Quelle politique numérique pour l’école ?

À quoi sert le numérique à l’école ?

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Une salle de classe dans une école (Crédits : Conseil Général du Val-de-Marne, licence CC-BY-NC-ND 2.0), via Flickr.

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Quelle politique numérique pour l’école ?

Publié le 19 novembre 2015
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Par Farid Gueham.

Une salle de classe dans une école (Crédits : Conseil Général du Val-de-Marne, licence CC-BY-NC-ND 2.0), via Flickr.
Une salle de classe dans une école (Crédits : Conseil Général du Val-de-Marne, licence CC-BY-NC-ND 2.0), via Flickr.

 

Pédagogie, équipement, formation, vision du futur : la stratégie numérique de l’école est-elle cohérente ? Le numérique s’est littéralement fondu et imbriqué dans les débats classiques autour de l’enseignement. Mais au-delà des plans nationaux, la communauté éducative s’interroge : à quoi sert le numérique à part faire de beaux discours et de belles annonces prédisant un futur pédagogique idyllique, ou justifier les budgets investis dans les équipements ? Quel est le plan et la stratégie de l’Éducation nationale dans ce domaine ?

Pour la secrétaire d’État au numérique Axelle Lemaire, cette transition, c’est du concret. Et le projet de grande école du numérique une des illustrations les plus visibles : « notre but, c’est que le numérique permette d’apprendre un métier, qu’il soit un vecteur d’intégration sociale et professionnelle pour plusieurs catégories de personnes, notamment des jeunes sans qualification, sans emploi ou décrocheurs ». À pécher par excès d’ambition, on met la charrue avant les bœufs. C’est le constat d’Emmanuel Davidenkoff auteur du Tsunami numérique « il faut faire la pédagogie de la pédagogie, avant de faire de la pédagogie numérique ».  La France est loin d’être à la pointe dans le domaine de l’éducation numérique. Les formations des enseignants aux nouveaux outils sont légères lorsqu’elles ne sont pas inexistantes. Pire encore, l’auteur cite un rapport de l’inspection de l’Éducation nationale qui décrit une« administration sinistrée dans le secteur numérique ».

politique numérique école rené le honzecCôté enseignants, il faut compter sur la volonté acharnée d’une poignée de geeks, déterminés à changer la donne. Parmi eux, Alexandre Acou, professeur des écoles, auteur du guide « Internet à l’école, lancez-vous ! ». Dans la classe d’Alexandre Acou, les outils numériques font partie du quotidien : « ils servent à apprendre à lire, à écrire, à mettre en avant les interventions orales ou les travaux restitués en version papier. Mais les outils numériques sont un « plus », ils servent uniquement à compléter les travaux et le programme ». L’enseignant s’est lancé dans des « twittclasses», un compte twitter de classe, très utilisé par les élèves, afin de raconter la vie du groupe en petits messages, à travers des photos, des liens, des vidéos. Un format ludique, participatif mais qui n’a pas vocation à se substituer aux travaux obligatoires de français ou de mathématiques.

Au ministère, Mathieu Jeandron, directeur du numérique au sein de l’Éducation nationale tient son rang. Conscient des limites financières et des réticences culturelles de son administration, il s’efforce de défendre une politique ambitieuse pour l’école : « une enquête de l’OCDE montre que les équipements informatiques des écoles françaises sont encore modestes par rapport à la moyenne européenne […] mais notre plan d’équipement est porté par une stratégie globale pour une transition pédagogique et pour le développement des ressources. Il est question de sensibiliser les enseignants à la culture numérique, mais aussi d’encourager les projets locaux, en partenariat avec les collectivités territoriales ». Du pain sur la planche donc.

Cette enquête de l’OCDE montre également que le numérique ne renforce pas particulièrement les apprentissages des élèves, au regard des coûts engagés.

Le numérique est donc un « extra », ce petit plus qui permet d’améliorer l’enseignement, à la condition que ce dernier soit déjà de bonne qualité. Il ne se substitue pas aux enseignements de base et ne pourra jamais compenser une pédagogie médiocre. Et sans formation des équipes éducatives à l’usage des outils numériques, il n’y a pas d’appropriation à chaque apparition d’une nouvelle technologie, on annonce à la hâte qu’il s’agit d’une révolution pour l’école. Et c’est loin d’être le cas. Aux prémices de l’aviation, on imaginait déjà des cours « aériens », pour sortir de l’abstraction et incarner la géographie dans le concret de l’observation. Après une tentative « mise en scène » devant les caméras, on réalise qu’un cours au sol dans de bonnes conditions est certes moins spectaculaire mais beaucoup moins onéreux et plus efficace qu’une leçon dans une carlingue bruyante. L’appropriation des nouveaux outils est donc conditionnée par la qualité du rapport que l’enseignant tisse aux savoirs et aux élèves. Les mentalités changent sous l’impact du numérique, à travers son développement et son appropriation.

