Pourquoi les médias doivent se méfier des terroristes

Comment font les médias pour équilibrer la nécessaire information du public avec la volonté manifeste des terroristes d’actionner le levier médiatique pour diffuser leur idéologie meurtrière ?

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Pourquoi les médias doivent se méfier des terroristes

Publié le 11 août 2016
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Par Florian Silnicki.

Pourquoi les médias doivent se méfier des terroristes
By: Dying RegimeCC BY 2.0

Dans un message à sa rédaction, le patron du journal Le Monde a précisé, il y a quelques jours, les règles qui prévalent désormais pour la publication de photographies d’auteurs d’actes terroristes. Le Monde et ses publications numériques ne publieront plus d’images de terroristes « tirées de leur vie quotidienne ou, précédant leur passage à l’acte, souvent prises par eux-mêmes ».

« Cette règle ne concerne pas les images apportant différents types de preuves (par exemple capture écran attestant d’une présence à tel endroit, photo de groupe donnant des informations sur des proximités entre personnes ou réseaux), accompagnées d’explications et éventuellement recadrées, ou les documents d’identité. »

Il faut saluer cette initiative qui vise à isoler la propagande de plus en plus soignée adoptée ces dernières années par les terroristes.

Le Monde est une publication courageuse puisqu’il faut le rappeler, depuis deux ans, le journal ne publie plus de photos extraites de vidéo de propagande ou de revendications, permettant ainsi d’isoler la diffusion de l’information de la communication terroriste.

Censurer les médias ?

Il ne s’agit en rien d’appeler les médias à se censurer. Il s’agit bien au contraire de leur permettre de rester libres. Il faut prendre conscience que le sang, les larmes, la colère, la panique et les mouvements de foule sont le terreau du développement de la réalité terroriste islamique. Ils attirent les médias parce que l’émotion qu’ils génèrent est un puissant stimulant d’audience et que parfois, dans la précipitation, l’information est diffusée sans toutes les précautions nécessaires.

Selon un sondage Ifop pour Atlantico, en vue de la présidentielle de 2017, la lutte contre le terrorisme arrive en tête des préoccupations des Français : 67% pensent que ce sujet comptera beaucoup, devant le chômage et la relance de l’activité économique (60%). Les Français sont aujourd’hui davantage préoccupés par une attaque terroriste que par l’emploi alors qu’en réalité, les risques de mourir d’un acte terroriste sont à peu près égales à la probabilité de noyade dans sa baignoire.

Pourquoi sommes-nous si préoccupés par le terrorisme ?

Une des réponses est sans doute l’ampleur de la couverture médiatique des attentats. Il faut quand même garder en tête une donnée essentielle : la couverture médiatique offerte actuellement au terrorisme a une valeur considérable. Elle dépasse très largement les investissements publicitaires des plus grandes sociétés privées du monde. Aux médias de comprendre qu’ils sont une arme parmi d’autres entre les mains des terroristes et de leur communication stratégique dans une guerre plus globale contre notre civilisation.

Plus de huit mois après les attentats de Paris, et quatre mois après ceux de Bruxelles, c’est la ville de Nice qui fut à son tour frappée en plein cœur par une attaque. Le terroriste au volant d’un camion poids lourd a foncé dans la foule rassemblée sur la promenade des Anglais pour assister aux festivités si symboliques du 14 juillet. Le bilan humain très lourd ne manque pas de rappeler les dramatiques attentats de Paris du 13 novembre dernier qui, il faut le rappeler, sont à ce jour les plus sanglants de l’histoire du terrorisme en France avec 130 morts et 352 blessés.

Chacun de ces épisodes terroristes a révélé l’imbrication toujours plus intense et symbiotique entre les médias et le terrorisme. Où en est aujourd’hui cette relation ? Comment les médias font-ils face à cette dynamique ? Comment font-ils aujourd’hui pour équilibrer la nécessaire information du public avec la volonté manifeste des terroristes d’actionner le levier médiatique pour diffuser leur idéologie meurtrière et accentuer l’effet de sidération de l’opinion publique ? Quelles mesures les médias prennent-ils pour éviter que la couverture de l’information ne permette aux terroristes de promouvoir leurs croyances haineuses et les actes barbares qui l’accompagnent ?

L’épisode terroriste de Nice a démontré que les médias ont capitalisé sur la confusion et la consternation du public provoquées par l’attentat pour diffuser des images leur permettant de fabriquer des reportages aussi dramatiques que possible garantissant l’attention du public ; au point de s’en excuser aujourd’hui. Ainsi, France Télévisions, télévision publique, s’est excusée pour avoir diffusé l’interview d’un homme près du corps de son épouse dans l’édition spéciale de la chaîne France 2, lancée au milieu de la nuit. La chaîne expliquant que « ce n’est pas le résultat d’un choix éditorial ».

Les terroristes, champions de la communication ?

