Charles Pathé : l’homme qui fit du cinéma une industrie

La longue existence de Charles Pathé est l’une des plus étonnantes qui soit. Il connait d’abord échec sur échec, bâtit ensuite un empire industriel qu’il démantèlera, lui-même, pièce par pièce.

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Charles Pathé-Les frères Pathé-Domaine public

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Charles Pathé : l’homme qui fit du cinéma une industrie

Publié le 25 septembre 2016
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Par Gérard Michel Thermeau.

Charles Pathé
Charles Pathé-Les frères Pathé-Domaine public

Pathé crée un modèle qui sera imité par Hollywood. Ni inventeur comme les Lumière, ni innovateur comme Méliès, ni technicien comme son concurrent Léon Gaumont, Charles Pathé (Chevry-Cossigny, Seine-et-Marne, 26 décembre 1863 – Monte-Carlo, 25 décembre 1957) crée le type du producteur de cinéma. Selon la phrase qui lui est souvent prêtée : « Je n’ai pas inventé le cinéma, je l’ai industrialisé. » Pathé va être ainsi la première multinationale dédiée aux loisirs.

Trente ans de vaches maigres

Ses parents, originaires d’Alsace, tiennent une charcuterie à Chevry-Cossigny puis à Vincennes. Alternant séjour en pension et aide au commerce de ses parents, il paraît destiné à une carrière de petit commerçant. Il souffre de la dureté de son père. Après son service militaire, il rejoint son frère aîné, boucher à Saint-Sauveur, près de Compiègne, ce qui lui permet de constituer un petit capital. Il pense s’établir dans le commerce de la boucherie sur les marchés parisiens et de banlieue.

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Charles Pathé-Wikimedia Commons

Mais en 1889, le voici qui s’embarque au Havre pour gagner l’Amérique du sud. De Buenos Aires à Rio de Janeiro, il exerce divers métiers mais sans réussir dans aucun. Ayant contracté la fièvre jaune, sa santé compromise, il rentre en France en 1891. Il s’embarque avec des perroquets, dans le but de les revendre. Mais la troupe ailée ne survit guère au voyage transatlantique.

Le voici bistrotier. Une de ses clientes ayant chuté de la balançoire se trouvant dans l’établissement, il va prendre de ses nouvelles et rencontre ainsi sa fille, Marie Foy. Il épouse cette jeune sage-femme en 1893 contre le voeu de ses parents. De nouveau sans le sou, il entre comme gratte-papier chez un avoué parisien.

Du phonographe au cinématographe

Enfin se produit la rencontre décisive après toutes ces longues années de vaches maigres. À la foire de Vincennes, il découvre le phonographe Edison (1894). Il quitte aussitôt son emploi, emprunte, achète un appareil pour se produire dans les foires. Ayant dégagé un peu d’argent, il ouvre une boutique à Paris pour vendre des phonographes à cylindre aux forains. Dès 1895, il propose également des kinétoscopes. Il comprend vite qu’il est plus judicieux de louer que de vendre le matériel.

Il s’associe avec le photographe Henri Joly pour déposer un brevet d’appareil chronophotographique. Mais comme Edison, il se fixe sur la technique du spectateur unique. Le cinématographe Lumière rend caduque cette approche.

En 1896, la mort de ses parents lui apporte un capital et lui permet de s’associer avec ses frères : il se lance dans la fabrication de films. À la suite d’un différend commercial, deux de ses frères se retirent. Seul Émile continue l’aventure aux côtés de Charles. La société Pathé frères voit le jour le 30 septembre 1896 avec un capital de 40.000 francs. Les ateliers sont installés à Vincennes, dans une propriété laissé par son père à Émile.

La Compagnie générale des cinématographes, phonographes et pellicules

En 1897, l’entreprise est absorbée par la Compagnie générale des cinématographes, phonographes et pellicules fondée par des industriels de la région lyonnaise. Cette nouvelle société a constitué un capital de 2 millions de francs.

À la tête de ce groupe d’hommes d’affaires, le Stéphanois Jean Neyret, d’une famille de fabricants de rubans, s’intéresse aux nouvelles industries : il a investi dans l’hydro-électricité en Isère. Il devient le premier président du conseil d’administration. Autre figure-clé, Claude Grivolas, administrateur délégué, ami de Gustave Eiffel, qui avait déposé plusieurs brevets dans le domaine naissant du cinéma. L’usine de phonographes est implantée à Chatou, où Grivolas avait déjà développé des activités dans la construction mécanique.

