Climathon, semaine 23 : triple frappe gagnante

Tout au long de l’année 2015, le climathon récompense chaque semaine la plus belle pièce de propagande climatique de la semaine écoulée.

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Climathon, semaine 23 : triple frappe gagnante

Publié le 10 juin 2015
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Par Benoît Rittaud.

karate kid credits Abdullah Faiz (CC BY-NC-ND 2.0)
karate kid credits Abdullah Faiz (CC BY-NC-ND 2.0)

 

Cette semaine, un compétiteur a écrasé la concurrence d’une manière originale : plutôt que de tout miser sur une seule réalisation, le journal Le Monde s’arroge le titre de vainqueur de la semaine 23 grâce à son tir groupé de trois articles de propagande. Récompensé en quelque sorte pour l’ensemble de son œuvre, le Journalderéférence conforte sa réputation de Pravda climatique que la presse entière lui envie.

Tout d’abord, bien sûr, il y a cet article signé de Stéphane Foucart qui se jette avec gourmandise sur la récente publication d’une étude (Karl et al.) qui annonce avoir retrouvé le réchauffement climatique qui se cachait – le coquin – dans un traitement statistique qui ne demandait qu’à être revu. Titré « La ‘pause’ du réchauffement climatique était un mirage », cet article du Monde se débarrasse enfin de ce qui restait encore parfois un frein à la propagande climatique (pour ne pas dire une plaie) : l’usage du conditionnel. En fait de climat, certes, ce mode n’était jamais qu’une manière pratique de se ménager une porte de sortie à chaque annonce fracassante. Toutefois, puisque même les plus délirantes d’entre elles sur le climat ne sont heureusement jamais corrigées après coup… Le conditionnel constituait donc un anachronisme, le vain résidu d’une tradition journalistique heureusement révolue où les annonces étaient traitées avec un minimum de prudence. La COP est pour bientôt, il est important de bien formater les esprits de ne pas brouiller le message sur l’urgence.

Le jury salue donc la décision de Stéphane Foucart d’écrire enfin à l’indicatif, faisant de Karl et al. une nouvelle Table de la Loi. Après avoir désigné l’Ennemi (les très vilains thinks tanks américains climatosceptiques), l’article se complaît à présenter cette étude parue dans Latrèsprestigieuserevuescience, qui montre avec force seaux d’eau et bouées dérivantes que, en vrai, il n’y a aucun ralentissement du réchauffement depuis 1998.

Si le jury du climathon ne peut qu’applaudir à ce nouveau tour de force, il estime toutefois utile de mettre Stéphane Foucart en garde, ainsi que tous ceux qui, comme lui, voudraient se lancer inconsidérément dans le maniement du nouveau jouet qu’est Karl et al. :

  • cette nouvelle étude pourrait suggérer à des esprits immoraux qu’il règne un certain désordre aussi bien dans les méthodes de mesure de la température globale que dans les corrections statistiques qui leur sont appliquées ;
  • une phrase telle que « [La] réanalyse des données de température rend obsolètes les calculs du GIEC » remet en cause le consensus climatique et la réputation de milliers de climatologues mondialement réputés.

Le jury du climathon ne saurait accepter de tels écarts et rappelle donc monsieur Foucart aux devoirs de sa fonction de journalistaumonde.

Dans les pages « Idées » du même Journalderéférence, on peut lire ce billet tout en nuances intitulé « Changement climatique : tous les voyants sont au rouge ». Insatisfait des misérables +4,5 °C de la prophétie ordinaire pour 2100, l’auteur annonce un apocalyptique « 6 à 8 °C au cours des deux prochains siècles ». En utilisant le conditionnel réglementaire (malgré l’initiative de Stéphane Foucart), l’auteur déroule alors la litanie des calamités : les récifs coralliens seraient très touchés, tous les extrêmes climatiques, ou presque (sic), deviendraient plus fréquents ou/et plus intenses, les risques de conflits violents pourraient être indirectement accrus, « la calotte du Groenland pourrait disparaître en un millénaire ou plus si la température était maintenue au-dessus d’un certain seuil (re-sic), ce qui correspond à 7 m d’élévation du niveau de la mer »

Le plus angoissant est sans doute la phrase suivante :

« La seule évocation d’un réchauffement de 4 à 5 °C fait état de risques élevés à très élevés. »

Voilà qu’il suffit d’évoquer quelque chose pour que des cataclysmes se réalisent. Surveillons nos paroles ! Et même nos pensées ! Elles nous font courir des dangers grands à très grands, avec un niveau de confiance élevé à très élevé !

Au fait : qui est l’auteur de cet article ? Un journaliste en mal de sensationnalisme ? Un membre d’une ONG « tirant la sonnette d’alarme » ? Point du tout, il s’agit d’un homme politique scientifique bien connu, qui n’est autre que Jean Jouzel.

Le troisième morceau de bravoure du Journalderéférence s’est à l’évidence inspiré de notre vainqueur de la semaine dernière, qui rapprochait la lutte contre le réchauffement climatique de la Résistance française à l’occupant lors de la Seconde Guerre mondiale. Titré « Au Burkina Faso, les résistants au réchauffement climatique » et écrit par Laetitia Van Eeckhout, l’article accorde une large place aux propos sur le climat tenus par Claire Gaillardou, dont les compétences scientifiques sont attestées par son appartenance à Action contre la Faim. Les résistants dont il est question sont les habitants de la région de Bogandé, dont les difficultés d’existence sont instrumentalisées de façon particulièrement abjecte magnifiquement mises en perspective, notamment en s’abstenant d’écrire une seule fois le mot « météorologie » pour lui préférer les « événements climatiques » (dévastateurs, comme il se doit).

