Le FN va-t-il se diviser ?

Les ponctuelles divergences au sein du parti trahissent-elles deux conceptions de la politique radicalement différentes ?

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Marion Maréchal-Le Pen By: Rémi Noyon - CC BY 2.0

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Le FN va-t-il se diviser ?

Publié le 12 décembre 2016
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Par Philippe Bilger.

FN
Marion Maréchal-Le Pen By: Rémi NoyonCC BY 2.0

Il y a eu deux mouvements contradictoires ces dernières semaines au sujet du Front national (FN).

Le premier positif pour lui laisse non seulement entendre que sa présidente sera présente au second tour de l’élection présidentielle – on serine cela depuis au moins deux ans – mais qu’il est possible qu’elle la gagne depuis que la victoire de Donald Trump a battu en brèche les certitudes contraires les plus sûres d’elles.

Le second fait apparaître, en revanche, des signes plutôt négatifs à l’encontre du FN.

Des adversaires plus coriaces que prévu

L’irruption éclatante de François Fillon dans la future joute présidentielle n’est, dans tous les cas, pas une bonne nouvelle pour ce parti. Une droite qui ne se cache plus sous la table et n’a plus peur de son ombre sera un adversaire moins commode.

La progression d’Emmanuel Macron dont on a sous-estimé la résolution et l’intelligence tactique n’est pas sans incidence non plus sur la suite. Nouveau venu, il soutient que rien n’est inéluctable et que le FN peut ne pas être qualifié pour le second tour de 2017.

Le retrait du président de la République et le possible succès de Manuel Valls à la fin du mois de janvier créent un climat moins répulsif qui est de nature à affaiblir la poussée extrémiste du FN.

Il m’a semblé surtout que Marine Le Pen, lors de sa dernière prestation sur TF1, questionnée en l’occurrence avec courtoisie mais sans complaisance (par Gilles Bouleau), est apparue moins décisive, moins pugnace, un peu mal à l’aise dans ses réponses comme si, par souci d’apparaître « présidentiable », elle avait infléchi sa nature et lutté contre son talent brut. Son évolution ne pourrait-elle pas ressembler sur ce plan à celle de Nicolas Sarkozy qui a commencé à décliner au moins techniquement quand il a cru devoir combattre ses instincts et ses forces spontanés et immédiats ?

Le FN continue à caracoler en tête des sondages

Il n’empêche que, si on se fie aux intentions de vote, le FN continue de caracoler à un très haut niveau pour le premier tour de l’élection présidentielle puisque, hier, il n’aurait été devancé que par Alain Juppé et aujourd’hui il ne le serait que par François Fillon.

C’est la conséquence notamment d’une détresse populaire – trop vite qualifiée de populiste – et d’une réalité qui, à cause de l’infirmité chronique du pouvoir socialiste, n’a cessé, pour le pire, de ressembler à celle que le FN dénonçait dans ses discours et ses indignations.

Surtout, longtemps, Marine Le Pen, en faisant preuve d’une intelligence stratégique et d’une habileté tactique hors du commun, est parvenue à amplifier les avancées du FN sur un double plan.

Des stratégies payantes pour le FN

D’abord, et ce n’est pas mince même si des obtus continuent à confondre le père et ses provocations odieuses avec la fille et sa normalité éthique et historique, elle a purgé le FN de beaucoup de ses relents destructeurs même s’il existe encore un reste de nostalgiques du nazisme et du fascisme dans ses marges.

L’essentiel n’est pas là. Il réside dans le formidable et stupéfiant programme attrape-tout qui en quelque sorte, pour aller vite, a fait de Marine Le Pen à la fois un Mélenchon pour l’économie, la finance, l’Europe, le commerce mondial et un Sarkozy pour la sécurité, la justice, l’immigration et la laïcité. Cette manière dont elle a cultivé non pas une ambiguïté – elle n’occulte pas le disparate de son projet – mais une plénitude forcée et redoutable, une synthèse inconcevable mais jamais véritablement mise en pièces, a assuré beaucoup de ses victoires partielles et, si le plafond de verre se brisait, pourrait la conduire à l’apothéose républicaine.

Beaucoup de citoyens n’ont pas considéré, derrière ce fourre-tout, le tour de force, le cumul intéressé et roublard mais se sont sentis comblés sur le double registre de la consolation démocratique et de l’aspiration à l’autorité de l’État.

Les menaces de l’extérieur n’étaient pas dangereuses. A commencer par la partialité médiatique qui substituait au questionnement approfondi et technique, donc efficace, une posture engagée et superficielle.

Deux conceptions du parti à l’intérieur du FN

C’est de l’intérieur que fissures et contestations sont venues. Aucun parti n’est homogène et, même si Marine Le Pen a toujours répudié au sein du FN les courants, il était inévitable que des sensibilités diverses s’exprimassent sans que l’unité soit toutefois altérée.

Le conflit que les médias ont surabondamment exploité entre Florian Philippot et Marion Maréchal-Le Pen et leur vision sociétale n’était pas forcément de nature à inquiéter la présidente du FN et à porter atteinte à son autorité. Marine Le Pen demeurait incontestée et ne lui était pas déniée la légitimité d’être la seule à proposer la « bonne » parole du FN.

Les controverses entre sa nièce et Philippot n’étaient pas des broutilles mais une dissidence périphérique tenant presque plus à l’antagonisme des tempéraments qu’à des oppositions de fond. On trouve toujours des idées pour déguiser des humeurs hostiles.

Il me semble qu’aujourd’hui, on a dépassé ce stade et que le ver centrifuge est dans le fruit en passe d’éclater.

Au-delà de Florian Philippot, ce qui domine dorénavant est le heurt entre deux conceptions de la politique, deux approches fondamentalement différentes pour la société et le pouvoir, le clivage entre une présidente qui ne rêve que de ce dernier et cherche à tout mettre au service de cette ambition et une nièce talentueuse et convaincue plus préoccupée par la lutte intellectuelle et idéologique que par les habiletés nécessaires à la conquête. Marine, malgré les apparences, ne manque pas de ces dernières quand sa nièce s’en méfie si elles dénaturent la substance.

D’un côté, donc, un pragmatisme forcené, un empirisme persuadé que seul compte ce qui entraîne des avancées électorales et de l’autre une authentique pensée conservatrice qui n’a pas une appétence éperdue pour la modernité et est capable de questionner, au risque de scandaliser, le catéchisme républicain faisant naître la France en 1789.

Marine Le Pen, au contraire, est naturellement éprise d’un modernisme qui ne la gêne pas parce qu’il correspond à son tempérament et aux brisures de son existence et que surtout elle l’estime nécessaire pour l’emporter dans la joute démocratique. Les valeurs sont un poids si elles freinent, retardent. Pour Marion, elles constituent le socle. L’une est une aventurière, une passionnée de la politique classique, l’autre est une intellectuelle de la politique de rupture.

Les ponctuelles divergences – sur le remboursement de l’IVG, sur François Fillon adversaire facile ou redoutable – ne sont pas neutres. Elles révèlent qu’on est sorti des contrariétés inévitables dans une structure partisane et des dissidences secondaires pour entrer dans une zone où Marine Le Pen elle-même est contrainte de s’impliquer et de réagir. Qu’un chef doive réaffirmer son autorité et que sa ligne est la seule acceptable démontre, à l’évidence, que l’une et l’autre sont mises en doute et que le temps des troubles et des éclatements est survenu. Un FN risquant d’être divisé de l’intérieur n’est peut-être plus une hypothèse d’école.

Ce serait l’un de ces paradoxes dont la vie démocratique est coutumière. Ce que les ennemis du FN n’ont jamais su accomplir – le détruire ou au moins le faire baisser -, ses plus hauts responsables s’en chargeraient.

En tout cas le Front, s’il demeure national, n’en est déjà plus un.

Sur le web

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  • L’unité en opposition aux autres partis est beaucoup plus facile que l’unité de gouvernement. L’union de la gauche s’y est fracassée, le FN risque en effet de subir le même sort à terme. Je crois cependant qu’il restera uni pour conquérir le pouvoir. Quant à F. Fillon, le défi qui l’attend est de fédérer son parti et une bonne partie du centre autour de ses idées et de son projet.

  • Marion Maréchal n’est pas conservatrice, mais clairement réactionnaire. Et pousse Tantine à la faute: exclure des enfants de l’école est une idée difficilement recevable, de nature vichyste.
    Chassez le naturel…

  • C’est peut-être une stratégie cachée. Marion remplaçant JMLP dans la défense des idées du FN canal historique, JMLP plus très jeune et toujours très cash finissant par lasser. Une nouvelle tête de gondole pour ratisser très à droite afin d’éviter les fuites chez Fillon des plus réacs. Et Marine continuant de ratisser avec succès les autres couches de la population pas très emballées par le nouveau sachem de LR et les débiles du PS. Cela se tient pour les législatives qui, quand même, permettent d’avoir les représentants qui votent les lois ou s’y opposent. Et une fois les voix engrangées dans la branche dure (Marion) et dans la branche « fashion » (Marine), tout le monde s’associe pour donner en coeur le même avis.

    • @ serge

      Je ne crois pas que le F.N. vise vraiment la présidence: même à gauche, on s’est rendu compte de la débâcle de Fr.Hollande et il n’a plus guère de défenseurs sur le fond. Entre Fr.Fillon, à droite, E.Macron, au « centre flou » et M.Valls, « sur » la gauche, il risque bien de n’y en avoir qu’un au second tour, M.Le Pen, recueillant les votes « des mécontents » et des « méfiants », nombreux, au premier tour.

      Le F.N., malgré la stratégie assez habile de M.Le Pen qui escamote le fond de l’idéologie de son parti pour ratisser « plus large », démagogiquement, retrouvera un barrage à la présidence, au second tour. De plus, le F.N. ne brillerait jamais autant au pouvoir (avec quel gouvernement?) que dans l’opposition ou les critiques simplistes sont les bienvenues dans les slogans rassembleurs.

      La longue période qui s’étend jusqu’à l’élection, reste un piège pour ces candidats qui ont ouvertement étalé leur jeu, laissant le temps et le soin aux « journalistes en vue » de critiquer les « programmes » en allant dans les détails de la mise en application des mesures prévues!

  • n journaliste de Valeurs Actuelles soulignait à juste titre que la question de la ligne s’imposait désormais à tous les partis politiques :

    le FN doit il pour sa survie et montrer sa capacité à gouverner prendre la trajectoire libéral identitaire de la cadette ou rester dans l’ancrage gaulliste de la mère.

    Quel est la réalité sociologique de l’ancrage du FN national version grand père et petite fille dans l’électorat français, l’accointance avec le fillonisme actuelle défendu de manière décomplexé trdaduit il une réalité sociologique ou est ce l’illustration d’un sentiment d’éviction du marché de l’offre politique :

    à vrai dire un Fillon clairement conservateur avec une goutte de libéralisme, un Macron qui émerge , le Front de Gauche dans une position offensive etc etc quel débouché pour le marché frontiste ?

    Sur le plan économique et social le FN n’est il pas tout sauf hors système?

    Quand au camps Fillon on attend toujours sa réaction face au soutien de la cadette, ne soyons pas dupe ses accusations d’escroquerie pour disqualifier Fillon sont un cas d’école de la communication politique : elle a peur de la menace que peut représenter le néo-fillonisme pour l’existence du FN, il y a des raisons objectives à ces peurs , le syphonage sarkosyste de 207 est dans toutes les mémoires même si ce n’était qu’un brillant coup politique.

    La bonne santé politique du FN ne s’est pas refaite en deux jours. Rien n’indique que cela ne pourrait pas se reproduire.

    • Le FN fait des gros scores parce qu’il siphonne l’électorat traditionnel de l’extrême gauche dans le nord et les périphéries populaires, tout en continuant à avoir le soutient de l’extrême droite traditionnel, composé d’ultra réactionnaires, de pieds noirs, d’ultra catho… À part la détestation de l’islam, qu’y a t-il en commun entre Marion le pen, ultra traditionaliste liberale, et florian Philippot, chevenementiste gay ? Ça me paraît très bancale comme coalition.

  • Le FN se diviser , je ne sais pas …par contre , je rappelle que dans le vote FN , il y a beaucoup des ingrédients qui ont amené au succès du Brexit , de Trump , cad le mépris et l’instrumentalisation du peuple par les élites aux affaires et que l’oublier peut -être dangereux…

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