Plaidoyer pour une solidarité volontaire (II)

Une authentique solidarité n’est-elle pas celle d’un partage spontané relevant de la volonté individuelle plus que d’une institutionnalisation à marche forcée ?

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Plaidoyer pour une solidarité volontaire (II)

Publié le 19 janvier 2016
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Aussi entendons-nous insister à présent, dans ce second volet, sur l’indispensable liberté du consentement individuel à l’exercice d’une solidarité.

En effet, pour être véritablement honorable, c’est-à-dire digne de respect, toute performance doit prendre appui sur le moteur éthique d’une solidarité que nous pourrions qualifier d’« innocente » en tant qu’elle vise au partage équitable des fruits de l’effort et ne s’exerce pas sous la pression d’une injonction collective et infantilisante à la justice sociale. Armand Laferrère a d’ailleurs montré dans un mémorable article, publié au cours de l’été 1998 dans la revue Commentaire, combien l’assistanat est l’ennemi de la solidarité et combien la « justice sociale » à la française est une inefficace hypocrisie consistant à préférer l’égalité à la liberté, ce qui, dans les faits, se traduit par moins de liberté mais jamais moins d’inégalités… les Français s’entêtant – comme le montrera Jean-François Revel dans La Grande paradeà tolérer les seuls privilèges accordés par l’État. Ludwig von Mises entreverra d’ailleurs à ce sujet le risque du « destructionisme » que présentent toutes les formes de solidarité nationale imposées à chacun et qui se révèlent, un jour ou l’autre, exceptionnellement contre-productives. Une fois dissociée par l’industrialisme et l’urbanisation, la solidarité basée sur la responsabilité ou la faute a peu à peu fait place à une solidarité du risque, prise en charge non plus par les hommes mais par l’État. Celle-ci fut théorisée vers 1893 par des intellectuels comme Emile Durkheim et prit par exemple la forme du solidarisme dès 1899 sous la férule de Léon Bourgeois dont le projet était de faire converger la tradition contre-révolutionnaire et l’égalitarisme du socialisme utopique en vogue à cette époque.

Kant peut toutefois être considéré comme le premier philosophe à avoir perçu puis distingué ce qui relève de la solidarité entre États et le « droit cosmopolitique » fondé sur une hospitalité minimale due à tout homme. Seul le kantisme a donc anticipé la concurrence croissante entre l’attachement à la nation et d’autres formes de solidarité : socialement en effet, le groupe national n’est pas le seul à « éprouver des solidarités » comme le dit  A. Grosser dans  Au nom de quoi ? Les appartenances de classe, qui fondent la solidarité sociale, de culture, qui incluent le phénomène religieux, de pratiques (les loisirs), de voisinage ou de communauté, ou même, avec l’émergence de ce que Cassese appelle les « couloirs et droits humanitaires », à l’ensemble de l’humanité sont autant de registres possibles d’exercice de la solidarité, qui affaiblissent la prééminence du choix imposé à tous d’une solidarité à l’échelle nationale. Une authentique solidarité n’est-elle pas celle d’un partage spontané relevant davantage de la volonté individuelle et morale plutôt que d’une institutionnalisation à marche forcée ?

La sincérité apparaît donc comme consubstantielle de la solidarité ; ou, pour le dire autrement, en reprenant la méthode nietzschéenne de la généalogie pour enquêter sur les valeurs morales, la sincérité à l’autre – bien opposée en ce sens à la philanthropie ou à l’altruisme – est très probablement un concept moral précurseur de la solidarité, dès lors que l’on estime impossible, c’est-à-dire que l’on s’estime personnellement indigne ou incapable, de vivre légalement aux dépens des autres. C’est peut-être cela d’ailleurs le primat de la solidarité : être responsable de soi-même au point de ne dépendre aucunement des autres. On retrouve cette thèse dans l’ouvrage Solidaire si je veux ! du professeur Alain Laurent, qui plaide en faveur d’une alliance de l’éthique de la responsabilité individuelle et de la libre coopération contractuelle qui, seule, peut donner vie à une solidarité volontaire au sein de la « civilité retrouvée ». Christian Michel abonde lui aussi dans ce sens lorsqu’il déclare que « la morale se situe dans l’engagement personnel, et la solidarité s’appelle alors amour et charité ».

