Citoyenneté et égalité : la liberté d’expression menacée ?

Au Sénat, alors que le projet de loi « Citoyenneté et égalité » était en discussion, trois sénateurs (deux socialistes et un LR) ont fait adopter des amendements qui ont beaucoup ému par le danger qu’ils faisaient courir à la liberté d’expression.

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Liberté d'expression (Crédits :Demeure du chaos matttdotorg, licence Creative Commons)

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Citoyenneté et égalité : la liberté d’expression menacée ?

Publié le 22 novembre 2016
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Par Philippe Bilger.

Citoyenneté et égalité : la liberté d'expression menacée ?
Liberté d’expression (Crédits :Demeure du chaos matttdotorg, licence Creative Commons)

Le droit de la presse en danger ?

Pour répondre à cette interrogation, Mediapart a organisé un débat avec quatre avocats qualifiés de spécialistes du droit de la presse.

Au Sénat, alors que le projet de loi « Citoyenneté et égalité » était en discussion, trois sénateurs (deux socialistes et un LR) ont fait adopter des amendements qui ont beaucoup ému le monde médiatique.

Ils ont été retirés en commission à l’Assemblée nationale et on peut espérer que cette effervescence parlementaire va se terminer au mieux. Sans que la loi du 29 juillet 1881 soit altérée dans certaines de ses dispositions fondamentales et donc en rassurant les journalistes et tous les citoyens attachés à la sauvegarde de la liberté d’expression.

Protection des journalistes et des publications en danger

Je n’ai pas l’intention d’entrer dans le détail des amendements contestés qui visent tous au même but. Faire perdre à la loi de 1881, sur des points essentiels, son caractère spécial protecteur des journalistes et des publications de presse pour la fondre dans la loi générale, le droit commun.

Le juge aurait le droit de requalifier l’infraction de presse, ce qui placerait les mis en cause en état d’incertitude puisque la qualification de la partie poursuivante ne serait plus décisive, qu’elle soit valide ou non.

La prescription de trois mois passerait à un an sur Internet.

On pourrait déroger aux dispositions spéciales de la loi sur la presse – contre toute la jurisprudence – en fondant son action sur le régime général de la responsabilité civile.

Il est clair que ces amendements orientés se proposaient de faciliter les mises en cause des directeurs de publication et des journalistes en offrant plus de latitude à ceux qui s’estimeraient leurs victimes.

Les fantasmes sur les privilèges de la presse

Dans le débat organisé par Mediapart, Me Emmanuel Tordjman, en l’occurrence l’avocat de ce site, m’a semblé le plus fin analyste parce qu’il a bien vu que cette machine de guerre, qui sera sans doute réduite à néant, n’était pas née de rien.

Dans la quotidienneté et les échanges de « café du commerce », il est fréquent d’entendre des récriminations sur la prétendue impunité de la presse et ses privilèges fantasmés. Le mouvement est clairement en faveur, dans le spontanéisme social, d’une caporalisation des médias.

Par ailleurs il ne faut pas oublier que la loi de 1881, par rapport à sa rédaction d’origine, n’a conservé qu’une quinzaine d’articles. Donc elle a été modifiée à de multiples reprises et les mauvaises intentions à l’encontre de la liberté peuvent s’en trouver légitimées en quelque sorte.

Enfin la volonté de faire disparaître, sur tel ou tel plan, la spécialité de la loi de 1881 au bénéfice des principes généraux du droit, en pleine conscience de ce que cette démarche impliquait au détriment des médias, a souvent été affirmée par d’éminents juristes, notamment par le grand avocat de presse qu’a été Georges Kiejman qui a soutenu sans se lasser ce point de vue. Au nom de la démocratie et pour restaurer l’égalité, pour le contentieux de presse, entre le journal et le plaignant.

Protéger la liberté d’expression

Ces trois sénateurs ont par conséquent inscrit leur démarche dans un mouvement qui, contrairement à ce qu’on croit, n’est pas forcément enthousiaste pour la liberté d’expression.

Cette tendance trouve d’ailleurs une effectivité quand des circonstances exceptionnelles, comme le terrorisme, permettent, pour le délit de son apologie, de le sortir avec bonne conscience de la loi de 1881, et ce, à l’initiative de Christiane Taubira.

Le danger donc pointe en permanence. Il est miraculeux qu’il n’y ait pas davantage d’assauts contre des dispositions protectrices qui dérangent. On feint de les estimer clientélistes et inégalitaires alors qu’elles dépassent le sort du journalisme pour le bénéfice d’une citoyenneté informée de manière pluraliste et sans entrave.

Il est fondamental donc, comme l’a très bien déclaré Me Tordjman, de souligner que le refus de ces amendements n’est pas motivé par une lutte corporatiste – les journalistes se souciant d’eux-mêmes – mais par l’obsession républicaine de ne pas permettre que l’expression, dont la liberté et l’indépendance doivent être garanties pour l’information de tous, soit attaquée par des moyens dont on sent trop le caractère démagogique aujourd’hui.

De bonne foi un consensus doit demeurer intangible : la spécialité de la loi de 1881, aussi chahutée qu’elle a été, doit l’emporter, pour la liberté d’expression et les infractions de presse, sur l’étouffement qui résulterait de l’apparente simplicité d’une loi générale. Le droit singulier sur le droit commun.

