L’arrêt de Superphénix fut un désastre humain

La fermeture de la centrale de Creys-Malville en 1998 s’apparente à un suicide économique et technologique.

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Centrale nucléaire- Peter Gabriel (CC BY-SA 2.0)

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L’arrêt de Superphénix fut un désastre humain

Publié le 9 septembre 2015
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Par Michel Gay.1

Centrale nucléaire- Peter Gabriel (CC BY-SA 2.0)
Centrale nucléaire- Peter Gabriel (CC BY-SA 2.0)

L’origine de la décision politique de l’arrêt définitif du réacteur nucléaire surgénérateur Superphénix de la centrale de Creys-Malville le 2 février 1998 s’apparente au battement de l’aile d’un papillon au Brésil qui aboutit à la formation d’un cyclone en Indonésie2. Le résultat fut un désastre humain (pertes de compétences) et financier.

Le battement de l’aile du papillon eut lieu le 3 juillet 1990.

Un incident mineur fut à l’origine d’un incroyable enchaînement de crises créées par un nombre réduit d’acteurs antinucléaires déterminés qui ont su habilement exploiter les possibilités offertes par les recours administratifs et juridiques.

L’incessante tourmente médiatique et judiciaire, ainsi qu’une forme de lâcheté politique pour obtenir ou conserver les rênes du pouvoir, eurent finalement raison de cette formidable réalisation commune de la France, de l’Italie et de l’Allemagne. Injustement discrédité, ce remarquable surgénérateur, unique au monde, sera finalement sacrifié sur l’autel de l’éphémère «majorité plurielle» arrivée au pouvoir en juin 1997 avec Lionel Jospin comme Premier ministre.

Cette année-là, la mise au point de la centrale électrique était enfin terminée, comme l’a montré son excellente disponibilité lors de son fonctionnement tout au long de l’année 1996 (96 % de taux de disponibilité de la chaudière).

L’investissement était totalement réalisé, et le combustible déjà fabriqué était encore capable de produire 30 milliards de kWh (30 TWh). Il ne restait donc plus qu’à recueillir le fruit de tous les efforts humains et financiers consentis depuis dix ans en exploitant cette source de richesses. Dans le même temps, ce réacteur aurait pu participer à peu de frais à la recherche sur la transmutation des déchets radioactifs de haute activité et à longue durée prévue par la loi de décembre 1991.

Prés de vingt ans plus tard, on peut mesurer combien cet abandon fut une triple faute.

1) Une faute sur le plan de la connaissance scientifique et technologique qui a entraîné la perte d’un capital humain considérable de savoir et d’expérience qu’il faut maintenant laborieusement reconstituer avec le démonstrateur ASTRID en vue de réaliser les surgénérateurs dits « de quatrième génération ».

2) Une faute économique qui a conduit au démantèlement des installations de recherche et à la dissolution du tissu industriel spécifique dédiés à cette technologie.

3) Une faute sur le plan de l’emploi qui fut à l’origine d’une gabegie financière (plusieurs milliards de francs de l’époque) dont ni la centrale, ni ses concepteurs, ni son exploitant ne portent la responsabilité.

D’où est parti le «battement de l’aile du papillon», et comment a-t-on pu en arriver là ?

En juin 1990, le réacteur Superphénix fonctionne à 90% de sa puissance nominale lorsque les mesures de surveillance de la pureté du sodium primaire du réacteur montrent une lente oxydation de ce sodium. Elle reste cependant largement inférieure aux limites admissibles spécifiées par les critères de sûreté. Cette tendance persistant, il est décidé d’arrêter momentanément la centrale le 3 juillet 1990 afin d’en déterminer l’origine. Une membrane déchirée en néoprène de quelques centimètres de diamètre localisée au niveau d’un compresseur d’un circuit auxiliaire se révèle être à l’origine d’une entrée d’air qui cause l’oxydation du sodium.

Ce sera « le battement d’aile du papillon ».

Cette membrane en néoprène sera le prétexte saisi qui conduira, de fil en aiguille et après de multiples péripéties, jusqu’à la fermeture de la centrale, huit ans plus tard, à cause d’un mélange de malveillances d’opposants et de lâchetés politiques.

La décision de fermeture définitive de Superphénix est annoncée le 2 février 1998. Elle se trouve incluse dans le document de quinze pages qui faisait connaître la politique énergétique du gouvernement de Lionel Jospin.

Il y est reconnu que : «Superphénix représente une technologie très riche, développée par des personnels particulièrement motivés et performants qui ont montré que la France savait mettre au point des équipements technologiques innovants de très haut niveau » et « qu’il faudra tirer profit de l’expérience accumulée et poursuivre les recherches dans le domaine des réacteurs à neutrons rapides pour l’avenir à plus long terme».

