Bitcoin : agitations en coulisses

Bitcoin continue de défrayer la chronique. Cependant, en coulisse, les institutions financières hâtent leur adoption de cette technologie.
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bitcoin (Crédits Duncan Rawlinson, licence Creative Commons)

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Bitcoin : agitations en coulisses

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 15 mai 2016
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Il y a quelques jours, le monde des cryptomonnaies et notamment de Bitcoin, déjà pas spécialement réputé pour être calme, est un peu plus entré en ébullition : le 2 mai, la BBC publiait une interview d’un certain Craig Wright, ce dernier prétendant être Satoshi Nakamoto.

Satoshi Nakamoto, c’est le fondateur de Bitcoin ou, plus exactement, le pseudonyme sous lequel celui ou ceux qui ont écrit le papier fondateur de Bitcoin, ainsi que la première mouture du protocole, se sont fait connaître sur internet. Utilisant moult précautions pour cacher son identité réelle pendant la création et les premières années de Bitcoin, Satoshi Nakamoto était jusqu’à présent resté introuvable. Seule l’utilisation de la cryptographie, lui permettant de signer numériquement ses messages sur les forums où il publiait très parcimonieusement, permettait aux autres acteurs des monnaies numériques de s’assurer son identité.

Avec la révélation de la BBC, c’est un peu du mythe Nakamoto qui semblait s’envoler. « Semble » parce qu’au fil des heures, la situation, qui paraissait claire après l’aveu de Craig Wright, est devenue bien plus confuse. Dans un premier temps, Craig Wright parvient en effet à convaincre des figures éminentes de Bitcoin de son identité : Gavin Andresen, le « chief scientist » de la fondation Bitcoin, ainsi que Jon Matonis, l’un des fondateurs de celle-ci.

Malheureusement, Wright s’avère ensuite incapable de prouver de façon claire qu’il est bel et bien celui qu’il prétend être : normalement, en tant que Satoshi Nakamoto, il lui suffit d’utiliser sa clef secrète pour signer ou chiffrer un message que n’importe qui, connaissant sa clé publique, sera à même de déchiffrer ou de vérifier. Alternativement, il peut aussi effectuer une transaction à partir des bitcoins actuellement possédés par le même Nakamoto, prouvant ainsi qu’il possède cette clé privée. Or, après avoir multiplié les procédés alambiqués pour tenter de prouver qu’il est bien celui qu’il prétend, sans jamais utiliser sa clé privée, Wright a finalement décidé de laisser tomber, purement et simplement.

Bref, si Craig Wright est une hypothèse raisonnable comme l’un des principaux créateurs du Bitcoin, il n’en reste pas moins toujours une hypothèse en attendant cette preuve mathématiquement solide.

Cette petite aventure, aussi croustillante puisse-t-elle être, n’en a pas moins marqué une partie des médias qui ont relayé ces péripéties avec gourmandise. Et, plus à propos, l’agitation autour de cette révélation et de son dégonflement étrange montre l’intérêt que portent de plus en plus de médias à Bitcoin.

Or, pour un concept informatique et mathématique, basé sur la cryptographie et l’échange pair-à-pair, s’attaquant à un domaine généralement mal maîtrisé des individus lambdas, c’était tout sauf gagné d’avance.

Peut-être l’engouement de l’homme de la rue (et, par voie de conséquence, des médias à sa suite) tient essentiellement à l’appréciation de la monnaie numérique (qui oscille autour de 460$/BTC au moment où ces lignes sont écrites), et au fait que cette appréciation semble à présent plus saine que le pic typiquement bullesque qui avait vu sa valorisation grimper à plus de 1000$ par BTC en décembre 2013 ?

bitcoin - may 2016

En tout cas, si l’intérêt des médias et de l’homme de la rue grandit, celui de la communauté financière ne s’est jamais démenti, elle qui a très vite senti l’effet de cassure particulièrement net qu’offrait cette nouvelle technologie. Et alors que les révélations de Craig Wright semblaient occuper le devant de la scène, c’est en coulisses que se passaient sans doute le plus de choses.

