Podemos, un renouveau de l’offre à gauche ?

Quelles sont les origines politiques et idéologiques de Podemos, le mouvement espagnol d’extrême-gauche ?

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Podemos, un renouveau de l’offre à gauche ?

Publié le 9 décembre 2015
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Par Jean Sénié.

La veu del pais valencia credits podemos (CC BY-NC-SA 2.0)
La veu del pais valencia credits podemos (CC BY-NC-SA 2.0)

À l’heure où se crée en France le « Mouvement Commun » à l’instigation du député Pouria Amirshahi, « un lobby citoyen » lorgnant du côté de l’Espagne et de Podemos, ce dernier connaît une relative perte de vitesse à la veille des élections législatives du 20 décembre 2015. Cet apparent paradoxe – pourquoi copier aujourd’hui en France ce qui serait en difficulté en Espagne – invite à revenir sur la nature de Podemos, en prêtant attention à ses origines idéologiques et à son programme.

Le livre de Christophe Barret, Podemos. Pour une autre Europe, est éclairant à cet égard. L’auteur a réalisé de nombreux entretiens avec les dirigeants du mouvement et lu une grande partie de leur littérature produite. Il dresse ainsi un portrait de Podemos qui, s’il n’est pas dénué d’une certaine bienveillance, n’exclut aucune des ambiguïtés tant programmatiques que politiques que connaît aujourd’hui la formation de Pablo Manuel Iglesias.

Renouveler l’offre, une nécessité de gauche

Le mouvement Podemos s’enracine dans une double matrice. Il provient d’abord du choc et de la fascination ressentis par des intellectuels et des militants espagnols devant l’importance des mobilisations du mouvement des Indignés, ou Movimiento 15-M. À partir du 15 mai 2011, des centaines de milliers de personnes s’étaient retrouvées dans les rues espagnoles pour lutter contre l’austérité que connaissait l’Espagne depuis les élections générales de 2008. Ces grands rassemblements ont suscité un vif intérêt auprès d’intellectuels de gauche comme Pablo Iglesias, Juan Carlos Monedero, Íñigo Errejón, Ariel Jérez ou encore Alberto Garzón, qui y ont vu une demande politique nouvelle.

podemosLe mouvement se nourrit ensuite d’un écho qu’il faisait aux travaux de sciences politiques et d’économie des fondateurs de Podemos. Ils analysent, pour la condamner, la victoire d’une Europe « libérale » en termes gramsciens d’hégémonie culturelle. La victoire du libéralisme, et par là même des politiques d’austérité, découlerait d’une victoire dans la sphère culturelle. Le libéralisme ayant imposé les termes du débat, c’est-à-dire les échanges ne se déroulant plus que dans ses termes idéologiques, il convient de ramener le débat sur le terrain de gauche. Cette influence de Gramsci s’est opérée à travers le filtre de la référence du penseur argentin Ernesto Laclau1. On retrouve d’ailleurs la même connexion en France puisqu’un des meilleurs connaisseurs de Podemos, Gaël Brustier, qui a fait ressortir toute l’importance de la pensée de Laclau pour ce parti, a récemment publié un livre où il présente la pensée d’Antonio Gramsci et rappelle, pour la gauche, l’importance du combat culturel2.

Ce groupe de professeurs de Somosaguas (Universidad Complutense de Madrid) et de militants, après avoir mis en évidence cette nécessité d’instaurer un bloc hégémonique, loin de rester inactif, s’est engagé et est pleinement entré dans la mêlée. C’est le point central de l’analyse de Christophe Barret : l’étude des formes que revêt l’action de Podemos, qui est extrêmement performante. Pablo Iglesias et les autres ont d’abord réussi à fonder un nouveau parti en prétendant répondre aux exigences de démocratie directe, de participation et de transparence que demandaient les électeurs espagnols3. Ensuite, ils ont mis en œuvre une importante stratégie de publication, et d’activisme médiatique, par exemple en créant leur propre émission la Tuerka qui connaît aujourd’hui un franc succès.

Demain Podemos, Ciudadanos ou le statu quo ?

