Les vêtements « made in France » par ceux qui les font

Le made in France : effet de mode ou vrai savoir-faire historique ? Qu’y a-t-il vraiment derrière la marque ?

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Les vêtements « made in France » par ceux qui les font

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 25 juin 2015
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Par Geoffrey Bruyère, du blog homme BonneGueule.fr

made in France rené le honzecAprès un premier article à contre-courant sur les vêtements made in China, et leur supposée mauvaise qualité, j’ai voulu publier un second opus sur les vêtements made in France.

La raison ?

J’ai lu des lignes et des lignes de made in France encensé, mais jamais questionné : c’est décidément un sujet qui est traité beaucoup plus par consensus qu’avec esprit critique et prise de recul.

Étant donné la position unique de Bonne Gueule sur la mode masculine (on ne prend pas un seul euro aux marques), il nous semblait important d’aller au fond des choses avec le Made in France.

Alors, effet de mode ou vrai savoir-faire historique ? Qu’y a-t-il vraiment derrière le made in France ?

Du blue-washing qui peut tourner à l’esbroufe

On assiste aujourd’hui à un tel engouement pour la fabrication française qu’on commence à tomber dans du blue-washing. Tout comme pour l’écologie il y a 5 ans et ses « veuillez n’imprimer ce mail que si nécessaire » dont personne ne tient plus compte, mais qui font qu’on imprime de temps en temps une feuille de plus.

Fait-on vraiment du bien à l’écologie quand on la résume à ça ? Plutôt que de s’attaquer à de vrais sujets : habitudes de consommation durables, recyclage et empreinte écologique.

Eh bien c’est pareil pour la fabrication française : la protéger, c’est d’abord s’y intéresser. Car ce qui fait à terme du mal à la fabrication française, c’est :

  • d’une part l’absence de réflexion qu’il y a parfois chez le consommateur (« c’est français/chinois donc c’est forcément bien/mal » ),
  • et d’autre part, certains ateliers, marques, ou distributeurs qui font parfois du grand n’importe quoi, sous couvert de le faire dans l’hexagone (« et hop, je rajoute une cocarde tricolore sur le packaging, tavu ? »).

Le risque, c’est de diluer cette appellation qui nous est chère, mais qui devient petit à petit galvaudée, au grand dam de ceux qui continuent à (très) bien faire les choses en France. Ceux-la même qui préfèreront vous parler de ce qu’ils font, plutôt que de l’endroit où ils le font.

Valentin Goux (Monsieur London) :

Monsieur-London valentin

« Ayant la chance d’avoir une vue plus européenne par notre positionnement à cheval entre la France et l’Angleterre, nous pouvons témoigner que cette tendance n’est pas que française. Les anglais sont encore plus obsédés par le « Made in England » ou « Made in the UK », au point de fermer l’accès de certains salons à ceux qui n’ont pas l’intégralité de leur collection fabriquée en Angleterre.

Tout ça est complètement imbécile, dans le sens où l’artisanat, la confection et le textile européen ne seraient rien sans l’immigration et les échanges entre pays. Qui se souvient que le motif cachemire, prisé par la mode anglaise, vient d’Iran ? Que l’Europe n’a maîtrisé la culture de la soie que sous Henri IV ? Et que le Denim est inspiré d’un tissu français, créé aux États-Unis, puis ramené en France par les GI avant de voir sa confection haut de gamme reprise par les japonais… »

Julien Tuffery (Jeans Tuff’s) :

jeans tuffs

« Dans l’atelier de confection Tuff’s, on s’indigne, tout comme [BonneGueule] peut le faire, sur les problématiques de récupération du made in France “à toutes les sauces“. Ce constat nous embête terriblement car il biaise la réalité de cette nouvelle vague de prise que conscience que l’on trouve(ait) chouette… (= privilégier le produit éthique et responsable, donc à qualité égale, le produit Français proche de chez moi). […]

Les têtes pensantes du marketing sont passées par là, et pa-ta-tras, voilà que la belle éthique du consommé local se transforme en un vulgaire macaron Français mis à tous les formats… Pas de bol pour nous, ça fonctionne bien pour ces balivernes ! Les consciences collectives sont soulagées, sur le carton du micro-onde figure une cocarde BBR ! Faux, faux, et faux, la cocarde vient simplement du fait qu’un seul designer à bidouillé Auto-Cad depuis son bureau Lyonnais ! La prod’, elle, n’a pas changé, elle est trèèèès loin de Lyon ! […]

Pas simple, pas simple, je te parie en mille, qu’une émission bien polémique (Enquête Exclu, Zone Interdite…) ne tardera pas à faire ses choux gras sur la levée d’un scandale du type « la vraie vérité du made in France » car un MALOTRU aura bien pipeauté son étiquette pour mentir au consommateur sous prétexte que le BBR fait vendre !

