Ma vie d’expat’ à Taïwan

Le témoignage d’Adrien, expatrié à Taïwan : « Je voulais vivre et travailler dans un milieu multiculturel et l’idée qu’un jour je puisse ressembler à mes collègues français, qui après 20 ans au même poste râlaient à longueur de journée me faisait carrément flipper. »

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Taïwan By: Chris - CC BY 2.0

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Ma vie d’expat’ à Taïwan

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 4 juillet 2016
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Une interview par la rédaction de Contrepoints.

Expatriation à Taiwan: retour d'expérience d'un Français sur place
Taïwan By: ChrisCC BY 2.0

Une petite présentation ?

Je m’appelle Adrien, j’ai 32 ans. J’ai grandi à Bourgoin-Jallieu (38), ma famille est originaire de Chamonix (74). Je vis actuellement à Taïwan.

 

Quel métier faites-vous dans ce pays ? Pouvez-vous raconter brièvement votre parcours professionnel ?

J’ai commencé à travailler comme mécanicien moto à l’âge de 16 ans. J’ai fait ce métier que j’aimais beaucoup pendant environ 6 ans.

Curieux de découvrir le monde, j’ai repris des études pour entrer à l’université en suivant une licence LEA à Lyon 3. J’ai fait une année d’échange universitaire à Hawaï (oui c’est possible) où j’ai rencontré ma fiancée qui est malaisienne.

Malgré les apparences (et clichés), cette année de fac a Hawaï est celle qui m’a apporté le plus grâce a des profs d’exception et un environnement multiculturel.

En fait, pas mal de professeurs exerçant dans de grandes universités américaines prennent leur retraite à Hawaï. Beaucoup d’entre eux donnent quelques heures de cours par semaine dans les facs du coin par amour de la profession ou pour rester occupés.

Non seulement j’ai eu droit à des profs intéressants mais en plus je n’avais pas a payer la school free exorbitante puisque c’était un échange universitaire. Un étudiant américain me remplaçait à Lyon alors que je prenais sa place à Hawaï. Je payais seulement l’inscription à la fac française.

Nous avons énormément de chance en France d’avoir des universités accessibles à tous. Mes parents n’avaient pas un rond pour me soutenir, j’étais boursier tout au long de ma vie étudiante (j’ai quand même du m’endetter un peu) et de cela je suis extrêmement reconnaissant à notre beau pays.

Taïwan-Tous droits réservés.
Taïwan-Tous droits réservés.

J’ai fini mon cursus de master en commerce international dans une petite école de commerce lyonnaise, qui a depuis fermé. Lors de ma dernière année de master j’étais en contrat de professionnalisation en alternance à Paris chez un grand nom de l’outillage français en tant que stagiaire.

Le contrat professionnel a été un véritable tremplin vers cette nouvelle carrière. Bien sûr cela demande beaucoup de travail et de détermination car il faut bosser comme un véritable employé et étudier en même temps avec tout ce que cela implique au niveau master. Cette dernière année d’études avait été éprouvante en tous points mais bénéfique aussi bien pour moi que pour l’entreprise puisque j’ai ensuite été embauché à plein temps sur un poste de chef de produit avec seulement un an d’expérience dans la boîte.

 

Pourquoi être parti ? Pourquoi ce pays ?

Mon but était de m’expatrier. Après mon année d’échange universitaire, je voulais vivre et travailler dans un milieu multiculturel et très franchement l’idée qu’un jour je puisse ressembler à mes collègues français, qui après 20 ans au même poste râlaient à longueur de journée me faisait carrément flipper. J’étais convaincu que l’éveil viendrait ailleurs.

Je guettais les opportunités de départ vers l’Asie et j’ai finalement été muté assez rapidement à Singapour (initialement pour 6 mois) ou j’ai pu m’installer avec ma copine qui elle était bien du coin. Ça a été assez facile en fait. Personne ne voulait y aller ! Je crois que les choses ont changé depuis mais c’était il y 5 ans.

