Dix articles inédits de Frédéric Bastiat ! (2/10)

Deuxième volet de la publication de dix articles inédits de Frédéric Bastiat publié entre 1843 et 1844 dans le journal local La Sentinelle des Pyrénées.

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Dix articles inédits de Frédéric Bastiat ! (2/10)

Publié le 25 avril 2016
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Deuxième volet de la publication de dix articles inédits de Frédéric Bastiat publié entre 1843 et 1844 dans le journal local La Sentinelle des Pyrénées, sur le libre-échange, la balance du commerce, la réforme de la poste et l’organisation politique française. En tête de chaque article figure l’introduction générale, commune aux dix articles, qui explique l’origine de ces inédits, l’époque à laquelle ils ont été composés, et la situation de Bastiat à cette période.


 

Deuxième article

« Incompatibilités Parlementaires », La Sentinelle des Pyrénées, 25 mars 1843, p. 2-3. 

Monsieur le Rédacteur,

Dans une précédente lettre, j’ai essayé de signaler le vice qui déprave notre représentation nationale. Au point de vue de la liberté, livrer les places à ceux qui les dotent ; au point de vue de l’ordre, livrer les ministères à ceux qui les renversent, c’est là, ai-je dit, une conception dont le double danger saute aux yeux. J’ajoutais que l’expérience appuyait à cet égard le raisonnement. Si les bornes d’un journal le permettaient, j’invoquerais ici l’histoire de nos innombrables crises ministérielles ; le Moniteur à la main, je comparerais M. Thiers, président du Conseil, à M. Thiers, chef de l’opposition, et M. Guizot, instigateur de la coalition, à M. Guizot ministre des affaires étrangères. On verrait si ces assauts de portefeuilles, ces sièges en forme que ramènent plusieurs fois par an ce qu’on nomme les questions de cabinet, ont pour mobile l’amour du bien public ou la soif du pouvoir ; on verrait si cet acharnement à renverser pour s’élever, recule devant aucune considération ; s’il n’accepte pas comme auxiliaires jusqu’aux chances d’une conflagration générale ; s’il ne la provoque pas au besoin ; on verrait enfin si cette lutte permanente non d’opinions, mais d’ambitions rivales, tout en affaiblissant la patrie, ne fait pas planer sur elle des dangers qui la forcent en pleine paix à se tenir toujours prête à la guerre.

Mais on fait contre la réforme parlementaire plusieurs objections.

L’ambition, dit-on, est innée au cœur de l’homme ; la réforme ne l’en déracinera pas.

Sans doute, la loi ne peut pas détruire l’ambition ; mais elle peut détruire ce qui l’alimente.

Les membres des conseils généraux sont fils d’Adam comme les députés ; pourquoi donc l’ambition n’enfante-t-elle pas dans ces conseils les mêmes crises qu’à la chambre ? Uniquement parce qu’elle n’y trouve pas à se développer.

Mais introduisez dans la loi qui les organise, un article ainsi conçu :

« Si le préfet perd la majorité au conseil général, il sera remplacé par le chef de l’opposition ; celui-ci distribuera à ses adhérents toutes les grandes places du département, les directions financières, les recettes générale et particulières, les sièges de la magistrature et du parquet. Les nouveaux fonctionnaires continueront à être membres du conseil, et ils conserveront leurs places jusqu’à ce qu’une nouvelle majorité les leur arrache. »

Je le demande, une telle disposition ne transformerait-elle pas ces corps délibérants, aujourd’hui si calmes, en foyers d’intrigues et de cabales ? N’enlèverait-elle pas à l’administration tout esprit de suite, au préfet toute liberté d’action, au pouvoir enfin toute stabilité ?

Et quelle raison a-t-on de penser que ce qui jetterait le trouble dans la sphère préfectorale ne bouleverse pas la sphère ministérielle ? Est-ce parce que le théâtre est plus vaste ? parce que les passions excitées par des appâts plus puissants s’y développent avec plus d’énergie ?

Après avoir tiré contre la réforme une objection de ce que l’ambition humaine est un mal irrémédiable, on la repousse par le motif que l’ambition dans la chambre n’est pas même admissible.