Expliquons aux gens et ouvrons les portes de nos ateliers… Le changement est en marche vers plus d’intelligence de consommation, offrons leur cette possibilité de rassasier leur faim de vérité ! »

Alexandre Chapelier (Cinabre) :

Portrait A Chapellier cravate PDP Flash CINABRE

« Quel que soit le pays, mettre au point un beau produit de luxe prend du temps. C’est un apprentissage que je fais tous les jours.

Naïvement quand j’ai commencé, je pensais qu’en étant en France tout allait se faire à la perfection et très vite. C’est faux. De temps en temps je vois de jeunes marques françaises élargir leur gamme à tout va et la qualité se perd.

On vient de lancer une gamme de ceintures, ça a pris plusieurs mois de mise au point sur la bonne qualité de la doublure, la propreté des bordures ou la perfection des empiècements de tissus. Et pourtant je travaille avec un petit atelier du limousin qui fait les ceintures sur mesure pour John Lobb ou Weston. »

Soutenir le vrai made in France, c’est se soucier de la qualité et du mérite avant de se soucier de l’origine

Soutenir le made in France, ce n’est donc pas :

  • « acheter aveuglément parce que c’est français »

Mais plutôt :

  • « acheter français SI c’est bien, propre, et durable »

Sous peine de voir se multiplier les concepts qui ne voudront bientôt plus rien dire… et de constater que les marques françaises vertueuses ne vendront plus en France ou à l’export parce que la marque France aura été amoindrie.

Valentin Goux (Monsieur London) :

« Dès la création de la marque, nous avons voulu offrir des produits de qualité exceptionnelle.

Ce qui compte pour nous, c’est donc d’aller les chercher là où ils sont le mieux fait. Un « made in là où les artisans travaillent bien » qui a plus de sens pour nous qu’un « made in France » qui sent très fort le dernier concept fumeux du master entrepreneuriat des grandes écoles de commerce.

Faire un produit sans âme et l’estampiller « made in France » avec un drapeau tricolore pour espérer reproduire le succès (mérité) du Slip Français, avec un appel putassier au consommateur du genre « Mon Anorak français » , ou « Le Petit Bonnet Tricolore » ne dispense pas de construire une marque ! C’est-à-dire un vrai univers, cohérent, des produits avec un avantage qualitatif ou concurrentiel, etc. C’est sûr, c’est un peu plus compliqué ! »

Fabien Larchez (Meilleur Ami) :

Meilleur ami

« Je me suis aperçu que c’était toujours possible [de fabriquer et vendre en France] mais uniquement si la différence de prix était bien évidemment justifiée par un « plus » de qualité dans l’exécution et/ou un savoir-faire unique/spécialité française/ou de l’usine avec laquelle tu travailles, sinon c’est mort ! […]

En revanche, le made in France (s’il est de qualité, pour ma part rien ne clignote français sur mes produits mais le savoir-faire de mon usine est bien remarqué/apprécié) est reconnu à l’étranger, surtout en Asie et pour ma part super bien en Chine/Hong Kong où mes sacs s’arrachent car je suis dans des boutiques haut de gamme en entrée de gamme de marques de luxe…. […] 

La marque est reconnue depuis 5 ans pour la qualité de son cuir, de sa fabrication et car française (dans l’ordre de l’étude réalisée par mes partenaires). »

Alexandre Ignatoff (Paris Yorker) :

La difficulté réside dans les conditions que tu poses : « acheter français SI c’est bien, propre et durable ». Dans la pratique, combien de marques peuvent se permettre de remplir toutes ces conditions ? […]

Il y a en effet une réalité économique et industrielle en France, qui a pour conséquence qu’un produit « bien, propre et durable » fabriqué en France, ça coûte très cher ; si vous souhaitez baisser vos prix, [les concessions devront] se faire sur la qualité. [Le consommateur] soutiendra alors un produit « Made in France mais pas bien, pas propre et pas durable » !