Si elle apparaît donc – plus ou moins spontanément – comme un impératif, la solidarité doit cependant s’exercer de concert avec la sincérité du sentiment et non être le résultat d’une quelconque pression culpabilisante. À cet égard, nous pouvons nous interroger quant à la possibilité d’une conciliation entre la décision éminemment individuelle de la solidarité en acte et la nécessaire prise de conscience d’un destin commun de tous avec tous, pour détourner Hobbes. C’est cette tentative, cette quête d’un génie réconciliateur qu’exprime merveilleusement dans L’enracinement la philosophe Simone Weil lorsqu’elle prophétise : « Celui qui inventerait une méthode permettant aux [humains] de s’assembler sans que la pensée s’éteigne en chacune d’elles produirait dans l’histoire humaine une révolution comparable à celle apportée par la découverte du feu, de la roue, des premiers outils.» Or nous connaissons les prouesses, les performances réalisées par l’Homme depuis qu’il maîtrise le feu, a découvert la roue et s’est fabriqué ses premiers outils ; suivre Simone Weil jusqu’au bout de sa pensée, c’est par conséquent reconnaître indéfectiblement que seule la solidarité humaine peut à présent couvrir le monde des Hommes d’autant de stabilité et d’honneur qu’a pu le faire le progrès technique.

À l’ère à laquelle nous vivons, celle du narcissisme hédoniste, du relativisme erratique d’un libre arbitre devenu libre arbitraire et du nihilisme contemporain à l’endroit des valeurs qui fondent notre tradition, il nous faut nous méfier de la dangereuse instrumentalisation de la solidarité comme injonction – en réalité tout à fait contre-productive. En effet, la solidarité est un impératif, catégorique pour les uns qui y voient la condition même de toute (sur)vie en société, de raison pour les autres, rappelés à l’autre par la globalisation, véritable miroir de la naturelle interdépendance des Hommes. Il faudrait toutefois se garder de faire de cet impératif un diktat au détriment de toute éthique individuelle fondée sur la libre contribution de chacun à la solidarité.

S’il est donc vrai que sans elle aucune performance ne peut véritablement être pérenne, ni digne d’estime ou de respect, puisqu’elle se ferait dans le mépris de l’humaine condition, il nous faut conjointement porter toute notre attention au libre exercice d’une solidarité heureuse et consentie celle-là même que décrit F. Nietzsche dans Le Gai savoir : « Toi aussi tu voudras secourir ! mais ne secourir que ceux-là dont tu comprends entièrement la détresse, parce qu’avec toi ils ont une souffrance et une espérance — tes amis : et ne les secourir qu’à la manière dont tu te secours toi-même : —  je les rendrai plus courageux, plus endurants, plus simples, plus joyeux ! je leur enseignerai ce que maintenant si peu de gens comprennent, ce que ces prédicateurs de la solidarité compatissante comprennent le moins : — la solidarité dans la joie »« Toi aussi tu voudras secourir ! mais ne secourir que ceux-là dont tu comprends entièrement la détresse, parce qu’avec toi ils ont une souffrance et une espérance, — tes amis : et ne les secourir qu’à la manière dont tu te secours toi-même : — je les rendrai plus courageux, plus endurants, plus simples, plus joyeux ! Je leur enseignerai ce que maintenant si peu de gens comprennent, ce que ces prédicateurs de la solidarité compatissante comprennent le moins : — la solidarité dans la joie.

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  •  »
    il nous faut nous méfier de la dangereuse instrumentalisation de la solidarité comme injonction – en réalité tout à fait contre-productive
     »
    Contre productive par rapport à quoi ?
    Il y a une preuve la dessus ?
    Si il y a autant de parasites en France, c’est que ça ne marche peut être pas si mal que ça.

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