Cet attentat terroriste le démontre une nouvelle fois, les extrémistes calculent soigneusement l’échelle, la cible, le lieu et le moment de leurs assauts pour provoquer une grande attention, marquer l’opinion et générer la publicité la plus importante possible. Les terroristes cherchent à ce que leurs actes répandent la terreur et l’indignation au public le plus large possible.

En 1956, l’Algérien Ramdane Abane avait théorisé les prémisses d’une stratégie de communication du terrorisme en posant la question de savoir s’il valait mieux tuer plusieurs ennemis dans un village reculé alors que personne n’en parlerait, ou une seule personne à Alger, acte qui sera médiatisé dès le lendemain et visible à toute la population, influençant les décideurs les plus importants du pays. Daesh, enfant digital du terroriste d’hier, a répondu depuis longtemps à ce dilemme en misant sur les canaux contemporains de diffusion de l’information et en structurant une présence invasive des réseaux sociaux.

Il faut remarquer ici que sans la garantie d’être diffusés, médiatisés et largement relayés, beaucoup d’actes terroristes n’auraient probablement pas lieu. Les terroristes savent aujourd’hui trop bien que la couverture du sensationnel par les chaînes d’informations en continu est directement liée à l’emplacement choisi, le nombre de pertes infligées, et le type d’acte commis.

Le « Choc des civilisations » en direct

En plus des médias traditionnels, les groupes terroristes actuels comme Daesh s’appuient sur de multiples plateformes digitales et sur les médias sociaux afin de répandre leur propagande misant sur une radicalisation de la minorité la plus fragile et la plus désacralisée parmi la masse de personnes qu’ils atteindront.

Il est d’ailleurs intéressant de remarquer qu’ils misent sur les médias traditionnels pour répandre leur haine, tout en les considèrant comme l’incarnation de l’ennemi. Ils ont aujourd’hui mis sur pied une véritable stratégie de communication conçue pour terrifier. Plus les Français assistent à ces scènes dramatiques, plus ils ont susceptibles de souscrire aux théories de Samuel Huntington et son choc des civilisations, et plus les partis politiques les plus racoleurs sont susceptibles de convaincre. Les médias constituent un vecteur de l’information façonnant l’information et contribuent à forger et à influencer l’opinion publique.

L’épisode de jeudi soir a une nouvelle fois souligné l’émergence d’une série de nouvelles plateformes numériques accentuant la concurrence dans la diffusion de l’information. Périscope a ainsi connu un succès incroyable. Des milliers de personnes se sont connectées au réseau social afin de visualiser les images brutes capturées en direct sur le terrain par des citoyens. Périscope est à la limite de l’application et du réseau social permettant à chacun de diffuser de la vidéo en direct dans le monde entier. Ce contenu diffusé en direct est notifié instantanément à tous vos abonnés, invités à visualiser le direct.

C’est cette application qui avait été utilisée par une adolescente pour réaliser ce qui est souvent désigné comme le suicide d’Océane.

La télévision reste aujourd’hui la principale source d’information de la population française, excepté pour les plus jeunes pour lesquels YouTube et d’autres applications similaires ont déjà terrassé les chaînes de télévision.

Garantir un traitement responsable de l’information

La conférence de presse, parfait exercice de communication de crise de l’institution judiciaire a démontré comment François Molins, le procureur de la République de Paris, cherchait à conserver la maîtrise de l’information, en précisant d’emblée qu’il s’agissait, non pas d’une conférence de presse interactive basée sur des questions-réponses habituelles, mais d’une communication unilatérale visant à communiquer les premiers éléments tous déjà connus et relayés par les médias traditionnels ; ce qui est de nature à pousser les médias à chercher, enquêter et dévoiler les détails non divulgués en premier. Une telle couverture médiatique des enquêtes terroristes n’est d’ailleurs pas sans soulever de nombreuses préoccupations à l’institution policière et judiciaire, les conduisant systématiquement à s’interroger sur la pertinence à laisser les médias dévoiler certains détails.

La profession de journaliste s’enracine dans la démocratie dont elle est l’un des fondements, et la liberté d’expression l’accompagne. Les médias doivent pourtant aujourd’hui apprendre à se modérer dans le traitement de ces attaques terroristes. Les éléments sensationnalistes, les plans vidéos les plus durs et les atrocités meurtrières ne doivent pas être diffusés uniquement comme garantie d’audience. La force du journaliste est la contextualisation de l’information diffusée. L’attaque de Nice en a parfois cruellement manqué.

Les médias doivent mettre en place des normes de traitement de l’information terroriste, ne plus reprendre à leur compte la terminologie des terroristes, tel que État islamique, afin de ne pas être utilisé comme un canal de diffusion de leur propagande. Dans la mesure où ils continuer d’informer autour de la violence dans la société, il leur appartient d’en garantir un traitement responsable. Ils ne doivent plus servir d’amplificateurs de menaces, car ils représentent la plus grande puissance de notre société contemporaine comme nous l’a appris David Lodge.