Ces gestionnaires avisés imposent la production de masse et la spécialisation avec mécanisation, formation des ouvriers et embauche d’ingénieurs. Pathé frères devient une marque. Comme l’écrit Charles Pathé dans ses souvenirs biographiques : « Rien ne pouvait être plus précis. Mon frère et moi nous n’étions plus propriétaires, c’est certain. Nous cédions la place à un groupe. »

Le cinéma devient une industrie

Directeur technique des activités cinématographiques, Charles Pathé va réussir à les développer grâce à son sens des affaires. La branche cinéma, d’abord marginale, va devenir prépondérante. Pathé propose à Méliès de réaliser des films et, devant son refus, choisit Ferdinand Zecca (1901) qui va s’imposer comme le réalisateur-producteur maison. 500 films sont produits dans les studios de la firme en 1903.

Pathé transforme ainsi une attraction de foire en spectacle de masse que l’on va voir désormais dans de confortables salles de spectacles à l’image de l’Omnia Pathé à Montmartre (1906). Un réseau de salles Pathé est constitué. Elles n’appartiennent pas à la société mais signent un contrat d’exclusivité. Elles projettent tous les films produits par la firme. Désormais, la firme loue et ne vend plus les copies de films.

Il réunit une équipe talentueuse dans les studios de Vincennes et de Montreuil. 1905 est une année faste : la firme adopte le coq gaulois, son emblème, et engage Max Linder et Albert Capellani. Jeune comédien ambitieux, Max Linder ne tarde pas à s’imposer comme acteur réalisateur. Il devient la première star mondiale du cinéma, un modèle pour un jeune Anglais non moins ambitieux nommé Charles Chaplin.

Albert Capellani, réalisateur de talent, va s’attaquer à l’adaptation de romans populaires (Les Misérables, Germinal) montrant les ambitions du nouveau média de concurrencer la littérature. Loin des films à brève durée des origines, Pathé n’hésite pas à produire des longs métrages : avec ses 3020 mètres, Germinal dure environ 2 h 30.

Autre nouveauté, le Pathé Journal (1909) s’affirme comme « le premier journal vivant de l’univers ! » C’est le premier hebdomadaire d’actualités cinématographiques. Il est diffusé avant le film dans les salles Pathé.

Charles Pathé, premier Nabab du cinéma

Entre 1904 et 1908, le capital double, le chiffre d’affaires est sextuplé, les bénéfices sont multipliés par 5. La branche cinématographique, d’abord minoritaire, tient une place grandissante. Plus de 200 filiales sont ainsi créées à travers le monde : Moscou, New York, Londres, Berlin, Milan, Barcelone, Amsterdam et Bruxelles.

En 1907, 30 % des bénéfices de Pathé proviennent désormais des États-Unis. Le théâtre de prises de vue, dirigé par Louis Gasnier à partir de 1910, permet la diffusion de films adaptés au public américain.

Mais Charles Pathé profite de la crise de 1908 pour renforcer sa position. Contre l’avis du conseil d’administration, il s’engage dans la fabrication de pellicule pour concurrencer George Eastman en Europe. Les unités de production de Vincennes et de Joinville mettent ainsi fin en Europe au monopole détenu par le fabricant américain George Eastman

Le comité consultatif rassemble les collaborateurs de Pathé constituant un véritable contre-pouvoir. En 1911, il parvient enfin à entrer au conseil d’administration, dernière étape avant le contrôle total de la société. Enfin, le nom de Pathé entre dans la raison sociale. À la veille de la Grande guerre, Pathé frères est la quinzième plus importante firme française.

Mais la concurrence est désormais rude : la création de nombreuses firmes nationales en Suède, en Grande-Bretagne, en Italie et surtout aux États-Unis avec la Motion Picture Patents Company, réduit la part de marché de Pathé.

L’épreuve de la Grande Guerre

Comme toute l’industrie cinématographique française, Pathé subit le contrecoup de la Grande Guerre. Le personnel a été mobilisé, les transports sont rendus difficiles. À partir de 1915, la société participe activement à l’effort de guerre en consacrant une partie de ses installations de Chatou et de Vincennes à la fabrication d’armes et de protections. Pathé s’investit également dans le Service photographique et cinématographique des armées.

Charles Pathé a profité des circonstances pour prendre le contrôle total du conseil d’administration. « Meneur contesté mais inestimable », il redresse la société dans une conjoncture difficile. Face à la frilosité des administrateurs, soucieux d’une bonne gestion, il s’impose comme l’entrepreneur qui sait prendre des risques.

