Foreclosuregate, conséquence du dirigisme

La crise nous montre qu’il ne faut pas augmenter mais diminuer l’emprise de l’État sur l’économie

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
Foreclosure (crédits Taber Andrew Bain, licence Creative Commons)

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Foreclosuregate, conséquence du dirigisme

Publié le 25 octobre 2010
- A +

Le scandale du ForeclosureGate, qui est très probablement révélateur d’une économie de la fraude quasi généralisée, laquelle a sans doute engendré la plus grande crise économique depuis 1929, pose de sérieuses questions à un analyste politique libéral. L’on ne peut s’empêcher d’être effondré devant l’ampleur des malversations, fraudes et incompétences commises durant les années bulle par les banques américaines.

Pour beaucoup, la cause est entendue : «Le Foreclosure Gate, c’est la faute de la cupidité des capitalistes, et de l’absence de régulation – À bas le libéralisme ! Il faut plus d’État, plus de règles ! »…

Ce postulat ne résiste pas à une analyse à froid. Voyons pourquoi.

 

Libéralisme = Liberté + responsabilité

Le mot régulation – et son contraire, dérégulation, sont associés à tout et n’importe quoi. Notamment, le libéralisme est souvent assimilé à l’absence de régulation. Quelle erreur !

La doctrine libérale suppose que les individus soient à la fois libres et responsables, ce qui signifie qu’ils sont comptables des conséquences de leurs fautes.

Ce principe se décline en matière économique : l’individu est libre d’entreprendre et de s’enrichir, sous réserve que d’une part, il n’obtienne rien d’autrui par coercition ou tromperie (qu’il soit honnête) ; d’autre part, s’il perd, il assume les pertes (qu’il soit responsable de ses actes).

Par conséquent, dans cette vision libérale, l’État ne doit intervenir que lorsque certains, par erreur ou malhonnêteté, ont causé un préjudice à un tiers.

Dans cette conception, l’État doit procéder en priorité aux diligences suivantes :

  • arbitrer les conflits civils qui ne se résolvent pas à l’amiable
  • punir les crimes et autres actes crapuleux
  • arbitrer les situations de faillite, celles où une personne, une entreprise, ne peut, de bonne foi, tenir ses engagements, parce qu’elle s’est trompée sur son évaluation de l’avenir

 

Ces trois fonctions sont absolument essentielles pour que la société et l’économie fonctionnent harmonieusement. Elles sont l’essence de la régulation, au sens de la correction des désordres consécutifs aux erreurs et fraudes.

Donc, dans cette conception libérale du droit, pour que la fonction de régulation des sociétés fonctionne bien, il faut à la fois :

  • Une législation de bonne qualité, permettant de résoudre les problèmes dans le cadre du respect des droits de propriété.
  • Un législateur de bonne qualité, ayant la volonté de résoudre les problèmes dans ce même cadre.

 

Dérégulation ou démission du régulateur ?

Or, le ForeclosureGate révèle à quel point la fonction régulatrice de l’État telle que décrite ci-dessus a été passablement absente aux USA depuis plusieurs décennies.

Citons, pêle-mêle :

– Une liste impressionnante de sauvetages avec l’argent du contribuable d’institutions financières déficientes, n’incitant guère les autres à se corriger

– Une législation du crédit immobilier totalement pervertie par la volonté de constructivisme social de l’État américain, lequel, à partir de 1992, a demandé aux banques de prêter à des ménages qui auraient été auparavant insolvables, et a ensuite cédé à toutes les demandes législatives des banques résultant de cette obligation : droit de titriser tout et n’importe quoi, d’user de structures législatives byzantines pour échapper à l’impôt, garanties publiques sur certaines institutions financières, etc.

– Pire encore, une totale démission (complicité ?) de l’État régalien devant la répétition de fraudes avérées portées à sa connaissance, et n’ayant entrainé que des suites marginales encore aujourd’hui.

 

Démission complice du régulateur

Sur ce dernier point, citons seulement, liste non exhaustive :

À la fin des années 1990, le secrétaire au Logement Andrew Cuomo a fait valider par le Congrès des montages financiers scabreux initiés par Fannie Mae et Freddie Mac, entreprises privées mais à statut spécial (GSE) sous tutelle du département du Logement, permettant de masquer aux investisseurs le niveau réel de risques pris par les deux sociétés.

Dès le début des années 2000, l’association des experts en évaluations immobilières s’est plaint plusieurs fois aux régulateurs des pressions exercées par les banquiers et les agents immobiliers. Réactions de justice ? Sporadiques.

