Bourse : la Fusion Londres-Francfort survivra-t-elle au Brexit ?

Le projet de fusion des bourses de Londres et de Francfort est un révélateur dont l’effet est renforcé par le Brexit. Face à cela, il devient vital de réfléchir de façon plus créative et innovante au modèle européen d’activités de marché.

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Bourse : la Fusion Londres-Francfort survivra-t-elle au Brexit ?

Publié le 5 juillet 2016
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Malgré le Brexit, les bourses de Londres (LSE) et de Francfort (DB) poursuivent leur projet de fusion : les actionnaires du LSE viennent même de se prononcer en faveur de l’opération. Et pourtant, le Brexit inaugure une longue période d’incertitude qui change la donne pour les infrastructures, rendant le projet plus qu’aléatoire. Mais l’enjeu n’est pas là : au-delà de l’intérêt des actionnaires, cette fusion menace les autres Places européennes, dont la Place de Paris, dans leur mission de financement des entreprises et, conjuguée au Brexit, elle soulève de graves interrogations pour l’équilibre même du système financier européen.

Par Pierre de Lauzun.

Bourse : la Fusion LSE-DB à l’épreuve du Brexit
By: Michael ButtonCC BY 2.0

Si le projet de fusion a été approuvé par les actionnaires du LSE le 4 juillet, il doit encore être soumis aux actionnaires de DB qui, outre la dépréciation du LSE, devraient logiquement être peu rassurés par la longue période d’incertitude qui s’ouvre depuis la décision du Brexit : il faudra de nombreux mois, sinon plusieurs années avant que soient connues les conditions exactes des relations entre le Royaume-Uni et l’Union. Or les hypothèses possibles varient considérablement selon le degré de reconnaissance qui sera accordée dans l’Union à 27 aux activités localisées au Royaume-Uni. Autrement dit, il s’agit aujourd’hui d’examiner une offre sans connaître son cadre juridique. Sans parler des autorités outre-Rhin qui vont regarder de près plusieurs points désormais polémiques, à commencer par le siège de la future entité à Londres, donc hors Union européenne. Un comble pour celle qui sera le premier opérateur de l’espace européen ! Car même sorti de l’Union européenne, le Royaume Uni reste géographiquement et commercialement en Europe.

Quoiqu’il en soit, s’il était finalement mené à bien, ce projet de fusion LSE-DB donnerait naissance à un acteur en situation de domination en Europe sur nombre d’activités. Une situation dangereuse pour la stabilité du modèle économique des autres places continentales, notamment Paris, et pour le financement de nos entreprises, PME et ETI au premier chef.

La Place de Paris sous la menace ; PME et ETI, premières victimes

La nouvelle entité LSE-DB serait le numéro 1 européen sur les transactions en actions et le numéro 2 mondial sur les marchés dérivés. Un acteur avec une telle masse critique ne peut se créer sans conséquences pour les autres places financières européennes, principalement en raison de l’attraction qu’il exercerait sur les investisseurs et les émetteurs les plus importants.

Les grands émetteurs- ceux qui ont une activité mondiale, ceux dont la France est si fière mais dont le financement est largement assuré par l’épargne internationale – devront se faire coter sur cette nouvelle entité, vitrine ô combien attirante pour les investisseurs de tous horizons. Deux données matérialisent le risque : les non résidents détiennent 46,3% du CAC 40 ; de plus en plus de centres de décision et d’activités se localisent hors de nos frontières.

Au grand dam des PME et ETI dont la cotation, non rentable au demeurant pour une plateforme de marché, nécessite aussi de la visibilité auprès des investisseurs. Comment imaginer qu’un magasin puisse survivre longtemps en vendant certes beaucoup de produits mais aucun d’une grande marque qui puisse attirer les clients et générer les marges nécessaires ? En outre, le financement des PME et ETI, nécessite une relation de proximité avec l’économie réelle, à une échelle très souvent régionale ou nationale. Comment imaginer alors qu’un colosse dont l’objectif affiché est de s’imposer dans la compétition mondiale des dérivés, pourra s’intéresser à une PME bretonne ou à une start up de la Drôme provençale ? Très regrettable car c’est le tissu des PME et ETI qui crée croissance et emplois en France et en Europe, et dont on nous dit – avec justesse – qu’il faut faciliter son accès aux financements de marché.

C’est l’occasion de redire avec force qu’il est indispensable pour notre économie d’avoir une place financière suffisamment forte à Paris, au service de toutes les entreprises quelle que soit leur taille, des investisseurs et des épargnants. L’AMAFI n’a cessé de le rappeler. Les pouvoirs publics paraissent afficher maintenant leur mobilisation pour la Place, répondant à l’inquiétude des acteurs. Le Président de la République lui-même s’est soucié dans son interview aux Échos fin juin de l’attractivité de la Place de Paris. Afficher une ambition pour Paris c’est bien. La traduire concrètement par des mesures d’envergure capables de renforcer la compétitivité de la Place et de mettre un terme à l’hémorragie actuelle, ce serait mieux.