Devant les difficultés du marché français, il déplace la production aux États-Unis. Les vingt épisodes de la série Les Mystères de New York (1914) rencontrent un énorme succès qui permet à la société de faire du marché américain son principal fournisseur et destinataire.

Ultimes affaires : le Pathé Baby et le Pathé-Rural

La dernière affaire lancée par Pathé est le « Pathé Baby » (1922). Comme son nom l’indique, cet appareil de cinéma est de de format réduit (9,5 mm) et destiné au grand public. Il s’agit de faire entrer le cinéma dans les foyers. Le succès est au rendez-vous. Pathé cède les droits d’exploitation de sa nouvelle création à une « Société du Pathé Baby », tenue d’acheter les films de format réduit proposés à la clientèle de Pathé Cinéma.

La firme Pathé Cinéma se procurait les films à prix très réduits auprès des producteurs ayant amorti leurs films et pour lesquels cela représentait une prime non prévue. Bien entendu, ces films étaient contretypés sur une pellicule Pathé. Ainsi, Pathé Cinéma, sans engager des sommes importantes dans l’affaire, s’assurait sans risques des royalties.

Le Pathé-Rural rencontre davantage de difficultés. Lancé en 1927 avec le slogan « le cinéma partout et pour tous », c’est un projecteur destiné à la petite exploitation qui permet de créer un réseau de salles dans les campagnes françaises.

Charles Pathé démantèle son empire

Au lendemain de la Grande guerre, Charles Pathé considère que la production de films n’est plus rentable. Hollywood est en train de se constituer pour dominer le marché mondial. Entre 1918 et 1927, il va céder peu à peu tous ses actifs. Une assemblée générale réunie à Clermont-Ferrand en novembre 1918 adopte le principe que pour toute cession d’actifs, 10 % des sommes reçues iraient dans la poche de Pathé.

La branche phonographique, gérée par son frère Émile, est revendue avant de tomber dans l’escarcelle de Marconi sous le nom de Pathé Marconi. La branche cinéma devient ainsi Pathé-Consortium-Cinéma. L’affaire est très juteuse comme le souligne Charles Pathé :

« Pathé-Consortium s’engageait à utiliser exclusivement nos produits sensibilisés durant soixante-treize ans. Le profit qui en découlerait pour nous s’ajoutait à la redevance de dix pour cent sur son chiffre d’affaires total, étant entendu que cette redevance ne saurait être inférieure à deux millions de francs pour les dix premières années et un million pour les soixante-treize années suivantes. […] Par ailleurs, conformément à la nouvelle politique de nous spécialiser surtout dans la fabrication du film vierge susceptible de nous fournir des bénéfices importants et certains, nous décidâmes également de céder ou de fermer toutes nos succursales de locations de films en Europe, Asie et Amérique. »

À chaque fois, une clause précise la nécessité de conserver le nom Pathé. Il en va de même des implantations américaines (studios, agences…) et des salles de cinéma qui continuent de porter le nom de celui qui n’y a plus aucun intérêt.

Le retrait progressif de Charles Pathé

Seule la production de film vierge, dans l’usine de Vincennes, qui rapporte énormément d’argent, est conservée par Charles Pathé jusqu’en 1927. De longues négociations avec son concurrent Eastman aboutissent à la nouvelle société « Kodak-Pathé » dans laquelle Eastman détiendrait 51 % des actions et Pathé Cinéma 49 %. Mais les actions Pathé sont très vite revendues aux Américains.

Enfin le 1er mars 1929, Charles Pathé fait voter par le Conseil d’Administration la nomination du nouvel administrateur délégué : Bernard Natan. Mais celui-ci, passionné de cinéma, héritait en fait d’une coquille vide. Après bien des déboires, la firme Pathé devait néanmoins continuer à jouer un rôle. Elle reste une des plus anciennes sociétés de production cinématographiques en activité.

Retiré des affaires, Charles Pathé va survivre trente ans à son empire défunt. Soucieux de son image pour la postérité, il publie son autobiographie à deux reprises. D’abord sous le titre « Souvenirs et conseils d’un parvenu » (1926) puis « De Pathé frères à Pathé Cinéma » (1940). Celui qui avait fait de son nom une marque connaît une longue retraite paisible à Monte-Carlo.

Sources :

  • http://www.licelfoc.com
  • André Rossel-Kirschen, « Charles Pathé et son bouc émissaire : Bernard Natan », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 55 | 2008 https://1895.revues.org/4109
  • Notice de Stéphanie Salmon in Dictionnaire historique des patrons français, Flammarion 2010, p. 525-527.

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