Les impasses du bellicisme moral

Le soldat qui combat pour son pays dans une guerre injuste est-il comparable à l’avocat qui défend un criminel sans avoir à le juger ? En ce jour de célébration de l’armistice, une réflexion sur le nationalisme et la guerre.

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Les impasses du bellicisme moral

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 11 novembre 2016
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Par Hadrien Gournay.

Les impasses du bellicisme moral
By: JameziecakesCC BY 2.0

Les sociétés capitalistes modernes se sont trouvées confrontées à des opposants très déterminés mais très différents à droite et à gauche de l’échiquier politique. Nous pouvons caractériser les critiques de gauche par le fait que, tout en leur donnant un sens très différent de celui qui leur est attribué dans les démocraties libérales, elles acceptent les valeurs de liberté, égalité et fraternité que l’extrême-droite récuse.

Les radicaux des deux camps formulent cependant contre les démocraties libérales sinon une critique commune, du moins deux critiques dont les termes sont assez proches pour être rapprochés : empêcher la pleine réalisation de l’homme au profit d’objectifs bassement consuméristes.

Le désaccord ressurgit lorsqu’il s’agit de présenter des portes de sorties. L’extrême-gauche propose la sortie du capitalisme comme un remède tandis que l’extrême-droite et le nationalisme la voient quant à eux dans la patrie voire dans la guerre pour la patrie. Que doit-on penser de cette idée et de celles qui s’en approchent comme le fascisme et le loyalisme ?

Le nationalisme guerrier

À travers les vertus guerrières, le nationaliste entend en effet lutter contre le risque de sclérose des sociétés modernes qui, selon lui, diluent « l’énergie vitale » de l’homme dans la recherche d’un petit confort. Le dévouement guerrier présente pour lui le plus bel exemple de sacrifice de soi et un idéal très supérieur à l’utilitarisme des sociétés modernes.

L’homme doit être tourné vers sa patrie, non vers lui-même. Il est indéniable que certains sont sensibles à l’appel de la violence guerrière qui donne à leur vie un sens qu’ils n’ont pas su trouver dans la paix. Cela n’est pas une preuve de la valeur intrinsèque de cet idéal.

Toutefois, ce dévouement et ce sens du sacrifice ne valent pas pour tout le monde. Car si le soldat donne sa vie pour ses camarades, il se comporte très différemment à l’égard de l’ennemi : il tentera de le tuer. Le soldat est doux avec ses compatriotes, féroce avec les étrangers.

Si donner sa vie pour sauver celle d’autrui est digne d’éloges, tuer autrui ne doit-il pas être repoussé avec horreur ? Certes, lorsque l’ennemi est un envahisseur, la morale et la nécessité peuvent l’approuver mais dans le cas contraire, comment justifier la guerre ? La  xénophobie y parvient en parant l’étranger et l’ennemi étranger de tous les vices. Un peu de réflexion montre pourtant son insuffisance.

S’il existe une morale et une justice liées à la qualité d’hommes dans les rapports que ceux-ci ont avec leur semblable, celle-ci s’applique aux nationaux comme aux étrangers car tous la possèdent. Si elle n’existe pas, les hommes n’ont envers leurs semblables aucune obligation, même celles qui consisteraient dans une abstention, même si ces derniers sont des nationaux. Or, le nationaliste accepte généralement la validité des principes de justice à l’intérieur de la nation.

Il se trouve alors contraint d’approuver les principes de justice comme fondés entre nationaux puis d’affirmer que les devoirs patriotiques l’emportent lorsqu’il est question d’une opposition entre la patrie et une nation étrangère. Or ces principes tendent naturellement vers une universalisation au-delà du cadre national auquel il essaie de les cantonner. Une pensée nationaliste est nécessairement une pensée duale, obligée de concilier des principes contradictoires au sein d’un équilibre qui ne pourra paraître qu’arbitraire.

Deux réponses sont apparues face à cette difficulté, l’une ayant tendance à radicaliser le nationalisme, l’autre à le nuancer. Il s’agit du fascisme et du loyalisme.

Le fascisme

Le fascisme prétend résoudre la difficulté née de l’opposition de la guerre et de la justice. Pour comprendre cette prétention, il nous faut oublier ici de manière provisoire, non seulement l’horreur des crimes commis au nom du fascisme, l’aspect xénophobe et raciste de cette doctrine mais aussi le caractère a priori choquant et absurde de son principe fondamental.

Si l’on excepte sa composante raciste, ce principe fondamental correspond à la proposition selon laquelle l’homme est fait pour la guerre. Aussi, les victimes de la guerre n’ont pas lieu de se plaindre de leur sort : les civils qui refusent le combat parce qu’ils agissent contre la nature, les soldats tués puisqu’ils ne peuvent se plaindre d’avoir été vaincus dans un conflit auquel ils ont participé. Si (et seulement si) l’on admet la proposition fondamentale du fascisme, le conflit entre guerre et justice se trouve résolu.

À y regarder de plus près, cette solution ne vaut que pour les rapports entre soldats ennemis. Pour financer la guerre, l’État fasciste doit compter sur un certain ordre social incompatible avec la guerre de tous contre tous au sein de la population qu’il régit. Bien plus, le Fascisme est une doctrine d’obéissance.

