Coavionnage : l’État interdit l’Uber des avions

Comment l’Administration Fédérale de l’Aviation américaine a abattu l’Uber des avions.

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Coavionnage : l’État interdit l’Uber des avions

Publié le 12 juin 2016
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Par Jared Meyer.

Coavionnage By: Pilot Ian PhotographyCC BY 2.0

Imaginez-vous voyager de Boston à Martha’s Vineyard en moins d’une heure et pour moins de 70$. Croyez-le ou non, cette possibilité était disponible sur le site internet ou l’application de Flytenow, en cherchant un pilote d’avion qui faisait ce trajet, puis en partageant les frais avec ce dernier et les éventuels autres participants au voyage.

Des entrepreneurs rendaient possibles les voyages en avion privé pour tous, jusqu’à ce que les dirigeants de Flytenow rencontrent sur leur chemin les membres de l’Administration Fédérale de l’Aviation (Federal Aviation Administration – FAA) qui voulaient s’assurer que toutes les lois et réglementations étaient bien respectées dans le cadre des activités de la société.

Au lieu d’intégrer ce service, la FAA fit preuve d’une logique tortueuse pour interdire Flytenow et d’autres sites internet de partage de vols aériens parce qu’elle les considère comme des « transporteurs » (comme Delta Airlines par exemple). Les pilotes privés ne sont pas en mesure de respecter la myriade de réglementations s’appliquant aux grandes sociétés de transport aérien.

Dans la suite de cet article, les fondateurs de Flytenow, Alan Guichard et Matt Voska, expliquent pourquoi le gouvernement fédéral devrait obliger la FAA à autoriser le partage de trajets aériens.

Jared Meyer : le partage de trajets aériens n’a rien de nouveau, les gens ayant toujours essayé de trouver des moyens de remplir les sièges vides des avions privés. Le problème résidait dans la difficulté de trouver quelqu’un qui voulait aller où vous vouliez aller, au moment où vous le vouliez. Et, de ce que j’en comprends, il est encore totalement légal de trouver des gens pour partager des trajets aériens (et les coûts associés) en utilisant des outils démodés comme des bulletins d’information ou des coups de téléphone. Pourquoi la FAA ne permet-elle pas à des gens d’utiliser des services en ligne pour rendre le processus plus efficace et ouvert ?

Alan Guichard : vous avez totalement raison. Les pilotes ont toujours été autorisés à partager leurs vols tant que le pilote et le passager partageaient un but commun, ce qui est clairement le cas sur un tableau d’affichage en ligne comme Flytenow. L’inquiétude de la FAA réside dans le fait que les interactions sur internet aboutiront à une mise en relation de personnes qui ne sont plus uniquement « des amis et connaissances », d’après leurs propres termes.

Par exemple, la FAA explique que faire la publicité d’un trajet aérien partagé sur Facebook serait autorisé si la personne en question a seulement quelques amis, mais que le même trajet transformerait le pilote en Delta ou Americain Airlines s’il a des « milliers » d’amis. La nouvelle exigence de la FAA a pour effet de freiner le dialogue entre personnes intéressées parce qu’un pilote n’a aucun moyen de connaitre quels échanges sont légaux et lesquels sont illégaux.

JM : en général, l’introduction d’un profit est l’élément déclencheur de la folie des régulateurs. Mais, dans le cas présent, la décision de la FAA d’interdire votre modèle d’affaires est vraiment troublante puisque,  dans les conditions réglementaires actuelles, les pilotes ne peuvent pas faire de profits lorsqu’ils partagent leurs trajets. Ils sont uniquement en mesure de récupérer le coût proportionnel de leurs trajets. Pouvez-vous continuer à nous expliquer pourquoi la FAA nourrit une haine si fermement ancrée pour le partage de trajets aériens ?

Matt Voska : on le comprend aisément, ils ne veulent pas qu’un « Uber des avions » existe. Mais Flytenow n’en est pas un – nous sommes comparables au covoiturage de l’aviation. Je pense qu’il s’agit plutôt d’une réaction instinctive envers les nouvelles technologies, plutôt que de la haine.

Aujourd’hui, plus que jamais, l’innovation et la réglementation se croisent à cause des méthodes de communication plus efficaces, et les régulateurs sont presque toujours trop lents à s’adapter. C’est vrai depuis l’arrivée de l’automobile, lorsque les régulateurs ont fait passer des lois interdisant « les déplacements de calèches sans chevaux ». Malheureusement, la FAA prend une approche très radicale alors que les activités du même type sont aujourd’hui complètement légales dans l’Union Européenne. Nous plaisantons en disant que l’Europe nous a dépassés en termes de liberté, ce qui est rare dans tout ce qui a trait à Internet.

JM : des réglementations souvent inutiles et anti-compétitives sont poussées par des groupes de pression qui ont un intérêt à maintenir le statu-quo. À d’autres moments, les régulateurs se concentrent aveuglément sur des actions de réglementation uniquement dans le but de réglementer, sans prendre en compte les effets négatifs que leurs nouvelles règles ont sur les consommateurs. Ces deux approches sont comparables dans leurs demandes omniprésentes de sécurité publique. Tout d’abord, y-a-t-il des intérêts particuliers derrière la décision de la FAA ? Et ensuite, pourquoi les appels à la sécurité publique ne tiennent pas la route dans ce cas ?