La réforme, dit-on, serait la condamnation du parlement ; ce serait une calomnie qu’il prononcerait contre lui-même ; elle suppose dans cette assemblée des passions basses qui ne peuvent y trouver accès ; en un mot, c’est une loi des suspects.

D’abord, parce que la loi déclare que deux fonctions sont par leur nature incompatibles, je ne vois pas qu’elle entende flétrir ceux qui les occupent. Les maires ne peuvent pas être gardes nationaux, les juges n’entrent pas dans le jury, et l’on n’a jamais ouï dire qu’ils aient vu dans ces incompatibilités une sorte de flétrissure personnelle que la loi aurait voulu infliger.

On pourrait tout au plus dire que la loi tient compte des incurables et incontestables infirmités de la nature humaine. — Et à vrai dire, la législation toute entière est-elle autre chose qu’un ensemble de précautions prises contre la faiblesse et la perversité de l’homme ? On demande des garanties aux ministres, on en demande au roi, et la charte n’est qu’une série d’obstacles opposés aux empiètements ou aux rivalités possibles des grands pouvoirs de l’état. — Et il ne serait pas permis à la société de demander à ses mandataires directs la plus rationnelle des garanties ?

Il faut convenir que la réforme parlementaire, entendue dans le sens de l’interdiction absolue à tout fonctionnaire de parvenir à la représentation nationale, présente deux inconvénients sérieux.

Le premier, de restreindre les droits d’élection et d’éligibilité.

Le second, d’amoindrir l’expérience du conseil de la nation.

Ne serait-il pas dangereux en effet, au moins dans l’état actuel de notre organisation législative, d’exclure les magistrats, les financiers, les militaires, les marins d’une assemblée qui s’occupe essentiellement de législation, de finances, d’organisation militaire et navale ? Une telle réforme aurait-elle aucune chance de se faire accepter ?

Aussi, le problème ne consiste-t-il pas à prononcer des exclusions particulières, mais à fonder des garanties générales.

Il peut se formuler en ces termes :

« Placer les mandataires de la nation dans une situation telle qu’ils n’aient aucun intérêt personnel à s’inféoder au ministère ni à le renverser. »

S’il est vrai qu’une question bien posée soit à moitié résolue, une loi qui satisfasse à cette double condition ne doit pas être difficile à trouver.

Il ne m’appartient pas d’aller plus loin, et je terminerai en faisant remarquer que M. de Sade est loin d’aborder la difficulté. Il ne paraît pas même l’avoir aperçue. Que propose-t-il ? d’interdire aux députés les fonctions publiques… excepté les ministères, les ambassades, les directions générales, etc.

Il admet donc que les hautes positions politiques doivent continuer à enflammer la cupidité des mandataires de la nation ; qu’ils peuvent continuer à se disputer la possession du pouvoir, dût la lutte le mettre en pièces. — Mais c’est là précisément qu’est le danger. — Et on peut décorer du nom de réforme parlementaire une mesure qui, si elle restreint le domaine de quelques ambitions subalternes, laisse le champ libre aux ambitions qui troublent le monde ?

Agréez, etc.

Frédéric Bastiat.

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  • Du caviar comme d’hab… Ce mec était un génie. Sa réflexion politique est claire didactique et ne prend pas une ride. C’est autre chose que du Piketty.

    • Moi ce qui m’éblouis c’est comment ce mec a prévu le 20eme sciecle.

      • Oui, j’ai lu Ayn Rand et j’avais cru cerner une partie du problème, mais c’est devenu l’impide en lisant les oeuvres de Frédéric Bastia, ce mec est un sniper, Un grand merci a l’Institut coppet pour cette découverte.

        • @Dexter et Yioul: Oui effectivement je suis complètement d’accord.C’est assez flagrant dans « Bacccaleuréat et socialisme » par exemple. La déconfiture du système scolaire français y est décrite à merveille. Ce type est une leçon à tous ceux qui disent que l’économie n’est pas une science parce qu’elle n’est pas prédictive. Quand on voit la précision de ses prédictions, Nostradamus passe pour un blaireau.

