Une grève de plus : et si on privatisait les contrôleurs aériens ?

La DGAC est en grève, une fois de plus,. La grève de trop ? L’occasion de voir comment fonctionne un contrôle aérien privatisé.

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Une grève de plus : et si on privatisait les contrôleurs aériens ?

Publié le 3 juin 2016
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Par Chris Edwards.

Tour de contrôle aérien à l'aéroport de San Francisco
By: Kyle HarmonCC BY 2.0

Un article du Cato Institute.

Réformer le contrôle aérien, un impératif

L’Administration fédérale de l’aviation (FAA – l’équivalent de la DGAC en France) gère le système de contrôle de la circulation aérienne, contrôle aérien en court. C’est lui aussi qui réglemente la sécurité aérienne et attribue des subventions aux aéroports. L’agence a un budget de 16 milliards de dollars et 45 000 employés.

Lors des dernières décennies, beaucoup de pays ont partiellement ou entièrement séparé le contrôle de la circulation aérienne (ATC) de leur gouvernement. En 1996, le Canada a transféré son ATC à une organisation privée sans but lucratif : NavCanada. Cette réforme sert de modèle à une proposition de loi de restructuration de la FAA qui vient de passer la Commission des transports et infrastructures de la Chambre des Représentants.

Une réforme de l’ATC aurait dû avoir lieu depuis longtemps. Séparer les opérations de l’ATC de l’État améliorerait l’efficience et aiguillonnerait l’innovation. Les avantages incluraient des vols plus courts, moins de retards et moins de carburant.

FAA, DGAC, l’échec managérial et technologique du contrôle aérien d’État

La FAA a du mal à moderniser le système américain d’ATC. Celui-ci repose sur des technologies du XXe siècle, tels que le radar et la radio, malgré le développement de nouvelles technologies comme les systèmes de positionnement par satellites. L’ATC est une industrie de haute technologie mais celle-ci est toujours gérée comme une bonne vieille bureaucratie washingtonienne.

Dans une étude détaillée des performances de la FAA, l’économiste Robert Poole a pointé que l’agence est averse au risque, lente à prendre des décisions et choisit mal ses fournisseurs. Elle perd des employés qualifiés au profit du privé à cause du manque de flexibilité des salaires et des frustrations liées au travail dans un environnement administratif. Poole a pointé que la FFA « est lente à adopter les innovations prometteuses » et « est particulièrement résistante aux innovations à fort potentiel qui transformeraient son propre statu quo institutionnel. » Cette attitude est à l’opposé de ce dont a besoin une industrie dynamique fondée sur la technologie.

Dorothy Robyn, une experte des gouvernements Clinton et Obama, a examiné les différentes réformes de l’ATC dans une étude de la Brookings Institution. Elle conclut : « Comme toutes les agences gouvernementales contraintes par les règles budgétaires fédérales et micro-managées par le Congrès, la FAA n’est pas adaptée pour diriger un service commercial intensif en capital et en technologie. »

Robyn explique que le Congrès a « longtemps empêché une consolidation des différentes installations vieillissantes et inefficientes de la FAA » et qu’il « micro-manage les dépenses d’investissement et de maintenance. » Les membres du Congrès sont intervenus pour sauver les postes de la FAA dans leur circonscription et ont requis de la FAA qu’elle « achète des équipements particuliers et sélectionne certains fournisseurs. » Les tours de contrôle zombies de la FAA ne recevant que très peu de circulation de nuit sont un autre exemple de gaspillage pour des enjeux électoraux locaux.

Ces problèmes peuvent être résolus en séparant l’ATC du contrôle direct de l’État. Cela permettrait de résoudre le conflit d’intérêt au sein de la FAA qui s’occupe à la fois de l’ATC et de la sécurité aérienne. Séparer les opérations d’ATC augmenterait la transparence car des décisions actuellement prises au sein de la FAA seraient désormais publiques. Une telle séparation est recommandée par l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale.

Dans les années à venir, l’augmentation de la demande en transport aérien risque de peser sévèrement sur la FAA. Notre espace aérien commence à être encombré et notre antique ATC cause des retards et du gaspillage de carburant. Passer aux nouvelles technologies d’ATC améliorerait non seulement la sécurité mais augmenterait aussi la capacité de l’espace aérien tout en économisant du carburant en permettant aux avions d’emprunter des trajets plus directs. Les nouvelles technologies permettraient aussi de réduire le nombre d’installations de la FAA.