Nous sommes restés à Singapour un an et demi. Je n’ai pas aimé Singapour pour diverses raisons : environnement très limité et superficiel, si l’on veut sortir de la ville (du pays en fait) il faut un passeport et un billet d’avion. Habitué aux espaces verts et à la montagne, cela ne me convenait pas. Singapour a tout de même beaucoup de choses à offrir aux professionnels en manque de challenge. C’est un melting pot asiatique qui marche plutôt bien et un stop incontournable pour l’Européen qui s’expatrie de ce côté du monde. Comme disait mon chef australien de l’époque : « It’s Asia for beginners »

Suite à une réorganisation j’ai accepté un poste à Taïwan où je vis maintenant depuis 3 ans et demi avec ma fiancée. Salaire très confortable (5000 euros par mois), logé dans un appartement de luxe par l’entreprise. Je me suis retrouvé au R&D comme category manager, je gérais une équipe d’ingénieurs et de designers taïwanais, faisais du reporting pour des Américains et étais chapeauté par une chef israélienne. J’étais le seul expat’ (à part ma chef) d’un bureau de 100 personnes.

En clair, je passais la plupart de mon temps à gérer les clashs culturels. J’ai réalisé par la suite que c’était en fait la recette idéale pour monter une dream team ; tout le monde se complétait !

Ce que j’ai compris (ceci n’est que mon opinion forgée par cette expérience professionnelle) : les Taïwanais ont besoin de travailler dans un cadre bien défini et accomplir des tâches déterminées par leur manager. La prise d’incitative n’existe pas et ils travaillent extrêmement dur ! Les heures supplémentaires sont quelque chose de normal et spontané ; partir à l’heure sous entend une justification personnelle.

Cependant, cela ne veut pas dire que le travail est systématiquement bien fait, c’est là que le manager entre en jeu. Ma chef israélienne travaillait aussi d’arrache-pied, la hiérarchie est aussi importante que la créativité. Elle attendait beaucoup de ses équipes pour lui donner des idées ; nous étions censés faire de l’innovation pour une industrie qui a très peu changé en 50 ans.

Mais… une Israélienne autoritaire et impatiente qui essaie de brainstormer avec des ingénieurs taïwanais et bien… ça ne marche pas !

C’est là que le Français peut apporter sa pierre à l’édifice. Notre souci du travail bien fait dans un cadre flexible où le contenu prédomine sur la forme et où chacun peut apporter ses idées est une philosophie et un format qui peuvent se mettre en place dans beaucoup de situations professionnelles multiculturelles.

Nous sommes admirés pour notre productivité, notre souci du détail et notre capacité à maintenir l’équilibre entre notre vie professionnelle et notre vie privée. Ce point peut paraître évident mais je vous assure que la majorité des personnes avec lesquelles j’ai travaillé pendant ces 5 dernières années avaient beaucoup de mal à prendre des congés et à se détacher complètement de leurs préoccupations professionnelles, ne serait-ce que le temps d’un week-end. Ça fait une grosse différence le lundi matin !

Suite à un désaccord avec mon nouveau chef, j’ai été licencié en janvier 2016 sans avoir droit à des indemnités, sinon une couverture maladie étendue à 6 mois (jusqu’à mi juillet 2016, expiration de mon visa de travail à Taïwan). J’ai décider de prendre une année sabbatique pour réfléchir à la suite de mon parcours.

J’ai pris mon licenciement avec soulagement. Mon travail ne me plaisait plus. Mais la vie ne s’arrête pas là, même sans l’aide de Marianne tout est encore possible.

Taïwan est un pays très accueillant, les gens sont d’une extrême gentillesse et malgré la barrière linguistique et les différences culturelles, les étrangers sont accueillis avec beaucoup d’amabilité et de sincère sympathie. Je pense que les Taïwanais ont compris que c’est par la curiosité et l’ouverture au monde que l’on progresse en tant qu’individu ou nation.

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Taïwan-Tous droits réservés.

 

Le contraste est vraiment frappant quand je reviens en France. La mauvaise humeur, grogne, complaintes, négativité et autres jérémiades dépeignent clairement l’état d’esprit du pays. Il n’y a pas à aller bien loin : débarquer dans n’importe quel terminal à Charles De Gaulle donne tout de suite une idée de l’ambiance générale…

 

Vous sentez-vous encore Français ?