Si les esprits s’adaptent, les élites résistent, moins perméables au changement que les pionniers de la communauté éducative.

La secrétaire d’État au numérique se réjouit que le numérique fasse débat autour des pédagogies innovantes et de leurs apports. Mais pour les politiques, le numérique reste avant tout au service d’une idéologie, d’un programme et d’une vision de société. Et les enseignants ne sont plus dupes ! Fini l’auto satisfecit des annonces de grands plans ou les promesses d’équipements vides de toute substance pédagogique, de formation et d’accompagnement des enseignants. Axelle Lemaire se veut rassurante et précise : la politique numérique éducative du gouvernement repose sur trois volets : des équipements de qualité, des infrastructures qui seront les vecteurs de la pédagogie et, bien entendu, la formation des enseignants « car il ne faut pas sous-estimer le niveau d’appréhension aux nouveaux outils, quelle que soit la génération ». Et c’est même l’enjeu principal, « le numérique doit être utilisé comme prétexte, pour une pédagogie alternative, afin de placer l’élève au centre de l’apprentissage, de renforcer son autonomie,  et d’adapter les rythmes de façon individuelle ». La promesse est alléchante.

Mais dans les rangs des enseignants, il faudra affronter une frilosité culturelle bien ancrée.

C’est notamment le constat d’Alexandre Acou, fort de ses 14 années d’expérience au sein de l’Éducation nationale. « Lorsque les enseignants ont la chance d’avoir du matériel, la majorité ne savent pas quoi en faire. Les ordinateurs dorment, les salles informatiques prennent la poussière… Passé le cap du matériel, vient celui de la mise en marche, du fonctionnement, de l’entretien. » Des préoccupations terre-à-terre, bien loin du plan stratosphérique du gouvernement. À Paris, le wifi est interdit dans les salles de classe et les enseignants apportent souvent du matériel personnel pour avoir une connexion internet. Il faut compter sur la bonne volonté et les sacrifices d’une poignée de profs : « On se débrouille et si on va acheter un écran chez Ikea, on va pouvoir utiliser le tableau numérique. Le plus souvent, en salle des professeurs, on voit que les collègues sont intéressés par d’autres projets plus accessibles, des sorties par exemple. Et pour ce qui est des compétences, parfois ils ne les ont pas. Pour la formation au numérique les ESPE sont à la traine. »

La culture numérique à l’école s’infuse lentement, mais elle introduit une nouvelle forme de pédagogie, faite de coopération et de créativité.

La culture numérique, c’est avant tout la coopération. Dans sa conférence TED, « Pourquoi les cours en ligne ouverts et massifs ont encore de l’importance », le professeur Anant Agarwal, président de la plateforme de Mooc Edx, enseignant au MIT, illustre parfaitement cette idée. Il y raconte la mise en ligne de son premier cours sur les circuits électroniques : une préparation sans précédent, 150 000 inscrits, la mobilisation de toutes ses équipes… Le cours est diffusé, lorsqu’un étudiant pakistanais pose une question, un étudiant égyptien lui répond et un américain vient compléter la réponse. Sans jamais interférer, le professeur Agarwal observe les élèves, qui s’acheminent d’eux-mêmes vers la bonne réponse. C’est l’évaluation par les pairs. Peut-on imaginer une transposition de cette méthode dans l’Éducation nationale ? Rien de moins sûr, à voir l’émotion suscitée par la simple suppression du barème de notation sur 20 points. On patientera. En attendant, les enseignants engagés dans une démarche pédagogique numérique encouragent les élèves à faire preuve de créativité. C’est la culture du « learning by doing ». En France, des initiatives comme celles de la fondation « la main à la pâte », qui prône l’apprentissage des sciences par l’expérience, ont déjà prouvé leur efficacité, non sans heurter une culture pédagogique plus traditionnelle. Les lignes bougent, mais lentement.

Quelques chiffres pour mieux comprendre le plan numérique pour l’école.

Le numérique est un nouveau poste de dépense important pour le ministère de l’Éducation nationale et l’enseignement supérieur. Depuis l’annonce du plan numérique pour l’école, le petit monde des EdTech, « les nouvelles technologies appliquées à l’éducation » est en ébullition. La dotation budgétaire allouée au projet est d’un milliard d’euros sur trois ans, financé pour un tiers par les investissements d’avenir et pour 650 millions en fonds propres. En comparaison, la somme consacrée aux manuels scolaires tous les ans par le ministère de l’Éducation nationale est de 300 millions d’euros.

L’école numérique, c’est aussi l’ouverture de nouveaux débats, un bouleversement du système éducatif français, entre élitisme et rigidité. Suivi individualisé des élèves à l’école primaire, correction des copies par ordinateur, cours magistraux version « MOOC », tableaux blancs interactifs font partie du quotidien de nombreux établissements. Ce changement passionne autant qu’il inquiète. Cette évolution offrira inévitablement une meilleure égalité des chances et des formations en adéquation avec le marché de l’emploi. Reste à voir si la France et son système éducatif sont prêts à l’intégrer.

