette idée vient également l’interdiction de la simonie au sein du christianisme.

La norme morale est que les biens non-limités devraient être libres.

Il n’y a pas de limite physique à leur répartition. Il n’y a pas de conflit envers leur propriété. Ils ne seraient pas soumis au rationnement. Cela ne s’applique pas aux biens matériels.

Pour mieux comprendre cela, nous allons essayer un autre scénario dans lequel une chose non-rare telle que le salut (non-rare, car infiniment reproductible) serait en fait un bien rare devant être rationné.

Posons que Jésus n’avait pas offert le salut à tous, mais au contraire avait limité le nombre d’unités de salut à 1000 exactement. Il aurait ensuite chargé ses apôtres de l’attribution de ces unités. (quand j’évoquais ceci à un de mes amis non-croyant, il me répondit : « Tu veux dire comme des billets pour le paradis ? J’en ai acheté cinq dans une mosquée à Istanbul ! »)

Les apôtres auraient immédiatement été confrontés à un grave problème. Souhaiteraient-ils leur donner toutes les unités immédiatement, ou les dispenser au cours d’une année, ou sur dix ans ? Peut-être soupçonnaient-ils que le monde durerait encore 100 ans ; ils pourraient alors limiter la distribution des unités de salut à seulement une dizaine par an. Ou peut-être leur serait-il nécessaire de les réserver pour durer sur 1000 ans. Quoiqu’il en soit, il leur faudrait disposer de règles et normes régissant la façon dont les unités de salut sont distribués. Peut-être cela serait-il basé sur des indices affichés de vertu personnelle, sur un paiement monétaire, sur la lignée familiale, ou autre, ainsi de suite.

Peu importent les résultats, l’histoire du christianisme aurait été très différente si Jésus n’avait pas fait du salut un bien non-rare, mais en avait limité l’offre et chargé l’Église de son attribution. La propagation de l’Évangile n’aurait connu aucune liberté. Personne n’aurait eu l’idée d’aller jusqu’au bout de la Terre ou de devenir pêcheurs d’hommes. Sous le joug d’un approvisionnement limité, le salut n’aurait pu être reproduit. Si, par exemple, les apôtres avaient choisi de sauver une 1001e personne, la vie éternelle aurait du être retirée à la première personne choisie.

Cela peut paraître absurde et même effrayant, mais c’est précisément la situation qui persiste envers tous les biens matériels dans le monde réel.

Toutes les choses rares sont fixées en nombre, et toutes ces choses doivent être attribuées. Même dans des conditions de forte croissance économique et de progrès technologiques rapides, tous les produits existant à tout moment sont limités et ne peuvent être distribués sans norme ou sans droits de propriété, sauf à finir par une guerre de tous contre tous. Le temps constitue un autre facteur de production rare, et celui-ci aussi doit être attribué par quelque moyen.

En l’occurrence, le salut est en effet un bien non-rare à la disposition de tous ceux qui le recherchent. Les intercessions des saints sont dans ce cas. Nul n’échoue à demander l’intercession d’un saint, mais on ne sait pertinemment si quelqu’un d’autre a recours à tel saint en ce moment. Non, nous supposons à juste titre que les saints ne connaissent pas de limites de temps pour leurs prières. En effet, l’absence de limite au salut constitue le prototype de toutes les formes de biens non rares comme la musique, les textes, les images, et les enseignements.

Mais quid de ceux qui ont consacré leur vie à une œuvre sur ces biens non rares ?

On peut facilement imaginer qu’ils trouvent un immense pouvoir et une grande gloire dans ces biens. C’est exactement ce que je crois. Ce sont là les choses auxquelles tous les religieux ont consacré leurs vies. Et ce qui est réellement fantastique, c’est que sans biens non rares, l’ensemble de la civilisation retournerait au niveau animal.

Pour autant, le monde n’est pas seulement constitué de biens non rares. Le problème économique traite de la question des biens rares. Et c’est tout aussi important à l’épanouissement de la vie sur Terre. Toutes les choses finies sont soumises aux lois économiques. Nous ne pouvons pas les ignorer, ni ignorer les systèmes de pensée qui cherchent à expliquer leur production et leur distribution. Notez que les paraboles de Jésus portent sur ces deux domaines.

Et donc, nous devrions tous faire de même.

 

Auteur : Jeffrey Tucker. Article publié sur Insidecatholic.com et Lewrockwell.com

Jeffrey Tucker est le vice-président éditorial du Mises Institute. Il est l’auteur de Bourbon for Breakfast: Living Outside the Statist Quo.

Traduction : Stéphane Geyres, Institut Coppet.

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