Malgré la dégringolade morale française a laquelle j’assiste depuis ici, je me sens toujours Français. J’ai rencontré beaucoup de Français comme moi à l’étranger ; je crois qu’on reste Français pour toujours.

C’est assez désolant de voir à quel point certaines catégories professionnelles françaises sont attachées à leurs avantages, quitte à mettre des millions de personnes en galère. Où est passé le professionnalisme ? Nous avons tous un rôle à jouer dans la société, tous les métiers ont une fonction. Ici, même le gars qui balaye dans les supermarchés fait sont job avec un professionnalisme irréprochable. Si un train a 5 minutes de retard, ça fait la Une des journaux parce que un million de personnes sont arrivées à la bourre au boulot ce jour là !

Le monde est en plein changement et ça va très vite, il faut être capable de s’adapter.

Comment peut-on progresser si on fait le même job toute sa vie ? Ici les gens changent de boulot volontairement tous les deux ou trois ans. De ce fait ils s’adaptent très vite à de nouveaux postes et évoluent assez rapidement dans l’entreprise.

Quand j’ai lu pour la première fois le projet de loi sur la réforme du Code du travail, j’ai pensé que c’était plutôt bien. Plus de flexibilité ne ferait pas de mal !

Bien sûr on pense tout de suite à la peur de se faire virer et de tout perdre. Si il y avait plus de turn-over dans les entreprises, il serait sûrement plus facile de trouver du boulot et les employeurs hésiteraient peut-être moins à donner une chance à quelqu’un ayant toute la bonne volonté du monde mais n’est pas forcément ultra qualifié pour le job.

On est quand même super bien couverts en France. Vu d’ici c’est très difficile de comprendre pourquoi il y a tant de vacarme. C’est sûr que c’est difficile d’abandonner des avantages, mais quand un Taïwanais ou un Singapourien qui ne prend que 15 jours de vacances par an et coûte 40 % moins cher qu’un Européen postule au même job, à compétence égale il n’y a pas photo pour les entreprises…

La perte de compétitivité vient peut-être du fait que la France ou les Français ne veulent pas changer et s’adapter ? C’est l’idée que je me fais depuis ici.

J’ai essayé de revenir plusieurs fois en Europe avec cette entreprise, sur un même poste, et à chaque fois je perdais 40 % de mon salaire, ainsi que mon logement de fonction, coût salarial égal pour l’entreprise. Pour faire le même boulot, j’ai préféré l’Asie et la débrouille.

 

Autre chose à ajouter ?

Ici, une couronne dentaire (le plus haut de gamme) se paie 100 euros, soins compris, le tout dans des conditions d’hygiène irréprochables avec un équipement ultra moderne.

Ma paire de lunettes me coûte 30 euros (faible correction).

Ce que j’ai appris durant mon expatriation, et ce n’est pas fini, c’est que le mélange des cultures dans une équipe peut produire de très bons résultats. En travaillant avec des gens qui ont les mêmes idées que vous, c’est très difficile d’innover, de se surpasser.

Taïwan est un très beau pays. Les heures de bureau ne sont pas différentes du rythme français sinon qu’il y a encore des gens qui bossent le vendredi après midi.

La côte Ouest, c’est vrai, ressemble de très près à une zone industrielle de 500 km de long sans interruption (oui il y a beaucoup de produits made in Taïwan) et la pollution de l’air est un problème. Cela reste tout de même incomparable avec la Chine et ce n’est pas pire que Grenoble. Le centre, très montagneux, est tout simplement magnifique. Les forêts immenses sont un repaire de randonneurs, on se retrouve très vite au milieu d’une nature exceptionnelle aux paysages variés. La côte est est intacte et me rappelle beaucoup la côte nord de Kawai avec ses pics volcaniques qui tombent dans l’océan Pacifique.

C’est un coin privilégié pour le surf qui est plutôt saisonnier, mais dans des eaux chaudes et limpides agitées par les typhons pendant l’été. Et il n’y a personne dans l’eau !

Plage à Taïwan-Tous droits réservés.
Plage à Taïwan-Tous droits réservés.

