Comment réparer la zone euro sans la casser

Trois propositions de moyen terme pour renforcer la cohérence de la zone euro pour éviter le pire.

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Euro BCE (Crédits Maciej Janiec, licence Creative Commons)

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Comment réparer la zone euro sans la casser

Publié le 24 juin 2015
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Par Maxime Sbaihi.

Euro BCE (Crédits Maciej Janiec, licence Creative Commons)
Euro BCE (Crédits Maciej Janiec, licence Creative Commons)

L’avenir naturel de la zone euro est de compléter l’union monétaire par une union budgétaire. À défaut d’une solution aussi radicale, peu réaliste dans le contexte politique actuel, cette note propose trois mesures de moyen terme pour renforcer la cohérence de la zone euro.

  • Permettre aux États membres de restructurer leur dette : le sujet reste tabou alors qu’il n’est pas interdit par les traités. En allégeant le fardeau de la dette d’une manière ordonnée, la restructuration offre une alternative à l’austérité.
  • Établir l’union des marchés de capitaux : très dépendante de ses banques, l’économie européenne a besoin d’une alternative lui permettant de résister aux crises bancaires, comme celle de 2008. Nous suggérons de créer une union européenne des marchés de capitaux venant compléter l’union bancaire.
  • Créer des conseils de compétitivité au sein de chaque État membre visant à harmoniser le marché du travail européen.

Régler ses défauts de conception sans que ses citoyens ne rejettent l’idée même d’une monnaie commune, voilà le défi auquel la zone euro est confrontée. Trois solutions viables permettent de le relever tout en prenant en compte les contraintes politiques et économiques. Le problème le plus urgent à résoudre reste celui de la dette.

La zone euro est le résultat de décennies de métamorphoses. Jean Monnet a écrit en 1976 que « l’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises ». Tout a commencé avec une zone de libre-échange, promue plus tard au rang d’union douanière avant de devenir un marché commun et, enfin, d’aboutir à l’union monétaire telle que nous la connaissons. La prochaine étape logique dans le processus d’intégration est celle d’une union budgétaire venant compléter la politique monétaire unique. Certaines décisions concernant le niveau des dépenses et des impôts seraient alors prises à l’échelle supranationale et réparties entre pays membres. Cela suppose aussi une nouvelle forme de gouvernance, afin que ces décisions budgétaires soient pourvues d’une légitimité démocratique. Cette solution est néanmoins la plus difficile à mettre en œuvre. Un tel changement ne peut être réalisé dans le dos des électeurs. Ceux qui préconisent une nouvelle vague d’intégration rapide et audacieuse oublient que l’euroscepticisme a le vent en poupe au sein de nombreux États membres.

On ne peut ignorer l’opinion des peuples si on veut réfléchir de manière pratique à l’avenir de la zone euro. Quatre chemins s’offrent aujourd’hui à elle : le démantèlement, la séparation, le statu quo ou l’intégration. Notons que cette dernière option n’entraîne pas nécessairement une union économique et politique. Mais, avant d’en discuter, jetons un regard sur les trois autres alternatives.

Un démantèlement ou une séparation en plusieurs blocs marquerait le retour à une fragmentation économique avec la réapparition de diverses monnaies, un choix discutable pour des économies européennes aussi interdépendantes commercialement que financièrement. Le risque de voir les banques centrales profiter de leur indépendance retrouvée pour mener une guerre des devises continentale est non négligeable. Même si une désintégration de l’Europe ne peut être exclue, une coopération économique forte semble inévitable si ses membres veulent continuer à partager richesse et paix dans une économie mondialisée. C’était la vision des pères fondateurs il y a 70 ans.

Le statu quo n’est pas une option durable. Compte tenu de ses contradictions internes, la zone euro ne peut rester dans sa forme actuelle si elle veut durer.

Si l’on conclut que la poursuite de l’intégration est la bonne voie à suivre, voici trois mesures raisonnables et pratiques permettant de l’atteindre sans toucher à la souveraineté des pays membres ni bouleverser les institutions européennes.

Permettre aux états membres de restructurer leur dette

Le sujet reste tabou alors qu’il n’est pas interdit par les traités. Il offre une alternative à l’austérité poussive tout en permettant de lever l’ambiguïté qui a faussé l’évaluation du risque souverain avant la crise. Il s’agirait d’alléger le fardeau de la dette d’une manière ordonnée, en évitant les perturbations financières ou les phénomènes d’aléa moral. La palette d’instruments financiers à disposition est suffisamment large pour répondre à ces impératifs. L’idée d’échanger les bons du Trésor avec de nouveaux bons indexés sur la croissance (GPD-linked bonds), pour lisser les remboursements en fonction du cycle économique, est digne d’intérêt. Tout comme le plan PADRE (Politically Acceptable Debt Restructuring in the Eurozone) qui propose un rachat des dettes via la Banque Centrale Européenne, financé par ses propres profits. Rappelons toutefois qu’il n’existe pas de solution miracle : une restructuration favorise toujours les débiteurs au détriment des créanciers. Mais les niveaux élevés de dette publique ne laissent guère le choix, sauf à s’installer dans un cycle d’austérité avec un résultat incertain. Même la Bundesbank s’y montre favorable. Dans son bulletin du mois de mars, on peut lire : « Un cadre et une procédure permettant aux obligations souveraines d’être restructurées d’une manière plus ordonnée et structurée qu’actuellement pourraient être développés à plus long terme ».

