Les taux d’intérêt négatifs pour les nuls

Encourager l’endettement et la dépense, cela ne relance pas l’économie.

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Les taux d’intérêt négatifs pour les nuls

Publié le 28 décembre 2015
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Par Jasmin Guénette

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Après avoir maintenu son taux à pratiquement 0% depuis plus de sept ans, la Réserve fédérale américaine a finalement annoncé, le 16 décembre dernier, une première hausse. Nous entrons donc dans une nouvelle étape des politiques monétaires dites « non conventionnelles » adoptées par pratiquement toutes les banques centrales du monde après la crise financière de 2007-2008.

Ce nouveau mouvement à la hausse mettra-t-il un frein à la fragile relance de l’économie ? Des acteurs économiques devenus accros à l’argent facile pourront-ils s’accommoder des taux plus élevés ? C’est ce que tous les observateurs se demandent et ce que nous saurons dans les mois qui viennent.

Ailleurs dans le monde, et en particulier en Europe, plusieurs banques centrales vont dans le sens inverse, en instaurant pour la première fois une politique de taux d’intérêt négatif. Le gouverneur de la Banque du Canada, Stephen Poloz, a d’ailleurs surpris tout le monde une semaine plus tôt en affirmant qu’il considérait lui aussi cette option en cas de débandade de l’économie canadienne, en se donnant un nouveau plancher de -0,5%.

De prime abord, le concept de taux d’intérêt négatif semble contraire à la logique économique. Qu’est-ce que ça signifie concrètement ?

Un taux d’intérêt, c’est la récompense que la banque vous donne pour lui prêter vos épargnes. Elle vous remet ainsi une partie des revenus qu’elle a générés après les avoir prêtés à d’autres, qui ont bien sûr payé un taux d’intérêt un peu plus élevé pour emprunter cet argent. La banque fait des profits avec la différence.

Un taux d’intérêt négatif, c’est lorsque vous payez la banque pour y déposer votre argent. Cela devient alors une pénalité, et non plus une récompense. C’est une situation où l’on décourage l’épargne traditionnelle, qui n’est plus rentable du tout. Il devient au contraire beaucoup plus attrayant d’emprunter, puisque le montant que vous devrez rembourser est moins élevé que celui qu’on vous a prêté.

Le taux d’intérêt à -0,5% auquel réfère la déclaration du gouverneur Poloz ne s’appliquerait toutefois pas à vous, mais aux banques.

Les banques sont un peu comme nous dans la mesure où elles doivent équilibrer leurs entrées et leurs sorties d’argent, en plus de se conformer à certaines exigences réglementaires concernant leurs réserves. À la fin de chaque journée, certaines finissent avec des fonds excédentaires qu’elles peuvent prêter, alors que d’autres doivent emprunter pour couvrir des transactions déficitaires jusqu’au lendemain. Elles se tournent alors vers d’autres banques ou vers la Banque du Canada. On parle de millions de dollars qui sont ainsi déplacés chaque jour.

La Banque du Canada agit sur ce marché où les banques se prêtent de l’argent en fixant son « taux directeur », qui indique le taux cible pour ce financement à un jour. C’est ce taux directeur qui fait les manchettes à chaque annonce de la Banque du Canada, huit fois par année. C’est lui aussi qui se répercute sur les autres taux du marché avec habituellement quelques points de pourcentage additionnels, comme les taux des prêts hypothécaires et ceux sur les certificats de placement garanti et les autres formes d’épargne.

Il faut comprendre que le rôle de la Banque du Canada n’est pas de faire du profit, mais de mener la politique monétaire du Canada et ainsi influencer le taux d’inflation, le taux de change, la croissance et l’économie en général. Pour atteindre cet objectif, elle cherche à inciter les banques à prêter moins ou plus à des particuliers, des investisseurs et des entreprises.

Plus le taux directeur est élevé, plus les banques ont intérêt à déposer en toute sûreté leur argent auprès d’autres banques ou auprès de la Banque du Canada, au lieu de prendre des risques en le prêtant. Et inversement, plus il est bas, et un taux négatif est plus bas que bas ! plus il devient coûteux de laisser des liquidités importantes dormir dans les comptes d’autres institutions. Les banques préféreront alors les prêter à vous et moi, même à des taux encore plus bas qu’en ce moment, même s’il est peu probable qu’elles nous prêtent un jour à des taux négatifs compte tenu de la marge qui s’ajoute pour qu’elle fasse un profit.