Paris a certes des atouts indéniables qui pourraient théoriquement faire de la capitale française le principal bénéficiaire du Brexit. Elle a aussi malheureusement plusieurs problèmes, dont un de taille : un écosystème fiscal et social très défavorable. Parmi les premières mesures à prendre d’urgence, il faudrait rendre plus attractif le régime des impatriés, notamment en allongeant les durées requises et en exonérant les entreprises de la taxe sur les salaires correspondante. C’est en leur proposant un cadre comparable à celui qu’ils trouvent ailleurs que les opérateurs seront activement incités à venir. Une mesure de coût faible – exonérer des gens par ailleurs peu nombreux, qui ne seraient pas venus sinon ne fait rien perdre aux finances publiques – mais très payante à court terme par les retombées économiques générées et, à l’échéance du dispositif, par l’ancrage des activités qui aura été créée.

La question clé de la compensation

Mais le projet de fusion révèle aussi une question fondamentale, qu’accentue encore le Brexit. Celle de la compensation, de ces coupe-circuits systémiques dont la crise a tellement mis en évidence l’importance qu’ils sont destinés à concentrer de plus en plus de transactions.

Une fusion LSE-DB ferait entrer dans la corbeille de la mariée les deux acteurs majeurs de la compensation en Europe : Eurex et LCH.Clearnet. Certes, il semble que pour répondre aux enjeux de concentration des risques et de position dominante, ces deux entités doivent rester durablement séparées. Mais cela suffit-il ? La réponse viendra sans doute de leur niveau d’interconnexion, mais s’il n’est pas suffisant, les bénéfices économiques de l’opération pourront-ils être au rendez-vous ?

Qui plus est, comment accepter après le Brexit, qu’une grande partie de la compensation des transactions en euros puisse continuer à se faire à Londres ? C’est une question majeure pour la BCE en termes de gestion du risque systémique à l’intérieur de la zone euro. Des accords précis avec la Bank of England seront indispensables, qui pourront d’ailleurs avoir des conséquences sur la fusion LSE-DB, d’où encore une incertitude.

L’Union, voire l’Europe, a peut-être besoin d’un acteur puissant sur la compensation et, plus généralement, les activités de post-marché. Constater qu’aux États-Unis, pays pourtant vigoureusement libéral, ces activités sont menées sous contrôle public ou avec un statut coopératif, à l’instar de la Depository Trust & Clearing Corporation, devrait inciter à la réflexion …

L’Europe a besoin d’une stratégie industrielle en matière de marché

Le projet de fusion des bourses de Londres et de Francfort est un révélateur dont l’effet est renforcé par le Brexit. Face à cela, il devient vital de réfléchir de façon plus créative et innovante au modèle européen d’activités de marché, à une époque où leur rôle devient beaucoup plus important dans le financement de l’économie. C’est d’une véritable stratégie industrielle en matière de marché dont nous avons besoin. Et de façon urgente !

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  • Peu de gens le savent, surtout qu’on continue souvent de nous illustrer un article sur la Bourse française avec tout ou partie du Palais Brongniart, mais la « place de Paris » n’est plus à Paris, mais à Basildon dans la banlieue nord-nord-est de Londres

  • dans quel mesure les PME et ETI peuvent s’orienter vers du crowfunding (futur place de Marché ? )

    • Le crowdfunding à la française est régi par des principes incompatibles avec la croissance des PME et ETI : fiscalité favorable limitée aux seuls cas où l’investisseur ne tire pas de profit significatif de son investissement, contexte législatif et réglementaire conduisant les apports en capital à servir se conformer aux contraintes sociales et administratives plutôt qu’à des investissements d’avenir — et de plus totalement instable, fluctuant et face à une administration hostile –, opinion médiatique assimilant crowdfunding et économie solidaire, etc.

      • J’ajoute que le crowdfunding pour les PME et les ETI, c’est simplement ce qu’on appelait autrefois l’introduction en bourse…

  • A QUI imaginez-vous de confier l’élaboration de cette « stratégie industrielle européenne » ?
    N’en existe-il donc pas quelque-unes ayant déjà fait leurs preuves, entre groupes dans/hors U.E. ?

    Elaborer ? Serait-ce mis là dans les mains de nos actuelles instances U.E., aux mains de fonctionnaires et de politiciens (lesquels?) accumulant des échecs économiques à la pelle et passablement inaptes à harmoniser ce qu’ils promettent depuis longtemps, sans en assumer de responsabilité claire quant aux conséquences ?
    Quelle est la liberté d’imagination et de partenariat laissée à des acteurs mondialisés s’il faut s’en remettre à nos loosers patentés ?

    Doit-on rejeter tout futur avec nos amis anglais ? Pour le confier alors à quels « camarades » continentaux ? Les potentialités sont un concept ; QUi voyons-nous le mettre en oeuvre sans retomber dans les habituelles ornières ?
    Eclairage complémentaires, respectant un monde ouvert SVP.
    Il y a une dose de parti pris dans cet article (tel est en tout cas ma perception).

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