Pour aller plus loin :

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  • Ok pour les MOOC.

    Mais alors filer des tablettes à des collégiens qui ont des parents complètements inculte en info et c’est la catastrophe.

    • Les MOOC ne sont que l’évolution logique et moderne de la télé éducative d’il y a 50 ans. Mais à l’époque, on n’imaginait pas offrir une télé à chaque gamin, ni que les enseignants en oublient pour autant la nécessité de choses comme le travail personnel, l’émulation, et la priorité de l’instruction sur la créativité et le vivrensemble.

      • N’oubliez pas les parents. Faut assumer les gosses a 100%.

      • Attendez!
        Tout dépend de l’âge: pour les enfants, bien sûr, ils resteront sous la férule de leur « Maître » (ou Maîtresse).
        À patir de 11 ou 12 ans, ils commencent à bien pouvoir se servir de l’outil et d’aller quérir eux-mêmes, de l’information plus ou moins sérieuse suivant les sujets.

        Et c’est là que va se poser un problème troublant pour les enseignants: jusqu’à présent, le problème n’existe pas: le prof possède le savoir et donc, l’autorité: l’élève est là pour apprendre, quelle que soit la pédagogie ou le talent du prof’!

        Pour moi, pour vous aussi peut-être, ce ‘est qu’un problème d’adaptation.

        Pour les fonctionnaires de l’enseignement (et parce qu’ils sont restés fonctionnaires, aussi, sans doute), c’est un « séisme » de la conception de leur rôle traditionnel et de leur métier, qui s’effondrera quand un gamin déluré de 13 ans expliquera à son prof où il a trouvé ses informations où ce qu’il doit faire parce qu’une manipulation plante la machine. Pas étonnant qu’ils ne soient pas « chauds »!

        Évidemment que l’enseignement privé qui vit de sa réputation de qualité et de son succès échappera prioritairement à ces critiques.

        Je le sais! Moi aussi, j’ai des enfants qui ne lisent pas un « mode d’emploi » mais se lancent dans un nouveau programme, sans aucun complexe, et le domptent rapidement, en Anglais comme en Français ou en Allemand, par cette vieille bonne méthode d’essai et d’erreur. (Ils oublient mal leurs vexantes erreurs!)

        Prudents sur internet sans devenir parano! Ils ont vite appris ce qu’était un « fake » et les soupçonnent facilement et en recoupe la teneur pour l’évaluer: bien utilisé, le web n’est pas toxique! Ils seront mieux informés que moi, à leur âge et même après.

        On n’ a pas assez dit qu’une simple console « Player Station » permet aux joueurs (aux terroristes?) de communiquer hors liaison passant par le système surveillé par la loi « Renseignements », à côté du « dark web » ou du cryptage!

  • « Le numérique est donc un « extra », ce petit plus qui permet d’améliorer l’enseignement, à la condition que ce dernier soit déjà de bonne qualité. Il ne se substitue pas aux enseignements de base et ne pourra jamais compenser une pédagogie médiocre »
    Vous avez dit là l’essentiel. La volonté de nos gouvernants est de camoufler les échecs et la médiocrité de l’enseignement actuel par de grandes annonces sur le numérique. A une époque où le coût du régalien revient (enfin) sur la table, cela peut attendre.
    Par contre, libérer l’école de ses carcans idéologiques, c’est urgent.

  • Le numérique à l’école, au collège, au lycée, ce serait déjà que nos enfants ne portent dans leurs cartables qu’une seule liseuse de 100g avec tous les manuels dessus, au lieu des 5 ou 8 manuels de 300g chacun !

  • J’ose affirmer, quant à moi, qui suis un ex professeur de mathématiques, que l’investissement le plus rentable a toujours été et sera toujours les enseignants :
    il faut investir dans les enseignants : les recruter, les former, et les payer.

    Or je dois dire avec consternation que l’Éducation Nationale n’investit que très peu dans les enseignants.

  • L’auteur critique à bon compte un corps enseignant supposé rétrograde en semblant croire à la possible disparition des notes. Cela ne peut se faire qu’en confondant une situation que beaucoup utilisent couramment : s’appuyer sur les élèves pour faire avancer le schmilblic (mais encore faut-il avoir des plages de temps adaptées), et le fait que l’on demande à l’EN de respecter des programmes, de produire des élèves diplômés, ce qui serait difficile si les élèves découvraient la notation à la fin de leur cursus…

  • Je reconnais une éducation numérique réussie quand ses bénéficiaires ont compris qu’on peut se passer de twitter, de facebook, de wikipedia et de Google.

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