Le livre ne fait l’impasse sur aucune des difficultés que rencontre aujourd’hui le mouvement Podemos. Sans s’arrêter à commenter ad nauseam les résultats du scrutin ayant eu lieu en Catalogne le 27 septembre, ni à rester le nez collé aux sondages, il est indéniable que Podemos se heurte à l’heure actuelle à des résistances. Sur le plan purement politique, il doit faire face à la résistance des partis politiques, et notamment du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol qui n’hésite pas copier, de manière flagrante, ses pratiques. Il doit aussi proposer comment résister, sur le front du renouvellement de la classe politique, à un autre parti qui prône ces vertus, Ciudadanos, dans un autre registre idéologique. Il ne faudrait pas imaginer un Podemos triomphant sur un champ politique dévasté !

Par ailleurs, le livre n’ignore pas les difficultés structurelles qui touchent Podemos. Il y a tout d’abord les changements dans l’appréciation portée sur le gouvernement d’Alexis Tsipras en Grèce : encensé dans un premier temps, il a ensuite fait l’objet d’un jugement de plus en plus mitigé de la part de la direction de Podemos. Syriza, présenté comme un parti frère, est désormais présenté comme une victime de l’Europe et de l’Allemagne.

Si, au niveau idéologique, Podemos condamne de manière claire l’Europe libérale et l’austérité, appelant de ses vœux une politique économique de redistribution des richesses, la réalisation de son projet et sa traduction dans un corpus programmatique, apparaissent sujettes à caution. Christophe Barret analyse les questions que soulève, par exemple, le programme économique du parti qui a connu de nombreuses critiques. Il en va de même de sa vision européenne.

C’est l’intérêt du livre de Christophe Barret : il invite à regarder, étudier et aussi tirer les conséquences d’une scène politique qui, à l’heure actuelle, est peut-être le meilleur laboratoire pour observer les recompositions de la gauche anti-libérale. Toute critique sérieuse de ces dynamiques politiques se devrait d’avoir à l’esprit ce qui se passe en Espagne avec Podemos.

Sur le web

Lire sur Contrepoints notre dossier extrême-gauche

  1. Barret Christophe, Podemos. Pour une autre Europe, Paris, Cerf, 2015, p. 48-52.
  2. Brustier Gaël, À demain Gramsci, Paris, Cerf, 2015. On lira aussi avec profit, http://www.slate.fr/story/108273/victoire-culturelle-droite.
  3. Barret Christophe, Podemos. Pour une autre Europe, Paris, Cerf, 2015, p. 80-82.
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  • Pour l’instant, Podemos semble bien être une baudruche qui se dégonfle rapidement.

    podemos

  • Podemos, comme Siriza (comme le FN) sont des cris de la part de gens qui n’ont toujours pas compris ce que la chute du mur signifiait et qui n’arrivent pas à comprendre que le monde n’est plus comme au XIX eme siècle, que leurs repères qui leur permettaient de mesurer et de comprendre le monde ont volé en éclats.

    Alors ils recherchent à appliquer des « vérités universelles » comme la démocratie, l’argent richesse, la théorie qui lie capital et bonheur etc…

    En France, le mouvement risque d’être encore plus violent : les gens vivent encore pour l’immense majorité dans la France de 1968 et n’ont toujours pas réalisé ce qu’il s’est passé depuis la fin de la guerre.

    • « Les vérités universelles » dont vous faites état sont dans le droit fil des penseurs marxistes et ignorent totalement la réalité crue d’aujourd’hui.

      Ces gens là peuvent gesticuler, le pouvoir leur a échappé, dieu merci, et il faut tout faire pour leur faire barrage, ils sont les fossoyeurs de l’humanité…