Il faut dire que le taux directeur actuel de la Banque du Canada, +0,5%, est déjà négatif en termes réels, dans la mesure où il est plus bas que le taux d’inflation. C’est-à-dire que la monnaie se dévalue plus vite que ce qu’un tel taux peut rapporter. Une politique de taux d’intérêt négatif ne serait donc qu’une continuation un peu plus radicale de ce que fait déjà la Banque du Canada, et ce que font la plupart des autres banques du monde, y compris la Fed.

Cette mesure s’ajouterait à d’autres politiques monétaires exceptionnelles prises dans plusieurs pays depuis la crise financière, comme l’« assouplissement quantitatif », c’est-à-dire une augmentation importante de la quantité de monnaie en circulation. Ces interventions monétaires, tout comme les plans de relance qui ont amené les gouvernements à accumuler des déficits énormes ces dernières années, sont inspirées des théories de l’économiste britannique John Maynard Keynes.

Ces politiques ont-elles été efficaces ? C’est loin d’être évident, et certains économistes pensent que non. Imprimer de la monnaie n’est pas la même chose que produire plus de biens et services. Forcer les banques à prêter toujours plus peut mener à des excès coûteux, comme les hypothèques accordées à des millions d’emprunteurs insolvables qui ont contribué à la crise financière.

À force d’essayer de relancer l’économie en encourageant artificiellement la dépense et l’endettement, on crée peut-être plus de distorsions et d’effets pervers que de relance. C’est pourquoi, des années après cette crise, nous sommes encore en train de débattre des moyens de relancer durablement une économie qui reste fragile.

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  • La Suède utilise ces taux négatifs et elle est en forme, faut voir si ça va pas lui retomber dessus.

  • Non, le taux directeur de la BC n’a absolument rien à voir avec une participation aux bénéfices des investissements faits par les banques.

    Un taux directeur positif de la BC, c’est de l’argent gratuit donné aux banques avec nos impôts ou notre pouvoir d’achat : c’est une participation aux bénéfices de la BC et ces bénéfices viennent de où, à part de la poche des citoyens ?

    Dire que la BC doit mettre en place des taux positifs, c’est injecter de l’argent du contribuable dans l’économie, c’est absolument tout sauf libéral, c’est le délire keynésien qui plante l’économie depuis des décennies.

    • Vous êtes sûr de ne pas confondre « positif » et « négatif » ?

    • même question que Pat
      Si ça n’est pas une simple erreur de frappe, c’est de la confusion mentale au plus haut degré.

      • Ce que vous dites serait vrai si les principaux bailleurs des banques n’étaient pas les Etats.

        Maintenant, dites moi simplement si vous préférez que les Etats empruntent auprès des banques avec des taux à 15 % où à 0% … qui à votre avis va payer la différence ?

        Vous réfléchissez encore comme « avant » quand les banques centrales étaient des organismes d’émissions de monnaie, ce qu’ils ne sont plus, ce sont les banques qui émettent la monnaie, monnaie qui est en très grande partie « avalée’ par les Etats. Votre raisonnement aurait du sens si effectivement on fonctionnait en monnaie pleine.

        In fine, un taux élevé fait juste rentrer du bénéfice aux banques sur le marché interbancaire. Et ce bénéfice n’est absolument pas issu d’une quelconque production, mais d’une « participation » plus élevée des emprunteurs, c’est à dire en grande partie des Etats, donc des contribuables.

    • c’est tout le contraire

  • Pour bien comprendre ce problème de taux il faut préciser qu’une banque ne peut avoir une créance sur elle-même* et donc qu’en fin de journée, si excédents il y a, elle doit les loger quelque part : soit à la BCE, soit en prêtant sur le marché interbancaire, soit en prêtant plus à ses clients.
    Les taux d’intérêt négatif sont une réponse de la banque centrale pour forcer les banques à se prêter au jour le jour sur le marché interbancaire ou à leurs clients. Mais ce marché interbancaire ne peut fonctionner que si les banques se font confiance : ça ne se décrète pas.

    * : créance sur soi-même : on ne peut pas écrire dans une comptabilité que l’on se doit de l’argent à soi-même puisque le créditeur et le débiteur ne peut être identique.

  • en fait, les taux d’intérêt négatifs existent depuis toujours, puisque certaines banques vous font payer des frais de gestion.

  • Vous comparez un taux journalier ( taux directeur) avec un taux annuel (inflation).
    Et vous dites « le taux directeur à 0,5% est plus bas que l’inflation » : vous avez donc un taux d inflation journalier supérieur à 0,5% au Canada??? Il va falloir sortir les brouettes à billet alors .

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