L’État nuit-il au prestige de la science ?

OPINION : l’idéologie et les pseudo-sciences sont en bonne place dans le marché cognitif. Est-ce à dire que le prestige de la science est sur le déclin ?

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L’État nuit-il au prestige de la science ?

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 2 juillet 2020
- A +

Par Arnaud Demion.

Le sociologue Gérald Bronner fait remarquer que la société est traversée par des mouvements de défiance envers la science, en particulier pendant les périodes de crises où les complotistes saturent les réseaux sociaux de leur prose pour gagner du terrain idéologique.

Par exemple, les anti-vaccins sont paradoxalement particulièrement actifs pendant les épidémies et les pandémies et profitent que l’attention générale soit centrée sur les questions de santé pour propager leurs idées.

Mais la désinformation scientifique ne s’arrête pas à la santé, et que ce soit en matière d’écologie, d’énergie, d’agriculture ou encore de sciences fondamentales comme la chimie et la physique, l’idéologie et les pseudo-sciences sont en bonne place dans le marché cognitif. Est-ce à dire que le prestige de la science est sur le déclin ?

Si l’on regarde un peu plus en détail, ce n’est pas tant la science dans son ensemble qui souffre d’une crise de confiance que certains champs d’étude, et même des sujets particuliers au sein de ces derniers.

La science et le coronavirus, à qui faire confiance ?

Pendant la crise du Covid-19 et en matière de santé, les Français semblaient majoritairement faire confiance aux chercheurs et aux professionnels de la santé. Mais comment expliquer dès lors la popularité des « cowboys » de la médecine et de la biologie que sont le professeur Joyeux, le professeur Raoult, ou encore le professeur Séralini ?

Comment expliquer la tendance du grand public à prendre parti sur des questions où la science n’offre pas encore de réponse fiable, faute de données suffisantes ou de modèles robustes ?

La question de la réception des résultats scientifiques auprès du grand public relève de plusieurs problèmes intriqués : l’existence ou non de consensus scientifiques sur des sujets donnés, les intuitions normatives des individus, et la monopolisation de la création du savoir scientifique par l’État.

Les consensus au sein de la communauté scientifique semblent à première vue faciliter l’acceptation des résultats scientifiques. En effet, le consensus scientifique réduit le nombre de théories concurrentes qui percolent vers le profane et favorise de fait la visibilité de la théorie faisant consensus, tout en renforçant mécaniquement le phénomène d’autorité (en termes de compétences dans la division du travail intellectuel) par le nombre de scientifiques qui souscrivent à celui-ci.

Il existe cependant des mécanismes entravant la création et la réception du savoir, et nous proposons ici d’en énumérer deux, qui même s’ils agissent à des niveaux différents, relèvent de la même nature : l’intuition normative et son interaction avec le savoir.

L’influence des intuitions normatives

Les sujets mobilisant le plus facilement les intuitions normatives du public sont les plus susceptibles de rencontrer la défiance. On trouve ainsi beaucoup moins de personnes remettant en question les résultats des lois physiques que les résultats de la psychologie évolutionnaire, car comme l’écrit Vincent Debierre pour Telos « [Là] où notre évolution nous a équipés avec des instincts forts quant à ce qui est juste entre humains, elle ne nous a en rien prédisposé à ressentir de l’approbation ou de l’indignation à propos d’une interaction entre molécules », et cela est valable pour le grand public comme pour les scientifiques (nous y reviendrons plus tard dans cet article).

Ainsi, un consensus scientifique concernant un sujet sensible pour les intuitions des uns sera volontiers vu comme le signe d’une corruption des institutions de recherche.

Plutôt que de chercher à s’instruire un peu plus pour évaluer la solidité du consensus, l’individu aura tendance à pratiquer le raisonnement motivé en construisant par exemple des théories du complot.

En l’absence de consensus, les biais cognitifs seront plutôt mobilisés pour inventer des résultats qui n’existent pas (ou pas encore) mais allant dans le sens des intuitions morales comme on a pu le voir avec la polémique autour de l’hydroxychloroquine1.

