Léon Gaumont : l’homme à la Marguerite

Gaumont reste aujourd’hui la plus ancienne firme cinématographique en activité. Elle est aussi ancienne que le cinéma.

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Léon Gaumont : l’homme à la Marguerite

Publié le 2 octobre 2016
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Par Gérard-Michel Thermeau.

Léon Gaumont, wikimedia commons
Léon Gaumont, wikimedia commons

Gaumont reste aujourd’hui la plus ancienne firme cinématographique en activité. Elle est aussi ancienne que le cinéma. L’année où les Lumière donnaient vie à l’art des salles obscures, Léon Gaumont (Semblançay, Indre-et-Loire, 10 mai 1864 – Saint-Maxime, Var, 9 août 1946) prenait le contrôle d’une société de photographie dont il allait faire la seconde société cinématographique de son temps.

À la différence de son rival Charles Pathé, avant tout homme d’affaire, Gaumont est un inventeur intéressé par la solution de problèmes techniques. Adolescent, il rêvait d’une image animée, en couleurs, sonore et en relief. Ces rêves de jeunesse, il va s’efforcer de leur donner vie.

D’un autre côté, la carrière des deux hommes est étonnamment parallèle : origines modestes, constitution d’un empire cinématographique avant 1914, retrait dans les années 30.

Les débuts d’un autodidacte

Lors de sa naissance, les parents de Léon Gaumont sont au service du comte de Beaumont, comme cocher et femme de chambre. Néanmoins, ses parents réussissent à lui donner pour un temps une éducation bourgeoise. Après avoir passé six ans au pensionnat Saint-Pierre à Dreux, Léon entre en 1876 comme interne au collège Sainte-Barbe. Les matières où il réussit le mieux sont la géographie et l’arithmétique.

Au terme de quatre années d’études, il a la possibilité de passer dans les classes préparatoires au baccalauréat, mais il doit, à seize ans, gagner sa vie. Faute de poursuivre ses études, il suit les cours d’éducation populaire.

Le jeune homme fréquente alors l’Institut populaire du Progrès, société d’éducation populaire dirigée par Léon Jaubert, où il complète ses connaissances dans le domaine des sciences. Il se rend aussi le dimanche matin aux laboratoires de physique Bourbouze. Partout, son caractère sérieux et appliqué lui permet de nouer des relations utiles pour son avenir. Léon Jaubert le recommande à Jules Carpentier qui dirige un atelier d’optique et de mécanique de précision rue Delambre, ce qui lui vaut d’être embauché comme commis aux écritures.

Entré comme simple gratte-papier au sein d’une maison de mécanique optique, la maison Carpentier, Léon Gaumont se montre besogneux et opiniâtre. Il acquiert peu à peu les connaissances techniques du domaine. Léon apprend aussi les bases de la gestion d’entreprise.

Les hasards de la fortune

Il dispose désormais d’un bagage technique, la tête pleine de projets. Reste cependant à trouver des financements. Néanmoins, il révèle une capacité à tirer profit des rencontres qu’il fait. Il sait nouer des amitiés qui vont se révéler très utiles pour la constitution de sa société. Et puis la chance va lui sourire.

Après le service militaire, il reprend son travail et fait en juin 1888, à 24 ans, un assez « beau » mariage en épousant Camille Maillard, de quatre ans son aînée, fille d’un architecte. Il a rencontré la jeune femme par l’intermédiaire du fils Maillard, un de ses anciens camarade d’études. Les ambitions de l’autodidacte ont plu à Camille. La mariée était assez bien dotée et va hériter au surplus d’un pécule honnête à la mort de son père.

Vers 1890, Camille, sans doute inspirée par son mari, achète quelques terrains de la ruelle des Sonneries, derrière la demeure du couple. Six ans plus tard, Léon Gaumont leur trouva une utilisation. Entretemps, en effet, il avait avancé sur le chemin professionnel.

Ses ambitions l’amènent à quitter Carpentier en 1891 et à prendre la direction des Lampes Camus. En 1894, il quitte cette affaire pour entrer comme directeur du Comptoir général de photographie, 57, rue Saint-Roch, près de l’Opéra, sur recommandation de Carpentier.

Léon Gaumont & Cie

En juillet 1895, un grave différend oppose son patron, Félix-Max Richard, à son frère Jules Richard. Léon Gaumont saute sur l’occasion et rachète l’affaire. Il a alors 30 ans. F.-M. Richard le met en relation avec Gustave Eiffel, un ancien « barbiste » lui aussi, et avec Joseph Vallot, le directeur de l’observatoire du Mont-Blanc. Tous les deux deviennent commanditaires de la société L. Gaumont et Cie constituée le mois suivant.

