Nudge : la politique du marketing

Comment changer les comportements sans coercition ? Une application dans le domaine marketing du « paternalisme libertarien ».

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Nudge : la politique du marketing

Publié le 3 juin 2015
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Par Christophe Benavent.

Nudge Marketing Eric SinglerL’ouvrage d’Éric Singler, Nudge Marketing vient de sortir et c’est une bonne nouvelle, car il démontre que l’on peut être un excellent praticien et être parfaitement informé de l’actualité de la recherche. Parmi les qualités de l’ouvrage, la première est sans doute son excellente documentation universitaire, la seconde est son extrême pédagogie. Voilà un ouvrage venant d’un professionnel que nous conseillerons sans réticence à certains de nos étudiants de master, y compris ceux qui s’orientent vers la recherche.

Mais la bonne nouvelle c’est aussi de constater que des idées développées depuis longtemps dans le champ universitaire trouvent des terrains d’application, ce n’est pas si fréquent, et on en découvrira quelques uns originaux.

Quant à ces idées, rappelons-en quelques-unes qui nous semblent importantes.

La première, ce n’est pas une nouveauté (cette idée de rationalité incomplète hante les travaux universitaires depuis au moins Herbert Simon), est que bien souvent nos décisions sont biaisées par ce qu’on appelle désormais des biais cognitifs (on en trouvera une liste étendue sur wikipédia), mais l’apport de ce courant est d’en tirer avantage dans la conception des dispositifs d’influence.

La seconde se déduit de la précédente : les éléments de la décision ne résident pas seulement dans les éléments du choix, ou dans les capacités du sujet, ils se trouvent aussi et surtout dans le cadre de la décision. L’environnement compte autant que les alternatives.

Une troisième idée est qu’il n’y a rien de mieux que la méthode expérimentale pour en tester les effets ; si l’auteur à ce titre enrôle Esther Duflo, sans doute de manière excessive, c’est au moins au bénéfice d’un soutien important à cette approche méthodologique réputée pour être inapplicable dans les sciences sociales, mais dont les applications récentes avec les expérimentations naturelles, et sa systématisation dans le domaine digital avec les test A/B, remettent en cause l’idée que l’expérimentation ne se fait qu’en laboratoire. On aurait aimé que dans l’ouvrage cet aspect soit bien plus développé dans sa dimension technique et aussi dans sa dimension éthique : jusqu’où peut -on aller ? L’expérience récente de Facebook portant sur 700 000 comptes et visant à contrôler la tonalité du feednews et ses effets sur l’engagement, en illustre à la fois la potentialité mais aussi une limite importante.

Une quatrième idée réside dans ce paternalisme libertarien dont Thaler et Sunstein se réclament volontiers : l’objet du nudge est d’obtenir une « bonne » décision et justifie l’interférence dans la liberté individuelle d’une part avec l’idée issue du mouvement néo-républicain du critère d’une interférence de manière non arbitraire, et d’autre part avec le principe que le choix n’est jamais supprimé, qu’il est simplement mis en scène pour que l’option « bonne » soit plus fréquemment choisie. C’est là aussi une petite faiblesse de l’ouvrage que de n’avoir développé que succinctement dans les conclusion cet aspect des choses pour légitimer les nudges et l’architecture du choix, et éviter la critique de la manipulation.

 

C’est d’autant plus important qu’en soulignant l’importance du domaine public comme terrain d’application, l’ouvrage revivifie l’idée d’un marketing public original, qui ne se contente pas de transférer brutalement les pratiques du privé.

Dans une perspective de management public, le nudge introduit l’idée que la coercition, souvent peu légitime, n’est peut-être pas la meilleure façon de gouverner les comportements, et qu’ils peuvent être orientés de manière plus douce : il vaudrait ainsi mieux pour réduire les accidents de la route imposer au constructeur qu’il présente un cadran de consommation instantanée d’essence plus grand que celui de la vitesse, plutôt que d’installer des radars au bord des routes. Mais dans cette idée de gouvernement, devrions-nous dire plutôt gouvernementalité, ce qui est en jeu n’est pas la décision individuelle (rouler vite et à risque ou respecter les normes sans effort), mais le comportement des populations. Changer les comportements (sans coercition) poursuit un but plus général : la sécurité de la route, la fluidité de la circulation ou la qualité de l’air. Ce but atteint améliorerait en retour la qualité de chacun. Il en est de même dans le covoiturage. Un Blablacar qui par nudging peut affecter la qualité de conduite, crée une sorte de bien public, la sécurité, dont l’effet sera certainement l’accroissement de la population des voyageurs. Le nudge donne-t-il au marketing son plein sens politique ?

Si donc cet ouvrage est une bonne nouvelle, il en apporte aussi une mauvaise pour la petite communauté des chercheurs marketing qui se regroupent au sein de l’AFM : le développement de la réflexion sur le nudge est le fait d’économistes et de psychologues qui dans la lutte pour la survie disciplinaire sont en train de conquérir un terrain qui aurait du être le nôtre. Espérons que ce livre et les initiatives prises par son auteur stimuleront notre communauté.


Christophe Benavent free (Benavent C) / CC BY-NC-ND 3.0

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Créer un compte Tous les commentaires (2)
  • « Un Blablacar qui par nudging peut affecter la qualité de conduite, crée une sorte de bien public, »

    Il a dit « bien public » sur Contrepoints, et personne ne l’a traité de communiste ?

  • En fait, il s’agit bien de façonner un homme nouveau.

  • Les commentaires sont fermés.

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