L’influence de l’État sur les institutions de recherche

Le grand public n’est pas le seul responsable des pseudo-sciences qui circulent sur le marché cognitif et de la défiance envers les institutions de recherche. La monochromie normative dont sont atteintes les institutions de recherche quand celles-ci sont majoritairement peuplées d’individus ayant les mêmes intuitions favorise la création de nouvelles formes de lyssenkisme.

En ayant nationalisé la pratique scientifique, l’État avantage l’esprit corporatiste et le tribalisme politique au sein des instituts de recherche. La suppression de la pression économique par le financement public permet à des pans de ces institutions de se mettre en roue libre.

Une université privée se doit de dégager un chiffre d’affaires pour survivre, en fournissant par exemple des cours et diplômes débouchant sur des emplois et délivrant un savoir utile, ce qui constitue déjà un filtre (imparfait) de la qualité de ce même savoir.

Un exemple canonique de ces mécanismes est l’université semi-privée d’Evergreen aux États-Unis, qui après s’être littéralement transformée en secte intersectionnelle et avoir fait parler d’elle dans le monde entier, voit son nombre d’inscription fondre et ses frais d’inscription augmenter pour compenser la perte financière.

Mais quid d’une université publique dont les mêmes dérives commencent à se manifester comme cela est de plus en plus le cas en France ?

L’absence totale de « punition » économique permet à la situation de perdurer aussi longtemps que l’autorise l’administration publique, et le lieu de savoir qu’est l’université peut ainsi se transformer en véritable camp d’endoctrinement politique, comme l’étudiant Eliott Savy l’a fait remarquer dans la presse à propos de l’Université Lyon 2.

Le glissement idéologique d’une université s’opère ainsi progressivement par ostracisation. Lorsqu’un groupe d’individus militants atteint une taille critique pour peser sur l’orientation du recrutement des nouveaux membres de laboratoires de recherche et d’enseignants, un cercle vicieux se met alors en place, assurant une monochromie presque totale.

Le rôle de l’État dans la défiance envers les sciences ne se limite toutefois pas à son monopole sur ces dernières, puisqu’il subventionne des ONG hostiles au progrès ainsi que des projets de politisation de la science.

C’est le cas par exemple de l’association Sciences Citoyennes, dont l’objectif — abstraction faite des idiosyncrasies collectivistes et antilibérales habituelles — ressemble à s’y méprendre à l’anarchisme épistémologique2 de Paul Feyerabend, dont se revendique notamment le professeur Raoult.

En finançant de telles associations, l’État brouille les pistes : d’un côté l’activité scientifique est monopolisée et sanctifiée comme institution publique avec de très fortes barrières à l’entrée, et de l’autre le message selon lequel n’importe qui peut faire peser démocratiquement son opinion sur un sujet pointu est encouragé.

L’État n’est évidemment pas responsable de la nature crédule de l’Homme. Mais, comme nous l’avons montré, il est bel et bien en partie responsable de l’amplification de cette tendance anti-scientifique en stimulant les tribalismes politiques, dont les récits entrent toujours en collision avec les faits, et en verrouillant l’activité professionnelle que représente l’activité scientifique, permettant ainsi à de nouvelles formes de lyssenkisme de se développer.

  1. Selon une étude, 59% des français croyaient en l’efficacité de l’hydroxychloroquine et 20% croyaient en sa non efficacité alors même qu’il n’existait aucun consensus scientifique. Seuls 21% des français semblaient suspendre leur jugement.
  2. Ce n’est pas tomber dans l’argument d’autorité que de signaler que l’activité scientifique, comme pour n’importe quel autre métier, ne peut pas se pratiquer n’importe comment et par n’importe qui. Si vous voulez faire construire une maison, vous privilégierez probablement un professionnel qui a acquis le savoir et les techniques nécessaires à la réalisation de tels projets. Ce n’est évidemment pas une garantie totale que le résultat soit à la hauteur (après-tout les charlatans infiltrent tous les domaines), mais cela permet de faire un tri : un professionnel sera en toute probabilité plus compétent qu’un individu pris au hasard dans la population pour la réalisation d’une tâche attenante à sa profession.
    Il ne s’agit pas ici de faire l’apologie du corporatisme et du protectionnisme à la française, consistant à réglementer toutes les activités possibles et imaginables en instituant des barrières à l’entrée, mais de dire que la division du travail ne se limite pas aux activités techniques et manuelles puisqu’elle touche également l’activité intellectuelle.
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  • L’état et la science sont des oxymores !