Le Comptoir Général de la Photographie commercialisait  du matériel optique et photographique. Il se lança aussitôt dans la construction des appareils et fait bâtir un atelier au bout de la ruelle des Sonneries. En 1895 se constitue ainsi la première brique de ce qui allait devenir la cité Elgé des Buttes Chaumont. Les laboratoires et les ateliers de construction s’organisent donc très tôt.

De la photographie à la cinématographie

La cinématographie n’apparaît pas encore au premier plan de la nouvelle entreprise malgré un contrat signé avec Georges Demenÿ, un inventeur presque ruiné. Ce sera le système « à came battante » de ce dernier qui va assurer la renommée des projecteurs Chrono-Gaumont.

Néanmoins, Gaumont avait découvert le cinématographe Lumière dès la toute première projection du 22 mars 1895, à Paris, organisée par les frères lyonnais pour un comité restreint. L’évolution se fait tout naturellement.

Mais c’est sa secrétaire, Alice Guy, qui lui fait une suggestion décisive : « M’armant un jour de courage, je demandais à M. Gaumont de m’autoriser à écrire et à faire jouer par mes camarades une ou deux saynètes. (…). La permission me fut accordée à condition que cela n’empiète pas sur mon travail de secrétaire. »

En 1896, Alice devient première femme réalisatrice au monde et la première productrice. Pendant dix ans, la jeune femme assure la direction de la production cinématographique.

La SEG

En 1905, un grand studio vitré est construit aux Buttes Chaumont. La cité Elgé (LG : les initiales de Gaumont) se constitue peu à peu. Face à l’organisation industrielle de la cité des Buttes-Chaumont, le siège social et commercial demeure rue Saint-Roch, au Comptoir général de photographie, qui reste le noyau commercial de la société.

Gaumont logo on carpet by Julien Lozelli (CC BY 2.0)
Gaumont logo on carpet by Julien Lozelli (CC BY 2.0)

L’entreprise doit être refondée en décembre 1906 donnant naissance à la Société des établissements Gaumont (SEG). La mise en liquidation de la société L. Gaumont et Cie permet la constitution d’une société anonyme par actions, définitivement constituée le 18 janvier 1907.

Le logo de la compagnie date de 1904, hommage du rude industriel à sa mère qui se prénommait Marguerite.

La villa des Gaumont se trouve dès 1908 insérée dans le tissu dense des bâtiments de la cité qui n’ont cessé de s’étendre : elle en borde l’entrée sur la rue de la Villette. Léon, qui supervise de haut la dimension artistique des activités de sa firme, ne met jamais le nez dans la “cuisine” de la réalisation des films. Ses employés le voient rarement sous la verrière géante du « théâtre de prises de vues ».

Le goût des innovations techniques

Léon Gaumont s’intéresse avant tout aux innovations techniques. Il cherche à synchroniser le son et l’image. À partir de 1906, des phonoscènes sont commercialisés : les principaux chanteurs de l’époque enregistrent leurs succès avec un phonographe puis miment la scène devant la caméra. Ces clips archaïques séduisent les foules mais il n’est pas possible de tourner des films sonores.

En effet, lors de la projection, il faut utiliser les deux appareils séparément : le phonographe et le projecteur. Le son sur disque est une impasse technique alors même que les recherches menées sur le son à enregistrement direct sont pour des raisons mystérieuses abandonnées.

Néanmoins, Gaumont met au point un système d’amplification sonore, le son placé derrière l’écran, repris ensuite par le cinéma parlant.

En 1913, le chonochrome vise à résoudre la question de la couleur. Mais le procédé trop coûteux ne sera pas réellement exploité.

La montée en puissance de Gaumont

La façon de conduire ses affaires ne change guère jusqu’à sa retraite en 1929 : autorité, paternalisme, mais laissant une large initiative à ses collaborateurs. Rude et sec, attentif à la ponctualité, il ouvre chaque matin les grilles du studio. Il a surtout, comme le dit Louis Feuillade, « le porte-monnaie en peau de hérisson ».

Alice Guy tourne en 1906 une production ambitieuse La Naissance, la vie et la mort du Christ en 25 tableaux réunissant 300 figurants et acteurs pour montrer que Gaumont pouvait faire aussi bien que Pathé. L’année suivante, elle part représenter la firme aux États-Unis avec son mari Herbert Blaché. Elle recommande pour sa succession Louis Feuillade.

En 1907, la SEG doit s’adapter aux conséquences du passage de la vente à la location des films, instaurée par son concurrent Pathé et crée donc à son tour un réseau de distribution. Un an plus tard, en 1908, la société Gaumont inaugure la première salle de cinéma de son futur réseau et ajoute ainsi l’exploitation à ses champs d’activité.

En 1910, Léon Gaumont achète l’hippodrome de la place Clichy à Paris et le transforme en une monumentale salle de cinéma de 3 400 places, la plus grande du monde : le Gaumont-Palace. Dès lors, la société acquiert et aménage des salles dans toute la France.

