Tafta : l’arbitrage privé contre l’intérêt général ?

L’arbitrage proposé par le traité transatlantique est-il une concession aux intérêts particuliers ?

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Tafta : l’arbitrage privé contre l’intérêt général ?

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 29 janvier 2016
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Par Hervé Guyader.
Un article de GenerationLibre

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La principale critique adressée à l’arbitrage ISDS tient en son manque d’impartialité qui fait dire à certains qu’il serait une justice privée dépourvue de cadre juridique, où les intérêts partisans peuvent triompher de l’intérêt général. La formule est aussi savoureuse que fausse car l’arbitrage est un service privé de justice répondant à des règles juridiques très précises.

Il n’est pas inutile de rappeler que l’arbitrage interne comme international est régi par le décret du 13 janvier 2011 intégré au Code de procédure civile. Ainsi, l’article 1510 de ce Code dispose que « quelle que soit la procédure choisie, le tribunal arbitral garantit l’égalité des parties et respecte le principe de la contradiction ».

Plus spécifiquement, l’article 1456, alinéa 2 dudit Code énonce qu’ « il appartient à l’arbitre, avant d’accepter sa mission, de révéler toute circonstance susceptible d’affecter son indépendance ou son impartialité. Il lui est également fait obligation de révéler sans délai toute circonstance de même nature qui pourrait naître après l’acceptation de sa mission ».

La Cour de cassation n’a cessé de fixer une jurisprudence élargissant le devoir de révélation de l’arbitre au point de le contraindre à dévoiler tout élément susceptible de laisser planer un doute. Il en fut ainsi dans l’arrêt rendu le 1er février 2012 comme dans celui rendu le 16 décembre 2015 (confirmant l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris commenté ici). Cette conception très large emporte la conséquence de placer l’arbitrage à un très haut degré d’indépendance et de neutralité, ce qui tend à le rendre irréprochable.

Le nombre des affaires ayant jeté l’opprobre sur l’arbitrage est plus qu’anecdotique puisque l’on ne peut trouver que le célèbre cas Tapie ou encore le cas Fasken (arrêt du 16 décembre 2015) ; moisson bien maigre pour justifier la suspicion. D’autant que semblable obligation ne pèse pas sur les magistrats professionnels qui peuvent avoir des opinions politiques ou syndicales qui ne pourront leur être reprochées alors pourtant qu’elles pourraient s’avérer influentes dans certains litiges.

En réalité, le manque d’impartialité de l’arbitrage international n’est que le fard d’une critique autrement formulée comme étant la justice privée des riches, le commerce international étant indéniablement le lieu de rencontre d’intérêts financiers importants.

Ce service privé de la justice est pourtant le seul possible dès lors que l’on envisage un litige opposant un investisseur français et l’État russe ou chinois qui ne brillent pas par la neutralité et l’indépendance de leur justice présentée comme corrompue par l’OCDE. Faire condamner la Russie devant un tribunal russe est impossible. Seul l’arbitrage peut y parvenir comme l’a démontré le récent arbitrage Youkos dans lequel Emmanuel Gaillard a obtenu une condamnation de 50 milliards contre l’État russe.

Il serait donc opportun d’adopter une vision globale du commerce international, oublier l’acrimonie toujours réservée aux Américains, celle adressée à l’arbitrage pour accueillir cette forme de justice indissociable de la mondialisation. Car, si l’ISDS peut être regardé comme inutile dans le cadre des relations transatlantiques, il sera indispensable dans beaucoup d’autres traités commerciaux internationaux dans lequel il sera délicat de souhaiter y recourir après l’avoir rejeté.

Sur le web

Lire sur Contrepoints notre dossier spécial Traité transatlantique

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  • Puis-je me permettre un petit commentaire ?

    L’ancien Commissaire au commerce, le très libéral Karel de Guth, a écrit exactement le contraire de vous dans le bulletin du commerce extérieur de l’UE. « «Je partage totalement les nombreuses critiques selon lesquelles les procédures de règlement des différends entre investisseurs et États n’ont débouché jusqu’à présent que sur des exemples très inquiétants de litiges contre les États….. » Voir le texte complet du Commissaire sur :

    http://trade.ec.europa.eu/eutn/psendmessage.htm?tranid=9529

    Bien pire, le choix de citer Poutine démontre que ce système est inapplicable à une dictature. La Russie a été récemment condamnée à une amende de 50 milliards par une cour d’arbitrage, et refuse de payer.
    Agissant comme de gentils petites soldats naïfs, La France et la Belgique ont saisi des biens russes au mois de juin 2015, après des poursuites lancées par d’anciens actionnaires de Ioukos, comme cela est prévu par le CIRDI. Résultat : Poutine a changé la Loi russe, et va saisir de biens français et belges.
    Super le système ! Voir sur :

    http://www.euractiv.fr/sections/leurope-dans-le-monde/poutine-legalise-la-saisie-de-biens-detats-occidentaux-sur-le

    • Il est clair que ce système d’arbitrage par le privé n’est, simplrmrnt, pas libéral: la justice est un pouvoir faisant clairement partie deu domaine « régalien ». Et non, je n’ai pas la confiance nécessaire pour me fier à un arbitrage privé, pouvant répondre à toute influence ou corruption sans aucun contrôle démocratique ( = à la portée d’un citoyen moyen!).