En 2004, le FBI a publié un rapport accablant sur la fraude aux crédits hypothécaires, notant une croissance rapide des cas d’estimations gonflées et d’embrouillage des emprunteurs. Réaction du pouvoir en place ? Un certain volontarisme dans l’attentisme, dirons-nous.

-Cette même année, Franklin Delano Raines, PDG de Fannie Mae, est accusé d’avoir truqué les comptes de son entreprise, pourtant sous tutelle prétendûment rigoureuse du département du Logement (HUD), pour gonfler ses bonus et ceux de ses cadres. Réactions du Congrès : une courte majorité bloque toute réforme de Fannie Mae et Freddie Mac, qui ont dépensé 170 millions de dollars de lobbying pour ce résultat. Franklin Raines doit démissionner, avec un parachute doré, mais ne subira aucune poursuite.

Le sauvetage d’AIG par le contribuable américain a fait apparaître que la FED de New York, dirigée à l’époque par un certain Tim Geithner, aujourd’hui secrétaire aux Finances, a négocié des termes de remboursement de certains créanciers (comme Goldman Sachs) incroyablement avantageux, et qu’un de ses vice-gouverneurs a empoché une plus-value de 5 millions de dollars laissant supposer un délit d’initié. Aucune poursuite à ce jour, malgré l’étonnement public de certains parlementaires.

 

Pourquoi le régulateur américain s’est-il à ce point couché ?

À partir du moment où Fannie Mae et Freddie Mac, en 1992, ont vu leur mission changée, du refinancement des emprunteurs solvables (avant 1992) à celui des emprunteurs peu solvables (après), ils ont été en position de force pour exiger du législateur des contreparties leur permettant de gérer le risque induit, voire d’en tirer profit. En outre, l’objectif politique de la propriété pour tous porté par nombre de politiciens a justifié toutes les compromissions du Congrès, exploitées par ces deux entités.

Mais il serait abusif de faire porter le chapeau aux deux seules Fannie et Freddie. Autour de ces deux acteurs se sont greffés des vautours, dont le symbole le plus emblématique est l’ex fondateur et PDG de Countrywide, Angelo Mozilo, qui a amassé plus de 400 millions de dollars de plus-value en revendant ses actions, juste avant d’annoncer les pertes réelles de sa banque, qui allaient la conduire à la faillite. Bilan judiciaire : 67 millions d’amende et zéro année de prison. Jérôme Kerviel doit se dire qu’il aurait dû être Américain.

L’écosystème frauduleux du ForeclosureGate s’est mis en place avec la bénédiction des régulateurs, car les outils utilisés pour mener à bien l’escroquerie étaient ceux dont se servaient Fannie Mae, Freddie Mac, et quelques banques privées, pour donner l’illusion aux politiques que tout cela concourrait à permettre aux plus pauvres d’accéder à la propriété. Toute menace judiciaire contre cette fraud économy était présentée comme une menace contre l’accès au rêve américain des familles modestes.

Ajoutons à cela que les lobbys financiers ont copieusement arrosé les budgets de campagne des parlementaires américains, ce qui n’a pas poussé tous les congressmen à se montrer trop regardants sur les préparations en arrière-cuisine.

L’État américain s’est plus que couché, il s’est compromis avec l’élite financière, qui en a tiré parti de la pire des façons qui soit.

Cette crise n’est pas celle de la dérégulation, elle est celle de la corégulation de l’économie entre gouvernements et financiers, au nom des objectifs dits sociaux du gouvernement.

 

Organiser la séparation du capitalisme et de l’État

La cupidité a toujours existé, mais ses excès, propres à la nature humaine, n’ont jamais à ce point mis en danger les fondements de l’économie.

L’État régalien a toujours eu pour objet de sanctionner, et par là même de dissuader et de réparer les effets de l’excès de cupidité lorsqu’ils mènent à la faillite ou à la fraude. Mais lorsqu’il prétend rééquilibrer les inévitables imperfections – l’homme est lui même imparfait– des sociétés libres et responsables, il crée de nouvelles imperfections dont les effets tendent à surpasser les bénéfices de son intervention.

Plus d’État ? Oui, si il s’agit d’un retour aux commandes d’un État régalien d’abord préoccupé de justice civile et pénale.

Non, s’il s’agit de tordre le bras et la colonne vertébrale de l’économie au nom de l’action sociale, qu’il convient de laisser à la société civile, car alors les interférences rendues nécessaires entre les États et les grandes puissances financières mettront toujours ces dernières en position de capturer le régulateur.

