Théorie du cycle de vie et taux de faillite personnelle des sportifs professionnels

Comment, à la suite d’une hausse de votre revenu, allez-vous modifier votre comportement d’épargne et votre comportement de consommation ? Illustration par le sport !

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Théorie du cycle de vie et taux de faillite personnelle des sportifs professionnels

Publié le 30 avril 2015
- A +

Par Thomas Renault.

footballs credits Mark Botham (CC BY-NC 2.0)
footballs credits Mark Botham (CC BY-NC 2.0)

 

Aujourd’hui, votre boss est de très bonne humeur et vous annonce que vous allez recevoir une prime de 1000 euros ! Comment, à la suite d’une hausse de votre revenu, allez-vous modifier votre comportement d’épargne et votre comportement de consommation ? Cette question, qui peut paraître anodine, est d’une importance majeure en économie et fait l’objet d’un débat entre les partisans de la fonction de consommation keynésienne d’un côté, supposant que la consommation est une fonction du revenu courant, et les partisans de la théorie du revenu permanent (Friedman) et de la théorie du cycle de vie (Modigliani) arguant que la consommation et l’épargne dépendent du revenu intertemporel. Pour le dire plus simplement, selon Keynes, vous allez consommer en vous basant uniquement sur la situation actuelle (comportement myope court-termiste), tandis que selon Modigliani et Friedman, vous allez vouloir lisser votre consommation dans le temps en utilisant l’épargne comme une possibilité de consommation future (comportement à long-terme).

Mais en quoi est-ce si important ? Supposons que, pour relancer l’économie, le gouvernement décide d’envoyer un chèque de 1000 euros à chaque ménage français. Si les agents suivent une fonction de consommation keynésienne, ils vont alors dépenser très rapidement une majeure partie de cette prime exceptionnelle (par exemple 800 euros si la « propension marginale à consommer » est égale à 0,8), et cette mesure du gouvernement va permettre de relancer nettement la consommation, et donc la croissance. Par contre, si les agents ont un comportement intertemporel (type revenu permanent), l’effet direct sur la consommation sera très faible. En effet, les agents vont alors se dire « cette prime est exceptionnelle, et je vais donc simplement dépenser 20 euros de plus par an durant les 50 ans qu’il me reste à vivre ». Dans un cas extrême, et en se basant sur l’équivalence ricardienne, il est même possible que les agents choisissent d’épargner la totalité de cette prime exceptionnelle, en se disant « une prime de 1000 euros maintenant implique une hausse de 1000 euros des impôts dans le futur, donc il faut que je mette de côté ». Dans cette situation, une politique de relance keynésienne est inefficace.

Selon la théorie de Modigliani, le cycle de vie d’un agent est composé de trois phases : (1) la « jeunesse », période durant laquelle la consommation est supérieure au revenu et le patrimoine est négatif (emprunt), (2) la période « d’activité », durant laquelle le revenu est supérieur à la consommation et où l’agent se constitue un patrimoine et (3) la période de « retraite », durant laquelle les revenus diminuent et où l’agent utilise le patrimoine accumulé durant sa phase d’activité pour continuer à consommer. La consommation est alors lissée dans le temps (droite croissante, sans aucune volatilité) (source de l’image : Science-Économique).

Theorie-Cycle-De-Vie-Modigliani/ Thomas Renault

 

Mais qu’en est-il en réalité ? Les agents sont-ils totalement myopes (= un peu débiles) en basant leur consommation uniquement sur leur revenu courant ou bien (2) les agents sont-ils totalement rationnels (= un peu des machines de guerre) en anticipant parfaitement l’évolution de leur revenu futur pour lisser leur consommation ? Comme vous pouvez vous en douter, la bonne réponse est « ni l’un ni l’autre » ! La parfaite rationalité des agents est une hypothèse très forte : honnêtement, qui a déjà ouvert un fichier Excel pour essayer de modéliser précisément sa consommation, ses revenus, sa retraite, l’évolution de son patrimoine (en introduisant des probabilités de réalisation des différents événements pouvant avoir un impact sur tout cela) ?  Et l’idée de Keynes, « In the long-run, we’re all dead », supposant une vision purement court-termiste est aussi très forte : même si vous n’avez pas parfaitement modélisé votre fonction de consommation intertemporelle, vous n’êtes pas non plus totalement débile et avez déjà réfléchi, même sans trop y faire attention, à la manière dont vous allez lisser votre consommation dans le temps.

