Salaire des instituteurs : 5 remarques sur un scandale

Pour des raisons électoralistes, le gouvernement revalorise le salaire des instituteurs, évitant ainsi de réformer en profondeur un système qui ne fonctionne plus.

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École By: Rahul Narain - CC BY 2.0

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Salaire des instituteurs : 5 remarques sur un scandale

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 3 mai 2016
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Par Éric Verhaeghe.

By: Rahul NarainCC BY 2.0

Najat Vallaud-Belkacem a annoncé une augmentation de salaires pour les instituteurs. Ceux-ci vont voir leurs primes alignées sur celles des enseignants du second degré. Cette mesure représente une hausse de 800 euros annuels pour l’ensemble des professeurs des écoles. La dépense globale pour cette seule catégorie devrait s’élever à 350 millions d’euros. Elle constitue un scandale électoraliste qui appelle cinq remarques.

Une opération électoraliste

Chacun comprend les raisons électoralistes qui poussent le gouvernement à sortir cette mesure de son chapeau : les élections approchent et il faut réparer autant que faire se peut les dégâts d’une politique désastreuse menée depuis 4 ans. Le calendrier de la revalorisation n’étonnera donc personne :

Un premier geste de 200 euros pourrait être fait en octobre 2016, suivi d’un autre du même montant en avril ou mai 2017 (c’est ainsi qu’avait procédé Vincent Peillon en 2013-2014 lors de l’instauration de la prime).

Voilà un calendrier qui ne pouvait pas mieux tomber ! François Hollande pourrait même proposer une prime supérieure pour tous ceux qui votent pour lui…

Un vrai sujet de rémunération

Au passage, la mesurette du gouvernement continue à faire un pied de nez au véritable problème de rémunération qui existe dans l’enseignement primaire en France. Les études de l’OCDE montrent en effet que la rémunération des instituteurs est trop basse en France, notamment par rapport à l’Allemagne ou les États-Unis.

Instituteurs

On le voit, après 15 ans de carrière, un instituteur français gagne 5.000 euros annuels de moins que ses collègues européens, et surtout 13.000 euros de moins que ses collègues américains ou 25.000 euros de moins que ses collègues allemands.

Il ne serait donc pas choquant de procéder à une très forte revalorisation des enseignants, à condition de faire entrer ceux-ci dans une logique de performance et de rémunération différenciée sur les résultats. Cette évolution supposerait bien entendu une vision et une ambition politiques à la hauteur des enjeux. Pour beaucoup de ministres, il est plus simple de limiter l’ambition à une aumône qui évite d’affronter les syndicats enseignants sur le fond.

Un pied de nez aux absences non remplacées

Une fois de plus, le gouvernement décide de distribuer à ses fonctionnaires de l’argent par hélicoptère officiel : tout le monde en profitera indistinctement, quelle que soit sa performance. Cette décision est proprement hallucinante au moment où même la FCPE descend dans la rue pour se plaindre de l’absentéisme enseignant dans certains endroits, comme la Seine-Saint-Denis.

« La réalité du terrain, c’est que tous les jours, dans les écoles, les collèges, les lycées, des élèves se retrouvent sans enseignement, ce qui les pénalise dans leurs études. Pour les parents qui n’ont soit pas les capacités intellectuelles ou de temps, soit pas la possibilité de recourir à des cours extérieurs, il y a une vraie inégalité du service public d’éducation nationale », a estimé le vice-président national de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), Hervé-Jean Le Niger

Dans la mesure où la revalorisation annoncée par le gouvernement concerne des primes et non le salaire de base, il est logique que l’employeur attende une contrepartie de la part des bénéficiaires de la mesure, en termes de productivité. Tout aussi logiquement, la ministre aurait pu réserver cette augmentation aux seuls enseignants qui ne sont pas absents pendant l’année.

Manifestement, l’État-employeur, qui adore donner de grandes leçons à tous les employeurs de France, n’a pas l’ambition d’inciter ses salariés à remplir effectivement la mission de service public pour laquelle ils sont payés. C’est un beau pied de nez aux contribuables et aux usagers qui vient d’être fait par Najat Vallaud-Belkacem.

Des performances cataclysmiques dans l’enseignement primaire

Cette mesure est d’autant plus choquante que toutes les études (quel que soit leur commanditaire) montrent l’effondrement éducatif dont l’enseignement primaire est le théâtre. Voici notamment ce qu’une étude de l’INSEE de 2011, dont les résultats ne se sont pas améliorés depuis, affirmait sur les performances éducatives de l’école primaire en France :

Depuis une dizaine d’années, le pourcentage d’élèves en difficulté face à l’écrit a augmenté de manière significative et près d’un élève sur cinq est aujourd’hui concerné en début de 6e. Si le niveau de compréhension de l’écrit des élèves moyens n’a pas évolué, la plupart des évaluations témoignent d’une aggravation des difficultés parmi les élèves les plus faibles.

