Crise immobilière américaine : le marché est en train de nettoyer les problèmes créés par l’État

La crise immobilière de 2008 fut celle de l’intervention publique, et c’est le marché qui a permis d’assainir la situation.

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Agent de surface à Mexico City crédits Guy Le Page (CC BY-NC-ND 2.0)

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Crise immobilière américaine : le marché est en train de nettoyer les problèmes créés par l’État

Publié le 15 avril 2016
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Par Vincent Bénard.

Agent de surface à Mexico City crédits Guy Le Page (CC BY-NC-ND 2.0)
Agent de surface à Mexico City crédits Guy Le Page (CC BY-NC-ND 2.0)

Dans la nature, les charognards (hyènes, vautours…) ont mauvaise réputation. Ils remplissent pourtant une fonction essentielle : nettoyer la nature de ses foyers infectieux.

Il en est de même dans les affaires. Les liquidateurs professionnels sont en général très mal vus par le grand public, fossoyeurs d’emplois, voleurs, fonds vautours, les noms d’oiseaux leur collent à la peau. Pourtant, comme nous allons le voir, un marché de la liquidation fonctionnel peut aider à réparer jusqu’aux pires erreurs des agents économiques, au premier rang duquel l’État.

Prenons la crise immobilière américaine. Sans réécrire le livre et la vingtaine d’articles que j’ai consacrés à la question, je rappellerai que, contrairement à la fable anti-capitaliste et anti-libérale complaisamment rapportée par tous ceux que l’étatisme fait vivre, cette crise fut d’abord celle d’une connivence entre capitalisme financier et État fédéral américain, le premier niveau de responsabilités revenant à l’État qui a distordu le marché immobilier par nombre d’interventions à caractère écologique ou social aux nombreux effets pervers.

 

Sortir de la crise immobilière américaine : un défi toujours ardu, huit ans après

Mais regardons quelques années plus tard.

Après une première vague d’expulsions d’emprunteurs incapables de rembourser leurs prêts, l’attention médiatique est retombée. Pourtant, les propriétaires surendettés existent encore : plus d’ 1,4 million d’évictions ont eu lieu en 2015. Pourtant, un nombre croissant d’entre elles se passent sans heurts. Mieux encore, une part croissante de propriétaires dans le rouge parvient à renégocier ses échéances sans que cela ne remette en cause les grands équilibres financiers bancaires. Comment cela est-il possible ?

Comme mes anciens lecteurs s’en souviennent, le document central de tout contrat de prêt s’appelle aux USA la note, ou créance, et cette créance peut se vendre sur un second marché comme tout obligation d’État ou corporate. L’emprunteur, souvent sans le savoir, devient un produit financier comme un autre. Avant de hurler à l’hyper-capitalisme sauvage, considérez les avantages de cette situation via ce qui suit.

Lorsque les établissements bancaires privés ou quasi publics (Fannie Mae, Freddie Mac, et le département du logement étaient les plus gros collecteurs de prêts à risque, au nom de la politique sociale de l’État américain), ont vu arriver sur le marché une masse de prêts non performants, ils ont commencé par mettre en faillite (forecluse) une vague de propriétaires en retard de paiement, pour tenter de récupérer une fraction de leur mise. Tout ceci a eu des effets pervers qu’ils n’avaient pas anticipé.

D’une part, un très grand nombre de maisons forcloses sont arrivées en même temps sur le marché, provoquant une chute des prix immobiliers, plongeant de nouvelles vagues de propriétaires en situation patrimoniale nette négative, (negative equity), c’est-à-dire ayant une dette supérieure à la valeur résiduelle de leur bien, ce qui constitue une forte incitation à cesser de payer sa dette et à abandonner la maison au banquier.

D’autre part, l’appareil judiciaire, tout comme l’administration des banques gestionnaires d’immenses pools de prêts, n’arrivaient plus à suivre.

Enfin, l’image des banques rapaces, charognardes, évinçant des familles en détresse, en a pris un coup, que des milliards de budgets de communication n’ont pas pu restaurer.

 

La solution : sous-traiter la résolution de problèmes à des acteurs locaux

Aussi les banques concernées ont-elles décidé, plutôt que de mettre en place des équipes dédiées à la procédure de liquidation des créances douteuses, de vendre massivement et à perte leurs pools de crédits en défaut, pour rayer définitivement cette tache de leurs livres comptables, off the books, comme ils disent, là-bas.

Ce sont donc soit des banques d’affaires, soit des plus ou moins gros investisseurs tels que le texan Lone Star ou l’inévitable Goldman Sachs, qui ont acquis des dizaines de milliers de notes dépréciées à des prix discount, parfois jusqu’à moins de 20 centimes par dollar restant dû, fournissant aux établissements vendeurs des milliards de trésorerie immédiate en lieu et place d’amas de créances ingérables.

