Ne tirez pas sur le directeur d’usine !

Un métier dur et méconnu : le témoignage d’un directeur d’usine.

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Ne tirez pas sur le directeur d’usine !

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 2 février 2016
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Par Albéric Legrand

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De plus en plus souvent, les directeurs d’usine avec qui je travaille me disent :

  • Je n’arrive plus à maîtriser mon emploi du temps
  • Tout est urgent et plus rien n’est négociable
  • Tout descend et plus rien ne remonte
  • Là-haut, seuls les chiffres les intéressent
  • Je passe mon temps à défendre mon équipe contre les exigences déraisonnables des fonctionnels du siège
  • On étouffe sous le reporting, je suis devenu un gestionnaire d’indicateurs
  • Plus le droit à l’erreur, d’où plus de prise de risques
  • On transforme les hommes en robots…

De ce fait, le directeur d’usine devient un obstacle, l’homme qui dit non, et un coût à supprimer : d’où un directeur pour plusieurs usines, parfois fort éloignées, voire plus de directeur du tout et l’usine est dirigée par un Directeur Régional, depuis son bureau…
Comme ceci est loin de ce qu’affirmait Monsieur Jean Reinhold, Directeur Général de Cegedur-Pechiney qui m’a confié la direction de son usine la plus importante ; c’était en 1976, pour ainsi dire la préhistoire ! « On ne donne pas d’ordres à un directeur, c’est lui qui est sur le terrain ».

Après la mode du nofab, entreprise sans usines, réduite à sa seule matière grise, le bureau d’études et le marketing, (on a vu où cette politique avait mené Alcatel !), on en vient maintenant à supprimer, ou mutualiser le poste de directeur d’usine (un directeur pour plusieurs sites de production ), considérée comme un centre de coût et non un centre de profit.

Tout ce que je constate autour de moi, ajouté à mon expérience personnelle, 7 ans à la tête d’une importante usine métallurgique (groupe Pechiney), me conduit à clamer que c’est une profonde erreur.

Qu’est-ce qui me permet d’affirmer cela :

  • seule la présence sur le terrain permet de flairer les signaux faibles qui ne se transportent pas à distance et qui permettent d’éteindre les débuts d’incendie avec un verre d’eau,
  • ce contact physique, qu’aucun intranet ne peut remplacer, au quotidien, sans démagogie, un regard, une poignée de mains, accompagnés d’une exigence non négociable d’exemplarité, -attention au fais ce que je dis, ne fais pas ce que je fais ! arrive, à la longue (on ne nomme pas un directeur stagiaire pour un an), à créer une relation de confiance, qui ne se donne pas a priori, encore moins ne s’achète ; elle se mérite, condition d’une véritable information montante, et non ce que j’aimerais entendre
  • on arrive même à un sentiment de véritable solidarité, au-delà du slogan facile tous dans le même bateau, qui aplanit le fossé entre eux et nous
  • comme dans la mécanique, il faut du jeu, sinon elle se grippe, mais pas trop, sinon elle part à la dérive ; vous ne réussirez jamais à enfermer un processus de fabrication dans un réseau de consignes, normes et procédures, pour conduire au bon du premier coup. Tout ce vous obtiendrez, ce seront des robots qui vous répondront, devant les caprices de la matière : « j’ai strictement appliqué la consigne et ne suis pas responsable du résultat »… quelle arme redoutable que la grève du zèle !
  • seul un responsable sur le terrain, pris dans un réseau de contraintes, souvent contradictoires, est à même d’interpréter la consigne et de prendre des risques, calculés
  • aucun risque, pas le droit à l’erreur et vous tuez l’initiative : le progrès de l’entreprise n’est pas l’apanage des bureaux
  • l’usine est, par excellence, le terrain de confrontation des intérêts du client, du personnel et de l’actionnaire (entreprise non rentable : non viable) et, croyez-moi, ce ne sont pas des entités abstraites si vous prenez la peine de faire un peu de pédagogie
  • aucun système d’intéressement aux résultats, ou de prime de progrès, aussi sophistiqués soient-ils, version modernisée de la carotte et le bâton, ne pourra se substituer à la reconnaissance que votre personnel attend de vous, condition sine qua non pour qu’il donne le meilleur de lui-même, au lieu de se contenter de « faire ses heures… en attendant la retraite »
  • vous arrivez de la sorte à encourager les hommes à potentiel, pas toujours les plus diplômés, l’intelligence de la main, ça existe, que vous pourrez aider à grandir et à qui vous pourrez confier des responsabilités : avec des cadres sortis du rang, encore un fossé de comblé
  • le directeur d’usine est un réducteur d’incertitude : retards, rebuts et défauts, dépassements de devis, grèves etc… un bon est celui dont l’usine tourne rond et cela ne trompe pas.

usine rené le honzecC’est un métier très dur qui risque de vous dévorer si vous vous laissez submerger par des exigences contradictoires, plus urgentes les unes que les autres – les urgences chassent les importances, comme la mauvaise monnaie chasse la bonne, si vous devenez un simple fusible ou une courroie de transmission (je n’y peux rien, ce sont les ordres ou j’ai bien proposé, mais là-haut ils n’ont pas voulu…). Par contre, si vous tenez bon, au risque de passer pour une forte tête (c’est bien mieux que béni-oui-oui), c’est un des plus beaux métiers qui soit. Il y faut une tête, bien sûr, mais aussi des tripes et, n’ayons pas peur des mots, un cœur (pas au sens bisounours, ou tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, c’est au contraire très exigeant) : voici un beau défi à relever… même si ce n’est plus la voie royale vers les sommets.

Lire sur Contrepoints notre dossier spécial entreprise et management

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