Il y a donc aujourd’hui une réelle logique contradictoire, opposant le Made in France à la qualité. Ce qui est paradoxal, car le Made in France est censé être justement synonyme de qualité.

Se renseigner (et remettre en cause) la provenance

En théorie, 50% du prix de revient du produit doit être réalisé en France.

Mais dans la pratique du consommateur, il faut bien se rendre compte que cette appellation Made in France est extrêmement peu contrôlée.

Des contrôles sérieux ont lieu à la douane, mais bien souvent les étapes de packaging et de marketing se font en France. Et quand vous êtes une entreprise de mode, il n’existe pas d’organisme qui vient vérifier la traçabilité de vos produits et qui vérifie vos factures.

En tant que marque, quand vous achetez des tee-shirts à une autre entreprise française, rien ne vous dit qu’elle ne sous-traite pas votre commande dans un autre pays, et que vous la vendez comme française en étant de bonne foi.

Sans parler de nouveaux multi-marques et autres concept stores bleu blanc rouge qui vendent des marques françaises, mais finalement bien peu de marques qui produisent en France.

En résumé, la seule chose que vous pouvez faire, c’est croire le vendeur sur parole.

Déborah Neuberg (De Bonne Facture) :

Déborah Neuberg De Bonne Facture

« Nous défendons le « made by » plutôt que le « made in » qui peut en réalité recouvrir des réalités très différentes et n’est pas forcément un gage de qualité.

Je trouve quand même qu’il ne faut pas exagérer l’importance du « made in » et arriver à en oublier qu’une pièce se juge dans sa globalité : son design, sa coupe, le choix de la matière, les finitions, les fournitures, la qualité de fabrication. Et la cohérence avec le projet de la marque et ses valeurs (si elle en a).

Même si le « made in » n’est pas forcément un angle pertinent pour apprécier une pièce, c’est vrai qu’il est un vrai argument marketing aujourd’hui. Et dans ce cas le problème, c’est l’information honnête du consommateur.

C’est parfois limite quand il y a des marques qui font du « made in France » sur une partie de leur fabrication, et font du sourcing Europe de L’Est / Portugal /Chine sur une autre, en se servant du « made in France » comme vitrine.

Je ne porte aucun jugement sur ces choix de production qui sont bien souvent justifiés par le projet de la marque, mais le tout est de ne pas tromper le consommateur sur ce qu’il achète. »

Vitale Barberis Canonico

Vincent Louis Voinchet (La Comédie Humaine) :

Vincent Louis Voinchet

« Il y a encore plusieurs décennies, la question du lieu de fabrication ne se posait pas vraiment.

 […] on allait fabriquer à l’étranger uniquement ce qui demandait un savoir-faire, ou une technique particulière de fabrication, et de façon plus générale, ce qu’on ne savait pas fabriquer chez soi.

La raison était simple : les transports n’étaient pas aussi développés, et donc bien plus chers, les taxes et frais de douanes étaient bien plus protectionnistes qu’aujourd’hui (le marché commun en Europe en était à ses balbutiements), et les coûts de la main d’œuvre étaient relativement similaires dans les pays développés, il fallait donc qu’il y ait une raison essentielle pour sortir du pays, et faire fabriquer un produit à l’extérieur.

Pendant des décennies, la France était donc en autosuffisance en termes de confection, et quasiment tous les types d’articles pouvaient être fabriqués localement. D’ailleurs, le Nord de la France a été pendant des années l’un des bastions du prêt-à-porter et de la confection en France (berceau des distributeurs de vêtements tels que La Redoute, les 3 Suisses, etc).

Ce n’est que pour des raisons économiques, et par la tombée des taxes et des barrières douanières, et l’augmentation des coûts de la main d’œuvre que les ateliers français, pourtant très bons dans la confection, ont vu leurs carnets de commandes se réduire, et au fur et à mesure, fermer, en perdant, par là-même, le savoir-faire des ateliers par le départ des « petites mains » qui les occupaient.

Le Made in France a surtout pour vocation aujourd’hui de redonner un élan économique à la France, en apportant de nouvelles commandes aux ateliers qui parfois avaient fermé, ou ont durement résisté, et à consommer de façon citoyenne.

Le savoir-faire a été réintroduit en France, et n’est pas forcément mal positionné par rapport à ses pays voisins. 