Malgré ce cataclysme éducatif, qui se traduit par une augmentation des inégalités sociales à l’école, le gouvernement décide de récompenser les enseignants en améliorant leur rémunération sans aucune stratégie pour améliorer leurs résultats…

La réforme existe, certains l’ont rencontrée

Il existe en France un fatalisme vis-à-vis de l’effondrement éducatif, y compris dans l’enseignement primaire. Ce fatalisme est absurde, puisque tous les systèmes qui ont fait le choix de se réformer intelligemment sont parvenus à améliorer la performance finale des élèves. L’Allemagne l’a montré après avoir réagi à ses mauvaises performances, il y a dix ans, dans les enquêtes PISA.

On lira ici utilement une étude Mc Kinsey sur les réformes des politiques éducatives, dont je cite un extrait :

instituteurs

Recruter, manager, évaluer avec le chef d’établissement : voilà les piliers d’une école primaire qui fonctionne. Tout le contraire de ce qui est fait en France.

Ainsi passe la gloire d’école républicaine.

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  • De toutes façons je ne crois plus que les réformes nécessaires soient possible dans un état-nation centralisé. Ici on parle de l’école, et c’est un sujet absolument prioritaire, mais à mon avis les réformes en la matière (et encore, je parlerais de restructuration, de refondation, d’une école 2.0 avec des objectifs qui ne se limitent plus à ceux quantitatifs du 20è siècle industriel) sont conditionnées par la transformation de la France en fédération non territoriale (c’est à dire sur la base de projets de coopération qui ne sont pas tous délimités par les mêmes frontières géographiques, ça n’a plus aucun sens).

  • « Il ne serait donc pas choquant de procéder à une très forte revalorisation des enseignants, à condition de faire entrer ceux-ci dans une logique de performance et de rémunération différenciée sur les résultats. »

    Ce qui n’arrivera jamais. Ce sera donc la double peine : résultats nuls pour un coût plus élevé.

  • Je suis toujours halluciné de lire/entendre qu’on dise que les profs Français sont moins bien payés que les autres…. c’est d’une bétise… sans nom. Dans la meme veine, savez-vous qu’un ouvrier d’usine qui travaille 3h/mois est moins bien payé que le meme ouvrier allemand qui travail 60h/mois… c’est fou tout de meme.
    Quand on compare, on compare tout, nombres d’heures de travail, nombre de vacances, avantages,…. tout, pas juste le salaire… et surtout si on compare les salaires, il faut donc comparer le cout de la vie, car l’un ne va pas sans l’autre, bref comparer des salaires FR et étrangers ne veut rien dire, surtout dans la fonction publique…. française.

  • Il est tout à fait logique que les enseignants soient en moyenne peu payés car ils doivent contribuer à payer un état obèse, ils doivent payer les centaines de milliers d’administratifs sans valeur ajoutée au sein de l’éducation nationale,ils travaillent peu ( vs les Suisses par exemple),sont souvent absents, ont globalement une performance catastrophique, ont un niveau faible pour beaucoup ( en sciences ) etc… Le drame est qu’ils ne proposent rien pour s’en sortir vers le haut ( moins de gens, plus payés, plus de performance…) et surtout que les bons défendent les mauvais : ils ne doivent donc pas se plaindre.Les gouvernements de droite comme de gauche sont démagos depuis des décennies et cela ne rend service à personne. Si ils ne sont pas contents de leur sort rien ne les empêche d’aller voir ailleurs.

    • Qu’ils se plaignent ou non, la question est celle de notre système d’instruction.
      Alors évidemment on pourrait arguer que le Citoyen peut emmener ses enfants dans une école privée. Cependant je ne remarque pas beaucoup de différence structurelle et la concurrence proposée n’est que superficielle.
      Le véritable drame, selon moi, c’est que ce n’est même pas de la démagogie. De loin, comme ça, j’ai l’impression que nos élites (je mets dans le lot une bonne partie de ceux qui sont à la tête de capitaux privés… les banques françaises continuent par exemple d’avoir un comportement complètement hors du temps) sont véritablement convaincues que leur approche est la bonne. Alors c’est peut-être présomptueux de ma part, mais qu’ils soient de bonne foi ce serait pire qu’ils soient de mauvaise finalement.
      On peut bien entendu espérer que ce soit une question de génération… je ne suis pas convaincu.