      Staline = dizaine de millions de morts…

  • Podemos n’est en rien un renouveau de la gauche, c’est la contuinité d’une certaine gauche américanolatine antilibérale. La référence étant le chavisme. or, aujourd’hui, on voit à quel point cette gauche américanolatine est un désastre économique. Il suffit de regarder les pays dirigé par cette gauche (Venezuéla, Argentine,…) et de voir qu’ils sont au bord de la ruine. Déja, à la base, le modèle de ces pays dirigés par la gauche américanolatine était impossible à copier en Europe. En effet, le modèle type était une économie basée sur des ressources naturelles. Donc, il faut avoir des ressources naturelles abondantes pour copier ces pays. Voilà pourquoi au début certains ont cru que ce modèle allait marché car en basant, l’économie sur ses ressources naturelles, la gauche de ces pays a amélioré la situation sur le court terme mais a conduit à la ruine sur le long terme. C’est la fameuse maladie hollandaise.
    Autre précision à faire: ces pays truquent largement leurs chiffres officielles. Alors, les gauchistes pour vanter ces pays utilisent des chiffres largement truquées (exactement comme du temps des pays communistes). Même avec des chiffres truquées, il est impossible de masquer la réalité. Seuls quelques idéologues d’extrême gauche et les ignorants sont dupes.

    Le pire c’est qu’il y a eu récemment des élections en Argentine (présidentielle) et au Vénézuela (législatives) et dans les deux cas, la droite a vaincu la gauche au pouvoir. Ce qui n’est pas une mince à faire quand on sait que ces éléctions ne sont pas faites dans un contexte démocratie. La gauche dans ses deux pays avaient bien plus de moyens que la droite. Les médias de ces deux pays sont controlés par la gauche de même que l’état. Tout a été fait pour avantager le parti au pouvoir (ce qui est contraire à une élection libre) et malgré cela, ils ont échoués.
    Le pire étant au Vénézuela qui n’est pas un régime démocratique mais hybride (comme la Russie ou la Turquie). Des opposants ont été emprisonnés, il y en a même qui ont été assassinés.

    • Deux choses rendant encore plus incroyable la victoire de la droite dans ces deux pays:
      La première c’est qu’en Amérique latine, les gens préfèrent la stabilité politique et la continuité, raison pour laquelle ils ont tendance à voter pour le parti au pouvoir. Si vous êtes au pouvoir, vous disposez d’un énorme avantage.
      La seconde c’est la droite en soi. Elle était loin d’être la meilleure qui soi. Dans les deux cas, elle n’avait pas de leader charismatique. Au Venezuela, l’opposition était très divisée. Certains de ses leaders étaient en prison, il y en a même un qui a été assassiné.

      Je pense qu’une chose qui a joué dans ces élections c’est le fait que ces deux pays étaient ruinés. Or, la gauche sud américaine antilibéral est profondément clientéliste. Elle se maintient au pouvoir grâce au clientelisme. Or comme ces deux pays étaient ruinés, la gauche au pouvoir n’a pas pu pratiquer le clientelisme habituel. Elle a dû être bcp moins clientéliste que d’habitude ce qui explique le résultat des élections.

  • Podemos est incohérent car leur modèle (une partie de la gauche d’Amérique latine, celle qui est chaviste) est antidémocratique. En tout cas, une fois au pouvoir, ils agissent de manière antidémocratiques. Or, Podemos se prétends être un mouvement pour la démocrate

    • « démocrate » démocrate

      Quand on est démocrate, on soutient pas des régimes autoritaires comme c’est le cas pour Podemos.
      En plus, Podemos combat le nationalisme. Pourtant, la gauche qu’ils prennent en modèle est non seulement antilibérale mais aussi profondément nationaliste. Je trouve hypocrite de s’opposer au nationalisme dans son pays mais soutenir d’autres mouvements nationalistes dans d’autres pays.

      Podemos est un mouvement populiste et démagogue avec un programme totalement irréaliste et bourré d’incohérences.

  • Le pire c’est de voir à quel point la gauche de la gauche est idéologue et se berce dans ses illusions. Il n’y a pas de place pour un parti de gauche radical en France. L’électorat qui pourrait voter pour un tel parti c’est essentiellement les jeunes et les classes populaires, deux couches de la population qui soit s’abstiennent soit votent Front national. Deux raisons pour laquelle la gauche radicale n’a aucune chance de l’emporter contre le FN : la première, « elle fait partie du système ». C’est la première à s’allier aux partis de gauche modéré (ou gauche du gouvernement) tout cela pour obtenir des sièges. Les électeurs ne sont pas cons, ils voient bien, cela participe grandement à décrébiliser la gauche radicale. Ils peuvent difficilement critiquer le système auquel ils font partis.
    La seconde raison c’est que si on regarde les préoccupations des classes populaires, elles sont en grande partie liés à l’immigration et à la sécurité. Deux domaines où la gauche radicale n’apporte aucune réponse. En plus, la gauche radicale est incohérente alors que le Fn est logique (national socialisme): elle critique la mondialisation mais est favorable à l’immigration, elle est pour l’immigration mais contre le protectionnisme. Ce qui différencie le FN du FDG c’est l’immigration où sinon, ces deux partis sont très semblables