Pour autant, et en dehors des particularités propres qui peuvent être retrouvées dans certains cas, le MIF n’a pas de valeur ajoutée à proprement parler.

Pour La Comédie Humaine, par exemple, nous avons quelques produits encore fabriqués en France, tels que les T-Shirts, dont la maille, intégralement faite en France sur des machines des années 1960, offre un toucher et une douceur qui ne peuvent être obtenus hors de cet atelier (il est en France, mais il aurait pu être ailleurs. C’est surtout l’atelier qui a un savoir-faire particulier). De même, les pulls en maille jacquard fabriqués en France ont la particularité d’avoir un double maillage difficile à obtenir en dehors de l’atelier que nous avons sélectionné.

Pour les autres pièces, et bien que nous avons pu travailler en France à l’origine, le rapport qualité prix, faussé de fait par le coût important de la main d’œuvre en France, n’est pas forcément le meilleur, et l’on obtient des pièces de très bonne qualité au Portugal, ou en Pologne, dont l’histoire communiste les a rendus spécialistes de la pièce tailleur grâce à la confection des costumes militaires.

On peut également se poser de nombreuses questions face à une presse qui reste muette sur de nombreuses pratiques dès que des budgets de publicité sont en jeu. »

Alexandre Chapelier (Cinabre) :

« La véritable concurrence du Made in France vient de notre voisin italien. Il faut le dire très franchement, les Italiens ont beaucoup de talents, mais le respect des règles […] n’en fait pas toujours partie.

Certains poussent encore plus loin en faisant travailler une main d’œuvre étrangère… mais attention… sur le sol italien. Il suffit de voyager dans le Nord de l’Italie : dans les régions de confections, vous avez des villages entiers occupés que par des Chinois. Et ces ateliers travaillent pour des maisons de luxe !

Mais personne n’en parle… ces mêmes maisons étant les plus gros annonceurs de la presse.

Dans le genre presse muselée : le meilleur exemple récent est Uniqlo. Des ONG ont sorti il y a quelques jours un rapport décapant sur les conditions de travail de ses fournisseurs en Chine… pratiquement personne n’en parle à cause du pouvoir de Uniqlo qui a un budget pub gigantesque. C’est bien dommage car Uniqlo est un exemple récurrent chez les français qui t’expliquent que le cachemire n’est pas cher… Je vous encourage à aller consulter le rapport. »

S’éduquer avant tout à la qualité

En l’absence de certitude, est-ce vraiment l’origine qui compte ? Ou plutôt le mérite et la qualité, deux valeurs universelles ?

N’hésitez pas à vous (in)former encore plus, à vous renseigner sur des forums de passionnés (quel que soit le produit). En une phrase : éduquez-vous à la qualité, quelle que soit son origine. C’est ainsi que vous récompenserez le mérite.

Toutefois, il est bon de savoir qu’historiquement chaque pays est spécialiste dans quelque chose de différent. Et que cela fait des siècles qu’on importe ces nombreux savoir-faire pour les vendre en France (Routes de la Soie, Compagnie des Indes Orientales, autres commerçants du Nouveau Monde…).

Alexandre Ignatoff (Paris Yorker) :

Pull Paris Yorker

« En ce qui concerne la presse, je ne trouve pas qu’elle soit « en général » très éduquée et réceptive à l’argument de la qualité ; il n’y a que chez les spécialistes (rares magazines spécialisés et blogs) que l’on sent un réel intérêt pour le produit, son histoire, sa qualité, etc.

Par exemple, je vois régulièrement des journalistes de grands journaux généralistes expliquer que pour un pull en cachemire, plus il y a de fils, plus c’est de la qualité. Ce qui est en réalité totalement faux : il s’agit juste d’une indication sur l’épaisseur du tricot ! »

Alexandre Chapelier (Cinabre) :

« Les Japonais y sont très sensibles à la qualité et ils sont prêts à mettre le prix. Ils savent qu’un beau foulard imprimé et confectionné en France coûte cher alors qu’en France on me dit souvent qu’un beau foulard ne doit pas dépasser 150 euros sinon « on paie la marque ».

C’est méconnaitre tout le processus de fabrication d’un foulard.

Par contre le Japonais sera beaucoup plus regardant sur la qualité, le packaging, tous les détails de fabrication. Cela en fait un client d’autant plus intéressant. Il est prêt à acheter du made in France mais il en attend une qualité irréprochable.