Pour que l’État régalien soit efficace, nul besoin d’opposer à la finance ou aux entreprises des tombereaux de textes, comme c’est le cas actuellement. Des lois simples qui s’en tiennent à l’énoncé de principes clairs (honnêteté, responsabilité), et qui se bornent à organiser la transparence de la vie économique et à gérer correctement les faillites, sans prétendre savoir mieux que les professionnels comment ils doivent faire leur métier (accords de Bâle, Glass Steagall act, etc.), sont plus faciles à faire respecter et plus effectives que des centaines de milliers d’alinéas où le juriste trouvera toujours une faille pour respecter la lettre de la loi tout en en détournant l’esprit.

La crise actuelle nous montre qu’il ne faut pas augmenter, mais au contraire diminuer l’emprise de l’État sur la vie économique quotidienne. Il faut lui supprimer les pouvoirs d’aider, subventionner, sauver, réglementer ou se substituer à la concurrence privée, pour lui redonner la force d’exercer ses prérogatives régaliennes dont il s’est, hélas, éloigné.

—–

Pour approfondir :

Foreclosuregate, le meilleur de la saga : IV (synthèse), V (enjeux juridiques), VI (l’escroquerie sous-jacente)

Autres éléments cités par l’article :

Rôle de Fannie Mae et Freddie Mac dans la crise

Le sauvetage d’AIG, un cas pratique de capitalisme corrompu par l’état

Pourquoi la législation financière étatique est condamnée à échouer

Les inévitables effets pervers de l’action publique

L’intervention de l’état dans la sphère financière est un fiasco

La faillite, seul outil efficace de régulation du système financier

Moraliser l’étatisme, agent infectieux du capitalisme

Rendons à la social-bourgeoisie ce qui n’appartient pas au libéralisme

Régulation financière, le rôle hélas oublié de l’état régalien

Un article repris d’Objectif Eco avec l’aimable autorisation de Vincent Benard.

Voir les commentaires (5)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (5)
  • Si dans le libéralisme, il y a la notion de responsabilité, vous ne pouvez pas rejeter la faute unilatéralement sur l’État, à moins de nier la responsabilité des acteurs qui ont pris des décisions telles que les fraudes constatées dans les procédures d’expulsion. En somme, votre propos revient à dire que l’État est responsable des dégâts de l’avidité d’individus supposés responsables, et qui donc ont à rendre compte en tant qu’agents libres des décisions illégales qu’ils ont prises : par définition du libéralisme, ils en sont responsables, même si cette responsabilité est partagée avec celle de l’État. S’ils n’en sont pas responsables, ils ne sont pas libres, et donc ce n’est plus du libéralisme.

  • Avez-vous lu l'article ? Le rôle de l'Etat, je cite, est entre autres de "punir les crimes et autres actes crapuleux". Les banques qui ont massivement fraudé doivent être punies, évidemment.

  • Et donc le foclesure gate est la conséquences de l’avidité des capitalistes… réfutant ainsi ce que l’article prétendait démontrer…

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Un article de l'IREF.

En janvier dernier, dans un entretien accordé au Journal du Dimanche, le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, annonçait la fin du « quoi qu’il en coûte ».

L’examen parlementaire en cours des projets de loi de finances de fin de gestion pour 2023, et de loi de finances pour 2024 montrent à l’inverse que, loin d’être fini, le « quoi qu’il en coûte » se poursuit. Et ce en dépit d’un goulet d’étranglement appelé à se resserrer du fait de l’aggravation de la charge de la dette dans les prochai... Poursuivre la lecture

Les profits exceptionnels réalisés par les banques, en particulier américaines, posent de réelles questions. La voie commode de la taxation leur apporte de fausses réponses.

 

Une économie sous influence

Le vocabulaire employé est un signe parlant de l’inquiétude que suscite outre-Atlantique la concentration du pouvoir financier aux mains d’un nombre très restreint de très gros établissements.

Les huit premiers d’entre eux sont couramment qualifiés par les médias de « seigneurs de Wall Street » mais aussi de « géants... Poursuivre la lecture

Paris
1
Sauvegarder cet article

Par Philbert Carbon. Un article de l'Iref France

 

L’une des conséquences du brexit est que les entreprises du secteur bancaire britannique ne détiennent plus le « passeport financier » qui leur permettait d’offrir leurs services partout dans l’Union européenne (UE). Si elles veulent continuer d’y opérer, elles doivent s’y installer. Amsterdam, Dublin, Francfort, Luxembourg et Paris se disputent l’implantation des établissements et de leur personnel. Paris semble être la plus attractive. Comment a-t-elle fait ?

Ces d... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles