Ils étaient présidents : Louis-Napoléon Bonaparte

Découvrez une nouvelle série de portraits : les présidents de la République. Cette semaine, Louis-Napoléon Bonaparte, premier président de la République française.

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Ils étaient présidents : Louis-Napoléon Bonaparte

Publié le 11 décembre 2016
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Par Gérard-Michel Thermeau.

Louis Napoléon Bonaparte par Alexandre Cabanel-1865
Louis Napoléon Bonaparte par Alexandre Cabanel-1865-Wikipedia-Domaine public

Le 20 décembre 1848, Louis-Napoléon (Paris, 20 avril 1808 – Chislehurt, 9 janvier 1873), en habit noir, prêtait serment devant l’Assemblée constituante :

« En présence de Dieu et devant le peuple français, représenté par l’Assemblée nationale, je jure de rester fidèle à la République démocratique, une et indivisible et de remplir tous les devoirs que m’impose la Constitution. »

Il déclarait ensuite :

« Nous avons une grande mission à remplir, c’est de fonder une république dans l’intérêt de tous et un gouvernement juste, ferme, qui soit animé d’un sincère amour du progrès, sans être réactionnaire ou utopiste. Soyons les hommes d’un pays et non d’un parti…»

L’Assemblée, qui lui était hostile, se montra froide et son adversaire de la joute électorale, le triste Cavaignac, ne crut pas utile de se lever quand le nouveau président lui serra la main presque malgré lui.

Louis-Napoléon devait être le premier président de la République et en même temps le repoussoir des républicains français. Le spectre du coup d’État du 2 décembre a longtemps hanté la tradition républicaine. L’élection directe du chef de l’État par le peuple sera, pour un bon siècle, associée au césarisme et au péril dictatorial. Aussi, la présidence de la République allait devenir une fonction essentiellement symbolique et ce jusqu’en 1958.

 

La Constitution de la Seconde République

Tout avait commencé avec la promulgation de la Constitution de la Seconde République le 4 novembre 1848.

Partiellement inspirée de la Constitution américaine, elle prévoyait l’élection d’un président de la République pour une durée de quatre ans au suffrage universel masculin. Disposant de larges pouvoirs, il ne dépendait pas de l’Assemblée qu’il ne pouvait, de son côté, pas dissoudre. Cette assemblée unique était l’héritière des grandes assemblées de la Révolution : la Constituante, la Législative, la Convention.

Néanmoins, cette synthèse maladroite de la tradition révolutionnaire française et du système présidentiel américain pouvait déboucher sur une impasse. Le président sortant ne pouvait pas se faire réélire. Les actes de ses ministres étaient soumis à un contrôle tatillon de l’Assemblée. En cas de conflit entre l’exécutif et le législatif, le président, qui n’avait rien à perdre, pouvait être tenté par la solution du coup d’État.

 

« Un crétin que l’on mènera »

Mais la création d’une présidence de la République ne s’était pas faite sans débats.

En effet, le nom de Louis-Napoléon était à l’esprit de tous les parlementaires. Mais si le nom inquiétait, l’homme lui même suscitait le mépris ou la moquerie. Élu en juin 1848 par quatre départements, il avait démissionné devant l’hostilité froide manifestée par l’Assemblée. Il n’avait, ainsi, pas été compromis dans les massacres de juin où la République avait fait tirer sur les ouvriers.

Réélu en septembre par cinq départements, il était arrivé avec la réputation sulfureuse d’être un des chefs de la démocratie sociale. Il devait d’ailleurs siéger sur les bancs de la gauche. Mais très vite, l’Assemblée s’était rassurée. Gauche, laid, apathique, mauvais orateur, s’exprimant avec un accent étranger indéfinissable, le neveu de l’Empereur n’impressionnait guère.

« Quel imbécile que ce monsieur Bonaparte » gloussait Ledru-Rollin, l’aigle de l’extrême gauche.

« C’est un crétin que l’on mènera » assurait de son côté Adolphe Thiers, la tête pensante de la droite ex-monarchiste qui se réunissait rue de Poitiers.

Le 12 octobre, il annonçait sa candidature à la présidentielle, se posant en champion de la réconciliation nationale. Tous les gens sérieux pariaient cependant sur Cavaignac, le chef du gouvernement provisoire. Ce dernier avait le soutien de la majorité des élus, des notables, des hauts fonctionnaires et des milieux d’affaires. La droite, qui n’avait personne à présenter, se rallia à Louis-Napoléon. Thiers était persuadé qu’il le manipulerait comme un pantin avant de lui succéder. Le fait est qu’il devait bien lui succéder… 23 ans plus tard !

 

Le premier président

Sous ses allures imbéciles, qu’il soignait particulièrement à l’égard de toutes les intelligences qui le regardaient de haut, Louis-Napoléon allait être le seul à mener une campagne moderne. Son programme s’adressait à tous, chaque catégorie se voyant gratifier de promesses sans trop de souci de cohérence. Inversement, l’acharnement de la presse à le ridiculiser contribuait à faire de lui le personnage central de la campagne. Sa victoire devait être éclatante, montrant l’écart existant entre le peuple et les élites. Avec une forte participation (76 % des inscrits), il recueillait plus de la moitié des voix des inscrits et les trois quarts des voix des votants. La France paysanne, méprisée par les républicains, s’était ralliée massivement à son nom.

Installé à l’Élysée, palais alors dans un triste état de délabrement, le président devait s’apercevoir de la difficulté de composer un cabinet. Les républicains modérés le boudant, il dût se tourner vers les orléanistes appelant Odilon Barrot à la présidence du conseil. Les ministres ne faisaient guère de cas du président qui confectionnait des cocottes en papier pendant les réunions du conseil. Une fois de plus, Louis-Napoléon feignait l’indifférence attendant son heure. Le perroquet mélancolique raillé par le général Changarnier avait l’habitude d’attendre.

 

La vie aventureuse de Louis-Napoléon

Né aux Tuileries prince impérial, il avait été tenu sur les fonds baptismaux par son oncle Napoléon. Fils incertain de son père Louis Bonaparte1 mais petit-fils incontestable de Joséphine, il était un Beauharnais par son flegme et la douceur de son caractère. Il avait connu l’exil dès l’âge de cinq ans, navigant entre la Suisse, l’Italie, les États-Unis et l’Angleterre. Sa connaissance du monde et des langues étrangères le distinguait de la plupart des Français de son temps.

Ayant l’âme d’un aventurier, il avait participé au soulèvement de la Romagne en 1831 et tenté à deux reprises de renverser le trône de Louis-Philippe. À Strasbourg en 1836 comme à Boulogne en 1840, l’opération avait tourné au fiasco. Emprisonné au fort de Ham, il occupa son temps à étudier, à réfléchir et à espérer. Il rédigea en captivité son Extinction du paupérisme qui connût, à sa publication en 1844, un certain succès. Louis-Napoléon se voulait socialiste, c’est-à-dire soucieux du sort des ouvriers : l’État devait à ses yeux corriger les excès du capitalisme libéral.

Il finit par s’évader de façon rocambolesque en mai 1846 sous le déguisement d’un ouvrier. Il y gagna le surnom de Badinguet, dont l’origine reste encore obscure aujourd’hui. Apprenant la révolution de 1848, il aurait dit : « La République est proclamée, je dois être son maître. »

 

Bleu entre les Rouges et les Blancs

Les élections de mai 1849 voyaient triompher le « parti de l’ordre » composé d’anciens monarchistes, les bonapartistes n’étant guère qu’une trentaine. Les républicains modérés avaient été laminés pris entre le marteau « montagnard » des démoc-soc et l’enclume conservatrice. La peur du péril rouge rapprocha cependant la majorité parlementaire du président. Mais Louis-Napoléon se voulait bleu entre les Blancs et les Rouges.

Dénonçant l’intervention française en faveur du rétablissement de Pie IX à Rome, l’extrême gauche descendit dans la rue. Ce fut sa perte. Le président à cheval se fit acclamer dans les rues de Paris. « Il est temps que les bons se rassurent et les méchants tremblent » pouvait-on lire sur la proclamation présidentielle. L’état de siège lui permit de soigner sa popularité, notamment auprès de la troupe. Il commençait, par ailleurs, une série de voyages en province appelant à l’union autour des institutions républicaines.

D’un autre côté, il n’avait pas l’intention de devenir l’otage de la droite. Mécontent de l’attitude du pape qui avait adopté une politique réactionnaire, alors même qu’il devait sa restauration à la république française, Louis-Napoléon rompit avec la majorité conservatrice.

Sous prétexte d’écrire à son cher Edgar Ney, il fit publier dans la presse un texte sans équivoque :

« La République française n’a pas envoyé une armée à Rome pour y étouffer la liberté italienne. »

 

Louis-Napoléon champion du suffrage universel

Odilon Barrot fut renvoyé et le nouveau cabinet dit ministère du 31 octobre 1849 se révéla plus malléable entre les mains du président. L’absence d’un président du Conseil lui permettait enfin d’agir à sa guise.

Le bonapartisme s’affichait plus ostensiblement :

« Le nom de Napoléon est à lui seul un programme ; il veut dire à l’intérieur ordre, autorité, religion, bien être du peuple, à l’extérieur dignité nationale. »

Très habilement, il laissa l’Assemblée voter le texte du 31 mai 1850 qui écartait du corps électoral la « vile multitude » comme disait Thiers.

Comme il devait le confier à une amie :

« Quand l’Assemblée sera au-dessus du précipice, je couperai la corde. »

Il pouvait désormais se présenter comme le champion du suffrage universel. Dans le même temps, il ralliait des catholiques, satisfaits d’une politique favorable à l’enseignement catholique et au contrôle du clergé sur l’Université, tout comme les monarchistes fatigués de la rivalité stérile entre les Bourbons et les Orléans.

 

La révision impossible

Le président multipliait les voyages : en quatre années, il devait visiter une cinquantaine de départements. Il inventait ainsi le rituel du voyage présidentiel avec son cortège de journalistes et ses visites organisées. L’accueil n’était pas toujours enthousiaste mais il subissait les cris hostiles avec philosophie et savait s’adapter à ses auditoires.

Il avait le sens de la formule, déclarant à Saint-Quentin :

« Mes amis les plus dévoués ne sont pas dans les palais, ils sont sous le chaume ; ils ne sont pas dans les lambris dorés, ils sont dans les ateliers, dans les campagnes. »

Si à Lyon, il se souciait des ouvriers malades ou trop âgés, à Cherbourg, il tenait le discours d’un homme d’ordre.

La bêtise provocatrice du général Changarnier, commandant militaire de Paris, lui permit de le révoquer le 9 janvier 1851. Il pouvait ainsi contrôler plus soigneusement l’armée. L’Assemblée votait aussitôt la défiance à l’égard du cabinet. Sans trop s’émouvoir, le prince-président constituait un nouveau cabinet de « techniciens » dont Eugène Schneider à l’Agriculture et au Commerce.

La perspective de l’élection présidentielle de 1852 était désormais dans tous les esprits. Faute de candidats crédibles, qui pouvait s’opposer à Louis-Napoléon, l’homme le plus populaire de France ? Ne fallait-il pas réviser la Constitution pour éviter qu’elle ne soit bafouée par le suffrage du peuple ? La quasi-totalité des conseils généraux n’avait-il pas émis des vœux pour la réélection du président qu’interdisait la Constitution ?

Persuadé que la crainte du « spectre rouge » pousserait l’Assemblée à la révision, Louis-Napoléon espérait se maintenir au pouvoir légalement. Mais si le 19 juillet 1851 une forte majorité s’était prononcée en faveur de la révision, elle était insuffisante. Aussi, quand Morny suggéra la voie du coup d’État, le président répondit à son demi-frère : « J’y songe sérieusement. »

 

Le prince-président

Pour mieux perdre l’Assemblée dans l’opinion, Louis-Napoléon demanda le rétablissement du suffrage universel mis à mal par la loi du 31 mai 1850. Le rejet, mais à une faible majorité, le convainquit définitivement de la nécessité du coup d’État. Il savait d’ailleurs ses adversaires déterminés à l’éliminer. Une partie de la droite songeait très sérieusement à une arrestation du président combinée avec le retour des princes d’Orléans.

Le plan « Rubicon » déclenché le 2 décembre surprit cependant tout le monde. L’insurrection dans la capitale fut écrasée impitoyablement. Divers soulèvements en province, surtout dans le Centre et le Midi, subirent le même sort. Le sang avait coulé, ce que n’avait pas souhaité le prince-président soucieux d’unir sur son nom tous les Français. D’un autre côté, les conservateurs, vite effrayés par les récits des scènes de violence des « Rouges » en province, se rallièrent en masse au pouvoir.

Un plébiscite organisé dans une atmosphère de terreur, les 20 et 21 décembre 1851, légitima le coup de force. Une fois de plus, les campagnes votèrent massivement oui. « Plus de sept millions de suffrages viennent de m’absoudre » déclara Louis-Napoléon reconnaissant ainsi sa culpabilité.

Inspiré par la Constitution de l’an VIII, la Constitution du 14 janvier 1852 maintenait le régime républicain. Louis-Napoléon se voyait octroyer la présidence pour dix ans. Néanmoins le président quittait l’Élysée et s’installait aux Tuileries, le palais des rois.

Un pas de plus vers l’Empire ? Mais Louis-Napoléon hésitait :

« Conservons la République ; elle ne menace personne, elle peut rassurer tout le monde. »

Cette république était autoritaire : la presse était mise sous surveillance. Le scrutin de liste était remplacé par le scrutin d’arrondissement. L’administration se chargeait de l’élection des candidats officiels. Il n’y eut que trois opposants élus en février 1852 mais l’abstention avait été très forte dans les grandes villes ouvrières comme Lille et Saint-Étienne.

 

Empereur malgré lui

Cependant, son fidèle complice des mauvais jours, Persigny, était résolu à le faire empereur malgré lui. Il organisa un grand voyage dans le Centre et le Midi, là où la résistance au coup d’État avait été la plus forte, pour mieux démontrer la volonté des Français de revenir à l’Empire.

Pourtant le voyage devait commencer tièdement, notamment à l’entrée dans le département de la Loire, le berceau de Persigny. Roanne reçut froidement le chef de l’État. Mais, à Saint-Étienne, tout changea et désormais les cris de « Vive Napoléon, Vive l’Empereur » allaient ponctuer le parcours présidentiel qui prit l’allure d’un cortège triomphal s’achevant en apothéose à Bordeaux où le préfet Haussmann avait fait les choses en grand. « La France semble vouloir revenir à l’Empire » constatait Louis-Napoléon.

La république était morte, pour la seconde fois, sous les coups d’un Bonaparte.

Sources :

  • Éric Anceau, Napoléon III, Texto 2012, 750 p. (1ère éd. : Tallandier 2008)
  • Louis Girard, Napoléon III, Fayard 1986, 550 p.

La semaine prochaine : Adolphe Thiers

  1. La génétique a démontré qu’il n’était pas le neveu de Napoléon mais reste à savoir s’il est un enfant adultérin de la reine Hortense ou si c’est son père qui est le résultat d’une infidélité de sa grand-mère Letizia
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