Qu’ont fait ces gros acheteurs ? Ils ont à leur tour revendu, en prenant leur marge, ces prêts dépréciés soit par tous petits paquets, soit à l’unité, à des petits entrepreneurs locaux bien implantés au sein des villes où les faillites personnelles étaient nombreuses. Là encore, malgré le bénéfice pris au passage par les gros intermédiaires, les acheteurs de ces prêts, appelés Note Investors, bénéficient d’importants rabais (jusqu’à deux tiers !) par rapport à la balance restant due par l’emprunteur, et la valeur résiduelle de la maison.

Et le note investor peut utiliser ce rabais pour à son tour, proposer un deal gagnant-gagnant au propriétaire  en difficulté :

  •  soit il renégocie à la baisse ce que doit l’emprunteur, abaissant le montant restant dû, et donc la mensualité exigée. Ainsi, l’emprunteur peut rester dans sa maison, retrouve une certaine dignité sociale, et contribue à maintenir de la vie dans le quartier.
  • soit aucun échéancier abaissé ne peut convenir à l’emprunteur tant sa situation est dégradée, et alors…  le créancier ne va pas hésiter à payer pour que l’occupant lui remette les clés dans un délai court, lui permettant d’organiser son déménagement sans le traumatisme de l’expulsion, et avec une petite prime pour financer un relogement, locatif ou en achat plus modeste. Malgré ces frais supplémentaires, le discount obtenu sur le rachat de la note permet au repreneur de réaliser encore une jolie marge à la revente, d’autant plus qu’il peut souvent se permettre de consacrer quelques dollars à l’embellissement du bien… Ce que l’ex occupant, étranglé financièrement, ne pouvait plus faire. Parfois, le nouveau propriétaire peut préférer la location, le loyer perçu lui assurant des rendements locatifs impossibles à espérer sur un autre marché en ces temps de taux zéro.
  • ce n’est que si toutes ces possibilités sont épuisées que le note investor va faire procéder à la foreclosure, l’éviction du débiteur défaillant, comme n’importe quelle banque. Mais la plupart du temps, un accord est trouvé entre le note investor et le débiteur pour éviter d’en arriver là.

 

Une dynamique gagnant-gagnant

Tout le monde est gagnant : les banques qui se débarrassent de leurs prêts se rendent compte que cette façon de procéder leur coûte moins cher que de procéder elles mêmes aux évictions et aux reventes ; les gros intermédiaires permettent de ventiler au mieux les paquets de créances auprès de petits entrepreneurs locaux mieux à même de sympathiser avec les emprunteurs et de conclure des deals gagnant gagnant ; et les emprunteurs en difficulté qui sont traités plus humainement, et trouvent parfois enfin un bon accord de résolution de leurs problèmes financiers.

D’ailleurs, un certain nombre de ces note investors sont eux mêmes d’anciens expulsés qui ont rebondi. Si certains n’y voient qu’un simple business comme un autre, d’autres l’envisagent comme une mission à caractère quasi social… Ce qui n’exclut pas d’en tirer profit. Telle est la nature profonde de l’échange libre : gagnant pour toutes les parties. Qui a dit que le capitalisme était anti-social ?

Et comme entretemps, le marché immobilier a interrompu sa chute libre et reprend même des couleurs (parfois spéculatives, mais c’est un autre problème), ces nouveaux nettoyeurs de créances douteuses peuvent réaliser de jolis profits. Au point qu’un entrepreneur en reprise de crédits, Eddie Speed, a créé une école itinérante de formation, la Note school, pour auto-entrepreneurs en résolution de surendettement.

 

Les note investors au secours de l’État

Et qui sont les plus grands établissements qui se débarrassent ainsi de leurs créances ? Je vous le donne en mille : les géants publics Fannie Mae (4 milliards de notes revendues depuis 2012), Freddie Mac (presque 7 milliards) et surtout le département américain du logement, qui a empilé les prêts douteux dans le cadre de divers plans de sauvetage bancaires, et qui a liquidé ainsi quasiment 18 milliards de dollars de notes faisandées. Le secteur privé n’est pas en reste, mais aucun chiffre agrégé ne circule le concernant.