Pour répondre à cette question, de nombreux chercheurs ont réalisé des études empiriques, afin de voir par exemple si les individus lissent (parfaitement, un peu ou pas du tout) leur consommation dans le temps. Pour une revue de la littérature à ce sujet, voir par exemple « Consumption and Saving: Models of Intertemporal Allocation and Their Implications for Public Policy » (Attanasio & Weber, Journal of Economic Literature, 2010). Plus récemment encore, début avril 2015, un papier de recherche du National Bureau of Economic Research a été publié à ce sujet, en s’intéressant aux cas des sportifs professionnels de la NFL (Ligue de Football Américain) (source : « Bankruptcy Rates among NFL Players with Short-Lived Income Spikes », NBER). Les sportifs professionnels sont un sujet d’étude très intéressant dans ce cadre, car la carrière d’un sportif est caractérisée par des revenus très élevés durant une courte période de temps (en moyenne 6 ans en NFL), avec une forte variabilité des revenus et un risque non négligeable en cas de blessure. Dans ce cas, si l’on se base sur la théorie du cycle de vie, les sportifs professionnels devraient épargner une forte partie de leur revenu durant leur période d’activité, afin de compenser un temps de retraite plus long et le risque de blessure.

Dans l’étude sur la NFL, Carlson, Kim, Lusardi & Camerer se sont intéressés au taux de faillite personnelle des joueurs de la NFL drafté entre 1996 et 2003. Les joueurs de la NFL ont, en seulement quelques années de carrière, un salaire total supérieur au salaire sur toute une vie d’un salarié ayant un bac +5 (le salaire médian sur 6 ans de carrière d’un joueur étant de 3,2 millions de dollars). De quoi voir venir en toute sérénité la période post-carrière… selon la théorie du cycle de vie. Mais en réalité, il n’est est rien ! Le taux de faillite personnelle chez les joueurs de la NFL atteint 15,7% douze années après leur retraite. Cela signifie donc que sur 100 joueurs de la NFL ayant donc eu un salaire médian de 3,2 millions de dollars durant leur carrière (entre 24 et 30 ans par exemple), 16 joueurs se sont déclarés en faillite personnelle avant l’âge de 42 ans !

NBER-Life-Cycle/ Thomas Renault

 

En s’intéressant à la probabilité de faillite personnelle en fonction du salaire et du nombre d’années de carrière des différents joueurs, les auteurs ont de plus montré que ces deux variables n’avaient pas d’impact sur la probabilité de défaut : que vous ayez été une super star à la carrière longue ou un joueur moyen avec une carrière plutôt courte, la probabilité de défaut après 12 ans reste sensiblement la même ! De plus, bien qu’ayant un salaire, durant leur période d’activité, nettement supérieur à la moyenne des américains, les joueurs de NFL ont un taux de faillite personnelle durant leur période de retraite supérieur à la moyenne américaine. Les résultats de cette étude remettent donc en cause la théorie du cycle de vie, en tout cas dans une situation extrême comme celle des joueurs de la NFL.

Comme toujours en économie, il ne faut pas s’enflammer à la lecture des résultats d’une étude empirique : les résultats ne montrent pas que « Keynes a raison », mais simplement que, dans le cas présent (joueurs NFL et échantillon relativement petit) la théorie du cycle de vie et la parfaite rationalité des agents peuvent être remises en cause. Une hypothèse pouvant expliquer cela est le manque de connaissance financière des joueurs de la NFL et donc l’absence de parfaite rationalité (voir les théories sur « l’alphabétisation financière » par exemple). Pour le dire autrement, les sportifs professionnels sont « un peu moins cultivés (financièrement) que la moyenne »… Ce qui, pour ceux qui écoutent les interviews de certains footballeurs, n’est pas une hypothèse qui parait totalement dénuée de sens !

Conclusion

Allez, terminons par ce que l’on appelle en recherche une « évidence anecdotique », avec la célèbre vidéo de l’interview de Geoffrey Jourdren, l’actuel gardien de Montpellier. Oui oui c’est un peu facile… mais bon avouez que cela donne envie de creuser un peu cette hypothèse d’alphabétisation financière et de lissage de fonction de consommation !


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