  • Eh ho la droite : on se réveille. Avec sa politique du carnet de chèques, la distribution tous azimuts, le tout au départ de sa campagne électorale, Normal premier est en train de nous enfumer. Après moi le déluge, ça tiendra bien jusqu’en 2022 ! Le chômage, la dette, ce n’est pas son problème…
    il est temps que la droite se réunisse, élabore un programme, montre son unité. Hollande réélu en 2017, ce n’est pas une fiction. Au delà de la catastrophe nationale, ce serait une claque à l’opposition qui ne pourrait s’en prendre qu’à elle même.

    • La droite, la gauche… les deux ont une même approche étatiste et conservatrice de l’école et du salariat. L’école de Jules Ferry a eu des résultats pour une instruction de masse lorsqu’il fallait avoir une classe ouvrière importante, nous avons besoin d’une refondation.
      De toutes façons croire encore au poste de président de la République, ça me semble complètement dépassé, peu importe le candidat.

    • Ne nous voilons pas la face, le pays va dans le ravin, droite ou gauche seul la vitesse change. En cause une élite complètement déconnectée qui détient absolument tous les pouvoirs et qui peut compter sur un réseau de 7 millions de salariés de l’état qui ont les mêmes intérêts: la bureaucratie. la cour sont apparat, son faste et le règne des petits potentats de l’administration.

      Le problème c’est que la France est profondément remplie de légende communiste et étatiste. Tant que cette vision n’est pas atomisée, discréditée le naufrage continuera, en escalier, en dent de scie, mais toujours droit dans le ravin.

      Si la droite gagne en 2017, la bureaucratie fera tout pour faire échouer les économies,les réductions et même la pédagogie, la faillite sera entièrement de la faute de « la drouate » (cf « les fachos »): on reprend du socialisme honteux ou pas pour 30 ans.

      Si la gauche gagne en 2017 et se mange la faillite, l’étatisme, le socialisme leurs slogans et légendes ont bien des chances d’être discrédités pendant très longtemps. Un peu d’air idéologique, entre Zola, les misérables et le Che on étouffe dans ce pays !

      Jacques Lesourne parlait de la France comme « d’une Union soviétique qui aurait réussi »… même pas en fait, No way !

      • Je crois que nous sommes bloqués par des représentations très traditionalistes des structures hiérarchiques. Les élites auto-proclamées réformistes sont aussi celles qui parlent de décadences dès qu’il y a des nouvelles pratiques qui émergent.
        Alors bon… moi je veux bien dire que c’est commun à la droite et à la gauche, parce que force est de constater que toute notre représentation politique souffre de ce travers. Mais pour moi c’est quand-même un gros marqueur de la droite. Si la gauche se retrouve très régulièrement engagée dans une sorte de fantasme de retournement volontarisme (la « R »évolution, ma majuscule est ironique) de la hiérarchie tout en gardant la même structure, le blocage actuel n’est pas son marqueur (ce serait plutôt sa croyance simpliste et un peu vulgaire en une même bonne intention partagée par tous).

        Peu importe et peut-être que nous ne serons pas d’accord sur une représentation du clivage gauche-droite (que je ne vois donc pas immuable, c’est à dire que pour moi tous les partis sont désormais de droite en se tenant tous du côté conservateur de la ligne de clivage de leur propre légitimité et représentativité, de l’auto-conviction qu’ils représentent encore une élite).
        Je dirais que de toutes façons il faut réussir à conduire l’idée d’un ordre libre et dynamique… cette notion est étrangère à la fois à la droite et à la gauche. Alors quand j’écris « conduire »… je ne vois pas derrière d’autorité particulière, si ce n’est des autorités concurrentes et sans doute agonistes auto-convoquées (pas l’état évidemment, même pas, surtout pas, minarchiste), c’est surtout pour éviter la notion de « maintien » de l’ordre… chose qui ne sera pas possible de toutes façons.

  • Le jour où les fédérations de larents d’élèves se mobiliseront pour le contenu et les méthodes d’enseignement, et oas seulement contre l’absentéisme, les choses pourront peut-être changer. Il en est de ces fédérations comme des autres corps de la société civile: consensuels à coup de subsides.

  • Un bon article …qui permet à nouveau à certains de se défouler sur les fonctionnaires, les enseignants en l’espèce ici, sans bien sur connaître vraiment le sujet !
    Et toujours, comme si par enchantement, la logique libérale serait supérieure à d’autres, même si cela ne résiste pas à l’épreuve des faits !

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