Certaines marques qui n’avaient pas une production encore au point se sont grillées au Japon après une saison car la qualité ne suivait pas. »

Depuis des siècles, chaque pays a ses spécialités

Savez-vous que la porcelaine de Limoges ne fut possible que grâce au transfert de techniques chinoises vers la France au 18ème siècle ?

C’est pareil avec les vêtements. Les techniques modernes d’impressions sur étoffe ont été importées des Indes aux 18ème et 19ème siècles (visitez le musée de l’impression sur étoffes si vous passez par Mulhouse).

De la même manière :

  • l’Angleterre a toujours été spécialiste des gros lainages de marin, des tweeds, et des tissages de coton (merci la révolution industrielle et le commerce des Indes),
  • l’Italie a toujours été spécialiste du tissage et du tricot de la laine (merci l’eau claire des Alpes et les gentils moutons), du tannage et travail du cuir (merci les spécialités de veau de la maman de Luca), et des costumes magnifiques (merci la culture de l’élégance),
  • le Portugal et l’Espagne ont toujours été spécialistes de la petite maille, du travail du cuir, et de la petite confection (grandes nations commerçantes, mais qui n’ont jamais été de grands tisserands),
  • les pays d’Europe de l’Est ont toujours été spécialistes du montage de chemises et de costumes (merci l’Empire d’Autriche-Hongrie et les habits traditionnels des différents peuples),
  • et la Chine a toujours été une grande spécialiste de la soie (et d’autres fibres ancestrales comme le ramie), et est aujourd’hui très forte sur le tricot haut de gamme et les matières techniques.

Mathieu De Ménonville (MELINDAGLOSS) :

Mathieu de Ménonville MELINDA GLOSS

« Nous fabriquons beaucoup en France, mais le choix que nous avons fait n’est pas celui du Made in France, c’est celui d’une fabrication de proximité (toute notre maille, par exemple, est faite en Italie). Ce qui nous importe avant tout, c’est de travailler avec des usines spécialisées, ayant conservé leur savoir-faire tout en restant compétitives, et avec qui établir des liens à long terme.

Si toute notre production est proche, c’est aussi parce qu’il est essentiel d’entretenir une relation proche avec nos fabricants : d’une part car une bonne partie du travail consiste en une très bonne communication entre création et fabrication, d’autre part pour pouvoir facilement se rendre sur place.

Quant à la France spécifiquement, elle reste compétitive sur certains produits, mais à y fabriquer l’ensemble des collections nous perdrions soit en prix, soit en qualité, soit en richesse (car si presque tous les savoir-faire existent en Europe, ils n’existent pas tous en France). »

Ganterie Fabre Millau

Valentin Goux (Monsieur London) :

« Chez nous, les gants et les chapeaux sont faits en France. Pas parce que nous sommes dans le nationalisme économique à tout prix, mais parce que les artisans sont bons.

Il y a une tradition régionale à Millau pour les gants et les peausseries, et dans la vallée de l’Aude pour le feutre de mouton et les chapeaux. Donc on y va. C’est aussi simple.

Mais nous n’allons pas commencer à sourcer notre tweed dans l’Allier pour faire un coup marketing ! Celui-ci vient d’Écosse, et la laine mérinos de nos écharpes du Sud de l’Irlande. »

Mais quels sont les véritables savoir-faire textiles français ?

Et la France ? Elle n’est pas en reste !

La culture et la transformation du lin ont toujours été importantes (75% du tonnage mondial aujourd’hui, essentiellement dans le Nord).

Les tanneries et le montage de souliers ont toutefois périclité (le bassin angevin en est un des derniers bastions). Tout comme les filatures du Nord et de l’Est du pays.

ourdissoir-Arpin

Restent quelques spécialités, aujourd’hui mineures dans les habitudes de consommation : soieries des monts lyonnais, dentelle (Nord), ganterie (Massif Central et Dauphiné). Et des entreprises aujourd’hui iconiques qui se sont développées en transcendant un savoir-faire donné (les fameuses Entreprises Patrimoine Vivant).

Mais comme vous le constatez, bien peu de montage de chemises, de costumes, et de pantalons dans tout cela : ça n’a jamais été un des grands points forts français (contrairement au lin, au tissage, ou à la filière du cuir).

Par contre, il existe un très grand savoir-faire français qu’il ne faut pas oublier : la création de mode. C’est-à-dire l’acte d’imaginer et de développer un vêtement, pour le faire ensuite produire par ceux qui le font depuis toujours.