  • La grande majorité des Francais sont pour réformer la France, la majorité est prêt à faire des réformes plutôt libérales. le contexte francais n’a rien à voir avec le contexte espagnol (il y a quelques similitudes). Podemos est né dans un contexte particulier (crise économique et crise politique (corruption des politiciens). Or, ce contexte est en train de disparaitre d’une part car la situation économique espagnole s’améliore mais surtout car il y a une autre alternative politique à Podemos et aux partis traditionnels: Ciudadanos qui est un parti centriste pas extrémiste donc et bcp crédible que Podemos.
    D’autres facteurs peuvent expliquer le recul de Podemos: ce qui s’est passé en Grèce avec Syriza, plusieurs scandales concernant podemos qui ont montré que les politiciens de ce parti ne sont guère différents des politiciens des autres partis, le fait que Podemos se revendiquant contre les partis tradtionnels n’hésite pas à s’allier au Parti socialiste espagnol, parti corrompu pour avoir le pouvoir,….

  • La bulle Podemos se dégonfle petit à petit pour 5 raisons, et à mon avis cela peut être intéressant à transposer au cas de la France où le FN est le Podemos français quoi qu’on en dise.
    – La presse et les médias grand publics sont bien plus divers en Espagne et ont laissé la voix à des économistes (entre autres libéraux : Rallo, Llamas, Rodriguez Braun etc..) pour démonter le programme économique de Podemos. En France, on n’a pas vu critique similaire et aussi construite, et pour cause, le programme économique du FN qui est similaire à l’extrême gauche séduit davantage en France.
    -Le chômage baisse malgré le gouvernement du PP, grace au fait que les ménages et les entreprises se sont massivement désendettés et recommencent à investir. Podemos était né dans un contexte où le chomage montait et était au top, mais quand les choses s’améliorent relativement les gens sont moins tentés par des alternatives radicales.
    -L’exemple syriza en a refroidi plus d’un. Tsipras a bien tenté de démontrer qu’on pouvait bien s’agiter mais que la réalité était plus forte. Quand il y a des dettes à payer il y a des réformes à faire, et tant pis pour les idées de grand soir. A mon avis je pense aussi que certains ont commencé à douter aussi de l’honnêteté de cette nouvelle caste.
    -La concurrence de ciudadanos: ça c’est ce qui les a le plus touché. A mesure que Ciudadanos a émergé simultanément Podemos a baissé dans les sondages, c’est très net. Ciudadanos concurrence Podemos sur la réforme des institutions, de l’administration et des pratiques politiques, mais avec un discours nettement plus précis. Le tout accompagné de propositions économiques beaucoup plus accessibles à un électorat indécis et souvent plus modéré que la moyenne.
    -Podemos n’accroche pas en Catalogne. Podemos accroche surtout en Castille, à Valence ou en Andalousie, mais pas en Catalogne qui est le principal bassin de voix avec Madrid en Espagne. Ils sont pris entre les indépendantistes en vogue et les unionistes qui refusent toute évolution institutionnelle et tout vote pour l’auto-détermination. Ils ont décidé de se placer en-dehors de ce clivage et ils ont raté le coche, même si leur positionnement sur la question est peut-être le plus censé de mon point de vue (ils veulent que les catalans puissent décider leur indépendance, mais ils s’opposent à l’indépendance de la Catalogne en soi). J’ajouterais aussi qu’ils ne percent pas au Pays basque et en Navarre où l’extrême gauche indépendantiste siphonne déjà les voix aussi.

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