Sensible à cette remarquable pièce de propagande climatique, le jury décerne en revanche un blame à cet article de SciDevNet intitulé « Sahel : les changements climatiques, une aubaine pour la pluie », qui a osé rapporter les résultats d’une étude scandaleuse selon laquelle l’évolution actuelle du climat pourrait être autre chose que profondément, universellement et systématiquement néfaste. Fort heureusement, SciDevNet a rapidement fait amende honorable, ce qui lui vaut de voir son blâme finalement retiré.

Les accessits de la semaine

Fort de son statut d’organisme scientifique impartial, le CNRS a initié un partenariat avec Libération pour publier chaque mois une « analyse scientifique originale » sur le sujet que nous connaissons. La livraison de ce mois-ci est intitulée « COP 21 : on a oublié d’inviter l’océan ! » Cette analyse scientifique de haute volée, neutre et mesurée comme on l’imagine, nous est proposée par François Gaill, ancienne directrice de l’institut écologie et environnement du CNRS, qui nous gratifie d’informations objectives et dépassionnées telles que :

« C’est à peine croyable, et pourtant… l’océan, qui couvre 70% de la surface du globe, qui absorbe 25% du CO2 émis chaque année par l’homme dans l’atmosphère, et 90% du surplus de chaleur dû à l’effet de serre, n’est même pas au programme des discussions de la vingt et unième conférence des parties qui débutera à Paris, le 30 novembre. »

mais aussi :

« Les milliers de décideurs et de politiques qui, je l’espère, prendront en cette fin d’année les décisions qui conviennent pour nous assurer un avenir viable sur la Terre ferme de notre planète (…) »

sans oublier le lyrisme digne d’un Victor Hugo :

« L’océan est notre avenir et […] la vie est bleue ! »

Mention spéciale à ce passage dans la grande tradition de « Si ma tante en avait » :

« Car, si tout ce que la mer emmagasine était déversé dans l’atmosphère, ce n’est pas 2 °C d’élévation de température que l’on aurait, mais certainement dix fois plus. »

Rapidement, l’auteure de ce tract publicitaire pour son domaine de recherches cette « analyse scientifique originale » nous annonce une grande nouvelle : l’indispensable « Plateforme océan et climat » dont – coïncidence – elle coordonne le conseil scientifique n’hésitera pas, aujourd’hui 8 juin, à « tirer la sonnette d’alarme ». Il faut dire que « Les modèles envisagent une hausse [de l’Océan] d’un quart de mètre dès la fin du siècle » (c’est-à-dire autant qu’au XXème siècle, et comme chacun sait nous sommes évidemment beaucoup moins armés qu’au siècle dernier pour faire face à des évolutions de ce genre). Autre drame qui s’ajoute à la disparition programmée des coraux et l’acidification des océans – et qui réclame bien sûr de gros investissements que l’auteure ne peut qu’appeler de ses vœux : « En réalité, les impacts réels (sic) du changement climatique nous restent en grande partie inconnus. » Comme tout ce qui est inconnu est par définition néfaste, on comprend l’urgence.

La science climatique étant une science des simulations, pourquoi limiter celles-ci à l’aspect numérique des variables climatiques alors que la simulation d’une réunion aboutira peut-être à une simulation d’accord, voire – summum de la simulation – une absence de simulation d’accord ? Forts de cette logique, des bataillons d’anonymes étudiants convaincus ont décidé de tenter leur chance au climathon. Réunis au théâtre des amandiers sous la houlette de Bruno Latour (qui, on s’en souvient, s’est déjà signalé lors de la semaine 22), les étudiants sont parvenus, selon ses termes, à « articuler les désaccords » en simulant des négociations climatiques. S’enflammant dans le même élan patriotique que notre vainqueur de la semaine dernière (dont le discours au Panthéon a décidément fait école), le GO du jour lâche :

« Quand j’ai vu arriver sur scène la délégation qui représente les forêts, j’ai pensé que les étudiants avaient inventé quelque chose d’aussi important que l’invention du « peuple souverain » en 1790 pendant la fête de la Fédération ! »

Le jury est également sensible à l’indéniable côté pédagogique de ce genre de réunion, qui a permis aux étudiants d’affirmer « combien c’est compliqué de négocier » et d’ajouter  que « La route est jalonnée de beaucoup d’étapes ». Autant de réflexions qui portent le niveau intellectuel des discussions sur le climat à un degré rarement atteint.

Une mention spéciale est accordée aux auteurs anonymes de l’article 14 :

« Article 14 : Les représentants des écosystèmes [Océans, Amazonie] se verront reconnus des compétences de gouvernance pour des actions innovantes et ambitieuses liées au climat. »

Dernière minute – Communiqué de presse – Pour diffusion large et immédiate

Paris, 8 juin 2015, 07h02 GMT – Les océans viennent d’organiser entre eux un vote démocratique entièrement transparent où chacun disposait d’un nombre de voix rigoureusement proportionnel à son importance dans la biosphère. À l’unanimité, les océans ont élu le jury du climathon comme leur représentant officiel à la COP21.

Se déclarant « très honoré », le jury a annoncé la tenue prochaine d’une conférence de presse solennelle qui précisera les grandes lignes de l’action qu’il mènera au cours de son mandat.

Le jury du climathon a également annoncé que, « pour [lui] permettre une action coordonnée et une mise en œuvre cohérente des pouvoirs qui lui sont désormais conférés », il se porterait également candidat aux diverses élections similaires qui se tiendront bientôt pour désigner les représentants des glaciers, de la banquise, de la forêt amazonienne, des koalas et des ours polaires.

Le jury du climathon, qui est par ailleurs l’organisateur impartial de toutes ces élections transparentes, démocratiques et écologiques, s’est engagé à informer régulièrement sur leurs résultats, « quels qu’ils soient ».

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