  • « l’association Sciences Citoyennes … »

    Et pourquoi pas l’association « histoire citoyenne », « géographie citoyenne », « latin citoyen », « mécanique des fluides citoyenne », « langues étrangères citoyennes » …

    En quoi le savoir est-il citoyen ? Et pourquoi ceux qui ne maîtrisent pas un savoir particulier devraient-ils l’interpréter le revisiter ?

    Et c’est pire dans le domaine scientifique : confondre la vulgarisation scientifique avec la science ne peut que conduire à de fausses conclusions.

  • Les connaissances qui vont à l’encontre du sens commun ne posent pas toujours de problèmes, exemples physiques

    https://www.youtube.com/watch?v=1x5UiwEEvpQ
    C’est plutôt ceux qui vont à l’encontre des croyances et préjugés. La rotation de la terre fut plus difficilement acceptée que l’effet Dzhanibekov.
    Un des classiques est « le naturel c’est mieux ». D’où lutte contre les OGM, vaccins, la radioactivité (artificielle uniquement!) etc…
    Et la notion de « naturel » est souple, la chloroquine est surement considérée plus « naturelle » qu’un anticorps monoclonal de bactérie génétiquement modifiée. D’où l’engouement pour ce traitement « classique ».

    • La quinine est naturelle (extraite du quinquina) … tout comme le cyanure (amandes).

      D’où la stupidité de la transposition naturel=bon.

      Le « sens commun » est défini comme « les valeurs d’une société ». Ce qui pour moi ne veut pas dire grand chose. Je préfère par exemple le « bon sens paysan » issu de l’expérience de ceux qui ne sont pas morts de faim …

  • De tous temps, politiciens et astrologues ont fait bon ménage.

    Cela n’a pas changé aujourd’hui, les scientifiques mandatés par l’Etat sont les nouveaux astrologues, à la seule différence qu’ils portent d’autres titres et essayent de faire croire que leurs prévisions sont plus « scientifiques » que celles des astrologues. En réalité, c’est du pareil au même, simplement leurs prévisions sont plus en phase avec la science d’aujourd’hui, alors que celle des astrologues était en phase avec la science de leur époque.

    Mais la grosse différence est qu’à l’époque la religion faisait office de contrepouvoir, tant aux politiciens, qu’aux astrologues, et inversement…

    Ce rapport n’existe plus aujourd’hui, la religion a été mise au placard (elle en porte d’ailleurs en partie la responsabilité), l’association politicien / astrologue a le champ libre et a pu faire ce que même pas un Louis XIV aurait pu rêver: enfermer les Français chez eux de leur plein gré et les pousser à toutes sortes de contraintes liberticides et complètement stupides au nom des prédictions fantaisistes et changeantes de ces nouveaux astrologues, qui ne sont évidemment pas moins désintéressées que celles de leurs prédécesseurs…

    Cela n’augure rien de bon pour l’avenir, le communisme français s’est revêtu de pseudo-science verte et n’a jamais été aussi proche de remporter la guerre.

  • Je suis évidemment en accord avec la majeure partie de ce texte, voir mon article. https://www.contrepoints.org/2020/06/27/374620-climat-et-virus-science-pseudoscience-institutionnelle

    Ceci dit, je pense que mettre Raoult chez les relativistes est un peu rapide. Certes il a cité Feyerabend. A mon avis, il n’aurait pas du. Mais celui ci a raconté tout et son contraire, et le « relativisme » qu’il défendait n’est pas ce qu’on entend couramment par relativisme (voir par exemple https://journals.openedition.org/traces/199 de JL Gautero.

    Raoult s’emmêle souvent dans des explications confuses et sa fatuité ne le rend pas sympathique. Mais il n’empêche que lui et son équipe sont les seuls qui ont essayé de mettre du pragmatisme dans le traitement du virus et de lutter pour que cela se généralise en France. Lors de son audition, il a clairement expliqué pourquoi cela a dysfonctionné.
    Et l’engouement pour l’hydroxichloroquine me paraît provenir d’une attitude triviale: les autres ne proposant rien, accepter l’hydroxichloroquine me paraît surtout obéir simplement au pari de Pascal.