La SEG bâtit autant sa réputation sur la qualité esthétique des films qu’elle produit que sur la mise au point d’innovations techniques dont elle se veut la pionnière.

L’apogée de la production cinématographique

S’il s’intéresse de très près aux questions techniques, par goût personnel, Gaumont reste un gestionnaire strict et extrêmement prudent. À Louis Feuillade, qui supervise la production, le mot d’ordre de Gaumont est : « Aller de l’avant et que ça ne coûte pas cher… »

Sous ses allures conformistes et bourgeoises, Feuillade, réalisateur résolument commercial, est pourtant un expérimentateur, un maître du thriller qui annonce Fritz Lang et Hitchcock. Sous sa houlette artistique, la firme abrite des talents plus divers et originaux que sa grande rivale Pathé.

Émile Cohl crée le cinéma d’animation, Jean Daurand tourne des westerns en Camargue, Henri Fescourt et Jacques Feyder y forgent leur style.

À côté de Feuillade, le réalisateur le plus talentueux est Léonce Perret qui donne une grande beauté plastique à ses films par l’utilisation du contre-jour, des plans rapprochés et des mouvements d’appareil.

Faisant confiance à Feuillade, Léon Gaumont se concentre sur les questions techniques et commerciales. Mais l’entreprise reste son affaire personnelle et non une affaire familiale. Certes, son fils Charles Gaumont réalise différents voyages pour le compte de la SEG, en Inde puis aux États-Unis. Pendant de nombreuses années, il est en outre opérateur pour le service de prise de vues d’actualités. Cependant, Léon Gaumont n’associe aucun de ses enfants à la direction.

La firme Gaumont est devenue la seconde maison de production en France mais aussi dans le monde, après Pathé. La série Fantômas de Louis Feuillade connaît un succès mondial (1913-1914). La firme à la marguerite produit alors plus de 140 films par an.

Les conséquences de la Grande guerre

Suite à la mobilisation générale décrétée le 1er août 1914, toute la production cinématographique française est suspendue jusqu’au début de l’année 1915. Les salles sont fermées, les personnels mobilisés. Gaumont, comme Pathé, se reconvertit dans la défense nationale et la production de « films patriotiques ». Néanmoins Louis Feuillade tourne un nouveau film à épisodes, Les Vampires. Comme l’écrit Aragon, « une jeunesse tomba toute entière amoureuse de Musidora. » L’actrice, jouant une criminelle en collant noir, est la première « beauté fatale » de l’histoire du cinéma.

Après le conflit, la production Gaumont se partage en deux catégories. D’une part, les films populaires et bon marché réalisés par l’infatigable Louis Feuillade tel Judex. D’autre part, la série Pax, créée en 1919, confiée à différents metteurs en scène, pour promouvoir des films d’une qualité supérieure.

Les intérêts commerciaux de sa société ont toujours primé sur le reste. Or dans les années 1920, la production cinématographique lui paraît de moins en moins rentable. Léon Gaumont refuse de se plier à l’augmentation des coûts des films induite par l’exemple hollywoodien. Petit à petit, la SEG se dirige vers l’abandon de la production.

Les dernières années de Léon Gaumont

Léon Gaumont, gestionnaire prudent et de plus responsable devant les actionnaires des résultats de la SEG, fait en 1923 le choix de restreindre la production aux films réalisés par Louis Feuillade. Le décès de celui-ci, en 1925, marque l’arrêt définitif de la production de la SEG.

Mais elle conserve encore son réseau de salles de cinéma, qui constitue depuis la guerre une de ses branches les plus rentables.

En 1925, Léon Gaumont signe un accord de distribution avec la Metro Goldwyn Mayer – une première transatlantique – et crée une nouvelle société, GMG, la Gaumont Metro Goldwyn. Mais la SEG renonce vite à l’exploitation directe de ce circuit, qu’elle afferme au profit de la MGM.

La maison Gaumont poursuit ses travaux sur le son, notamment avec les Danois Petersen et Poulsen qui aboutissent à la mise au point d’un procédé de cinéma sonore à double bande. Mais le « cinéphone », procédé complexe à mettre en œuvre, se trouve dépassé très rapidement par les innovations venues des États-Unis.

Léon Gaumont tente à nouveau de s’imposer dans le domaine du film parlant avec la commercialisation d’un nouvel appareil, de projection cette fois. L’Idéal-Sonore peut être considéré comme le dernier projet industriel mené à terme par Léon Gaumont.

Écarté de la direction de sa firme, il doit se retirer en 1930, à l’avènement du cinéma parlant. Installé à Sainte-Maxime, il vit entouré de sa nombreuse famille. Il se livre aux joies de la navigation, reçoit ses amis et voisins, dont un certain Louis Lumière…

Sources :

La semaine prochaine : Léopold Pralon

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