Établir l’union des marchés de capitaux

L’économie européenne est trop dépendante de ses banques puisque les prêts bancaires représentent environ 80 % de la dette du secteur privé. Le problème a éclaté au grand jour pendant la crise quand ces dernières ont fermé le robinet du crédit dès les premières secousses, sans qu’aucune véritable alternative de taille ne se présente. L’idée est de créer cette alternative sous la forme d’une union européenne des marchés de capitaux venant compléter l’union bancaire. Pour se faire, la Commission Européenne a lancé l’année dernière un projet en ce sens. L’objectif est de réduire la fragmentation financière en encourageant les flux transfrontaliers. L’harmonisation des réglementations nationales est ici essentielle. L’enjeu est particulièrement important pour les PME, premier vivier d’emplois en Europe : elles ne représentaient que 8% du marché européen de la titrisation, lui-même cinq fois plus petit qu’aux États-Unis fin 2013 (d’après un papier publié conjointement par la BCE et la BOE).

Créer des conseils de compétitivité

Le marché du travail de la zone euro est davantage une juxtaposition de dix-neuf marchés nationaux qu’un seul marché commun. Les formes d’État-providence ainsi que l’organisation du dialogue social varient fortement entre pays membres. Certaines conventions du marché du travail qui affaiblissent le lien entre productivité et rémunération peuvent encore alimenter des déséquilibres salariaux au sein de la zone euro, sans possibilité de correction par les taux de change. Les différences culturelles sont néanmoins trop fortes pour vouloir imposer un cadre commun. Des réformes structurelles peuvent certes contribuer à une plus grande convergence – par exemple, à travers la suppression de l’indexation des salaires sur l’inflation – mais elles restent un choix d’ordre national. André Sapir, économiste au think-tank Bruegel, propose une solution intermédiaire raisonnable sous la forme d’un conseil de compétitivité dans chaque État membre[5]. Celui-ci endosserait le rôle de surveiller (et de comparer avec les voisins) des indicateurs de compétitivité, puis de formuler des propositions d’évolutions salariales lors des négociations entre partenaires sociaux. Des recommandations qui seraient non-contraignantes mais fourniraient un curseur précieux pour le débat public. Un tel cadre a fait ses preuves en Belgique depuis 1996.

Ces trois idées sont loin d’être de simples pansements. Leur mise en œuvre offrirait aux gouvernements une alternative à l’austérité, au secteur privé des nouvelles sources de financement, et à la compétitivité un nouvel élan. En 2012, juste après son fameux discours où il promettait de faire « tout ce qui est nécessaire pour sauver l’euro », le président de la BCE Mario Draghi écrivait dans la presse allemande : « On nous offre des choix binaires : soit il faut revenir dans le passé, soit nous devons avancer vers des États-Unis d’Europe. Ma réponse à la question est que nous n’avons pas besoin de choisir entre deux extrêmes pour avoir un euro stable », ajoutant : « ceux qui prétendent que seule une fédération est durable mettent la barre trop haut ».

Il est certainement trop tôt pour rêver, avec Victor Hugo et Winston Churchill, des États-Unis d’Europe. Le défi immédiat est de rendre la zone euro suffisamment robuste pour éviter les erreurs existentielles du passé sans trahir ses citoyens. La reprise aidera probablement à calmer leur défiance mais il faudra des années, voire des décennies, pour les réconcilier avec l’idée originale d’une monnaie unique, et donc d’une union budgétaire. Donnons du temps au temps.

Cet article est la troisième partie d’une série publiée sur le terminal Bloomberg.
L’intégralité, dans sa version originale en anglais, est accessible ici.

  • Maxime Sbaihi est économiste zone euro chez Bloomberg

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  • Pourquoi la réparer ?

  • Faudrait aussi interdire tous les partis communosocialos anti marchés dans la zone et que ce soit un préalable sinon on tournera tout le temps en rond et bancale…

  • Chaque Etat membre est libre de restructurer sa dette. Bien sûr, il y a quelques conséquences indésirables qui les font hésiter, à commencer par l’accès aux marchés des capitaux. Alors, ils sont tentés de prendre le fric du voisin pour ne pas avoir à les subir, avec par exemple l’idée farfelue d’émettre des obligations européennes, sorte de titrisation des obligations publiques pourries.

    L’Europe progressera quand elle aura enfin admis cette évidence : les Etats ne doivent jamais s’endetter. L’Union non plus par conséquent.

    Pour s’en sortir, de nombreux Etats impécunieux et mal gérés vont devoir restructurer leur dette publique. Ce faisant, ils perdront l’accès aux marchés, seront contraints d’équilibrer leur budgets en coupant dans les dépenses publiques superfétatoires (pas difficile, il y en a tellement). N’est-ce pas finalement la solution ? Après une ou deux décennies de cure de désintoxication à la dette publique, les membres de l’Union ressortiront de cette période d’efforts relatifs formidablement assainis et réellement souverains, enfin aptes à concéder une part supplémentaire de souveraineté à l’Union (ou pas).

  • Generation Libre, le think tank liberal qui propose de spolier l’epargnant pour que la gabegie des depenses publiques puisse continuer…

  • La règle du déficit zéro s’impose. Pas 3% du PIB. Mais bien Zéro, 0, nul …

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