    Pour tout dire, mettre Raoult et Seralini dans le même sac me paraît même scandaleux.

    • Effectivement, en plus de la confusion entre science et technologie (cf mon article https://www.contrepoints.org/2020/07/01/374959-quand-la-science-devient-la-servante-de-la-politique) que l’auteur assume voire revendique dans ses notes « Ce n’est pas tomber dans l’argument d’autorité que de signaler que l’activité scientifique, comme pour n’importe quel autre métier, ne peut pas se pratiquer n’importe comment et par n’importe qui. Si vous voulez faire construire une maison, vous privilégierez probablement un professionnel qui a acquis le savoir et les techniques nécessaires à la réalisation de tels projets. « , il semble également y avoir une confusion entre relativisme et pragmatisme assez inquiétante, voire choquante.

      De plus, le consensus d’une communauté (quelle qu’elle soit) n’a absolument aucune valeur dans la démarche scientifique (le réel n’a que faire des avis des hommes) Il est même largement contre-productif, car il investit les tenants de la position « officielle » d’un dogmatisme et d’une autorité qui peuvent se révéler néfastes, inutiles ou suspectes.

      Le positivisme résiduel nuit autant à la science que l’Etat, surtout dans une société qui accepte de moins en moins la contradiction entre théorie et résultats.

  • « Par exemple, les anti-vaccins… »

    L’exemple est particulièrement mal choisi, en particulier pour quelqu’un qui se prétend libéral.

    Si je ne veux pas me faire injecter un produit dont je ne sais même exactement ce qu’il contient, et a fortiori l’effet qu’il produira sur mon corps, c’est un choix personnel, qui n’a rien à voir avec la science.

    À ce train-là les fumeurs ne font pas confiance à la science, puisqu’il est prouvé que « le tabac nuit à la santé »…

    • Parmi les anti vaccins, il y a deux groupes.
      -Ceux qui pensent que cela ne marche pas, théorie du complot etc, ce sont les plus bruyants mais sans doute pas les plus nombreux.
      -Ceux qui veulent juste être libres. Il se rattachent à la première catégorie car il n’y a personne d’autre de leur coté.
      Ce serait bien d’avoir une discussion raisonnée sur le sujet, mais la dernière consultation citoyenne sur le sujet fut une mascarade qui a abouti à encore plus d’obligation.

    • On peut être anti-vaccin pour ses proches et pro-vaccin pour les autres. C’est même la position la plus rationnelle si on y réfléchit un peu.

  • Nous vivons à l’ère du copier-coller. On commence très tôt dans sa scolarité en recopiant Wikipedia sans même se donner la peine de lire le texte.

    En informatique on utilise des « ide » pour automatiser le pompage de code.

    Plus personne ne cherche à comprendre !

    L’homo Sapiens est passé du statut de chasseur-cueilleur au statut de copieur-colleur.

    Mais que vaut un consensus de copieurs ?

    •  » L’homo Sapiens est passé du statut de chasseur-cueilleur au statut de copieur-colleur.  »

      Permettez moi de la réutiliser, celle la !

    • @ alan

      Nous avons toujours été dans l’ère du copier-coller. L’enfant reproduit ce que font ses parents, l’élève reproduit ce que fait le maître, et quand on a un job, on reproduit en général ce qu’ont fait nos prédécesseurs.

      Il est impossible d’avoir la connaissance de tout ce que l’on utilise: connaissez-vous votre propre corps, savez-vous comment créer une fourchette, des pâtes, une voiture, comment fonctionne votre ordinateur, votre réfrigérateur, comment tisser un tapis, un vêtement, comment assembler des chaussures, comment fabriquer un stylo, un crayon, faire une route, entretenir une forêt, un jardin, faire de l’élevage d’animaux, etc, etc.

      L’école est à moitié déconnectée de la vie réelle où ce qui est important n’est pas de tout connaître et tout savoir faire, mais de créer de la richesse… Je ne suis pas payé pour apprendre à quoi sert chaque ligne de code de l’OS de mon ordinateur, mais pour l’utiliser afin de créer une nouvelle richesse.

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