Mussolini le définissait par la formule : « Tout par l’État, rien hors de l’État, rien contre l’État ! ». Or cette obéissance à l’État exigés de l’homme fasciste et la paix entre civils que maintient l’État sont en contradiction avec l’idée selon laquelle l’homme est fait pour la guerre laquelle ne devrait connaitre de limites que purement circonstancielles comparables à celles qui poussent une bande de malfaiteurs à s’associer. Les délimitations fascistes de l’idée de guerre apparaissent en définitive aussi arbitraires que les justifications xénophobes ou nationalistes de la guerre.

Le loyalisme

Le loyalisme est la mentalité consistant à estimer les combattants quelque soit leur camp. Le nationaliste peut ainsi estimer le combattant ennemi et estimer qu’il a bien fait son devoir et servi sa patrie. Dans certains cas, ce loyalisme peut s’étendre très loin comme lorsque Eric Zemmour a déclaré  récemment « respecter » les terroristes de Daesh.

Notons ici en passant que Daesh n’adopte pas le point de vue loyaliste : ceux qui la combattent sont des mécréants à éliminer. En dehors d’un tel exemple, le loyalisme se place plus haut que la simple xénophobie nationaliste mais est très loin de résoudre le problème fondamental auquel elle était confrontée.

Ainsi, il ne répond pas à la question de l’absurdité de la guerre elle-même. De même, il n’explique pas pourquoi ce qui serait un crime de trahison pour le soldat d’un camp est une action de gloire pour le soldat de l’autre camp. Selon une philosophie cohérente une action ne devrait-elle pas être simplement juste ou non, indépendamment de qui la commet ? La loyauté qui ne considère que les devoirs que l’on a à l’égard d’un groupe de personnes déterminées s’oppose à la justice qui consiste dans les devoirs que l’on à l’égard de tous les hommes.

La vision du monde fondée sur la justice a pour elle la raison mais la loyauté sait parler au cœur. L’acte loyal donne souvent bien plus le sentiment de l’accomplissement de l’acte vertueux que les actes conformes aux principes d’une justice universelle. L’approbation de son groupe d’appartenance suffirait-elle à l’homme pour se sentir excusé de l’accomplissement des pires crimes ?

Est-ce une raison pour mépriser entièrement la loyauté ? La question ne se poserait pas si l’homme avait une connaissance certaine des principes de la justice universelle. Or, des doctrines reposant sur un principe de justice universelle par opposition au nationalisme sont en totale opposition à l’exemple du communisme et le libéralisme.

Le cas du communisme montre bien comment, en croyant contribuer à l’avènement d’un monde plus juste, l’esprit humain peut s’égarer. Aussi, l’homme ne courrait-il pas un risque en oubliant les devoirs de la loyauté au profit d’une idée de la justice qui pourrait être chimérique ?

De plus, le principe qui fait que dans la guerre ce qui est droit pour le soldat d’un camp ne l’est pas pour le soldat de l’autre camp a son équivalent dans le civil. Dans un procès, il est parfaitement admis que le procureur et l’avocat (ou les avocats des différentes parties) tiennent des rôles totalement opposés.

Le soldat qui combat pour son pays dans une guerre injuste est-il comparable à l’avocat qui défend un criminel sans avoir à le juger ? Il est pourtant des cas où l’obéissance du soldat à son rôle ne peut être excusée. Si l’on admet que la guerre de 1914-1918 était une guerre absurde, les soldats des deux camps ont-ils faits leur devoir ou simplement participé à une boucherie ?

Nous conclurons en disant que la loyauté ne peut occulter la question de savoir si une guerre est juste mais elle peut utilement modérer une idée de justice devenue chimérique.

 

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  • Une « guerre juste » n’est-elle pas en soi-même un oxymoron? La morale, la justice, les règles, sont par définition les moyens de régler les conflits potentiels en dehors de la violence. Si on choisit la violence, alors on est en dehors de la morale.
    Par ailleurs, l’universalisme dont se réclame l’article n’est pas si évident que cela à défendre. Un système de règles peut n’être valable que pour un groupe, en laissant les tiers à l’écart de la protection que ces règles confèrent. C’est à la fois cohérent et viable – d’ailleurs la plupart des sociétés humaines ont fonctionné comme cela, la violence envers les autres groupes (pour les réduire en esclavage par exemple) n’était pas illégitime.
    L’universalisme moral a commencé avec le christianisme, puis s’est sécularisé et est devenu inconditionnel (au sens où il accepte tout être humain comme sujet de droit, sans exiger d’abord une conversion religieuse ou autre), grosso modo à partir de la Renaissance et puis surtout au moment des Lumières (l’impératif catégorique Kantien par exemple).
    Nous devrions aujourd’hui réfléchir à ce qui fonde cet universalisme et à ce qu’il signifie, car nous le prenons souvent comme un dogme, sans réfléchir à ce qu’il recouvre vraiment. Au nom de cet universalisme par exemple, certains disent qu’il faut accueillir les migrants de façon inconditionnelle, et que les frontières n’ont pas de sens. Je ne suis pas sûr que ce soit le cas, et nous devrions prendre garde à ce que cette idée meure de ceux qui en font une caricature.

  • C’est aussi pour ça que je dis que dans la vrais vie, c’est chacun pour sa peau et tout le reste, n’est que littérature qui permet d’assujettir la piétaille soumise .Ceux qui édictent leurs lois ne sont ‘ils pas de grand criminels qui gouvernent pas la violence ?

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

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