      Le seul arbitrage dont j’ai eu connaissance, en France, est celui de B.Tapie: ce ne fut pas un succès vu que la directrice du FMI, ancienne ministre des finances est mise sur la sellette par la Justice, la vraie, unique, légale et démocratique.

      En plus, quand on attaque la BNP, Fr.Hollande bouge pour que sa banque chérie échappe aux sanctions (ce n’est pas du tout son job!)!

      Donc non! Qu’un tribunal équitable soit équitablement établi entre partenaires, oui!

      Que ce soit l’état le plus influent qui impose ses sanctions, non!

      Pas confiance!

    • C’est énervant!

      Ce commissaire c’est Karel De Gucht (pas Karel de Guth, ignare! Même Google vous l’aurait dit!):

      d’un parti limitrofe,
      président du parti libéral,
      ministre des affaires étrangères et donc signataire de la constitution européenne en octobre 2004, commissaire européen au développement et à l’aide humanitaire
      puis commissaire au commerce dans l’équipe Baroso
      et donc négociateur du TTIP
      et oui, il a envoyée balader A.Montebourg en lui confirmant que « la France ne redistribuerait pas les cartes du commerce mondial ».
      Il ajoutera ensuite que le protectionnisme autarcique, façon Montebourg (du genre « marinière »), est une position de perdant; (comme on le sait et comme on peut le voir, encore.)
      et oui, il est Franc-Maçon.

      Ce n’est donc pas un quidam quelconque: il a au moins le droit qu’on ne torture pas son patronyme, non?

      Surtout quand on est du pays dont le commissaire est aussi insignifiant qu’un P.Moscovici sous tutelle!…

      Du parti libéral, oui, mais pas du tout opposé au système social de son pays!

    • Sauf que les recommandations faites par Karel de Guth ont été prises en compte par la Commission, qui a décidé d’inclure dans le traité :
      – l’interdiction du « forum shopping » par les investisseurs pour choisir la juridiction la plus favorable

      – une procédure rapide permettant d’écarter sans possibilité de recours les demandes d’arbitrage pour des motifs futiles ou mal étayés

      – une définition précise et exhaustive de l’expropriation
      Par ailleurs, la Commission prépare un nouveau texte sur l’arbitrage, avec pour objectif une cour d’arbitrage permanente, composée de juges titulaires, répondant aux exigences mentionnées par ce Commissaire.

    • Karel De Gucht est certes membre de l’Open VLD, parti dit « libéral » mais dans les faits , cela n’en fait pas un « libéral ». Je dirais plutôt qu’il est plus « libéral » que bcp d’autres politiciens belges.
      Les partis libéraaux blges (MR pour les francophones et Open VLD pour les flamands), sont bien plus comparable aux liberals dans le sens américain du terme qu’à un vrai libéral. En gros, ils veulent un état providence qui puisse fonctionner tout en essayant de préserver les entreprises (ils se rendent quand même compte que ce sont elles qui créent de la richesse). Cela n’a rien à voir avec le libéralisme classique. Ils ne veulent pas mettre fin à l’état providence, ils le veulent le réformer pour le rendre plus efficace et qu’il ne prenne pas une place trop importante qui nuirait trop à l’économie

    • Le tribunal arbitral n’est pas une invention des capitalistes américains pour mettre l’Europe à genoux. Les premières structures de ce type ont été mises en place il y a plusieurs années au départ pour protéger les entreprises qui investissaient dans les pays du Sud dont les systèmes judiciaires n’étaient pas jugés suffisamment fiables. De très nombreux accords commerciaux bilatéraux prévoient le recours à ce type de tribunal en cas de conflit entre un Etat et une entreprise.

      Il n’est pas certain que ces structures favorisent les entreprises par rapport aux Etats. Une étude de l’ONU a ainsi montré que les Etats étaient sortis « gagnants » des procédures menées par ces juridictions dans 42% des cas et les entreprises dans 31% des cas (les procédures restantes se sont conclues par des accords à l’amiable).

      Le règlement de litiges investisseur-État au moyen de tribunaux arbitraux est d’une pratique très courante dans le monde, en particulier en Europe.

      Les États membres de l’Union européenne sont signataires de près de la moitié des accords internationaux d’investissement en vigueur dans le monde (environ 1.400 sur 3.000). Pratiquement tous comportent des dispositions relatives à la protection des investissements et au règlement des différends entre investisseurs et États ; ce mécanisme permet la résolution de litiges lorsqu’un investisseur estime qu’un État traite l’investisseur de façon discriminatoire par rapport à d’autres investisseurs, par exemple par rapport à des investisseurs locaux ou nationaux.

  • L’auteur mélange l’arbitrage privé en général et l’ISDS. Dans ce dernier cas les tribunaux d’arbitrage se sont pas privé (ils sont liés à la banque mondiale), c’est donc bien plus une politique d’internationalisation du règlement de certains différents que de privatisation. On peut être pour ou contre, mais dans tous les cas l’article passe totalement à coté de son sujet.

    • Bonjour.

      OK pour Poutine, (j’avais d’ailleurs cité le CIRDI) mais pas pour la déclaration de Karel de Guth.

      Ceci dit, la Commission a expliqué en long en large et en travers qu’il fallait absolument introduire l’ISDS dans l’accord transatlantique, de façon, à pouvoir l’imposer demain à la Chine et à la Russie, dans le cadre de futurs accords de libre échange. Soit. Mais si une condamnation ne plait pas à Poutine elle ne sera jamais payée, système Banque Mondiale ou ISDS.

      Le risque est que les démocraties (dont les 28 pays de l’UE) condamnées payent, et que jamais les dictatures payent.

      Cordialement

      Bertrand de Kermel

      • Vous pensez réellement que si un tribunal national ou international condamnait la Russie, elle serait plus prompte à payer ? Le but de l’arbitrage dans ce cas-ci est de régler des cas une entreprise européenne est discriminée aux USA, ou une entreprise US est discriminée en Europe. Comme le niveau européen n’est pas harmonisé, ce serait en fonction de la législation de l’état d’ou vien tl’netreprise ou de l’état dans laquelle l’entreprise s’est fixée, ce qui serait difficile à standardiser en europe

        • D’accord avec vous.

          Problème : la Commission a reconnu que l’ISDS ne s’imposait pas entre les Etats Unis et l’Union Européenne, (car ne sont pas des Etats Voyous qui spolient les investisseurs) mais a affirmé que si on ne l’introduisait pas, on ne pourrait jamais ensuite l’introduire dans les accords de libre échange avec les dictatures.

          Or, ISDS ou tribunaux nationaux, si une dictature ne veut pas payer, elle ne payera pas, nous sommes bien d’accord là-dessus. Donc l’argument de la Commission ne vaut rien.

          Le grand problème de l’ISDS est le suivant : un investisseur a droit à un traitement « juste et équitable », s’il existe un ISDS entre son pays et celui où il investit. En revanche, s’il spolie un citoyen de l’Etat dans lequel il a investi, ce citoyen devra s’adresser aux Tribunaux du siège de l’investisseur. L’investisseur n’a que des droits et aucun devoir. (M^me pas celui de payer ses impôts !)

          Personnellement, je serais incapable de justifier ce système devant une classe de 3ème.

          Voici un exemple trouvé sur internet, sachant que, j’ai vérifié, il existe un ISDS entre la France et le Cambodge.
          https://www.mediapart.fr/journal/economie/280715/bollore-attaque-en-france-pour-ses-plantations-au-cambodge

          On trouve un reportage sur cette histoire dans LE MONDE du 29 juillet 2015.

          Bien cordialement, et merci à Contrepoints d’avoir accepté de publier ces échanges.

          Bertrand de Kermel

      • @ bonjour M. De Kermel,

        Les agriculteurs payent des charges et des impôts enormes pour une retraite de 850 euros.

        C’est de l’injustice de la part de la Mutualité Sociale Agricole.

        Monsieur de Kermel, il devient urgent d’augmenter la pension retraite de ces
        Travailleurs de terre 500 euros

  • Voilà deux articles à lire: http://www.ifrap.org/europe-et-international/comprendre-les-enjeux-du-partenariat-transatlantique
    http://www.trop-libre.fr/ttip-de-l%E2%80%99inqui%C3%A9tude-aux-fantasmes/

    Les opposants au TAFTA sont ridicule: l’arbitrage privé est une pratique très courante dans le monde, en particulier en Europe en cas d’accord commercial.

    Le tribunal arbitral n’est pas une invention des capitalistes américains pour mettre l’Europe à genoux. Les premières structures de ce type ont été mises en place il y a plusieurs années au départ pour protéger les entreprises qui investissaient dans les pays du Sud dont les systèmes judiciaires n’étaient pas jugés suffisamment fiables. De très nombreux accords commerciaux bilatéraux prévoient le recours à ce type de tribunal en cas de conflit entre un Etat et une entreprise.
    Il n’est pas certain que ces structures favorisent les entreprises par rapport aux Etats. Une étude de l’ONU a ainsi montré que les Etats étaient sortis « gagnants » des procédures menées par ces juridictions dans 42% des cas et les entreprises dans 31% des cas (les procédures restantes se sont conclues par des accords à l’amiable).
    Le règlement de litiges investisseur-État au moyen de tribunaux arbitraux est d’une pratique très courante dans le monde, en particulier en Europe.
    Les États membres de l’Union européenne sont signataires de près de la moitié des accords internationaux d’investissement en vigueur dans le monde (environ 1.400 sur 3.000). Pratiquement tous comportent des dispositions relatives à la protection des investissements et au règlement des différends entre investisseurs et États ; ce mécanisme permet la résolution de litiges lorsqu’un investisseur estime qu’un État traite l’investisseur de façon discriminatoire par rapport à d’autres investisseurs, par exemple par rapport à des investisseurs locaux ou nationaux.

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