Cependant, ces bénéfices demeurent insaisissables, la FFA ayant eu du mal à mettre à jour ses systèmes. Un audit de 2005 révèle que « depuis plus de 20 ans, l’acquisition de systèmes d’ATC sous l’égide du Système national de l’espace aérien a connu une croissance significative des coûts, des retards et des problèmes de performance. » Un audit de 2012 a mis en évidence que plusieurs programmes essentiels « ont dépassé les budgets et les délais à cause de plans trop ambitieux, de prérequis non remplis, d’une gestion des contrats inefficace et des coûts et des délais qui ne sont pas fiables. »

Un rapport de l’US Travel Association prévient que notre « ATC utilise des technologies de la deuxième guerre mondiale qui sont la cause de retards systématiques et d’annulations » et que les améliorations restent « cachées par les contretemps, les dépassements de budget et les retards dus à la mauvaise gestion de la FAA » et les coupes dans les budgets. Un rapport du Eno Center for Transportation montre que « de nombreuses parties prenantes perdent confiance dans la capacité de la FAA à avancer » avec les progrès technologiques.

Les gains à attendre d’une privatisation de la DGAC

Des dizaines de pays ont restructuré leur système de contrôle de la circulation aérienne pour les séparer des budgets étatiques. Le Canada a privatisé son système en 1996 sous la forme d’une entreprise autofinancée, sans but lucratif : NavCanada. Cette réforme a attiré le regard du président de la Commission des transports et infrastructures de la Chambre des Représentants Bill Shuster (R-PA) qui a proposé une loi pour transférer notre ATC à une « entreprise indépendante sans but lucratif » qui serait « autofinancée par des tarifs fondés sur les coûts des utilisateurs. »

La réforme canadienne a été très fructueuse. NavCanada a gagné trois Aigles de l’International Air Transport Association (IATA)  comme meilleur fournisseur mondial d’ATC. La IATA dit à propos de NavCanada qu’il est « un leader mondial dans la fourniture de prestations de haute qualité » et qu’il possède un « solide bilan dans sa capacité à travailler en étroite relation avec ses clients pour améliorer la performance à travers des consultations régulières et significatives, combinées à des investissements techniques et opérationnels »

Au Canada, le financement fut transféré d’une taxe gouvernementale sur les billets d’avion vers des frais directement facturés aux opérateurs d’avions pour les services rendus. Les recettes de NavCanada proviennent des frais pour circuler à travers l’espace aérien canadien et pour les services terminaux à l’aéroport. Les frais fondés sur les coûts sont une meilleure façon de facturer les services d’ATC que le système américain fondé sur des taxes sur les billets. Dorothy Robyn note que notre système de tarification pousse les compagnies aériennes à favoriser l’usage de nombreux petits avions empruntant de nombreuses voies, là où un seul gros avion serait plus efficient du point de vue de l’ATC.

NavCanada est un monopole privé, ce qui peut poser des problèmes de surfacturation des frais aux utilisateurs. Cela ne s’est cependant pas produit. En effet, les charges réelles des clients de NavCanada ont diminué d’un tiers au cours des dix dernières années grâce à une plus grande efficience. Le système gère 50% de trafic en plus par rapport à l’avant privatisation, avec 30% d’employés en moins. Une des raisons de cette bonne performance réside dans le fait que les compagnies aériennes et les autres parties prenantes de l’aviation possèdent des sièges au conseil d’administration de NavCanada ; ces dernières ont un intérêt important à améliorer à la fois l’efficience et la sécurité.

Les gens peuvent aussi penser qu’une institution comme l’ATC devrait être ouverte et transparente ; la privatisation permet d’atteindre cet objectif. NavCanada publie des rapports détaillant ses indicateurs financiers, opérationnels et de sécurité et dirige l’un des systèmes les plus sûrs au monde. Un indicateur clef, les pertes d’espacement entre deux avions, ont été divisées par deux depuis la privatisation au fur et à mesure de l’amélioration de la sécurité.

Un autre avantage de la privatisation est l’innovation. NavCanada est encensé pour son développement de nouvelles technologies. D’après Robert Poole « l’expertise technique de NavCanada a entraîné un business dynamique de matériel et logiciels d’ATC et de conseil aux autres fournisseurs d’ATC. » Le précédent Président de NavCanada dit de la compagnie qu’elle a « vendu et installé notre technologie maison à travers la planète, d’Australie à Hong-Kong à Dubaï et à travers le Royaume-Uni et l’Europe. »

Lors d’auditions au Sénat en 2015, le directeur de l’Association Américaine des Contrôleurs Aériens (NATCA) décrit certains des avantages du Canada :

« Ils font travailler ensemble les aiguilleurs du ciel, les ingénieurs et les fabricants depuis la conception jusqu’à la formation, l’implémentation et le déploiement dans leurs installations. Et ce que ça fait, c’est que ça permet d’économiser du temps et de l’argent. Et ils développent probablement le meilleur équipement là-bas et ils le vendent partout dans le monde. Et ils le font sur une fenêtre de 30 mois à 3 ans quand nous devons prendre beaucoup plus de temps à cause du système de marchés publics de ce pays. »

En 2016, la NATCA a supporté le projet de loi Shuster de transférer l’ATC à une entreprise sans but lucratif. Cela peut sembler étrange qu’un syndicat soutienne une telle réforme mais les aiguilleurs ont peur que notre système ne reçoive pas les fonds et la technologie dont il a besoin. Un ATC autofinancé apporterait plus de stabilité financière que le système actuel chahuté par les batailles budgétaires chaotiques.