Ce passage est surréaliste. Comment comprendre le cheminement intellectuel des auteurs de ce vibrant hommage à la machine et aux hommes qui les conduit à cette surprenante conclusion ? Il faut abandonner cette «technologie très riche», perdre le savoir et l’expérience de ces « personnels particulièrement motivés et performants » et, malgré cette dispersion et cet arrêt, «tirer profit de l’expérience accumulée», et surtout «poursuivre les recherches dans le domaine des réacteurs à neutrons rapides pour l’avenir à plus long terme».

Quelle hypocrisie ! Ce prétendu hommage en forme d’oraison funèbre sonne faux, et il est d’autant plus insoutenable qu’il émane des «tueurs» eux-mêmes.

Quelle inconséquence vis-à-vis de l’avenir d’un pays et quelle perte pour la recherche et la technologie ! L’abandon de Superphénix fut bel et bien une faute.

Quelques jours après cette annonce, en février 1998, le Docteur Srinivasan, Conseiller à l’Énergie du Premier Ministre indien a qualifié cette décision de “crime contre l’humanité”. En 2005, l’Inde a entrepris la construction d’un réacteur à neutrons rapides de 500 MWe, refroidi au sodium, du même type que Superphénix.

Nous payons aujourd’hui le prix de cette trahison nationale avec nos difficultés à retrouver la voie des réacteurs surgénérateurs alors que nos concurrents progressent (Russie, Chine, Inde).

Cette fermeture n’était peut-être qu’un au revoir… Rendez-vous entre 2020 et 2030 avec le démonstrateur Astrid et la future génération IV… que nos enfants construiront peut-être avec les Russes, les Indiens ou… les Chinois.

Annexe_Arrêt de la centrale de Creys-Malville

  1. À partir du texte de Pierre Schmitt présenté en annexe à la fin de cet article.
  2. Pour illustrer l’impuissance de l’homme à prédire le comportement des systèmes complexes, le mathématicien Lorentz prenait l’exemple des phénomènes météorologiques en disant qu’il « suffisait du battement de l’aile d’un papillon au Brésil pour qu’une prédiction théorique bascule d’un temps calme dix jours plus tard à la formation d’un cyclone quelque part en Indonésie » (cité par Georges Charpak et Rolland Omnès, dans Soyez savants, devenez prophètes).
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  • « une technologie très riche »

    Peut-être les rapporteurs de Lionel Jospin vivait-il aussi intérieurement la logique ( « riche » => « bourgeois » ) ! Rappelez-vous en biologie que les communistes en URSS rejetait la science biologique « bourgeoise » des occidentaux (basée sur le mendélisme); ça a donné le Lyssenkisme. Et ce dernier n’a pas eu le succès espéré. Bizarrement la Russie a importé massivement du blé de l’Europe … enfin … jusqu’à ce que cette Europe applique des embargos stupides.

    Dans un futur proche, le pire serait l’obligation d’acheter à d’autres pays des réacteur de génération IV afin de permettre à la France de « brûler » tout le plutonium qu’elle a en stock. S’il est vrai que la techno des réacteurs à eau actuels est américaine, c’est quand même la France qui les a construits, les fait fonctionner et gère le combustible. Pire encore, sans technologie et bientôt sans argent, une France alors condamnée à brader son Pu aux pays qui auraient cru dans la surgénération .. et d’importer à grand frais leur électricité …

  • La centrale de Creys-Malville à été fermée pour de mauvaises raisons. Mais si au début des années 70 la filière des surgenerateurs pouvait apparaître une solution d’avenir il en était tout différemment 15 ans plus tard. La croissance de la consommation s’était considérablement ralentie et l’uranium bien plus disponible qu’on ne pensait. Et surtout, cette filière s’averait bien plus coûteuse qu’anticipée y compris dans les projections longues.
    SuperPhenix avait en outre une disponibilité reduite d’un tiers du fait de son probleme de barillet entrainant des arrets longs.Elle n’était pas compétitive même en comptant pour zéro toutes les dépenses passées. Il aurait été logique de fermer Creys Malville bien plus tôt, à l’occasion par exemple de l’effondrement du toit de la salle des machines sous le poids de la neige qui entraînait obligatoirement un arrêt très long.
    La vrai erreur est dans cet acharnement à poursuivre une exploitation inutile. Il faut parfois accepter qu’on s’est trompé et limiter les pertes.

    •  » une disponibilité reduite d’un tiers du fait de son probleme de barillet entrainant des arrets longs »
      Comment a-t-on pu s’engager dans une approche présentant un tel inconvénient ?
      Était-il possible d’y remédier et sinon, pourquoi ne pas avoir changé d’approche au lieu de tout arrêter ?
      Il semble que le dogmatisme ait eu une part prépondérante dans la décision.
      À rapprocher des similitudes entre écologisme et animisme.

      • Un acier expérimental sur un prototype, ça n’à rien de choquant. Pas de chance cet acier était défectueux, à SuperPhenix mais aussi dans au moins une autre installation au sodium haute température. Le barillet était un stock tampon des assemblages sorti des réacteurs, trop chaud pour être évacués plus loin. Sans barillet il fallait attendre 6 mois à chaque arrêt pour rechargement, pour que ces assemblages refroidissent. D’ou cette perte de rendement.