Question de démocratie.

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  • C’est toute la difficulté de la liberté d’expression au sens large. Pénaliser le négationniste en est un exemple. On peut affectivement et culturellement y adhérer (a l’interdiction pénale de nier la Shoa), mais pour autant ça reste une grave atteinte à la liberté d’expression.
    Que l’on puisse enseigner le creationisme aux US me contrarie au plus haut point. Mais c’est une liberté d’opinion majeure qui est exercée.

    Vous avez raison : le journaliste n’est en principe que le messager, l’eveilleur de pensée. Quelle que soit la pensée en question.
    Il doit bien rester quelques notions d’abus de droit qui pourraient être utilisées en cas … d’abus du droit d’expression libre, mais on atteint ici la limite du concevable par un quidam profane.
    On peut ainsi imaginer qu’un patron de presse en ligne moustachu, en infraction fiscale grave (non paiement de la TVA à hauteur de plusieurs millions d’€) et qui utilise son média pour forcer la main au gouvernement n’est plus un journaliste. Que sa démarche lui semble juste n’y change rien pour le contribuable qui le finance sans l’avoir demandé. La, on n’est plus dans la liberté de la presse, ni même, probablement, dans la liberté d’expression. Mais je peux me tromper…

    Seuls quelques théoriciens de la Loi et brillants penseurs en même temps peuvent, il me semble, jalonner ce chemin.
    La liberté de la presse est mise au caniveau par de trop nombreux journalistes aujourd’hui, c’est évident.
    Mais ce n’est pas une raison suffisante pour la limiter encore plus.
    Ce devrait en revanche être une raison nécessaire pour leur faire de temps à autre un rappel sur ce qu’est leur rôle, leur mission, leur devoir, leur responsabilité.
    Bref, délicat…

    • D’un autre coté, le monde a beaucoup évolué, surtout avec l’avènement d’internet. Même les amateurs peuvent jouer les journalistes.

      Pourquoi ne pas faire bénéficier à tous les mêmes droits que les journalistes ?
      Apparement ces sénateurs veulent aligner les droits de la presse avec ceux « communs », et alourdir la répression au passage.
      Et si on faisait l’inverse ?

  • Merci M. Bigler de nous faire lire régulièrement sur Contrepoints des articles traitant de tels sujets quelque-peu délicats.
    Le libéralisme impliquant la responsabilité, continuer à nous « mettre à niveau » sur des aspects juridiques, voire constitutionnels essentiels me semble salutaire…

  • C’est à cause de toutes ces lois qui limitent la liberté d’expression que la presse n’est plus le 4eme pouvoir. Je pense que c’est le mot pouvoir qui leur a monté à la tête, et ils se sont compromis avec les tois premiers.
    Tout en ayant la prétention de susciter ou de défaire les lois, la presse est devenue une police politique, le bras armé de l’executif, capable d’envoyer devant un juge tout individu suceptible de pensées déviantes, .

    • @ Liam

      La presse a-t-elle le choix? Ses « aides financières de l’état « soucieux d’une saine démocratie » est un encouragement « musclé », comme « l’allocation pour frais d’emploi » de 7 650 € en sus, accordée encore aux journalistes.

      Et moi, ai-je le choix: me voyez-vous attaquer (au hasard!) É.Zemmour en justice? Quelle chance de gagner non seulement en jugement mais même face à mes proches?

      De plus, sur un sujet aussi pointu, il aurait été bon d’au moins éclairer la lanterne de vos concitoyens-lecteurs, sans faire l’impasse sur la teneur des amendements refoulés, mais en bon « journaliste », ça passe au bleu!

      Les journalistes français ne sont plus des reporters de faits mais des « chroniqueurs », nouveaux « maîtres à penser » « in the mood », tisseurs quotidiens et infatigables du « prêt à penser », indispensable pour ne pas passer pour un Martien aux yeux d’un parisien, « à la mode ».

      Donc non: cet article est peu utile pour un « non averti »! L’information est négligée et l’interprétation, mise en avant: ils sont indécrottables! (« Président de l’Institut de la parole », c’est tout dire: bla, bla, bla!)

  • La liberté d’expression est au service du pluralisme, et c’est ce dernier qui est fondamental en démocratie. Il y a les lois iu les atteintes dire tes à la liberté d’expression, et des dispositions plus insidieuses qui limitent le pluralisme. (Financements, campagnes de dénigrement menant à l’autocensure etc…)

  • Faut les comprendre aussi les sénateurs. Ils se sont sûrement dits qu’avec tous l’argent des autres qu’ils leur donnent aux journalistes, ils pouvaient bien de temps en temps leur interdire d’écrire certaines choses.

    Les journaleux se foutent vraiment de notre gueule, façon modèle géant. S’ils veulent être libre et avoir de la crédibilité dans leur combat pour la liberté de la presse qu’ils commencent par rembourser aux Français tout ce qui leur a été donné sous forme de subventions et d’avantages fiscaux.

    • Et puis j’oubliais, les journalistes pourraient aussi commencer à servir de la liberté dont ils disposent déjà plutôt que de nous servir la soupe. Parce que là, vraiment, on se demande bien ce que les politiques pourraient avoir à censurer.

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