Sur le web

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  • Vous parlez « informations » alors qu’il ne s’agit que de manipulations de cervelles orchestrées pour faire réagir les décérébrés dans le sens voulu …. et ils sont nombreux.

    Coluche: « la seule information exacte dans le journal c’est la date »

    • J’ai oublié ….
      Quelle caisse de résonance que les médias qui font le jeu des débiles islamistes sous prétexte « d’information » et le gouvernement n’est pas en reste pour entretenir la psychose ….
      ça vaut bien le Durafour crématoire ou le détail de l’histoire …… peu importe l’énormité de l’info qu’on en parle en bien ou en mal qu’importe « ON » en parle
      La manipulation sert à justifier de persister dans l’erreur de guerres qui ne sont pas les notres et les attentats ne sont que la conséquence de comportements débiles de nos dirigeants politiques ….
      « ON » continue ???????

  • Plus personne ne lit le Monde pour s’informer (à la rigueur pour se divertir de quelques « Pignouferies de Presse »). Les réseaux sociaux l’ont remplacé. Et là qui va contrôler le floutage des images ? La presse est en retard d’une gierre, comme d’habitude.

  • Très mauvaise idée de mon avis que cette anonymisation qui va indubitablement pousser au « on nous cache tout, on nous dit rien » et va au contraire en pousser à aller s’informer sur des medias alternatifs. Déjà que la presse a mauvaise presse, ça ne va pas arranger les choses.

    Je comprends bien que l’on ne montre pas en continu les videos des massacres mais pourquoi les censurer de concert sur tous les medias alors que ça montre bien la sauvagerie à laquelle on est confronté. Une photo parle mieux que des chiffres. D’ailleurs pour cette communication les medias ne s’y sont pas trompés et il y a une grande hypocrisie à montrer le corps du petit Aylan mort sur une plage mais pas celui du petit Maxime mort sur la promenade des Anglais.
    Perso quand je veux des infos je vais sur des sites étrangers qui eux nous donnent les noms prénoms origines et d’autres informations qui sont occultés dans les medias français. C’est évident que d’autres iront rechercher ces infos sur des sites djihadistes et enfin de compte on aura le résultat inverse de celui recherché, comme d’hab.

  • On devrait aussi interdit les médias de parler du chômage sous prétexte que ça sert les intérêts des populistes. Et puis pourquoi s’arrêter en si bon chemin, si on interdisait toutes informations négatives ! On nagerait dans la sensation de bonheur.

  • Y’a des journalistes en France?

  • Quelle courage de la part du monde, par contre, suite à l’attaque de Charlie, aucun de ces médias courageux n’a publier les caricatures en question. Aucune analyse de ce fameux « choc des civilisation », aucune analyse des sociétés musulmanes, chasse à l' »islamophobe » et à la liberté d’expression, des médias aux ordres transformés en service de communication de Manuel Vals.
    Vraiment ces « journalistes » français sont des modèles de courage, face aux puissants ils n’ont qu’un mot d’ordre : « la vérité ou la mort » ! LOL

  • L’auteur de l’article s’étonne que la lutte contre le terrorisme arrive en tête des préoccupations des Français devant le chômage et la relance de l’activité économique. Pour souligner le caractère disproportionné d’un tel niveau de préoccupation, il observe que la probabilité de mourir d’un acte terroriste est à peu près égale à la probabilité de noyade dans sa baignoire. Il incrimine l’ampleur de la couverture médiatique des attentats que, par conséquent, il conviendrait de réduire. Ce faisant, il lui échappe que, ce qui préoccupe autant les Français, c’est que les attentats terroristes apparaissent comme la très petite partie émergée d’un iceberg gigantesque composé d’éléments qui se révèlent particulièrement dangereux. L’Histoire est une expérience que nous avons acquise. Elle nous enseigne que les signaux annonciateurs de grands désastres sont parfois très faibles mais, quand survient le désastre, la probabilité d’être exterminé devient subitement très supérieure à la probabilité de se noyer dans sa baignoire en temps de paix. Si les Français attachent autant d’importance à la lutte contre le terrorisme, c’est parce qu’ils ont appris à être sensibles aux signaux faibles qui alertent d’un grand danger. Être sensible aux signaux faibles résulte d’un instinct de survie qui remonte à la nuit des temps et grâce auquel nous avons pu survivre. Puisse l’acuité de notre sensibilité actuelle nous rendre capable de survivre encore.

  • Pas d’informations, pas de problèmes… magique !

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Nicolas Quénel est journaliste indépendant. Il travaille principalement sur le développement des organisations terroristes en Asie du Sud-Est, les questions liées au renseignement et les opérations d’influence. Membre du collectif de journalistes Longshot, il collabore régulièrement avec Les Jours, le magazine Marianne, Libération. Son dernier livre, Allô, Paris ? Ici Moscou: Plongée au cœur de la guerre de l'information, est paru aux éditions Denoël en novembre 2023. Grand entretien pour Contrepoints.

 

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