Alexandre Ignatoff (Paris Yorker) :

Paris Yorker

« Plus les outils sont modernes, sophistiqués, moins le « savoir-faire » est déterminant.

De cette manière, les transferts de savoir-faire peuvent aujourd’hui être très rapides, et passer de pays en pays en quelques années, au gré des impératifs économiques.

En revanche, ce qui est bien moins transférable, c’est la création de mode, car le goût, l’esthétique, etc. dépendent de facteurs culturels, sociaux, historiques… et il y a là en France, comme tu le soulignes, un « très grand savoir-faire ». »

Achetons et soutenons les vraies spécialités françaises !

Il est donc tout à fait judicieux d’acheter made in France quand cela implique des savoir- faire français qui se sont bonifiés avec les époques et les techniques : des gants de Millau, un foulard de Lyon, des souliers haut de gamme comme ceux de Pierre Corthay, des boots Heschung, un ciré breton Le Couregant, des cravates 7 plis Howard’s, ou des draps en lin des Vosges pour dormir avec votre copine.

A contrario, j’ai du mal à comprendre en quoi la confection française serait un argument (au-delà du seul plaisir d’acheter local) pour du prêt-à-porter masculin.

Encore une fois : achetons ce qui est bien. Et si c’est réalisé par des Français ou produit en France, réjouissons-nous, tout simplement !

L’expérience de marques qui produisent en France

Pour terminer cet article, voici des retours d’expériences de marques qui ont choisi (ou arrêté) de produire en France. Vous verrez qu’ils sont parfois assez opposés, comme quoi, encore une fois, tout existe où que l’on aille !

Bertrand Urban (Duke & Dude) :

Duke and Dude

« 30% de XL et de XXL en plus que prévu à la livraison de nos produits, avec 2 mois de retard (livraison qui avait été déjà retardée !). Conséquences directes : moins de tailles S et M en stock (tailles les plus souvent demandées), une période de vente tronquée (4 mois au lieu de 6), un lancement de collection raté, une stratégie de communication à revoir et pour couronner le tout des clients impatients.

Voilà ce qui peut arriver quand on travaille avec un fabricant… français (!), peu soucieux du suivi de ses « petits clients ».

Rassurez-vous, aucune compensation tarifaire ne nous a été faite (pensez-vous). Pas même un mot d’excuse. Bien au contraire, il nous a été notifié que si nous n’étions pas contents nous pouvions toujours aller travailler avec une autre usine.

Loin de moi l’idée de généraliser ce constat puisque beaucoup d’autres intermédiaires Français avec qui nous avons travaillé ont répondu à nos attentes en temps et en heure. »

Fabien Larchez (Meilleur Ami) :

« De ce que j’ai vécu et entends toujours dire, les fabricants français (je généralise) sont en dehors d’une certaine réalité : délai, prix, compréhension des clients… Je me suis entendu dire « on ne fait pas d’heures supplémentaires, on vous a livré en retard, mais vous ferez d’autres clients japonais à côté de ceux que je vous fais perdre à cause de ça… » En toute décontraction !

Et les politiques français qui nous bassinent avec le retour du made in France alors qu’il n y a plus personne pour prendre la relève dans les usines, que les machines ont été vendues et les savoir-faire disparus avec ! […]

On commence souvent, quand on lance une produit/marque en France, et rapidement à qualité égale on se demande si il ne vaut mieux pas faire vivre un community manager pour développer la marque avec ce que tu sauves en coût si tu pars, même au Portugal… plutôt qu’une ouvrière française… en voie de disparition… malheureusement… ou heureusement ?! »

atelier meilleur ami

« Pour ma part mon choix est fait : je reste en France, je continue à faire vivre ces ouvrières picardes super bonnes, super sympas et fières de vendre des sacs aux chinois fortunés de plus en plus nombreux. C’est un joli pied-de-nez, et rien que pour ça, ça vaut le coup et on en rigole bien ! »

Le paradoxe du Made in France

Tout le monde aimerait voir plus de vêtements français dans les rayons, moi le premier.

Mais quand on passe au portefeuille, les consommateurs ne sont subitement plus si intéressés que ça par le Made in France. Beaucoup de déclarations d’intentions, mais finalement bien peu d’achats quand le produit s’avère plus cher, ou avec moins d’options et de qualité que son équivalent Made in Portugal vendu au même prix.