AG : nous sentons que des intérêts particuliers sont au coeur du sujet. La FAA est soumise à une pression des lobbyistes des sociétés d’aviation privées et des compagnies aériennes dont l’objectif est d’interdire le partage de trajets aériens. Pourquoi ? Parce que le partage de trajet aérien donne des possibilités aux gens – partager un vol de Boston à Martha’s Vineyard coûte moins de 70$, alors qu’un vol en charter coûterait au moins 1000$. Ces modèles d’affaires établis voient le partage de trajets comme une menace.

L’appel de la FAA pour préserver la sécurité publique échoue car empêcher Internet d’être un moyen de communication n’est pas rationnellement lié à la sécurité. Selon la FAA, il est tout à fait envisageable que des étrangers se rencontrent via tableau d’affichage physique et partagent un vol. Par contre, si ces mêmes personnes se rencontrent en ligne, où des services de partage comme Flytenow proposent des identités vérifiées, alors le vol se transforme magiquement en une opération de commerce illégale. Je vous donne également un autre de mes exemples préférés : même Neil Armstrong ou Capitaine Sully ne pourraient pas partager des dépenses avec Flytenow car les règles de la FAA n’ont rien à voir avec la qualification des pilotes.

JM : quel est le meilleur espoir de convaincre (ou forcer) la FAA à moderniser son approche du partage de vols ? Vous penseriez que la fierté patriotique seule serait suffisante étant donné que l’Europe est très en avance sur les États-Unis avec son marché grandissant de partage de trajet aérien.

MV : nous sommes en train de travailler sur plusieurs plans. Nous préparons une demande de certiorari auprès de la Cour Suprême américaine, que nous prévoyons de déposer au mois de juin.

De plus, nous avons reçu des soutiens du Congrès sur ce sujet. Le Républicain Mark Sanford a proposé un amendement au projet de ré-autorisation des activités de la FAA qui permet explicitement aux pilotes de communiquer à propos de leurs vols et de les partager via Internet. Cet amendement est passé à travers le comité et est désormais en attente d’un vote.

Nous avons eu plus de difficultés au Sénat où les lobbyistes des sociétés de charters ont été actifs pour s’opposer à l’intégration du même amendement dans le projet du Sénat de ré-autorisation de la FAA. En lieu et place de l’amendement, le Sénateur démocrate Cory Booker a opté pour une étude sur le sujet afin de faire des modifications plus tard. A Washington, une « étude » signifie qu’un changement de législation ne verra probablement jamais la lumière du jour. Ironiquement, le Sénat a recommandé que la FAA elle-même conduise l’étude.

Nous incitons les gens à se faire entendre sur ce sujet. Il s’agit de bien plus qu’un droit des pilotes à communiquer – la position de la FAA est un très dangereux précédent pour d’autres futures interdictions d’activités en ligne qui devraient être totalement légales.

JM : la FAA est l’exemple clair d’une agence d’État utilisant mal ses pouvoirs afin de faire obstacle à l’innovation. La technologie qui permet des partages de vols plus efficaces aide incontestablement les consommateurs et les pilotes, et il n’y a absolument aucune raison à ce que la FAA garde obstinément le partage de trajet aérien cloué au sol.

Traduction par Contrepoints de : How the FAA Shot Down « Uber for Planes ».

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  • Merci à Contrepoints d’avoir traduit cet article et de l’avoir mis en ligne

    Une suggestion cependant quant à ce titre : « Coavionnage : l’État interdit l’Uber des avions »

    N’aurait-il pas été préférable d’ajouter l’adjectif « américain » après « Etat », ou alors, les Etats-Unis étant un pays fédéral comprenant de nombreux « états », de changer cela en « les autorité américaines » ou quelque chose de ce type ?

    Sans être le moins du monde un sectateur d’Alain Soral – grand pourfendeur de l' »Empire » – pas plus qu’une groupie d’Emmanuel Todd ou de Régis Debray, on peut tout de même trouver déplacé, et pour tout dire agaçant, que sur un site d’information français en ligne soit ainsi fait référence à l’Etat américain : l’ « Etat » tout court

  • C’est le catalan qui va être très désappointé !
    Lui qui avait commencé à mettre en place UberFalcon pour les match de foot … Et qu’il en était très satisfait.
    Voila que l’innovation est mise à mal, alors qu’il s’agissait d’une avancée sociale.
    C’est encore les forces de la réaction, qui empêchent le progrès …
    ça ne se passera pas comme ça !

  • Taxi ? Uber ? Autre ?
    C’est le moment de donner votre avis !
    Kurt Salmon réalise une étude qui servira de base pour une future réglementation Européene.
    Voici le lien : https://fr.surveymonkey.com/r/93F6MZD

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