La république qui avait un roi

« Rex regnat et non gubernat »

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La république qui avait un roi

Publié le 30 septembre 2010
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« Si Nous faisions quoi que ce soit (que Dieu l’empêche) contre les lois, libertés, privilèges et coutumes, Nous déclarons que tous les citoyens des deux nations sont libérés de leur obligation d’obéissance et de leur foi envers Nous. »

« Król panuje, nie rządzi ». Telle est la traduction polonaise d’une phrase latine – « Rex regnat et non gubernat » – prononcée il y a plus de 400 ans par Jan Zamoyski, grand chancelier d’un des États les plus singuliers de l’histoire européenne : la République des Deux Nations (Rzeczpospolita Obojga Narodów), fondée 1er juillet 1569 avec l’Union de Lublin entre le Royaume de Pologne et le Grand duché de Lituanie. Ce fut-là une nation très particulière et un des plus grands et populeux États européens, une puissance de premier ordre qui perdurera plus de deux siècles, avant de disparaître, après un long déclin, lors de la dernière partition de la Pologne en 1795.

L’idée qu’« un roi règne mais ne gouverne pas » est aujourd’hui une forme habituelle pour rendre compte des actuelles monarchies démocratiques ; mais à l’époque, il s’agissait d’un concept révolutionnaire. Comme était tout aussi inhabituelle la manière qu’avait cette république de limiter l’autorité du monarque, à savoir une « démocratie des nobles », présidée par le concept de « Liberté dorée » (Złota Wolność) qui signifiait non seulement une large autonomie et toutes sortes de privilèges, mais se traduisait également par une série de libertés pour le peuple qui n’avait pas d’équivalent dans la plupart des pays de l’époque.

Bien que le système fût très déficitaire en termes démocratiques par rapport à nos standards contemporains, il était très en avance sur les autres systèmes de l’époque connaissant un embryon de représentativité, et même de systèmes postérieurs. Pour se faire une idée : tandis que dans la République des Deux Nations 10% de la population – connu sous le nom de szlachta – avait le droit de vote, seul 1% de la population jouissait de ce même droit sous la Monarchie de Juillet (1830-1848) et seulement 3% au Royaume-Uni à une date aussi tardive que 1867. À cela, il faut ajouter ajouter le fait que les szlachta élisaient non seulement la Diète polonaise (Sejm) mais également le roi, puisque la monarchie était élective. De plus, le roi voyait ses compétences très limitées : il ne pouvait créer de nouveaux impôts, ni ordonner de levée en masse, ni déclarer la guerre ou la paix sans l’approbation de la Diète.

Un autre caractère plaisant de la République des Deux Nations était sa tolérance religieuse exceptionnelle pour l’époque. En ce temps, comme aujourd’hui, la Pologne et la Lituanie étaient deux nations profondément catholiques, mais y vivaient d’importantes minorités religieuses (orthodoxe, luthérienne, juive et musulmane). La République des Deux Nations fut de fait un des rares endroits de l’Europe où vécurent relativement en paix les communautés des différentes religions qui se déchiraient entre elles partout ailleurs en Europe et autour du bassin méditerranéen.

Le cas des Juifs est particulièrement éclairant : après avoir été successivement chassés de France (1182), d’Angleterre (1290), d’Autriche (1421), d’Espagne (1492), de Sicile (1492), de la Lituanie elle-même (1495), du Portugal (1497), de la Navarre (1498), les Juifs trouveront refuge au sein de la République des Deux Nations jusqu’à la disparition de cette dernière. Ce particulier État comptera ainsi la plus grande communauté juive du Vieux Continent : aux alentours de 1550, 80% des Juifs du monde vivaient en Pologne.

Mais le plus insolite du système politique régissant la République des Deux Nations résidait dans un droit qui n’existe même pas dans nos démocraties modernes. Au moment de son investiture, le roi devait signer un contrat, les fameux Articles du roi Henri (Artykuły henrykowskie) – connus sous ce nom pour avoir été signés la première fois par Henri de Valois, futur Henri III de France. Ainsi, au lieu du pseudo « Contrat social » qui serait le fondement de nos démocraties modernes et qui obligerait les citoyens, le roi de Pologne, lui, devait signer un vrai contrat qui limitait très fortement ses prérogatives. Ce contrat se composait de 21 articles, dont le dernier indiquait clairement : « Si Nous faisions quoi que ce soit (que Dieu l’empêche) contre les lois, libertés, privilèges et coutumes, Nous déclarons que tous les citoyens des deux nations sont libérés de leur obligation d’obéissance et de leur foi envers Nous. » Ou, dit d’une autre manière, le monarque reconnaissait, plus de deux siècles avant les Pères fondateurs américains, le droit à la désobéissance et même à la rébellion (rokosz) s’il ne respectait pas ses obligations et les termes de son contrat. Essayez aujourd’hui de faire signer un tel contrat à un politicien élu…

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  • Tout bonnement énorme!

  • C’est aussi à cause de ce système politique que la Pologne s’effondra. Le Roi n’ayant aucune autorité, il était incapable de prendre des décisions importantes dans des délais courts. Le Sénat bloquait régulièrement les prises de décisions, ce qui entraîna la paralysie quasi totale du Royaume face aux menaces extérieures de plus en plus pressantes, notamment aux XVIIè et XVIIIè siècles.

    Bref, ce système politique était « bon » en temps de paix et de prospérité, mais terriblement dangereux en temps de guerre et de troubles.

    • Il me semble que c’est plutôt l’utilisation du Liberum Veto à partir de 1652 et surtout 1669 qui entraîna le déclin. Est ce que ce système politique aurait pu fonctionner sans Liberum Veto?

  • Les commentaires sont fermés.

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Aurélien Duchêne est consultant géopolitique et défense et chroniqueur pour la chaîne LCI, et chargé d'études pour Euro Créative. Auteur de Russie : la prochaine surprise stratégique ? (2021, rééd. Librinova, 2022), il a précocement développé l’hypothèse d’une prochaine invasion de l’Ukraine par la Russie, à une période où ce risque n’était pas encore pris au sérieux dans le débat public. Grand entretien pour Contrepoints par Loup Viallet, rédacteur en chef.

 

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