La Silicon Valley, le pays où l’employé est roi

Pour garder leurs collaborateurs, les entreprises de la Silicon Valley ne lésinent sur rien ! Jusqu’à l’excès ?

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Crédits : Jason train-crown, CC BY 2.0

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La Silicon Valley, le pays où l’employé est roi

Publié le 7 avril 2016
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Par Hamid Bouchikhi.

Couronne royale
Crédits : jason train-crown, CC BY 2.0

J’accompagne tous les ans des étudiants entrepreneurs pour un voyage de découverte de la Silicon Valley dont il faut dire, tout de suite, qu’elle inclut désormais San Francisco. Au fil des rencontres avec des entrepreneurs, des investisseurs, et des acteurs de l’écosystème entrepreneurial régional, un thème est revenu comme un leitmotiv et je n’ai pu m’empêcher de le lier au débat actuel, en France, sur la réforme du Code du travail.

Partout où nous sommes allés, nous avons entendu le même discours sur la nécessité impérative pour les entreprises de la Silicon Valley non seulement de bien payer, très cher, leurs employés mais surtout de bien en prendre soin et de promouvoir une culture d’entreprise forte et attractive. Dans une réglementation du travail où employeurs et employés peuvent se séparer à tout moment et sans préavis, l’investissement des premiers dans le bien-être des seconds donne à réfléchir. En France, la réforme du Code du travail promue par le gouvernement de Manuel Valls est sévèrement critiquée, au motif que la flexibilité recherchée pour les entreprises serait inévitablement néfaste pour les employés et participerait à leur précarisation.

Les relations employeurs-employés dans la Silicon Valley

L’observation des relations employeurs-employés dans la Silicon Valley dément ce pronostic. Loin de profiter de leur liberté de licencier, les employeurs, dans cette partie du monde, dépensent beaucoup d’argent et d’efforts dans l’attraction, la rémunération et la rétention des talents. Et elles ne le font pas par philanthropie mais par intérêt bien compris.

Le niveau d’activité entrepreneuriale dans la Silicon Valley et la croissance des start-ups sont tellement élevés que les employeurs se livrent une concurrence féroce pour attirer les meilleurs talents et les garder. Les restrictions imposées à l’obtention de visas de travailleurs qualifiés (65.000 par an pour l’ensemble des États-Unis) contribuent à la rareté du capital humain dans la Silicon Valley. Il en résulte que le rapport de force, dans les circonstances présentes, est plus favorable aux employés qu’aux employeurs. Là-bas, le problème des entrepreneurs n’est pas de savoir s’ils peuvent licencier, ce qu’ils font facilement lorsqu’ils en ont besoin, mais comment empêcher leurs ingénieurs, chercheurs et autres as du marketing de les quitter sans préavis.

L’exemple subi par un entrepreneur français établi à San Francisco, au moment où sa start-up était en pleine phase de décollage, illustre bien les rapports de travail dans la Vallée. Notre entrepreneur qui s’était donné beaucoup de peine pour relocaliser son directeur technique français à San Francisco, se fait dire par son collaborateur qu’il a reçu une offre qu’il ne pouvait pas refuser de la part d’une grande entreprise emblématique de la Silicon Valley. L’entreprise en question a repéré le directeur technique et mis sur la table un « package » d’une valeur plusieurs fois supérieure à ce qu’il recevait chez son employeur. Le directeur technique a annoncé, en outre, que sa démission était à effet immédiat. Il a fallu à l’entrepreneur, ainsi congédié par son collaborateur, beaucoup d’efforts pour persuader son désormais ex-collaborateur de rester à son poste pour deux semaines, le temps de trouver une solution.

Pour garder leurs collaborateurs, les entreprises de la Vallée ne lésinent sur rien : salaires et stock options, repas gratuits préparés par des chefs, services de conciergerie, espaces de détente, service de massage sur le lieu de travail et j’en passe. Google a décidé, récemment, d’ouvrir l’accès à la cafétéria gratuite aux membres des familles des employés. Dans une des entreprises visitées, les dirigeants nous ont dit qu’ils ne gèrent pas la prise de congés par les employés. Chacun est libre de prendre le nombre de jours de vacances dont il a besoin. L’important n’est pas la présence sur le lieu de travail, mais l’atteinte des objectifs.

Développer le capital humain

Quelles leçons retenir de ce qui se passe dans la Silicon Valley par rapport à notre débat national sur la réforme du Code du travail ? Mettre plus de liberté dans l’embauche et le licenciement ne fragilise pas forcément les travailleurs lorsque ces derniers disposent d’un capital humain rare et indispensable aux entreprises. Pour veiller à l’équilibre du rapport de force entre employeurs et employés, les pouvoirs publics doivent travailler sur deux fronts à la fois : assouplir le cadre légal et mettre en place, en même temps, des dispositifs de développement du capital humain. Dans une économie ainsi équilibrée, une personne qui perd son emploi dans une entreprise rebondira facilement dans une autre.

Ne pas perdre le rapport de force sur le marché du travail

Faute d’un investissement massif dans le développement du capital humain, des travailleurs peu ou non qualifiés perdent le rapport de force sur le marché du travail et vont augmenter les rangs d’un lumpenproletariat taillable, corvéable et congédiable à merci. Ceci est d’ailleurs l’autre facette de la Silicon Valley, où ceux qui servent la nouvelle aristocratie de l’entrepreneuriat technologique vivent très difficilement.

Aussi, au lieu de centrer notre débat national sur le pour et le contre de la flexibilité, nous ferions mieux de débattre de la manière de permettre au plus grand nombre de citoyens de développer un capital humain suffisamment valorisé et attractif pour leur garantir une vie décente.

  • L’article est paru à l’origine sur le site du Huffington Post.

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  • Cet article met en lumière un fait connu mais trop souvent oublié: le patron n’est pas « par nature » dans une position de force vis à vis de l’employé comme le prétend la gauche. Ce n’est que lorsque l’offre de travail par les travailleurs est plus importante que la demande de travail par les employeurs que le pouvoir de négociation de ces derniers s’accroit (et, accessoirement, augmenter le coût du travail diminue la demande des employeurs et donc augmente le pouvoir des employeurs qui subsistent encore…). Si en tant que travailleur vous êtes seul à disposer d’une compétence dont tout le monde a besoin, vous n’avez pas besoin de la « protection » du Code du travail.
    Ceci étant dit, l’appel au développement du capital humain fait dans l’article est une bonne idée, mais c’est un principe abstrait. Tout le monde n’a pas les moyens intellectuels de devenir ingénieur…

    • Je ne pense pas qu’il n’y ai besoin que d’ingénieur.
      Par exemple en France, on manque de technicien de paie (juste un Bac+2), de boucher (cap), de plombier (cap) dans certaines régions.
      Après on ne gagne pas 8000000 euros/mois mais on ne connait que peu le chômage dans ce genre de métier.

  • « l’appel au développement du capital humain fait dans l’article est une bonne idée »

    Disons que c’est une bonne idée…tant que c’est pas l’État qui s’en charge.

  • excellente analyse qui pose une question importante dans l’enseignement  » comment développer un capital humain suffisamment valorisé et attractif pour leur garantir une vie décente!?

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