        • Et c’était pas possible de remplacer la pièce, plutôt que de mettre tout le monde à la porte, couler les sous-traitants, et abandonner une technologie d’avenir?

    • Votre commentaire est bien plus proche de mes souvenirs que l’article de Michel GAY.

      Super Phenix n’a jamais vraiment fonctionné. Il est vrai qu’en 1996, il était à deux doigts de redémarrer. Mais – de l’avis de nombreux observateurs – c’était jusqu’au prochain incident.

      Les coûts avaient augmentés dans des proportions qui auraient amener n’importe quelle entreprise privée à jeter l’éponge : les 4 milliards de francs initiaux étaient devenus 12 milliards d’euros. Et qui plus est, avec un pétrole à 20 $, l’électricité produite n’était pas compétitive.

      Plutôt que l’analogie de l’aile du papillon, le dernier incident qui a entraîné sa non ré-ouverture a été la goutte qui a fait déborder le vase.

      • Non, en 1996, le taux de disponibilité était > à 90%. Le réacteur tournait « comme une horloge » ! L’arrêt de SPX a été une remarquable erreur politique et technologique ! 10 années pour mettre au point un filière unique dans le monde n’était rien en comparaison d’une exploitation prévisible sur près de50 années. Le « couple Jospin/Voinet » a « sabordé » une filière extraordinaire d’avancée technologique et aussi humaine avec le personnel de nombreux pays européens, démontrant la possibilité de travailler, malgré les différences nationales, ensemble sur un même projet ! Sur ce plan là, l’arrêt était le plus stupide qu’un responsable politique puisse décider !

        • Le taux de disponibilité pouvait être élevé quand la centrale était en marche, encore heureux ! Mais dans la durée elle ne pouvait pas dépasser 65 % faute de barillet. Poursuivre l’exploitation de Creys-Malville aurait couté plus cher que de produire avec une centrale à charbon neuve… alors qu’on était en surcapacité massive.
          Mais surtout, même sans défauts de jeunesse cette filière extraordinaire a un « petit » défaut : elle coûterait aux prix actuels du combustible deux fois plus cher que la filière classique eau pressurisée. Elle n’a pas de sens avant longtemps, avant la pénurie d’énergie qu’on nous promet depuis si longtemps et qui multiplierait les prix de l’uranium par 15 ou 20. Mais à cet horizon et à ce prix, la filière aura d’autres concurrents non nucléaires.
          Creys-Malville a été fermée pour de mauvaises raisons. Il aurait fallu le faire 6 ans plus tôt pour les bonnes.

  • De quel Srinivasan parlez vous ?
    Je connais Mahadeva Srinivasan, un grand chercheur nucléaire du BARC, pionnier de la fusion froide en Inde
    http://lenr-canr.org/wordpress/?page_id=463
    qui a récemment repris sobn baton de maréchal pour pousser le gouvernement modi à reprendre la recherche,
    à commencer par faire publier dans la révue de référence indinne, Current Science, un numéro spécial
    http://www.currentscience.ac.in/php/feat.php?feature=Special%20Section:%20Low%20Energy%20Nuclear%20Reactions&featid=10094
    et faire du lobbying
    http://www.business-standard.com/article/news-ians/modi-government-urged-to-revive-cold-fusion-114111700763_1.html
    http://www.thehindubusinessline.com/news/science/scientists-meet-to-discuss-the-other-nuclear-energy/article7085742.ece

    pas certain désormais que la fission soit sa priorité, surtout que pour la transmutation les LENR soient envisagées tout autant que pour l’énergie.
    http://www.tohoku.ac.jp/en/news/research/news20150406_1.html

    sinon l’article et les commentaires sont très justes…. mille fois raison… même si pour une raison que personne n’accepte, autant les renouvelables que le nuke ou le pétrole, sont morts.

    et cet article décrit le raisonnement qui va permettre de continuer a l’ignorer…
    la bêtise organisationnelle est une poupée russe.

  • Si le CEA était moins rivé sur les techniques de très long terme et un peu plus sur les moyens de fabriquer des centrales moins coûteuses le nucléaire ne serait peut être pas dans une situation aussi dramatique. Sans industrie compétitive ces recherches ne servent pas à grand chose.

  • il eut été bête de persister dans ce projet , les écolos seraient mort-nés , ségo n’aurait pas été la reine des pipelettes , et le COP21 ne nous aurait pas ruiné la vie jusqu’à la fin de l’année et ruinés totalement après 😉

    ne croyez vous pas que de toute façon l’évolution actuelle de la réglementation aurait finie par avoir sa peau comme il est en train de pourrir la vie de L’EPR et de nos centrales actuelles , il est inimaginable qu’un surgénérateur puisse exister un jour en Europe !

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