Ce même 2 mai, on apprenait en effet qu’au début du mois d’avril, plus d’une centaine de décideurs de la plupart des grandes institutions financières mondiales se réunissaient lors d’une réunion privée au sein des bureaux de Nasdaq Inc., à Times Square, non seulement pour discuter de « blockchain », la technologie sur laquelle est bâti Bitcoin, mais aussi pour assister à une expérience grandeur réelle avec une application logicielle basée dessus.

Et quelle expérience ! Pour ces habitués du système financier actuel, où le déplacement de fonds est associé à des délais incompressibles, des risques d’erreurs humaines tout le long des chaînes de traitement, voir ainsi des dollars « numérisés » et transférés en quelques secondes à l’autre bout de la planète par l’intermédiaire de cette technologie a immédiatement piqué leur intérêt puisqu’elle permet de remplacer des transactions qui peuvent jusqu’à présent prendre des jours par des transactions presqu’instantanées, libérant ainsi bien plus rapidement des capitaux normalement bloqués pendant ce laps de temps.

Bref, la plupart des institutions financières qui gardent un œil attentif aux technologies modernes ont compris que la technologie de la blockchain peut leur offrir de nombreux avantages, et plusieurs s’en emparent donc joyeusement.

Pour rappel, la blockchain est une technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle, une base de données sécurisée et distribuée qui contient l’historique de tous les échanges effectués entre ses utilisateurs depuis sa création, et dont chacun est à même de vérifier la bonne intégrité.

De cette définition, on comprend aisément que l’introduction de cette technologie dans les institutions financières actuelles permettrait notamment de résoudre certains problèmes (netting interbancaire par exemple) de façon moins coûteuse qu’avec des technologies plus traditionnelles. Cependant, on doit conserver un esprit critique devant l’intérêt de ces institutions, tant leur position semble précaire.

En effet, les technologies blockchain permettent intrinsèquement de réduire voire d’annihiler tout besoin d’intermédiaire, tant pour les transactions financières que pour les changements de propriétaires d’actifs, qu’ils soient physiques ou boursiers par exemple. Autrement dit, on ne peut s’empêcher de penser que toutes les institutions financières qui sautent actuellement sur cette nouvelle technologie le font avant tout pour sauver leur business. En substance, la stratégie qu’elles adoptent ressemble fort à une prise de position avant tout marketing leur permettant de proposer à leurs clients une solution estampillée « blockchain », ce qui leur permet de les conserver ainsi un peu plus longtemps, avant que l’idée même d’un intermédiaire financier se dissolve d’elle-même.

En somme, les firmes actuelles ont bien compris l’intérêt qu’elles pouvaient avoir à bondir sur cette technologie qui leur permettra, entre elles, d’échanger les actifs directement plutôt que les ordres de transactions (qui peuvent prendre des heures à voyager et des jours à être confirmés). Mais, ce faisant, elles renforcent encore l’attrait et la pertinence de ces blockchains … pour se passer d’elles.

Eh oui : rien n’interdit maintenant d’imaginer un monde où ceux qui veulent acheter les actions d’une société ne passent plus par aucun intermédiaire financier et peuvent, au travers d’une blockchain, en acheter directement auprès de la société elle-même ou des actionnaires qui en vendent. De la même façon, absolument tous les types de contrats ou d’actifs peuvent trouver leur pendant sur une blockchain, et être achetés ou vendus directement sans passer par aucune banque ou aucun broker spécialisé. Si l’on étend le concept, les courtiers et autres agents de change pourraient disparaître de même, entraînant la disparition des bourses et autres marchés d’actions tels qu’on les connaît actuellement.

L’intérêt démontré par les institutions financières pour la technologie blockchain n’est donc pas seulement un effet de mode. Mais tout montre qu’en se penchant sur celle-ci, ces institutions augmentent sensiblement la probabilité qu’elles disparaissent. Bien sûr, ce n’est pas parce qu’une probabilité existe qu’elle se matérialise forcément et il y a fort loin de notre monde aux intermédiaires financiers nombreux à cet avenir sans eux.