VB 1

Malgré ce tableau positif, quelques politiciens grincheux voudraient réguler ce business jusqu’ici très peu encadré. Oui, bien sûr, c’est un marché peu organisé, où il peut y avoir quelques arnaques. Tous les renégociateurs de dette ne sont pas des anges, et c’est d’ailleurs pour permettre au marché de faire le tri qu’Eddie Speed a créé sa Note school. Mais franchement, comparé à ce que les grandes banques ont fait durant les années folles, ce ne sont que pecadilles. Et pourtant, rien n’était plus régulé que le business des très grandes banques. Si quelqu’un veut vous faire croire que la régulation protège le consommateur, dites lui d’examiner les pratiques du secteur bancaire US…

De même, l’État fédéral ou certains États fédérés, en subventionnant certains propriétaires remplissant certains critères sociaux pour les aider à renégocier leurs prêts, introduisent une nouvelle distorsion dans le système, avec l’argent des contribuables. Mais pour les mairies considérées, c’est un bon investissement, puisque les propriétaires ainsi maintenus dans les lieux peuvent continuer à payer des taxes immobilières, première source de revenus des mairies aux USA, contribuent à maintenir une certaine valeur aux quartiers en question (trop de maisons abandonnées font chuter la base fiscale pour tout le quartier), quant aux occupants maintenus dans les lieux, la taxe peut être recalculée sur la base du nouveau deal.

Bref, les avantages du second marché de la créance hypothécaire semblent largement surpasser ses inconvénients.

 

Conclusion : le marché libre nettoie la fange des marchés faussés par l’État

Résumons-nous : l’État américain, en forçant les banques à faire du prêt social et en leur prodiguant une couverture quasi illimitée en cas d’échec, a engendré un marché du crédit hypothécaire totalement dysfonctionnel, amplifié par une réglementation du sol magnifiant la bulle immobilière dans la plupart des États peuplés. Ces dysfonctionnements ont conduit à l’explosion de l’une des plus grande crises financières de notre histoire. Mais un marché libre peu régulé, où se succèdent des échanges gagnant-gagnant, est en train de nettoyer les cendres laissées par cette explosion.

Et au centre de ce grand nettoyage, de nouveaux petits entrepreneurs, que d’aucuns qualifieront de charognards, qui nettoient les livres de compte des grands fauteurs de crise tout en permettant aux propriétaires en bien mauvaise posture de retrouver une base pour rebondir.

Socialism kills. Capitalism heals1.

Liens

Note School, tout savoir sur l’investissement dans les créances dépréciées

Flipping Mortgages, how to make money in the business of solving problems

 

  1. Le socialisme tue, le capitalisme soigne.
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  • Qu’est-ce qu’une zone OAP dans un PLU ?
    Habitant en petite-couronne parisienne, le nouveau PLU nous inclut dans une zone OAP. Ce « machin » technocratique à but planificateur (accouché par le Grenelle II) n’est-il pas une facilité supplémentaire pour que la machine étatique broie la propriété privée, à coup d’expropriations d’utilité publique ?

    • En fRance, vous n’êtes pas chez vous : vous êtes chez l’état, un invité…

      Très bon article.

    • Bien qu’hors sujet, la question mérite réponse. Les « OAP » sont une couche supplémentaire du PLU permettant aux élus de figer des orientations d’aménagement, au sens large (bâti, déplacements, assainissement, paysage, etc…) sur une partie d’une commune (ou d’une intercommunalité) comportant plusieurs zones. les OAP sont opposables au tiers, et viennent en général restreindre un peu plus les marges de manoeuvre des propriétaires concernées. Elles sont donc bien, comme vous dites, une « facilité supplémentaire » donnée aux politiques pour limiter l’usage de la propriété privée. En revanche, elles ne sont pas nécessairement liées à l’expulsion, qui nécessitera plutôt une « bonne vieille » (c’est ironique, hein ?) procédure de ZAC.

      Le plus important est que ces OAP sont négociées après le PADD (plan d’aménagement et de dev. durable) et avant le zonage stricto sensu. C’est donc aussi à ce moment privilégié que les grosses enveloppes peuvent se négocier entre élus véreux et promoteurs…

      • C’est donc aussi à ce moment privilégié que les grosses enveloppes peuvent se négocier entre élus véreux et promoteurs

        Effectivement, depuis que le nouveau PLU a inscrit notre quartier dans une zone OAP, nous sommes sollicités par les promoteurs comme jamais auparavant. Ils rodent tels des vautours autour de nos propriétés.
        Aussi certains propriétaires ont peur et craignent que « faire de la résistance » en refusant de vendre à ces promoteurs, ne se retourne un jour contre nous, si la ville sort le « bon vieux canon de 75 » avec une procédure de ZAC.
        En France la propriété privée (Le cadre de vie que nous avons choisi et payé avec notre argent ! ) est de plus en plus menacée.par la technocratie bureaucratique..

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