          • Autre exemple flagrant : la sécurité sociale; on devrait faire lire ce texte à Marisol !

            «Ce qui a fait jusqu’ici le succès de ces sociétés, — succès lent à la vérité comme tout ce qui concerne les masses, — c’est la liberté, et cela s’explique.

            Leur écueil naturel est dans le déplacement de la Responsabilité. Ce n’est jamais sans créer pour l’avenir de grands dangers et de grandes difficultés qu’on soustrait l’individu aux conséquences de ses propres actes. Le jour où tous les citoyens diraient : « Nous nous cotisons pour venir en aide à ceux qui ne peuvent travailler ou ne trouvent pas d’ouvrage, » il serait à craindre qu’on ne vît se développer, à un point dangereux, le penchant naturel de l’homme vers l’inertie, et que bientôt les laborieux ne fussent réduits à être les dupes des paresseux. Les secours mutuels impliquent donc une mutuelle surveillance, sans laquelle le fonds des secours serait bientôt épuisé. Cette surveillance réciproque, qui est pour l’association une garantie d’existence, pour chaque associé une certitude qu’il ne joue pas le rôle de dupe, fait en outre la vraie moralité de l’institution. Grâce à elle, on voit disparaître peu à peu l’ivrognerie et la débauche, car quel droit aurait au secours de la caisse commune un homme à qui l’on pourrait prouver qu’il s’est volontairement attiré la maladie et le chômage, par sa faute et par suite d’habitudes vicieuses ? C’est cette surveillance qui rétablit la Responsabilité, dont l’association, par elle-même, tendait à affaiblir le ressort.

            Or, pour que cette surveillance ait lieu et porte ses fruits, il faut que les sociétés de secours soient libres, circonscrites, maîtresses de leurs statuts comme de leurs fonds. Il faut qu’elles puissent faire plier leurs règlements aux exigences de chaque localité.

            Supposez que le gouvernement intervienne. Il est aisé de deviner le rôle qu’il s’attribuera. Son premier soin sera de s’emparer de toutes ces caisses sous prétexte de les centraliser ; et, pour colorer cette entreprise, il promettra de les grossir avec des ressources prises sur le contribuable[5]. « Car, dira-t-il, n’est-il pas bien naturel et bien juste que l’État contribue à une œuvre si grande, si généreuse, si philanthropique, si humanitaire ? » Première injustice : faire entrer de force dans la société, et par le côté des cotisations, des citoyens qui ne doivent pas concourir aux répartitions de secours. Ensuite, sous prétexte d’unité, de solidarité (que sais-je ?), il s’avisera de fondre toutes les associations en une seule soumise a un règlement uniforme.

            Mais, je le demande, que sera devenue la moralité de l’institution quand sa caisse sera alimentée par l’impôt ; quand nul, si ce n’est quelque bureaucrate, n’aura intérêt à défendre le fonds commun ; quand chacun, au lieu de se faire un devoir de prévenir les abus, se fera un plaisir de les favoriser ; quand aura cessé toute surveillance mutuelle, et que feindre une maladie ce ne sera autre chose que jouer un bon tour au gouvernement ? Le gouvernement, il faut lui rendre cette justice, est enclin à se défendre ; mais, ne pouvant plus compter sur l’action privée, il faudra bien qu’il y substitue l’action officielle. Il nommera des vérificateurs, des contrôleurs, des inspecteurs. On verra des formalités sans nombre s’interposer entre le besoin et le secours. Bref, une admirable institution sera, dès sa naissance, transformée en une branche de police. »

            Chapitre sur les salaires dans les Harmonies Économiques

            Sinon, merci à L’Institut Coppet de publier ces textes de Bastiat, je suis impatient de lire les huit suivants. 🙂

  • C’est excellent de lire des textes de Bastiat inédits. J’ai ‘impression de voir un reboot bon d’une de mes séries favorites, Sauf que c’est mieux que du HBO…

    Economy freak forever…

  • Les commentaires sont fermés.

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