Il n’y a qu’à se poster à la sortie des enseignes de fast fashion pour constater qu’elles ne désemplissent pas, quand bien même les catastrophes écologiques ou humaines se succèdent.

On peut peut-être l’expliquer par le fait que les personnes les plus intéressées par le Made in France sont justement celles qui souffrent de la mondialisation.

Les CSP+, quant à elles, sont bien intégrées dans la mondialisation, le Made in France les touche moins. En définitive, ceux qui font un pas significatif vers une consommation française sont peu nombreux.

Alexandre Ignatoff (Paris Yorker) :

« Parfois j’entends dire des gens qui pour faire bien disent des trucs du genre « ouais, tu t’imagines en Chine, les ouvriers sont payés une misère, ils ne peuvent même pas acheter ce qu’ils produisent« . Je leur réponds « Ben… c’est la même chose en France ! Les ouvriers français ne peuvent pas acheter les produits qu’ils fabriquent ! « Encore moins lorsqu’ils sont au chômage ! »

Un début de réponse : favoriser la mixité du savoir-faire

Les modèles les plus vertueux reposent la plupart du temps sur le mélange de savoir-faire français et étrangers, comme par exemple :

  • concentrer les opérations créatives et complexes en France et délocaliser les opérations moins critiques,
  • garder la création en France et la mêler avec des savoir-faire propres à des pays bien précis.

Sophie Dubreuil (Heschung) :

Pierre Heschung

« Notre engagement est de livrer des produits de qualité, bien faits, authentiques, fonctionnels et durables. […]

Dans le contexte qui est le nôtre, maintenir des emplois, le maximum a été fait, l’effectif est le même depuis 20 ans, avec des salaires français.

À la seule différence que nous sommes passés d’une économie de production à une économie de marché. Une délocalisation partielle de notre production était nécessaire pour maintenir des emplois en France, et [les conditions sociales] ne se sont pas dégradées pour nos équipes françaises.

Développer les emplois ou les préserver, cela a été possible par la délocalisation, qui reste toutefois européenne. Elle s’est faite de la manière la plus compliquée et difficile, car ce sont nos employés, nos ateliers.

Mais elle est maîtrisée : tout n’est pas fait en France mais tout est fait chez nous, avec le même souci du détail, le même objectif de qualité.

Nous nous inscrivons dans un objectif de durabilité, choisissez bien votre modèle car vous allez le porter longtemps …

Ce nouveau luxe consiste à consommer des produits bien faits, avec un engagement de qualité et des matières premières d’exception.

Nous ne revendiquons pas le Made in France comme un faire-valoir marketing mais comme la transmission d’un savoir-faire qui perdure depuis 3 générations. »

Régis Pennel (L’Exception) :

Régis Pennel

« L’Exception est une boutique dédiée aux créateurs français mais nous appliquons une définition étendue de la création française. En général, il s’agit d’un créateur français installé en France, mais cela peut aussi être un créateur étranger installé en France (il y en a beaucoup), ou un créateur français installé à l’étranger.

En ce qui concerne le Made in France, nous demandons toujours où et comment le créateur produit ses vêtements. Nous portons un intérêt particulier à ce que le produit soit de qualité, mais nous ne sommes pas bloqués sur le sujet du made in.

Nous avons ainsi des créateurs qui produisent aussi bien en France comme De Bonne Facture, au Portugal comme MELINDAGLOSS ou en Italie comme Six & Sept.

Pour la Chine, nous ne travaillons qu’avec des marques dont le savoir-faire est reconnu localement, comme chez Three Animals. Ces produits ne sont d’ailleurs pas moins chers que des produits fabriqués en Europe du fait du coût élevé des ateliers spécialisés, même en Chine. »

Notre propre démarche chez BonneGueule

Chez BonneGueule, notre travail se résume à rechercher les meilleures matières et les meilleurs ateliers pour produire les meilleurs vêtements possibles.

Atelier de fabrication chemise

Bien sûr, les conditions sociales et environnementales doivent impérativement être respectées, c’est la condition première. C’est aussi pour cela que nous visitons chaque tisserand et chaque atelier avec qui nous travaillons.

Mais une fois ce travail réalisé, nous pensons aussi que donner du travail aux meilleurs spécialistes est aussi important que de donner des coups de projecteurs à des savoir-faire traditionnels. Et finalement, éthique et qualité vont de pair.