Néanmoins, la probabilité n’est maintenant plus nulle.
—-
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  • Bonjour,
    Je suis avec intérêt vos écrits sur le bitcoin et à chaque fois, je me pose la même question. Le bitcoin avec les blockchains est issu d’une technologie d’aujourd’hui. Comment évoluera-t-il dans dix, vingt ou trente ans, voire plus. Les différentes clés valables aujourd’hui ne pourront donc pas être cassées et décryptées dans l’avenir ?

    • En tant qu’ignorant sur ces sujets, j’ajoute : votre question ne s’applique-t-elle pas tout autant aux monnaies que nous utlisons actuellement ? (C’est une interrogation sincère).

      • Interrogation normale qui plus est. Ce qui me fait peur avec Btc réside dans le virtuel, pas de cash. Et comme vous,je suis tout aussi ignorant

        • Bonjour,

          Votre cash (disponible à la banque) est une simple ecriture comptable dans la base de donnée de la banque.
          Vos bitcoins sont une ecriture comptable dans une base de donnée (publique), qui ne peut pas être modifiée sans l’utilisation de votre clé privée que vous conservez soigneusement.

          En clair votre cash en banque est moins sécurisé que vos bitcoins, car c’est la banque qui décide combien vous avez aujourd’hui, et combien vous aurez demain. Ce qui n’est pas le cas de bitcoin.

      • Un ami m’a conseillé ce livre pour sortir de mon ignorance:
        http://shop.oreilly.com/product/0636920032281.do?sortby=publicationDate

    • On peut toujours imaginer deux grandes classes de soucis :
      – une faille dans la cryptographie utilisée dans Btc. Je n’y crois pas : s’il y en avait une, elle aurait été trouvée depuis un moment, vu les essais perpétrés.
      – un nouveau procédé permettant de « casser » à grande vitesse les clés (la crypto elliptique choisie, par exemple, ou de collisionner SHA à volonté, etc…) ; on peut imaginer un ordinateur quantique parvenant à ce résultat. Dans ce cas, je crois que Bitcoin sera le cadet de vos soucis, la crypto actuelle reposant sur des classes de problèmes mathématiques spécifiques qui seraient battus en brèche sous telle hypothèse, et ne concernant pas seulement Btc mais à peu près tout internet, la finance, la banque, etc…

      On peut aussi noter que le principe de la blockchain repose sur l’usage de la cryptographie, mais si celle-ci évolue, la blockchain peut très bien évoluer aussi et s’y adapter. Ce ne sera pas sans douleur probablement mais rien d’impossible… On peut donc rester raisonnablement optimiste, au moins sur un temps moyen.

      • Je pense que la plus grande menace pour bitcoin vient du reseau: la plupart des grands operateur telecom sont de meche avec les gouvernements. Si un gouvernement comme la Chine (ou les US…) decide de se mettre en « coupure » du reseau bitcoin, il peut virtuellement faire diverger la blockchain de chaque cote de la coupure, ou empecher certains ordres de sortir/entrer sur le territoire.
        Ce serait rapidement la fin de bitcoin. Jusqu’ici, personne n’y a interet, mais jusque quand?

      • Si on arrive à construire des ordinateurs quantiques très puissant de l’ordre de centaines de milliers de Qubit, j’imagine qu’on pourra aisément résoudre les problèmes du type BQP, et de savoir si le SHA-128 ou 258 n’est pas NP complet….

  • Je vois bien les putes utiliser le bitcoin après la loi de pénalisation du client : « mais non monsieur l’agent, je ne suis pas une prostitué, je suis une salope qui se propose au premier venus gratuitement ».

  • Oui les technos blockchain ont certainement un grand avenir mais les faiblesses ne sont pas uniquement dans la techno. Tant qu’on reste dans le virtuel tout va bien, mais il y a bien un moment où il faut échanger avec monde physique : les biens et services qu’on achète ou qu’on vend avec la crypto monnaie. Et là on est bien obligé de faire confiance à la personne avec qui on échange.

    • de quelle confiance particulière parlez vous ?
      j’ai déjà acheté 3 fois des objets physiques trouvés sur internet à des entreprises bien réelles situées à des centaines de km de chez moi, payé en bitcoins et livrés par la poste dans les jours suivants. aucun problème.