Une étude de Glen McDougall et Alasdair Roberts a examiné dans d’autres pays 10 systèmes d’ATC partiellement ou totalement commerciaux, ou privatisés. Elle a observé les données sur la performance et la sécurité et a interrogé les utilisateurs des différents systèmes ; elle a conclu que, de manière générale, la qualité du service s’est améliorée, ainsi que la sécurité, et que les coûts ont été réduits dans les systèmes commerciaux.

Une étude de 2005 du Government Accountability Office (l’équivalent de la Cour des comptes ) a évalué la performance des systèmes commerciaux d’ATC en Australie, Canada, Allemagne, Nouvelle-Zélande et Grande-Bretagne. Elle a conclu que le système avait réduit les coûts, investi dans de nouvelles technologies et avait, soit maintenu, soit amélioré la sécurité.

L’urgence des réformes du contrôle aérien

Depuis les années 1970, de nombreuses études et commissions ont recommandé une restructuration du système de contrôle de la circulation aérienne américain. Dans les années 1990 par exemple, le gouvernement Clinton a proposé de transférer l’ATC de la FAA vers une entreprise publique autofinancée.

Aujourd’hui, le modèle dominant est le système canadien qui a inspiré le projet de loi de Bill Shuster. La privatisation permettrait d’améliorer la flexibilité, les incitations et le financement dont ont besoin les gestionnaires de l’ATC pour augmenter l’efficience et innover. L’innovation est la clef pour réduire la durée des vols, augmenter la capacité de l’espace aérien et réduire les coûts en carburant.

Dans une interview récente, le directeur de NavCanada, John Crichton, était clair : « Notre business a clairement dépassé le point où l’État devrait être impliqué […] L’État n’est pas adapté pour gérer […] un business dynamique et high-tech qui fonctionne 24h/24h. »

 

Traduction : Contrepoints.org

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  • Bien vu. Il y a donc de réels progrès objectifs à attendre chez nous.
    Le problème des contrôleurs chez nous c’est qu’il est possible qu’ils ne soient pas assez nombreux, et donc que la sécurité aérienne soit potentiellement défaillante.
    Une bascule sur un système privatisé et modernisé, a l’instar du Canada, aurait-elle l’aval des contrôleurs, d’une part, et de leurs syndicats, d’autre part ?

    • Le problème des contrôleurs aeriens en France, c’est qu’il est possible qu’ils soient deux fois trop nombreux, hyper-protégés, hyper-privilégiés et hyper-politisés.
      Pourquoi la France a-t-elle deux fois plus de contrôleurs aériens que la Grande-Bretagne ou que l’Allemagne ?

      • « Deux fois trop nombreux »: pas rapport à quoi?
        « Hyper-protégés »: c’est plutôt positif
        « Hyper privilégiés » : quels sont donc leurs « privilèges »? (Devenez contrôleurs vous même, c’est un concours sans passe-droit…), il y a des avantages et des inconvénients…
        « Hyper politisés  » : c’est-a-dire? Ils sont un peu trop à droite? (Syndicat SNCTA majoritaire, contrairement à la CGT…)

        Si la France a plus de contrôleurs qu’en Allemagne ou au Royaume-Uni, c’est qu’elle gère plus de trafic (carrefour en Europe) et a un espace aérien plus grand. Ses contrôleurs coûte d’ailleurs bien moins cher que dans ces pays!

  • Cet article me laisse perplexe. Travaillant à la DGAC, je suis pour comparer les domaines comparables. Or, votre article ne fait à aucun moment référence aux capacités ATM (Air Trafic Management) de la DGAC. Vous indiquez les mesures propres au Canada, issue d’une privatisation, qui semblent bien argumentées. Mais vous ne comparez pas celles-ci ou ne décrivez jamais les effectifs, les moyens, le service actuellement rendu par la DGAC.
    Je vous invite à lire le rapport LeRoux sur la compétitivité du transport aérien français afin de mieux appréhender le domaine de l’aviation civile dans son ensemble, bien plus complexe qu’une idée de privatisation du contrôle aérien français.

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