La dimension française ne vient finalement qu’à la fin : on est ravis de la prendre en compte quand c’est possible, et on en est même fiers à titre personnel. Mais vous ne verrez jamais des cocardes tricolores sans vraie raison sur nos packagings (tout comme chez les marques que nous avons fait intervenir).

Notre conclusion sur le made in France ?

J’espère que cet article, qui sera sans doute vu comme polémique par certains, vous donnera plus de recul dans vos futurs achats, peu importe ce que vous achetez (vêtements, nourriture, meubles, voiture).

De mon côté, il m’a donné l’occasion de beaucoup réfléchir à l’éthique d’une entreprise de mode (après l’éthique des médias). Même si chacun aura sa propre notion de l’éthique, selon ses expériences et sa philosophie de vie.

Je me rends aussi compte que plusieurs avis peuvent cohabiter, pour peu que les gens se respectent et se sentent légitimes en leur for intérieur quand ils travaillent (ce qui ne veut pas dire « se moquer de l’éthique et ne pas se poser de questions »).

C’est pour cela que même si on vous conseille d’acheter une chose plutôt qu’une autre, on ne se permettra jamais de juger, il y a mille choses plus positives à faire, et chacun a ses raisons.

Mais au milieu de tout cela, subsiste une chose vraiment importante : c’est de toujours vous poser les bonnes questions et de vous rappeler de votre pouvoir (et votre devoir) de consommateur. Alors à vous de jouer !

Remerciements : Bravo à Alexandre C., Alexandre I., Bertrand, Déborah, Fabien, Julien, Mathieu, Régis, Sophie et Valentin pour leur mesure et leurs vues sur un sujet compliqué par nature pour l’image des marques. Merci à eux !

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  • Le « denim » est bien un tissu français depuis le début et non pas un tissu ricain apporté en France. Expliquez nous alors d’où vient ce nom Denim chez les ricains ?

    Et bien il vient de Nîmes. Le tissu était fabriqué à Nîmes (l’histoire est l’histoire) et servit pour les bâches des chariots et pour les tentes des colons aux USA. Les colons étaient les Français entre autres. Et le rivet sur les jeans vient de celui des bâches afin de renforcer la couture qui était aussi un fil de sellerie. Type de couture très caractéristique et très visible pour la sellerie alors que pour le vêtement la couture ne doit pas se voir. Le jean, disons la ligne vient d’un pantalon italien car il y avait aussi des Italiens parmi les colons (Na le répétez pas c’est une secret d’histoire que vous ne trouverez pas sur face boucs).

    Ainsi, comprenez qu’en pleine nature du continent américain lors de sa découverte de l’époque de la ruée vers l’lor vous pensez bien qu’il n’y avait pas de ville et moins encore d’usine et de tailleurs. Les films le disent pourtant suffisamment depuis le plan Marshall de 1945.
    Le pantalon devant être renouvelé fut donc taillé dans les bâches très résistantes de Nîmes, le fils et les rivets pour coudre et renforcer les poches très sollicitée et le style était celui que portaient les colons du moment par une copie selon la méthode du « patron à plat ».

    Voila donc pour votre culture. Et merci de respecter notre pays, notre nation, notre histoire et notre culture. Si notre pays ne vous convient pas, les USA sont un pays d’immigration, une population coloniale d’apatrides alors que nous sommes un peuple de très longue date. Cette fin de message est mon droit de sentiment en contre partie du prix et du temps passé à rédiger ces quelques phrases de culture générale dans le but de compléter vos connaissances et d’en apprendre à tout le monde. Je sais qu’il est difficile de tout savoir, c’est normal, je sais que je ne sais rien et ça je le sais.

    Crdlt et bonjour chez vous. .

  • bel article, c’était certainement du boulot d’interviewer tout ces gens (écrire une pièce d’opinion c’est plus facile…), et le résultat est excellent.

  • MADE IN FRANCE est-il possible quand notre pays ne produit pas de coton ?
    Ne doit-on pas se lancer dans un coton transgénique ? Qui pourra pousser sur les friches des anciens vergers ? puisqu’on a décidé de ne plus vendre aux Russes, il faudra bien reconvertir ces milliers d’hectares de vergers destinés à l’exportation à la Russie !
    Trouver une variété de coton transgénique, qui supporte notre climat et nous permettrait de faire du 100% MADE IN FRANCE.

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