    • Ça changerait quelque chose à ce niveau par rapport à en ce moment?

  • « L’intérêt démontré par les institutions financières pour la technologie blockchain n’est donc pas seulement un effet de mode. Mais tout montre qu’en se penchant sur celle-ci, ces institutions augmentent sensiblement la probabilité qu’elles disparaissent. »

    Peut-être ces institutions se penchent-elles sur cette technologie pour mieux la « contrôler » (dans la mesure du possible). A Bruxelles, les lobbyistes s’activent déjà sur le dossier. Le tout nouveau lobby européen du registre distribué – l’EDCAM – a mené plusieurs tables rondes avec les MPs. Des représentants du Nasdaq, de Barclay’s et d’autres fameux intermédiaire financiers étaient présents pour animer les sessions.

    Jusqu’à présent les positions de l’EDCAM sont assez libérales, et l’UE s’est laissé convaincre. Cependant le but avoué du groupe est quand même la conformité réglementaire, et je me demande ce que ça implique exactement.

    http://edcab.eu/blockchain-expo/virtual-currency-blockchain-expo-in-european-parliament

  • La « technologie blockchain » n’est pas une technologie a proprement parler, ce ne sont rien que des messages cryptés qui transitent sur une base de donnée DECENTRALISEE, rendant impossible la censure ou quelconque « paiement double ». Si on enlève la décentralisation, ce n’est plus qu’une base de donnée type MySQL qu’on peut faire tourner a moindre cout dans les grands datacenters de chez Amazon.

    Alors c’est sûr, les fétichistes du Big Data et autres organes centralisés de contrôle et de pouvoir peuvent toujours divaguer et arroser les startups « blockchain » avec des millions. Mais la vraie disruption c’est Bitcoin. C’est une technologie qui n’en est plus une lorsque l’on enlève le caractère DISTRIBUE du réseau. Perso je me vois mal faire tourner un node Société Générale, et de toutes les façons ils ne voudraient pas non plus être aussi transparent.

    ———-

    Pour rappel, le message inscrit dans le « Genesis Block » (le block n°0 de la blockchain Bitcoin, miné par Satoshi Nakamoto) fait référence à un article du Times sortit le même jour sur les bailout des Banques Centrales à l’issue de la crise de 2008:

    « The Times 03/Jan/2009 Chancellor on brink of second bailout for banks »

    Wiki du genesis block: https://en.bitcoin.it/wiki/Genesis_block
    Article du Times: http://www.thetimes.co.uk/tto/business/industries/banking/article2160028.ece

    ———-

    De par sa nature, Bitcoin n’est pas là pour remplacer les banques commerciales et jouer la hype des « Fintech » mais bien pour rendre les banques centrales obsoletes en mettant un terme à leur manipulations et autres politiques monétaires de la dette.

    Les autres « blockchains » c’est de la poudre aux yeux, une petite diversion comme les gens au pouvoir et les médias savent si bien faire.

    • « Si on enlève la décentralisation, ce n’est plus qu’une base de donnée type MySQL qu’on peut faire tourner a moindre cout dans les grands datacenters de chez Amazon. »
      Non. Une bdd distribuée traditionnelle se scale en o(n), blockchain en o(n²) déjà pour commencer et parce que c’est trustless. Et les bdd distribuées, ça existe depuis un moment, en respectant ACID. C’est l’aspect trustless qui est révolutionnaire et qui n’existe nulle part ailleurs.

      • C’est « trustless » parce que c’est décentralisé. Zappe la décentralisation et c’est une database, distribuée à un certain niveau pourquoi pas, mais absolument pas trustless car les admins ou les startups qui développeront ces DB auront un certain pouvoir de censure et de controle.

        A l’inverse personne ne controle Bitcoin, parceque trustless, parceque l’effet de réseau est déjà bien trop avancé: c’est trop tard pour y changer quoi que ce soit. La preuve en a été faite récemment avec les envies de forks de certains. Ce qui fait la force de Bitcoin c’est justement sa résilience face au changement. On n’a effectivement plus à faire confiance, on se contente d’adhérer à des règles immuables..

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