 

Il y a encore de nombreuses tribus aborigènes (les vrais Taïwanais) le long du Pacifique et dans les montagnes. Si vous avez de la chance, ils vous emmèneront chasser le chevreuil musqué et l’écureuil volant que vous pourrez déguster le lendemain en soupe avec le reste de la famille.

Bref Taïwan est un endroit super pour les expatriés. Nous seulement il n’y en a pas beaucoup mais les Taïwanais en ont besoin.

Un retour en France un jour, oui certainement. Peut-être pas pour la vie mais je veux revenir un petit moment et passer plus de 15 jours par an avec ma famille qui me manque, il faut le dire.

Et puis après tout, on verra bien où la vie nous mènera. Ta vie est déjà tracée, laisse faire les choses, suis ton intuition et tu obtiendras ce qui t’est destiné ! La philosophie chinoise a fini par m’influencer !

Plage à Taïwan-Tous droits réservés.
Plage à Taïwan-Tous droits réservés.

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  • Beau parcours Adrien, entre la Mécanique auto en Isère et l’encadrement à Taïwan, c’est d’une vraie richesse. Ce retour d’expérience est vraiment intéressant.

    • Oui et si bien raconté! C’est dense en informations et en réflexions. On sent quelqu’un, maitre de son destin, quoiqu’il en dise, mais prêt à en payer le prix sans s’en plaindre: est-ce dû (en partie) à ses origines de montagnard (où tout est plus dur dans un cadre plus satisfaisant)? Au fait que débutant « manuel », il a évolué en plusieurs autres compétences qui s’accumulent? Un optimiste raisonnable en accord avec lui-même, en tout cas, ce qui est déjà un beau succès!

  • Belle article ! Je confirme tout ce qu’a dit Adrien, Taiwan vaut vraiment le coup, que ce soit en mode « pur expat » ou alors en mode « aventurier », j’y suis depuis 2004 et je ne pense plus rentrer en France.

  • C’est ou la plage avec le swell, ça envoie.!!! Sinon je confirme Taïwan c’est le top, gens adorables, humbles travailleurs. Très bons résumé dans l’article.

  • Il n’y a pas si longtemps, on mettait un Corse, un Breton, un Auvergnat, un Flamand, un Savoyard, etc, dans une même pièce, c’était tout aussi « multiculturel » , ça faisait aussi un mélange des cultures et ça produisait de très bons résultats : la preuve, ils ont fait la France. Et puis l’administration républicaine pleine de projets idéologiques est arrivée et a tout ravagé.

  • QUELLE RESILIENCE! BRAVO..

  • Deux précisions quand même :

    – il n’est pas simple de trouver un job de ce niveau pour un français à Taiwan et le permis de travail est difficile à obtenir… disons que le passage d’Hadrien à Singspour doit avoir joué un grand rôle… mais c’est vraiment exceptionnel.

    – l’immigration ici est TRÉS strictement contrôlée, donc be croyez pas que tout le monde peut venir et que c’est la fête.

    – de plus : ça bosse ici! Et les taiwanais ne font pas de sentiments.

    Sylvain (depyis 10 ans à Taiwan)

  • Il ne veut pas rentrer en France pour ne pas perdre 40% de salaire mais exploiter les taïwanais ou singapourien qui « coûtent » (expression immonde de la marchandisation humaine dans le travail) 40% de moins ne lui pose pas de problèmes ? Où est la cohérence, à part dans un individualisme décomplexé ? Et après ça se demande pourquoi les français ne veulent, pour une partie, pas de la Loi travail ? Dans deux ans il se demandera peut-être pourquoi les français veulent garder des vacances, puis dans quatre ans pourquoi les français ne veulent pas que les enfants se retrouvent dans des usines pour fabriquer ses lunettes à 30€ qui ne piquent pas trop son portefeuille des privilégié.

  • Je réalise une thèse sur l’intrapreneuriat en contexte interculturel (je dis bien INTRA) à travers l’exemple d’une TPE Taïwanaise.
    Serait-il possible d’entrer en contact direct avec Adrien pour discuter à ce sujet?
    Merci d’avance.

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