Deux procédés de manipulation fiscale : la grenouille et le troll

Nul ne connaît la limite en matière de fiscalité. La classe politique pratique allègrement deux procédés manipulatoires : la grenouille et le troll.

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Deux procédés de manipulation fiscale : la grenouille et le troll

Publié le 10 novembre 2016
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Par Nicolas Perrin.

Deux procédés de manipulation fiscale : la grenouille et le troll
By: Britt ReintsCC BY 2.0

La taxation des loyers fictifs ne serait qu’une rumeur selon le gouvernement. Pourtant, l’OFCE vient de publier une étude sur le sujet. Pour faire peur afin de faire passer une rafale d’autres impôts ?

Nul ne connaît la limite en matière de fiscalité. La classe politique pratique allègrement deux procédés manipulatoires : la grenouille et le troll.

Mi-octobre, on apprenait par l’Association française des marchés financiers (AMAFI) que le système français de taxation de l’épargne détient un double record sur le plan européen, à la fois en termes de niveau d’imposition et en termes de complexité.

Probablement non contents que notre pays soit encore trop fortement concurrencé pour se voir décerner la place de N°1 mondial, quatre économistes de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et de Sciences Po ont publié le 24 octobre un papier présentant un certain nombre de mesures propres à permettre à la France de gravir quelques marches supplémentaires sur le podium.

Après avoir lu que la France “est le deuxième pays de l’UE ayant le plus fort taux moyen de prélèvement sur le capital derrière le Luxembourg”, le lecteur qui s’attendrait à la proposition d’une mesure vivifiante risque d’être déçu. Les auteurs poursuivent en pointant du doigt les “deux grands absents de la taxation du capital [que] sont le logement principal (et les plus-values réalisées sur celui-ci) et les plus-values non réalisées”.

Ils en appellent par conséquent à trois mesures “en faveur d’une plus grande neutralité fiscale” : une taxation des loyers des propriétaires aux prélèvements sociaux ; l’instauration d’un impôt sur les plus-values latentes en cas de transmission par donation ou héritage ; une simplification de l’impôt sur les plus-values immobilières qui intégrerait la résidence principale.

La mesure qui fait le plus grincer des dents est sans doute la taxation des “loyers fictifs” ou “implicites”sur la résidence principale (“imputed rents”, dans la langue de Shakespeare), serpent de mer qui refait régulièrement surface dans le débat public.

La neutralité fiscale est un prétexte

La neutralité fiscale mise en avant par les auteurs pour justifier leurs propositions est le principe selon lequel un impôt ne doit avoir ni pour but, ni pour résultat, d’exercer une pression sur les contribuables pour les inciter à quelque action ou abstention que ce soit.

Le raisonnement des auteurs voudrait que les personnes propriétaires de leur résidence principale se louent en quelque sorte leur logement à elles-mêmes. Pour être neutre, la fiscalité devrait par conséquent inclure ce loyer implicite dans le revenu imposable du propriétaire.

Invoquer ce principe est spécieux dans un pays où le législateur n’a de cesse de tenter de diriger le comportement des citoyens dans la direction qui l’arrange.

Par ailleurs, étant donné qu’il s’agit d’une question de principe, pourquoi alors s’arrêter au logement ? En effet, pourquoi ne pas étendre cette logique aux véhicules ? Nombre de personnes recourent en effet à une voiture en location avec option d’achat. Mais n’en restons pas là !

Pourquoi ne pas inclure les machines à laver, puisque le site lamachineduvoisin.fr permet à ces salauds de propriétaires de machines d’en faire bénéficier leurs voisins moyennant finances. Aucune raison non plus pour que les 6 000 objets à emprunter sur le site pretik.org (de la perceuse à la poussette, en passant par le furet de plombier) soient exclus du dispositif…

Apprendre à respirer en groupe pour encaisser

“Si ça continue, faudra aussi acheter une vignette pour avoir le droit de porter un slip ?” En recourant à cette formule, Jean Yanne, posait grosso modo la même question – quoi que d’une manière certes plus prosaïque – que les membres de la haute société parisienne qui se regroupaient chaque lundi soir de l’année 1749 dans le salon de Mme du Deffand. Déjà à l’époque, on avait commencé à se dire qu’au train où allaient les choses, il y aurait sans doute bientôt un impôt sur l’air et on s’exerçait à retenir sa respiration !

Où est la limite en matière de fiscalité ? Nul ne le sait. Dans une émission radio du 11 octobre, Simone Wapler rappelait que le législateur a tendance à considérer qu’”en France, si vous avez gagné de l’argent, c’est évidemment parce que vous l’avez volé à des pauvres !” Le droit de propriété doit se plier devant toute une kyrielle de droits créances. La Fayette doit ricaner dans sa tombe.

La taxation des “loyers fictifs”, une mesure impossible

Cette mesure n’est-elle qu’une “folle rumeur”, comme la qualifiait le secrétaire d’État au Budget Christian Eckert en mai dernier ?

En 2011, l’OCDE comptait cinq pays pratiquant ce type de taxe : l’Islande, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Slovénie et la Suisse. Pas exactement des dictatures, n’est-ce pas ?

D’autres pays ont appliqué ce système avant de l’abandonner il y a quelques années, comme la Norvège (en 2005) et la Suède (en 2007).

Car loin de simplifier le système fiscal, cette mesure porte en elle une complexité administrative byzantine. Comment en effet définir et maintenir la valeur administrative de résidences principales qui font toutes l’objet de caractéristiques uniques ? C’est en quelque sorte le problème des valeurs locatives cadastrales, mais à la puissance dix.

S’ajoute un obstacle d’ordre politique. Cette mesure pénaliserait les électeurs avancés dans le remboursement du prêt ayant permis d’acheter leur logement. Or, ces derniers sont ceux qui votent le plus.

Peu de chances, donc, que ce dispositif voie le jour en France.

Grenouille ou Troll et l’art de la manipulation

En matière fiscale, la classe politique pratique deux procédés manipulatoires.

Le premier tient au syndrome de la grenouille dans l’eau froide. Plongée dans une marmite dont la température monte progressivement, elle continue à nager en ne se rendant compte de rien. Résultat : la grenouille finit cuite à feu doux alors qu’elle aurait réagi tout de suite si on l’avait plongée dans une eau à 50°C. Colbert ne disait-il pas que “L’art de l’imposition consiste à plumer l’oie pour obtenir le plus possible de plumes avec le moins possible de cris” ?

La deuxième stratégie est celle du troll. Prenez une mesure dont vous savez qu’elle ne sera jamais appliquée car trop impopulaire (en jargon de communicant, on dirait “en dehors de la fenêtre d’Overton”), jetez-là sur la place publique, laissez-là se faire découper en morceaux, puis convenez du fait qu’il ne s’agit que d’une folle rumeur et, de pause fiscale en pause fiscale, vous pouvez alors créer 84 nouveaux impôts en deux ans, sans révolte (bilan 2011-2012).

Une vignette pour avoir le droit de porter un slip, peut-être pas, mais nous verrons probablement un jour une taxe d’assainissement sur l’usage de l’eau de pluie ou une taxe pour les propriétaires de potagers, de vergers, ou de volailles, au prétexte que ces derniers ne payent pas autant de TVA que les autres sur les produits alimentaires.


Pour plus d’informations de ce genre, c’est ici.

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  • il y a bien une taxe sur les puits pour punir ceux qui n utilisent pas l eau potable de la ville pour arroser leur jardin et on nous parle d »ecologie !

    • vous devriez vous demander pourquoi une taxe sur l l’eau de la ville…
      le principe m^me de neutralité fiscale tel qu’il est énoncé ici me semble bizarre…( je suppose ou devine que l’idée est qu’un impôt neutre sur le logement ne devrait pas inciter les gens à louer plutôt qu’habiter leur appartements par rapport à une situation où il n’y pas d’impôts.)..

      Il faudrait surtout des principes fiscaux généraux, à quoi utilise t on l’impôt? et sur quelle base simple repose sa collecte?
      A partir du moment où on considère que » l’impôt  » consiste à prendre dans la poche de toto pour mettre dans la poche du lulu avec un peu de perte en ligne au profit d’hector à cause que la justice…
      comme il est rappelé dans l’article, une personne qui s’enrichit aurait volé une partie ou tout l’ensemble de son argent aux « autres » , ceci peut ‘justifier de lui reprendre tout ou une partie de ses revenus…car il ‘agit de justice…sauf qu’il est bien compliqué de comprendre parfois comment ce vol s’opère! sauf d’ailleurs dans le cas d’arrangement entre les politiques et des vendeurs de trucs….
      A partir de là…
      A titre personnel je vois les choses autrement, l’impôt redistributif est accepté pour une simple rapport de force, je te donne pour que tu ne me voles pas… de toutes façons, si j’ai une richesse je dois en dépenser une partie pour la protéger du vol…

      • « si j’ai une richesse je dois en dépenser une partie pour la protéger du vol »
        Et dans la proposition grotesque évoquée dans l’article, c’est bien ça ; je dois payer l’Etat pour me protéger du vol de mon bien immobilier par l’Etat.
        Cela ressemble furieusement à une pratique mafieuse, hein ?

  • Tant qu’on est dans les nouvelles taxes, je « vote » pour une taxe sur les sms, mms et autre joyeusetés de ce genre.
    Comme je suis un « bon » citoyen, consentant à l’impôt, je ne souhaite évidemment pas que cette taxe remplaçât une autre, mais bien qu’elle se superpose aux autres déjà existantes 🙂

  • Vous dites : « vous pouvez alors créer 84 nouveaux impôts en deux ans, sans révolte (bilan 2011-2012). » Vous pouvez citer vos sources ? Merci …..

  • Les gens qui proposent l’imposition du loyer fictif vivent leur vie dans des logements à loyer avantageux à financements publics.

  • Et qu’est-ce que la taxe foncière si ce n’est déjà une taxe sur les propriétaires… Et parfois déjà salée !
    Entendu récemment : les Portugais sont désormais taxés sur la taille de leurs fenêtres, donc sur la lumière dont ils « profitent »… Et ceux qui dorment à la belle étoile ?…
    Et ceux qui pondent nos lois s’en exonèrent bien souvent, à commencer par l’impôt sur le revenu ( c’est vrai qu’ils n’en ont pas, eux …). Quant à notre président, il ne paye pas l’ISF (trop pauvre ou…)

    • Après une car complète de politicien logé et nourri par le contribuable, il n’a pas réussi à se constituer un patrimoine taxable à l’ISF : rien que ça démontre une incompétence crasse. Ou une maîtrise de la dissimulation et de la fraude fiscale avancée.
      Ou peut-être un peu les deux…

  • Ainsi les pouvoirs publics « s’amusent » à empoisonner notre atmosphère avec des trolls et à nous cuisiner comme des grenouilles. Le fait est qu’ils sèment la confusion, la peur et l’anxiété, diffusent la culpabilité, divisent pour régner et flattent à cet effet le bas instinct de l’envie. Ce sont des prédateurs dont les crocs et les griffes sont les impôts et taxes. Le contribuable est la chair fraîche dont ils se repaissent tout en laissant les bas morceaux aux élus d’une population encadrée comme du cheptel.

    Cela dit, il vous appartient de faire la part des choses, d’en prendre et d’en laisser dans ces propos amers, mais il y a quelque chose de bestial dans la rage confiscatoire et taxatoire qui anime trop de messieurs-dames qui font l’Etat. Leur acharnement quasi pathologique a rendu cet Etat monstrueux tant il est à la fois centralisé et déconcentré dans une multitude d’organismes territoriaux de plus en plus prédateurs de nos libertés, de notre droit de propriété, de notre droit de travailler et de notre droit de vivre tout simplement.

    Si j’utilise le terme de prédateur et non de voleur, c’est bien parce que la dérive des pouvoirs publics est pire que le vol : ce dont ils veulent nous priver, ce n’est pas seulement de ce qui nous appartient, c’est de nous-mêmes, de notre capacité à créer de la richesse, à nous entendre pour la partager entre nous en nous passant d’eux. Regardez ce qui se passe dès que l’intelligence collective fait que la population a tout naturellement un comportement bénéfique : aussitôt l’Etat reprend la main pour nous obliger à faire ce que nous faisions tout naturellement sans son intervention! C’est systématique. Cela revient à appliquer une règle simpliste d’exercice du pouvoir (et plus précisément son troisième terme) : « Ne rien faire, faire faire, ne rien laisser faire ». Autrement dit un pouvoir pareil nous demande de jouer à un jeu d’imbéciles où, quoi que nous fassions, nous serons toujours en échec. Quand nous avons de bonnes idées, il nous les pique pour nous les imposer. Quand nous créons de la richesse, il nous la pique pour financer des caprices dont il ne mesure même pas le coût. Dans ces conditions, la solidarité n’est qu’un prétexte avancé pour masquer une prédation éhontée. En payant tous ces impôts et taxes, je n’ai plus le sentiment d’accomplir un devoir civique mais de nourrir inutilement un monstre dont le caractère insatiable est une menace permanente.

    Ce monstre est d’autant plus insatiable qu’il n’est pas vivant, invulnérable parce que déjà mort, c’est un trou noir. Les Anglais et les Américains se sont libérés de son attraction mortifère. Pour nous, c’est beaucoup plus difficile. Comme l’alcoolique imbibé, il nous faut une sacrée cure de désintoxication pour sevrer notre société de la dose d’alcool fort dont elle s’enivre à base d’impôts et taxes. Un petit verre par ci, un petit verre par là, une petite taxe par ci, un petit impôt par là, et patatras, c’est la crise de delirium tremens (encore une grève et/ou une manif ) ou le coma éthylique (encore des chômeurs) qui s’abattent sur nous. A ce régime, l’Etat n’est plus un lanceur de trolls ou un cuistot de grenouilles, c’est un dealer qui veut notre mort ! Il est temps de l’arrêter.

  • Encore un petit effort, messieurs les politiques, et nous irons tous finir nos jours au Portugal ou ailleurs

  • Il faut taxer ceux qui sont propriétaire de leur voiture au lieu de la louer ou de prendre les transport en commun!!! C’est le même sujet IDIOT. Une insulte contre le droit de propriété.

  • Ce que ces crétins ne voient pas, c’est qu’en supprimant l’intérêt à être propriétaire de son logement, ces gens se tourneront vers le marché de la location.
    Donc exit les petits acteurs sur ce marché, et les acteurs importants le seront encore plus. Donc pressions plus fortes sur les prix des artisans, donc sur leur revenus et l’emploi, donc chômage plus élevé. Pression plus élevées sur la location, donc des loyers plus élevés.
    Si les propriétaires sont de grosses sociétés basés à l’étranger, donc exit toutes ces taxes débiles style CSG-RDA truc-muche, le capital partira à l’étranger.
    Donc, moins d’impôts à encaisser, et donc recherche d’autres impôts 🙁
    Taxes sur les campings-cars ??? ❓
    Puis sur les voitures non achetées ❓

    • Comme les français font facilement eux même une petite partie des travaux, souvent imposés à 20% de TVA, ce sera d’autant moins en TVA.
      Et cerise sur le gateau, miam-miam, les magasins de bricolage l’auront bien profond, d’où des impôts en baisse.
      Et dernière cerise, vu que ces magasins vont voir leur CA se réduire (20% ou +?), pan sur l’emploi, d’où besoin de nouveaux impôts et taxounettes diverses.

      On a pas fini de ricaner avec ces sots cialistes 🙂

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