L’École est finie ou le « désespoir progressiste » illustré

La nostalgie pour le modèle éducatif républicain ne nous aidera pas à relever les défis de l’école du XXIe siècle.

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Ecole-Musée national de l'Education(CC BY-NC-ND 2.0)

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L’École est finie ou le « désespoir progressiste » illustré

Publié le 11 décembre 2015
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Par Vincent Feré.

Ecole-Musée national de l'Education(CC BY-NC-ND 2.0)
Ecole-Musée national de l’Education(CC BY-NC-ND 2.0)

Dans un essai récent, Ce pays qui aime les idées, l’historien d’Oxford Sudhir Hazareesingh souligne combien les Français se complaisent dans le « désespoir progressiste ». On voudrait s’en convaincre d’ailleurs qu’il suffirait de lire l’ouvrage de Jacques Julliard, L’École est finie. L’historien de gauche y décrit, après d’autres, sa nostalgie d’un monde révolu, celui de l’école de Jules Ferry, porteuse de valeurs et lieu d’apprentissage de l’excellence, de la laïcité et de l’esprit de résistance. S’il procède d’une contestation parfois bienvenue du pédagogisme dans l’Éducation nationale, le livre de Julliard succombe pourtant à la mythologie républicaine et son programme ne suffira pas à relever les défis de l’école du XXIème siècle.

Le pédagogisme en accusation

La cible de Julliard ce sont les inamovibles « pédagogistes » de la rue de Grenelle qui auraient dénaturé l’enseignement, en « mettant l’élève au centre du système éducatif », pour reprendre la formule de Claude Allègre.  Le discours est connu : le savoir étant partout, les élèves n’ont qu’à construire le leur par eux-mêmes ; point n’est besoin d’un enseignant pour le transmettre et, fantasme de tous les décideurs publics, ordinateurs et tablettes aidant, plus besoin de professeurs du tout ! Peu importe après tout que Julliard préfère la pédagogie verticale à l’horizontale, son ouvrage contient de belles pages sur le miracle de l’enseignement, fruit de la rencontre entre l’élève et le professeur, entre celui qui sait et celui qui apprend. Et Julliard de moquer les scientifiques de l’éducation qui n’aiment guère cette dimension charismatique du bon professeur, dont le savoir-faire ne se laisse pas facilement mettre sous la forme de ces innombrables circulaires dont ils sont les auteurs. On pourrait du reste ajouter à ce propos que les « pédagogistes » ont  tendance à sous-estimer l’importance de l’enseignant dans la réussite des élèves car ils font volontiers leurs les analyses des sociologues pour qui celle-ci est surtout dépendante de facteurs… sociaux : les effectifs par classe et la mixité sociale. « Pédagogistes » et sociologues se rejoignent donc pour minorer le rôle de l’humain dans les performances de l’école. Pourtant le mixage social est loin d’être le seul critère de réussite scolaire et une note récente du Centre d’analyse stratégique relevait que « l’ampleur » de l’ « effet enseignant » était supérieure à celle de l’« effet établissement ». Donnons donc acte à Julliard que le salut de l’école viendra sans doute davantage des pédagogues que des « pédagogistes ».

La mythologie républicaine à l’œuvre

On suit beaucoup moins Jacques Julliard en revanche quand il soutient que l’école doit redevenir ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être à ses yeux : le lieu de l’« excellence républicaine ». Car, contrairement à ce qu’il affirme, l’« excellence républicaine » a toujours été « la sélection élitiste de quelques-uns » et pas « la promotion des possibilités de chacun ». Dès l’origine, même l’enseignement agricole, dans une nation pourtant paysanne, a été laissé aux mains du privé. Quant aux enfants d’ouvriers, les mal-aimés de la République, passé le certificat d’études, il ne leur restait qu’à se former auprès d’un patron. En vérité, depuis l’époque révolutionnaire, la France s’est surtout préoccupée de sélectionner ses élites sur la base d’un enseignement théorique et elle l’a fait aux dépens de la réussite de tous. L’élitisme en France se porte d’ailleurs toujours très bien : les grandes écoles n’ont jamais été aussi sélectives, y compris en termes d’origine sociale de leurs élèves. En revanche, la France, depuis trente ans, n’a pas réglé le problème des 150 000 exclus du système, les moins bien dotés socialement, qui en sortent chaque année sans aucun diplôme ! Au passage n’y aurait-il pas là un oubli de la valeur d’égalité qui alimente la défiance des Français à l’égard des institutions ?

Que Julliard se lamente sur les évolutions de l’école c’est naturellement son droit mais ces évolutions ont cherché à bâtir un enseignement pour tous. Elles ont échoué mais leur échec ne signifie pas pour autant qu’il faille en revenir à l’école de Jules Ferry mythifiée par Jacques Julliard. C’est d’une restructuration complète dont l’école a besoin si elle veut être à même de relever les défis du XXI ème siècle, ceux de la société de la connaissance et de l’adaptation permanente, tout en étant fidèle aux valeurs du vivre ensemble.

Le double défi de l’école du XXIème siècle

Le défi majeur de l’école du XXIème siècle, c’est de proposer à chacun des parcours individualisés de réussite, ce qui suppose de diversifier, enfin, les filières d’excellence et de les élargir en direction des domaines technologiques et professionnels. Ce qui suppose aussi de relever le défi de l’individualisation de l’enseignement – il ne l’a été pour l’instant que dans les mots et presque par antiphrase : l’accompagnement personnalisé au lycée avec des groupes de 35 élèves parfois ! – En somme, il s’agit pour l’école du XXIème siècle de réussir là où, quoi qu’en dise Jacques Julliard, l’école de Jules Ferry a échoué ! Il faut du reste savoir tirer les leçons de l’histoire : n’en déplaise aux réactionnaires de tous bords, ce défi ne pourra être relevé que dans un système largement décentralisé, dans le cadre de structures autonomes. Il faut donc en finir avec le jacobinisme de l’école de Jules Ferry.

Mais, et c’est l’autre leçon de l’Histoire, la France attend aussi de son école qu’elle soit le creuset de la nation. Cela passe par la transmission d’un certain nombre de valeurs – le livre de Julliard y insiste justement – qui sont celles de la vie en commun dans un pays comme la France et un ensemble comme l’Europe, forts d’un long et riche passé. L’école a ainsi une mission éducative qui est l’apprentissage de la citoyenneté et de la vie en société.  Mais il faut alors empêcher que l’école ne soit, comme aujourd’hui, en contradiction avec les principes du pacte républicain. Autrement dit, autonomie et décentralisation doivent faire l’objet d’une régulation. Car si elle ne conduit qu’à la mise en concurrence des établissements, la réforme aura manqué son but qui est notamment de corriger l’existence d’un système désormais à deux vitesses. Il faut donc poser le principe de la régionalisation régulée par l’État qui est le garant de la valeur nationale, ou européenne, des diplômes et assure une péréquation dans les dotations financières entre régions riches et pauvres ; l’État qui affirme également le principe de l’égalité des chances et fixe un cadre national de références et d’objectifs en termes de savoirs et de compétences, étant entendu que ce cadre ne doit pas être arrêté par les seuls personnels de l’Éducation Nationale, tout en laissant aux acteurs sur le terrain le soin de prendre les initiatives adaptées au contexte social, économique, culturel afin d’atteindre les dits objectifs ; l’État enfin qui organise en aval leur évaluation.

Non, l’école n’est pas finie ! Il incombe aux politiques de mobiliser la société toute entière autour de celle du XXIème siècle, sans renier le passé mais en tournant le dos, enfin, au « désespoir progressiste ».

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  • Enfin un article qui fait la part des choses entre passéisme béat, modernisme abscons, libéralisme angélique et part du rôle de l’Etat excessivement centralisateur ! Je n’ai qu’une chose à vous dire : MERCI ! Mille fois merci ! J’aurais tellement aimé l’avoir écrit moi-même …
    Le seul problème de votre analyse, c’est qu’étant à la croisée des extrémismes pour mieux les combattre, elle sera invariablement dénigrée par tous, hélas.
    Il ne reste plus qu’à espérer que la raison l’emporte, qui sait, un jour peut-être.
    Encore merci.

    • je ne comprends pas ce que veut dire « libéralisme angélique » ???

      • Je pense que cela veut dire: la liberté totale du secteur de l’éducation ne peut pas marcher de façon optimale, sans doute lié au risque que les écoles proposent des programmes inefficaces si vous êtes pauvres et très complets si vous êtes riches.
        Même si je ne partage pas cette idée, je peux comprendre que les français soient septiques vu le prix de certaines écoles privées hors contrats. Mais ils ne se rendent pas compte du coût/coup indirect de l’EdNat. Ils s’appercevraient que 1500 euros/an pour une école primaire, ce n’est pas grand chose.

        • Effectivement, c’est bien ce que j’ai voulu dire. Toutefois, votre évaluation d’une école primaire privée me semble quelque peu minorée … 1500 euros/an, c’est pour une école privée sous contrat, dont presque tout est payé par l’état, en fait, à part des options (j’ai une amie prof de sport qui fait de voile, de la plongée sous-marine etc… et à début et fin d’année scolaire, pas seulement pour un stage, et pour tous les élèves du collège privé sous contrat).
          Hors contrat, pour une école de qualité (sans aller dans un pensionnat suisse, s’entend) doit être au minimum de 8 000 euros par an. Et pour une éducation d’élite, ça grimpe encore plus vite. A
          Alors oui, l’Educ Nat’ est une gabegie sur patte, mais le privé couterait encore bien plus cher pour une efficacité toute relative. L’avenir est la gestion déconcentrée et à la fin des nombreuses gabegies.

          • Vous avez raison, j’ai exagéré. On peut prendre l’exemple de Montessori dont le coût annuel se promène entre 2750 et 3500 euros.

            http://www.montessori-perpignan.com/?page_id=16

            Cela est une somme conséquente pour une majorité de personne (je pense). Mais l’État dépense bien plus par élève pour le public et le privé sous contrat. On ne voit malheureusement pas la couleur de l’argent à cause du flou des impôts et de la dette (environ 33 000 euros par habitant si je me souviens bien).
            Alors oui passer cash d’un système centralisé et sclérosé à un système privé et totalement libre me parait dangereux. D’où une transition à travers le chèque éducation…

            Pour le coût d’un élève pour l’État: http://www.education.gouv.fr/cid11/le-cout-d-une-scolarite.html

  • « Quant aux enfants d’ouvriers, les mal-aimés de la République, passé le certificat d’études, il ne leur restait qu’à se former auprès d’un patron.  »
    Certes, mais les enfants de paysans et d’ouvriers, avec leur certificat d’études avaient un bagage minimum pour se débrouiller dans la société.
    Aujourd’hui, alors que ce bagage minimum devrait être bien plus complet compte tenu de la complexité de notre société, l’EN n’assure même plus à tous le niveau certificat d’études d’autrefois.
    Les pédagogistes ont juste oubliè ce qu’est un enfant…

  • Cest dune restructuration complète dont…
    A mon avis d’écolier de l’école publique il y a 70 ans, je dirais :Cest une restructuration. ..dont l’école ou Cest d’une restructuration complète que l’école. .. Le de dont me semble superfétatoire.

  • Pas étonnant que D.Reynié se soit révélé une erreur de casting, si ce texte est un échantillon du fruit de ses réflexions.
    L’anti-élitisme, qui est par définition incompatible avec la notion même d’excellence, donne la mesure de la faiblesse des arguments présentés, comme le retourà l’école « mythique » de Jules Ferry prétendûment invoqué par Julliard comme la panacée-
    Pour avoir connu les bienfaits de l’école méritocratique, je m’étonne que le négationisme de pédagauchistes iluminés comme Mérieu soit repris et cautionné ici.

    L’excellente interview de Philippe Nemo, sur ce même site, en offre une pertinente contestation et j’engage vivement l’auteur de ce billet à mèditer ses propositions pour « rendre l’école à l’école ». Elle sont frappées au coin du bon sens et confirment que certains principes sont immuables, n’en déplaise à ces joueurs de bonneteau, prétendûment progressistes. Ils ont cru pouvoir substituer, à la nécessaire verticalité de l’ordre de l’Esprit, l’horizontalité molle de l’ordre de la Charité universelle et sa fausse compassion, qui laisse sur le carreau de Pôle emploi le tiers illettré de chaque cohorte. Beau bilan….

    L’antilibéralisme viscéral et atavique a encore de beaux jours devant lui pour le malheur de ceux qui ne peuvent pas voter avec leurs pieds.

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Les auteurs : Nathalie Sayac est Professeure des universités en didactique des mathématiques, directrice de l’Inspe de Normandie Rouen-Le Havre, Université de Rouen Normandie. Eric Mounier est Maitre de Conférences en didactique des mathématiques, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC).

 

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